Peter Kernel n’est plus un lapin de six semaines

Peter Kernel n’est plus un lapin de six semaines

Rien ne serait peut être arrivé sans un conseil de classe houleux qui aurait pu amener Barbara à prendre la porte de son école. Parmi une multitude d’anecdotes, c’est ce que nous apprend ici le duo qui, en cette fin d’année, fête son 15ème anniversaire avec la sortie de Perseverance : 15 Years of Peter Kernel, première sortie en collaboration avec le label Hummus Records (Louis Jucker, Emilie Zoé, Coilguns…). Comme son titre l’indique, le disque n’est pas un nouvel album mais une collection de démos, de live, de titres rares, inédits, ou n’ayant jamais été terminés. Comme une retrospective musicale d’un parcours sans fausse notes (involontaires), tracé par un groupe qui n’a jamais cessé de se remettre en question pour toujours atteindre de nouvelles hauteurs. Assoiffé de composition comme de concerts, Peter Kernel est devenu au fil du temps le plus français des groupes suisses, en se faisant adopter sans mal par un public qui n’est pas resté longtemps insensible à cette approche quelque peu arty de l’indie rock. Fidèles à Mowno depuis leurs débuts, Aris et Barbara se livrent ici comme jamais. Bons et mauvais souvenirs, bonnes et mauvaises rencontres, choix cornéliens au sein même de leur oeuvre… Tout y est ici pour revivre 15 années plutôt inspirées.

Vous nous racontez votre première rencontre ?

Aris : J’étais étudiant en dernière année de communication visuelle à Lugano, en 2002. J’avais une petite amie qui était en première année, et j’ai rencontré Barbara qui était dans sa classe. Je me souviens avoir pensé qu’elle n’était pas agréable du tout. Puis j’ai découvert qu’elle pensait la même chose de moi.

Comment en êtes-vous arrivés à monter un groupe alors ?

Je n’ai pas vraiment parlé avec elle jusqu’à ce que je devienne assistant du professeur. Pendant une réunion d’enseignants, son nom est sorti parce que tous voulaient la virer pour absentéisme. Un seul, un super et très inspirant prof de vidéo, s’y est opposé en disant : ‘Arrêtez ! Vous n’y comprenez rien, c’est une génie !‘. Et il a commencé à détailler tous les projets sur lesquels elle travaillait. Ca a attisé ma curiosité, j’ai regardé son travail et découvert qu’elle avait beaucoup de talent. A cette période, je commençais un groupe qui s’appelait I Love The Girl Who Loves Toco, donc je lui ai demandé de préparer quelques vidéos pour un concert prévu à Padova. Nous sommes allés là-bas, et l’idée était de jouer derrière un énorme rideau blanc. Personne ne nous a vus, et à la fin personne ne faisait attention à nous. Mais nous avions une vision commune et une façon de voir les choses qui nous rassemblaient. Donc je lui ai donné une basse, elle a appris ou placer ses doigts, et on a commencé à faire des concerts sous le nom de El Toco. On ne s’est plus jamais arrêté.

Vous avez quatre albums à votre actif aujourd’hui. Duquel êtes-vous le plus fier ?

Barbara : Probablement The Size Of The Night, parce qu’il a été le plus compliqué à faire. Fin décembre 2016, nous étions sur le point de terminer notre tournée pour Thrill Addict. En tant que musiciens indépendants, c’est impossible de rester inactif donc nous avons tout de suite prévu de composer un nouvel album. Un mois plus tard, notre ingé son et ami cher Andrea Cajelli est décédé subitement. On s’est senti complètement perdus. On ne voulait pas aller dans un autre studio donc on a décidé d’apprendre à nous enregistrer et nous mixer nous-mêmes. En avril, Aris et moi avons mis fin à notre couple qui durait depuis 12 ans. Du coup, ça a été vraiment compliqué de se concentrer et de trouver de nouvelles dynamiques. Pour autant, nous avons réussi à composer, enregistrer et sortir The Size Of The Night, et crois moi, ca a été un miracle.

Et si vous ne deviez retenir qu’un seul morceau ? 

Sûrement Panico! This Is Love parce que cette guitare désaccordée au début du morceau à un impact dingue sur les gens. Grâce à lui, des programmateurs de concerts et de radios ont commencé à s’intéresser à nous, et les sollicitations se sont multipliées à partir de ce moment là. Quand on le joue, certains deviennent fous, montent sur scène, se déshabillent même parfois. C’est dingue ce qu’une guitare désaccordée peut provoquer ! 

Quel est votre meilleur souvenir avec Peter Kernel ?

Aris : Il y en a tellement que c’est difficile de choisir. Mais je retiendrais ces moments quand les gens viennent nous voir après les concerts, nous racontent leurs histoires et comment leur vie a pu être impactée par notre musique. Être la bande son de la vie de quelqu’un, ou seulement d’un moment de sa vie, l’aider à pleurer ou rire, l’accompagner au travail ou sur son canapé, c’est quelque chose de très important pour nous.

Et votre plus gros regret ?

Sincèrement, je n’en sais rien. Nous avons toujours fait ce que nous avons voulu, de la manière que nous l’avons voulu. Nous n’avons jamais vraiment fait de compromis. Si, peut être un regret quand même : de ne jamais avoir appris à accorder ma guitare rapidement, sans accordeur. Mais j’ai encore le temps pour ça.

Quelle est la plus belle rencontre que vous ayez fait avec le groupe ? 

Barbara : A force de voyager, tu rencontres beaucoup de gens. Nous avons beaucoup d’histoires, la plupart sont dingues, chaque fois différentes. Une fois, pendant un concert en Italie avec notre premier line up (Dawis à la batterie et Anita à la guitare), nous avons été interrompu par une vieille dame qui est montée sur scène en tenant un jeune garçon par la main. Nous avons arrêté de jouer, et elle a demandé à Anita si elle voulait épouser son neveu. C’était la femme du maestro Tonino Guerra. C’était adorable.
Aris : Il y a aussi ce concert au Bikini Test, à La-Chaux-de-Fonds. On a décidé de jouer le dernier morceau dans le public et, pendant qu’un gars me sautait constamment dessus pour me mordre l’oreille, un autre faisait des cercles de vomi autour de Barbara. C’est un souvenir magnifique pour moi.

C’était le meilleur concert de ces 15 premières années d’existence ? 

C’est difficile à dire. Tu sais, un bon show pour un groupe n’en est pas toujours un pour le public, et vice versa. On en a joué plus de 700, donc on se souvient forcément de beaucoup de concerts. Certains sortent du lot parce qu’ils étaient les plus sauvages. Ce sont souvent les meilleurs pour nous. Quand nous nous sommes léchés avec le public à Bruxelles, que nous avons échangé nos chaussures à Strasbourg, que nous avons dansé avec ce mec à poil sur scène, quand les gens déboulent sur scène pour headbanger sur la première note du premier morceau en Bretagne (c’était un morceau lent… cqfd), quand d’autres ont fait le soleil, la maison et l’arbre sur scène à Milan… Il y en a trop pour en choisir qu’un seul.

Et le pire alors ?

Barbara : Je dirais à Annecy. C’était un super festival sur le lac. Nous avions fait notre balance, étions contents de jouer mais, pendant le concert, les organisateurs ont tout stoppé parce qu’un jeune garçon s’est noyé dans le lac, juste derrière la scène. En quelques minutes, tout le monde a disparu et nous sommes restés seuls sur scène, dans cette ambiance terrible. Nous voulions ranger le matériel dans le van, mais c’était impossible puisqu’ils avaient fermé les lieux pour laisser travailler les services funéraires. Nous étions tristes et choqués. On a donc pris directement la route pour la Belgique puisqu’on jouait le lendemain au Verdur Festival. Sur la route, l’autoroute était vide car il y avait de l’orage, de gros éclairs. Ca nous a foutu les boules. Je me souviens que, pour soulager l’atmosphère, quelqu’un a dit ‘tu imagines si demain la scène prend feu ?‘. Le lendemain, pendant la balance, Ema (notre batteur) s’est retrouvé sous un projecteur qui a pris feu. Ces 24 heures étaient flippantes.

En 15 ans, quelle est la plus grande difficulté que Peter Kernel ait rencontré ?

Aris : Je pense que c’est le fait d’avoir fait carrière sans aucune connaissance technique, sans diplôme ou quoi que ce soit d’autre. C’est du Do It Yourself de bout en bout. Aussi, nous vivons en Suisse, un des pays les plus chers du monde ou être un musicien professionnel n’est pas quelque chose de commun. Là ou nous sommes, la musique est plutôt un hobby, c’est tout. Donc on avance constamment sans rien savoir du lendemain, sans savoir ou nous serons dans un mois, sans savoir si nous aurons assez d’argent pour payer nos factures.

Revenons à quelque chose de plus léger. Quelle est l’anecdote la plus dingue que vous ayez à partager depuis 15 ans ? 

Barbara : Pareil, on en a beaucoup. Il y en a des récurrentes, comme passer des heures à la réception des hôtels en expliquant que Peter Kernel est le nom du groupe, et donc que Peter Kernel n’a pas de carte d’identité ou de passeport. Comme casser la boîte de vitesses du van à 130 km/heure sur l’autoroute en Belgique. Une fois, après le petit déjeuner, nous avons commencé à rouler. Il faisait si froid, on ne comprenait pas pourquoi. Après dix minutes, nous nous sommes rendus compte que nous avions laissé le coffre complètement ouvert, risquant de perdre tout notre matos sur la route. Une autre fois, nous sommes arrivés à Lille et, quand nous avons ouvert le camion, nous avons réalisé que nous avions laissé tout notre matériel à Bruxelles ou nous avions joué la veille. Une autre fois aussi, nous nous sommes garés à Paris, à côté de la Gare du Nord et nous avions laissé les clés sur la porte avant. Toute la nuit. Et rien est arrivé.
Aris : Nous avons aussi perdu un batteur en Belgique durant toute une nuit, on s’est trompé de salle à Paris, on a du fuir des voleurs à Nantes… Trop d’histoires !

Que changeriez-vous si vous deviez réécrire l’histoire de Peter Kernel ? 

Barbara : Notre nom ! Il craint.

15 ans, qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Beaucoup. Nous avons passé 15 ans à nous dire que tôt ou tard quelqu’un allait nous griller, s’apercevoir que nous avons absolument aucune idée de ce que nous faisons, que ce soit techniquement en tant que musiciens, ou plus généralement dans le music business. Et en même temps, je trouve tout ça très divertissant et drôle de penser à tout ce que nous n’avons pas. C’est quand même assez dingue qu’on ait réussi à vivre de Peter Kernel.
Aris : J’ai passé tous ces derniers jours à réécouter nos morceaux pour préparer cette sortie, et je dois avouer qu’on a quand même fait du bon boulot. Je ne veux pas me la raconter, mais je pense qu’on a écrit de bons morceaux.

Qu’en sera t-il de vous et de Peter Kernel en 2035 ? 

On sera sûrement sur scène avec un ice-tea, en train de jouer des morceaux lents et calmes, à penser que nous sonnons ‘noisy as hell’.

BEST OF COMMENTÉ

MEN OF THE WOMEN
(The Size of the Night, 2018)
Aris : Barbara a improvisé la base du morceau très rapidement, à l’instinct, puis j’ai ajouté cette ligne de chant aux sonorités arabes qui, en réalité, est un dialecte italo-suisse. Et boom : on avait un des morceaux que l’on préfère jouer en concert. On adorerait expérimenter dans cette direction à l’avenir.

PANICO! THIS IS LOVE
(White Death and Black Heart, 2011)
Barbara : C’est notre classique. Ce morceau a changé beaucoup de choses pour nous. C’est d’ailleurs celui avec lequel nous terminons nos concerts et que nous jouons avec le public. Il est à la fois puissant et gentil, c’est toujours fun de l’interpréter. On déteste le répéter mais on adore le jouer en live tant on ne fait qu’un avec les gens présents.

I COUNTED THEM TO DIE PROPERLY
(How To Perform a Funeral, 2008)
Aris : Le titre fait référence aux premières répétitions, quand Barbara essayait aussi d’apprendre à jouer de la basse. A l’origine, on restait très longtemps sur la même note et on devait compter pour arriver à s’arrêter ensemble. On s’est souvent chamaillé quand on ne comptait pas en même temps, du coup elle disait toujours ‘I counted them to die properly’, qui est en fait une ‘italianisation’ de l’anglais. Toujours est-il qu’on a vraiment ce morceau dans la peau. On ne le joue plus en concerts parce que c’est parfois trop lent et trop triste pour un public qui cherche plutôt à faire la fête. Mais on adore la batterie et la cloche.

HIGH FEVER
(Thrill Addict, 2015)
Barbara : C’est aussi un de nos classiques. On voulait écrire un morceau un peu surréaliste qui parle de ces moments ou tu es pris d’une très forte fièvre. Rien de profondément significatif, juste des hallucinations. C’est dingue de le jouer en live parce qu’il nous met toujours dans une bonne vibe.

IT’S GONNA BE GREAT
(Thrill Addict, 2015)
Aris : C’est un morceau que nous utilisons pour aider les gens à se mettre dans une ambiance bisous et calins. On a essayé d’écrire une chanson positive et de lui offrir une ambiance musicale décontractée. Au final, c’est très relaxant. On adore toutes ces petites percussions que nous y avons mis.

PRETTY PERFECT
(The Size of the Night, 2018)
Barbara : C’est le morceau qu’Aris est toujours impatient de jouer car il adore les parties de guitare. L’idée originale est venue d’un enregistrement maison il y a quelques années sous le nom de porc***o.wav (un très gros mot italien). On aime le fait qu’il soit si simple et si direct. Même un gamin pourrait le jouer.

THERE’S NOTHING LEFT TO LAUGH ABOUT
(White Death and Black Heart, 2011)
Aris : Barbara adore ce morceau. C’est la chanson parfaite pour quand la fête se termine et qu’il faut botter le cul des gens pour les sortir avant la fermeture des portes. Ca colle très bien avec l’odeur d’une vieille salle, avec les discussions incompréhensibles et un sol rendu collant par la bière renversée.

I’LL DIE RICH AT YOUR FUNERAL
(White Death and Black Heart, 2011)
Barbara : C’est très naturel pour nous d’interpréter ce morceau. On le joue en live depuis qu’on l’a sorti, et ça marche à chaque fois. Il nous met lui aussi dans un bon mood pour les concerts. Partout ou on le joue, on se sent chez nous.

TERRIBLE LUCK
(The Size of the Night, 2018)
Aris : On adore ce titre qui est arrivé lors de nos multiples tentatives d’écrire un morceau joyeux. On y joue beaucoup d’instruments différents . C’est probablement la bonne illustration de l’idée qu’on a de la pop music. Nous en sommes fiers.

WE’RE NOT GONNA BE THE SAME AGAIN
(White Death and Black Heart, 2011)
Barbara : On a composé ce morceau à la guitare et à la basse pendant plusieurs jours très pluvieux. On l’a adoré, et plus encore quand on y a ajouté la batterie. Là, il a explosé dans nos têtes. On adore ce type de jeu de batterie, à la fois primitif et aéré. Et son titre était prémonitoire.


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