04 Mar 19 Pond ne fait pas du Red Hot Chili Peppers
A peine plus d’un an après avoir sorti The Weather, Pond est déjà de retour avec Tasmania, un huitième long format qui s’inscrit non seulement comme la suite logique de son prédécesseur, mais qui prend surtout la peine d’emmener encore plus haut la pop psychédélique et expérimentale du groupe. De passage à Paris en janvier, l’allumé Nick Allbrook s’est plié à l’exercice de la promo qu’on a voulu différent cette fois en lui faisant passer l’épreuve du blind-test : un chemin détourné pour rentrer davantage dans l’intimité de son projet, évoquer sa relation avec Kevin Parker (Tame Impala) de nouveau aux manettes, mais aussi ses inspirations aussi variées qu’improbables.
PSYCROPTIC – Echoes to Come
Extrait de Psycroptic (2015)
(Il écoute attentivement l’interminable intro jusqu’à ce que le morceau démarre, sans que rien ne lui vienne à l’esprit)
Je dois avouer que j’ai été surpris de découvrir un groupe de death metal originaire de Tasmanie. Ca m’a semblé paradoxal compte tenu de l’environnement. Pas toi ? Tasmania, c’est aussi le titre de votre nouvel album. Peux-tu nous expliquer ce choix ?
Nick Allbrook : Je ne connaissais pas ce groupe non. Ils viennent de Tasmanie, vraiment ? Là bas, il y a beaucoup de beauté naturelle, mais également un côté assez sombre et froid, donc j’imagine que tu peux t’attendre à n’importe quel genre de musique en provenance de cette région (rires). La Tasmanie représente pour moi un endroit utopique où l’on pourrait s’échapper du reste du monde, et se mettre à l’abri du bruit, de la pression constante, du changement climatique, de la haine de l’Australie, car ce pays devient dangereusement de plus en plus chaud. Je ne suis pas non plus à l’aise à l’idée de ma barrer m’isoler sur une île : pour moi, c’est une métaphore qui représente avant tout notre responsabilité envers la planète. Jusqu’à maintenant, cette idée d’échappée n’était présente que dans nos têtes, dans notre imaginaire, mais c’est presque devenu une réalité malheureusement. On bousille notre planète, et l’on en vient presque à se demander où nous allons devoir migrer par la suite.
POND – Paint Me Silver
Extrait de The Weather (2018)
Tasmania est présenté comme une sorte de suite à The Weather sorti en début d’année dernière. Peux-tu nous expliquer en quoi ces deux albums se complètent ?
Nick Allbrook : C’est simple, il a été enregistré dans le même studio, avec les mêmes gens, à la même période de l’année. Et puis c’est un peu comme s’il nous restait des choses à faire, comme si The Weather n’était qu’à moitié fini : nous avions besoin de prendre du temps pour savoir quelle serait la suite, et développer certaines idées. L’album est basé sur des thèmes similaires, et nous n’avions peut-être pas encore exploré les sons jusqu’au bout. Pour schématiser, The Weather était en quelque sorte un fer de lance, un album affirmant haut et fort nos convictions de gauche. Un ou deux ans après, c’est désormais plus doux, plus vrai, et un petit peu plus effrayant, incertain et personnel, j’imagine. Je pense que, cette fois, nous avons laissé nos pensées aller plus loin. Nous avons revisité les thèmes de The Weather avec une perspective différente, peut-être plus résignée.
TAME IMPALA – Feels Like We Only Go Backwards
Extrait de Lonerism (2012)
Tu as fait partie de Tame Impala de 2009 à 2013. Qu’as-tu retenu de cette période de ta carrière ? As-tu parfois eu le sentiment d’en être parti trop tôt ?
Nick Allbrook : Non, je dirais au contraire que j’ai quitté Tame Impala au bon moment. Mais ce groupe a changé ma vie, il m’a appris tellement de choses… Il m’a rendu meilleur musicien et m’a certainement montré la réalité d’un truc que je n’avais que rêvé ou fantasmé depuis si longtemps. Ça a été un truc très important : j’ai appris beaucoup d’un point de vue musical, tout spécialement avec des gens comme Kevin ou Jay. J’ai également appris à jouer sur scène devant un public très nombreux, même si je ne faisais que la basse (rires). Tout cela a été très constructif. J’ai appris beaucoup sur moi, sur ce que j’attendais de la vie et de ma carrière, et ça m’a montré à quel point je voulais être un élément à part entière au sein de la société. J’ai appris à avoir une certaine stabilité et à apprécier ma famille et ma ville natale, ce genre de choses…
Pond partage (et a partagé) des musiciens en commun avec Tame Impala, vous sonnez parfois de façon très proche, et Kevin Parker produit systématiquement tous vos albums. N’est-ce pas difficile pour toi d’être souvent mis dans son ombre ?
Non, ce n’est pas chiant, ennuyant ou quoi que ce soit. C’est totalement compréhensible : j’aimerais également en savoir plus à ta place. Selon moi, être comparé à Tame Impala est même plutôt marrant car, si je peux comprendre pourquoi les gens ressentent ce besoin de comparaison, ce sont des choses avant tout différentes. C’est marrant d’entendre des gens dire qu’ils préfèrent Pond à Tame Impala, ou inversement… Je pourrais en dire autant sur les mangues ou les patates, mais qui en a quelque chose à branler (rires) ? Tout cela est subjectif. Kevin fait de la musique incroyable, mais cela n’affecte en rien ce que nous faisons, vraiment.
THE VINES – 1969
Extrait de Highly Evolved (2002)
Nick Allbrook : C’est Brian Jonestown Massacre ? Ah non ! Ok, je reconnais les Vines…
Vos débuts étaient marqués par une forte présence de la guitare. Etait-ce un moyen – peut-être inconscient – de se démarquer pour de bon de Tame Impala avant que le naturel ne revienne ?
Non, j’imagine que c’est l’évolution naturelle des choses. Quand on a débuté, on écoutait probablement des groupes comme les Vines, très orientés guitare, on adorait ça et c’est ce que nous voulions faire. Tu as forcément envie de créer quelque chose en lien avec ce que tu écoutes. Avec le temps, on a continué à écouter ce genre de sons, mais on a aussi découvert d’autres inspirations. D’ailleurs, j’imagine que nos albums reflètent assez bien ce qui nous branche à des moments spécifiques de nos vies. Par la suite, on a passé pas mal de temps à se pencher sur des sonorités plus electro, sur des basses et synthés, sur un spectre très large allant du hip hop à la house, de la techno à l’electronica, du folk à la musique classique… Si tu écoutes toutes ces choses et que tu les aimes, ça doit être assez déprimant de faire un album des Red Hot Chili Peppers. Récemment, je me suis remis à fond dans le rock, j’ai entendu Two Kinds of Love de Jon Spencer Blues Explosion dans un bar, et ce morceau m’a vraiment retourné. Ça m’a remis la tête dans des groupes de rock furieux (rires). Tu vois, ça revient, je n’ai jamais arrêté d’aimer les sons de guitare, de basse… Certaines choses te touchent juste plus particulièrement que d’autres à un certain moment de ta vie, c’est tout.
NICHOLAS ALLBROOK – 100 k’s ‘Round Carmel
Extrait de Ganough, Wallis & Fatuna (2014)
Tu as sorti deux albums solo jusqu’à maintenant. Est-ce qu’il y en aura d’autres ? Pourquoi avoir ressenti le besoin de composer de ton côté ?
Nick Allbrook : Ouais carrément ! J’ai un nouvel album qui est fini mais pas encore sorti, je ne sais pas trop pourquoi (rires). Mais ça ne devrait pas tarder… Les idées et les sons que nous développons avec Pond sont souvent issus de compromis entre les musiciens, au sein du groupe. C’est une démocratie. Mais parfois, j’ai envie d’être à fond dans un style particulier, conceptuel, classique, abstrait, minimaliste ou quelque chose dans le genre, et je vais faire des morceaux inspirés par ça. Mais si je les joue aux autres, ils me diront ‘c’est cool mais c’est toi, ce n’est pas Pond‘. Il faut trouver un compromis qui satisfasse et représente tout le monde. Ce genre d’idées et de sons, je ne peux le faire que par moi-même car c’est sûrement trop personnel.
KING GIZZARD & THE LIZARD WIZARD – Gamma Knife
Extrait de Nonagon Infinity (2016)
Nick Allbrook : Fuck Yeah! Gizz’! (il se met à battre le rythme du morceau)
King Gizzard vient aussi d’Australie. Au même titre que Courtney Barnett, ils ont littéralement incarné le rock australien en 2018. Selon toi, cette émulsion australienne ouvre-t-elle des portes aux autres groupes dans le monde, ou facilite t-elle seulement la création à un niveau local ?
C’est difficile à dire… En tournée, j’ai rencontré pas mal de jeunes fans, ici en France ou ailleurs, qui me parlaient de ça. En Angleterre, je me souviens avoir discuté avec ce jeune homme qui était obsédé par la scène musicale australienne, le son, le look… Il voulait faire de la musique australienne, ce que je ne lui ai pas conseillé de faire car c’est un peu ridicule de vouloir reproduire quelque chose d’existant. J’ai vu aussi des jeunes gars branchés de Los Angeles qui portaient des pompes Blundstone et avaient un chien de berger. Ils me disaient ‘King Gizzard est le meilleur groupe du monde, MATE‘ (rires). C’est génial si tout ça inspire des gens, mais j’espère juste que ça restera une inspiration, que tout le monde ne va pas se mettre à jouer la même chose. J’espère que les gens qui écoutent Courtney Barnett et sa voix authentique et vraie, ne vont pas se mettre à chanter comme elle. Même chose pour King Gizzard.
BARBAGALLO – L’Echappée
Extrait de Danse Dans Les Ailleurs (2018)
Nick Allbrook : Est-ce que c’est Julien ?
C’est lui ! Ayant été un membre de Pond avant d’officier chez Tame Impala, Julien Barbagallo est un peu une fierté nationale puisqu’il a contribué à deux groupes australiens qu’on adore. As-tu écouté ce qu’il fait en solo ? Qu’en penses-tu ?
Bien sûr que j’ai écouté ça. J’adore les sonorités explorées dans cet album, je les trouve magnifiques, elles expriment à la perfection la personnalité de Julien. Je retrouve l’essence même de ce mec sur cet album, plein d’amour. On y retrouve sa sensibilité, son appréciation de la beauté et de la douceur. C’est tout ce que j’aime chez lui.
Comment est-il arrivé dans votre groupe de potes ? Es-tu sensible à la langue française en musique ?
J’aime essayer de comprendre les morceaux chantés en français mais j’ai du mal, c’est trop complexe pour moi. J’essaye depuis longtemps de progresser en français, mais jusqu’ici je n’arrive pas à faire plus qu’une petite discussion avec un chauffeur de taxi. Au mariage de Julien, j’ai réussi à parler en français avec des gens de Toulouse. Ca s’est très bien passé, mais sûrement parce que j’étais un peu éméché (rires). Concernant notre rencontre, elle s’est faite via Kevin (Parker) qui a vécu à Paris pendant un moment avec sa fiancée Melody. Toute sa bande avait l’habitude d’aller dans ce bar, au Motel. Je n’étais pas là, mais Kevin y était, fumait une clope dehors, et Julien est allé le voir en lui disant qu’il adorait son groupe. Ils ont échangé leurs numéros, fait plusieurs jams, et se sont tout de suite bien entendus. De fil en aiguille, Kevin lui a proposé de faire partie du groupe, et Julien a fini par prendre l’avion pour Perth où il a fini par tous nous rencontrer.
PNL – A L’Ammoniaque
Single (2018)
Nick Allbrook : Putain ouais ! C’est PNL.
Exact ! Vous dites n’écouter que du rap et adorer PNL, nouvelle preuve de votre sensibilité à la musique française. Quel regard portez-vous sur l’évolution du hip hop, de plus en plus tourné vers la pop ?
Je pense que, peu importe ce que les jeunes font comme musique, ils ont toujours raison. Tu n’as jamais tort si tu fais quelque chose de personnel et différent. Le Hip Hop a peut-être évolué dans une version plus pop, plus autotunée par moments, avec des textes nihilistes parlant de prendre du putain de Xanax… Ca a besoin d’être exprimé, parce que c’est vrai. Et puis ça met une claque, je trouve ça hyper cool. Certaines personnes n’aiment pas ce genre de musique mais ça ne la rend pas mauvaise pour autant. J’espère ne jamais faire partie de ceux regardant la génération suivante de façon condescendante, disant que ceci ou cela n’est pas de la musique. Je trouve ça hilarant qu’on puisse dire un truc pareil. Les fans de musique classique disaient la même chose du jazz, et les fans du jazz en disaient de même pour le rock and roll… etc. Maintenant, les fans de Hip Hop qui ont 40 ans disent que cette musique trap n’est pas de la musique, ça se répète… Concernant PNL, je les ai découverts ici car j’ai habité à Montreuil un certain temps, et je les entendais littéralement partout. Ce n’est peut-être plus le cas car les choses vont très vite mais à l’époque, juste en te baladant, ce groupe était partout, dans toutes les voitures, les rues, les épiceries… De mon appart, je pouvais entendre la musique des jeunes qui fumaient des joints dans la rue. Je comprenais tout de suite leur délire (rires). Et puis, j’ai réécouté ce groupe à des bons moments, ça m’a paru très émotionnel, le côté ‘le monde ou rien’. Ces mecs ont de l’ambition, j’aime ça (rires).
CAN – Vitamin C
Extrait de Ege Bamyasi (1972)
Nick Allbrook : (instantanément)Fuck Yeah, CAN !
En 2012, vous avez brièvement croisé Damo Suzuki, une de vos inspirations auto-proclamées. Quel souvenir gardez-vous de cette rencontre ?
CAN est une influence continuelle. C’est tellement varié, libre, groovy, expérimental, émotionnel, funky. C’est tout ça à la fois : organique mais dans le même temps électronique, spontané mais méticuleux. D’une manière philosophique, je trouve ça magnifique, il y a quelque chose de transcendant et zen dans cette musique. Mais le truc le plus con dans l’histoire a été que cette rencontre avec Damo Suzuki a eu lieu à la fin d’une tournée particulièrement longue. La rencontre avait été planifiée depuis Perth, tout le groupe devait jouer avec lui, mais j’ai décidé que c’était le concert de trop, que je ne pouvais pas faire un concert de plus… Même si ce mec était notre putain de héros, c’était trop pour moi. J’ai donc décidé de me retirer et de rester seul, de saisir enfin l’opportunité pour me retrouver avec moi-même. Tous les autres membres de Pond ont joué avec Damo. Moi, je suis parti en Ecosse faire une marche de deux semaines, tout seul (rires).
BEIRUT – Perth
Extrait de No No No (2015)
Longue recherche avant que ses yeux ne se tournent vers ma playlist…
Vous êtes originaires de Perth en Australie. Au-delà de Tame Impala et Pond, peux-tu nous parler rapidement de la scène musicale là-bas ? Est-ce un endroit que vous conseilleriez à un musicien ?
Nick Allbrook : Je ne sais pas trop… Ce n’est pas comme conseiller à quelqu’un d’aller à Londres où Melbourne, ou dans je ne sais quelle autre ville où la scène musicale est massive, les endroits pour jouer innombrables, où des gens travaillent dans l’industrie musicale ou dans des magazines spécialisés, etc… Perth n’est pas du tout comme ça. Mais si tu veux faire de la musique et rencontrer des gens vraiment cools, pourquoi pas. La particularité de Perth selon moi est que les gens y sont très ouverts, toujours prompts à collaborer avec n’importe qui. Tu n’as pas besoin d’arriver avec la promesse que ton prochain disque sera un hit pour trouver des gens pour t’accompagner. Le rapport à l’argent est différent, tu n’as pas besoin d’en avoir pour développer ton truc. Les gens sont juste très ouverts d’esprit, ils sont capables d’organiser un festival gratuit, de travailler dur pour que cela devienne un évènement sympa. Parfois j’ai peur que cela change avec le temps. Mais, à chaque fois que j’y retourne, les gens continuent à faire exactement la même chose, à faire des nouveaux trucs intéressants, juste destinés à sortir sur Bandcamp, ou même destinés à ne pas sortir du tout. Il peut arriver qu’un mec imprime 10 exemplaires d’un livre juste pour le distribuer dans la rue. C’est putain de bon quand c’est comme ça, mais j’ai peur que les personnes qui fantasment sur cette scène soient déçues. Ce n’est pas cette grosse scène prospère où il y a des concerts de rock psyché à chaque coin de rue, où les gens organisent des jams sous acides de façon régulière (rires). C’est avant tout une petite ville calme, il n’y a pas énormément de lieux où tu peux jouer. Il y a également beaucoup de gens assez conservateurs, beaucoup d’argent issu de l’industrie minière. C’est assez stérile en comparaison avec une ville comme Paris qui est multiculturelle, historique, pleine d’énergie… Ma copine qui vient de Londres trouve que Perth lui rappelle une ville balnéaire, propre et calme, construite pour des retraités. Et les gens peuvent également être choqués par le niveau de disparité sociale entre les blancs et les aborigènes. C’est assez triste et embarrassant de voir cette situation. Il y a également ce côté sombre à Perth. Ça m’affecte beaucoup et j’y pense régulièrement.
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