Peter Kernel, liberté sous contrôle

Peter Kernel, liberté sous contrôle

Si Peter Kernel apparait aujourd’hui aussi rieur et chaleureux qu’il l’a toujours été, les derniers mois du duo ne lui ont pas forcément donné le sourire. Marqués par le deuil de leur ingénieur du son de toujours, Aris et Barbara ont dû redoubler d’efforts pour retrouver la surface, et la force de composer un nouvel album aux allures de thérapie. Car, contrairement à ce que le contexte et le titre du disque pourraient laisser penser, The Size of the Night restera sûrement comme l’oeuvre la plus lumineuse de nos petits suisses chéris. Conscient de sa chance d’être vivant, de la nécessité de s’écouter pour se respecter, Peter Kernel en ressort plus libre et surprenant que jamais, sans jamais couper les ponts avec son passé pour autant : une force intérieure qui, dès les premiers sillons parcourus, diffuse une inspiration baignée d’expérience et de maturité, ce gros mot souvent mal employé mais qui tient définitivement sa place sur chacun des titres de ce nouvel album. Barbara touchée par le froid glacial du moment, c’est Aris qui nous éclaire sur la genèse d’un disque très particulier pour le groupe.

Aris, ce nouvel album est le premier dont tu es réellement satisfait. Avec le recul, que manquait-il aux précédents selon toi ?

Aris Bassetti : Nous aimons tout faire nous-mêmes. On a toujours fait nos propres vidéos, nos propres photos, notre communication, nos pochettes, mais on avait encore jamais mis les mains dans l’enregistrement de notre musique. L’an dernier, notre ami Andrea – notre ingénieur du son de toujours – est décédé, et ça a été très difficile de retrouver quelqu’un à qui on pouvait confier notre émotion, comme on pouvait le faire avec lui. On s’est donc dit que c’était peut-être le moment de commencer à faire aussi ça nous-mêmes. On est donc allé voir sur internet pour apprendre, pour savoir comment placer le micro sur la caisse claire, quels micros il nous fallait pour ceci ou cela… Ça a duré quelques semaines, puis on a commencé à enregistrer, à faire et refaire. Et à la fin, on a découvert à quel point le studio a eu son importance dans la composition. On n’y venait plus pour seulement enregistrer ce qu’on avait composé : on y a travaillé, cherché, copié puis collé des idées, essayé tout ce qu’on a voulu sans être frustré par un manque de temps ou d’argent. Au final, on en est sorti plus convaincus de nos idées que par le passé. On a pu tout essayer, et on a vraiment aimé le processus qui a amené à chaque version finale. Et puis les morceaux représentent bien ce que nous sommes aujourd’hui, on se sent très connectés avec eux, plus qu’avec ceux des années passées.

D’une manière générale, je trouve que The Size of the Night est le plus mystique de tous vos albums. Même si les précédents ont chacun leur identité, celui-ci respire plus que jamais la liberté. Quel a été le déclic qui vous a poussé à concrétiser toutes ces nouvelles envies ?

Ces dernières années, nous avons beaucoup joué, avec beaucoup de groupes de notre style, donc à chaque fois qu’on se retrouvait dans le camion, on avait envie d’écouter des choses complètement différentes. Chez nous, ça a été pareil. Là, on est resté fidèle à notre musique, mais avec le besoin de se sentir plus libre, de sonner plus pop, plus expérimental ou même plus electro, sans se soucier du résultat final. On a seulement joué ce dont on avait besoin pour être satisfaits. Je pense que c’est aussi lié à Andrea, au besoin d’aller de l’avant, de trouver de nouvelles orientations, de nouvelles expressions. On a aussi beaucoup changé en tant que personnes, nous ne sommes plus de tous jeunes musiciens. On aime la mélodie, la pop, la musique relaxante, classique… Plein de choses qui ne rentraient pas chez Peter Kernel. On s’est donc laissé aller à toutes nos idées, en se disant qu’on verrait à la fin comment les adapter au live. Je ne voulais pas me cantonner à un style précis pour la seule satisfaction des fans, il fallait qu’on soit totalement nous-mêmes.

Est-ce que le décès d’Andrea Cajelli a quelque chose à voir avec la hauteur, cette sorte de spiritualité qui habite le disque ?

Oui, je pense parce qu’Andrea était comme un membre de la famille. Il n’y avait pas deux jours sans qu’on s’écrive. Il a écouté presque toutes les démos de ce nouvel album, donc il a été le premier à entendre cette nouvelle direction. Quand on lui a demandé ce qu’il en pensait, il nous a encouragés à continuer sans que l’on se préoccupe de ce que les gens allaient en penser. Il nous a donnés beaucoup de force, puis il est mort et on a commencé à penser à plein de choses. Il avait plus ou moins mon âge, donc j’ai commencé à réfléchir sur les choses de la vie. J’ai eu une période assez longue ou je me sentais un peu déprimé. Et là, tu entres dans une dimension très particulière. Il était comme un membre du groupe, on a ressenti le manque. Donc peut-être qu’on a cherché à compenser son absence par des sonorités un peu nouvelles pour nous. Ça nous a poussés à nous respecter un peu plus nous-mêmes.

Toutes ces réflexions, c’est cette prise de conscience dont vous parlez ouvertement ? Celle acquise ces derniers mois et qui vous aurait guidé dans l’élaboration de ce nouvel album ?

Oui bien sûr. Suite à son décès, on a profondément réfléchi sur la vie, sa signification, sur ce qui nous faisait nous sentir vivants. Est-ce qu’il s’agit de vivre ou de simplement passer le temps ? Nous sommes passés par de longs moments de silence. Personnellement, ça a été un peu dur pour moi parce que c’était la première fois que j’étais vraiment confronté au deuil d’un être cher. Jusque-là, il s’agissait de personnes éloignées que je ne connaissais pas vraiment. Là, j’ai perdu comme un frère. Je me suis donc interrogé, y compris sur ma santé, physique et mentale. Puis nous vivons en Suisse ou la vie est très chère, alors que nous jouons surtout à l’étranger ou nous touchons des cachets en euros. Donc nous sommes toujours à la limite, on ne peut pas se permettre de se planter. Il fallait vraiment qu’on prenne conscience de plein de trucs pour continuer à nous exprimer de manière honnête et sincère.

Vous avez pensé arrêter le groupe à ce moment-là ?

Non, parce que ce groupe est notre raison d’être sur cette planète. Nous avons une vision très particulière des choses. C’est difficile pour nous de vivre normalement, d’entretenir des relations normales, d’aller au supermarché normalement… Surtout pour moi. Quand j’arrive à la caisse pour payer, je deviens anxieux. C’est fou, mais je n’arrive pas à vivre les choses normalement. Avec le groupe, j’y arrive mieux. J’ai trouvé ma place. Donc même si c’est parfois difficile, on fera toujours tout ce que l’on peut pour continuer. Mais cet album a aussi permis d’exorciser ce type de choses, même s’il y a aussi beaucoup de trucs positifs dedans.

Il est quand même loin d’être déprimant…

Je trouve aussi. Je pense qu’il est même plus gai que les autres. C’est étrange mais c’est comme ça : on a exorcisé le négatif en faisant du positif, même s’il y a certains côtés dark. Mais la vie est comme ça finalement.

Au moment de dévoiler There’s Nothing Like You, vous racontiez que, en l’envoyant à Andrea, vous aviez peur qu’il ne sonne pas assez Peter Kernel. Du coup, vous faites quand même très attention à ne pas perdre le fil tout au long de votre discographie…

Parfois, on a envie de faire des choses très différentes, de couper net. Mais on est très attachés aux gens qui nous ont soutenus depuis le début. On veut qu’on y aille tous ensemble, en partageant nos émotions. On est en train de changer, mais on ne veut pas y aller seuls, aussi pour nous permettre d’avancer en confiance. Puis on a un peu peur de faire des choses complètement différentes, des choses que tu pourrais regretter le lendemain. Il faut donc qu’on prenne le temps de suivre ce que nous sommes. Nous changeons, et la musique suit. Je pense que nous évoluons à la bonne vitesse avec notre public. Tant mieux, parce que ce serait vraiment ennuyeux sinon de toujours jouer les mêmes choses.

Je trouve qu’on ressent l’influence du Wicked Orchestra sur ce nouvel album, plus précisément sur des titre comme Drift To Death ou The Fatigue of Passing The Night. Comment vous est venue l’idée de ce projet, et en quoi cette initiative a pu influer sur ce nouvel album ?

Quand on a commencé à composer de nouveaux morceaux, on avait moins de concerts, alors on a invité quelques amis à venir jouer avec nous, sans idée précise en tête, juste pour improviser et voir ce qui se passe. On s’est amusé, et on a compris qu’il y avait quelque chose d’intéressant. On a donc commencé à réarranger les anciens titres, à donner des petits concerts pour les amis histoire de voir ce qu’ils en diraient. Les retours ont été bons donc on a continué. Puis quand on a écrit de nouvelles chansons en duo, on s’est rendu compte de l’influence des shows avec le Wicked Orchestra. On a reconsidéré notre idée des concerts. Avant, on voulait jouer fort, puis le Wicked Orchestra nous a fait apprécier les silences, les choses calmes, et on a voulu en retrouver sur l’album. The Fatigue of Passing the Night est clairement influencé par cette expérience, oui.

Est-ce que certains musiciens seront avec vous pour la tournée à venir ?

Non. D’habitude, tu as tendance à jouer les morceaux sur scène comme tu les as enregistrés. Moi, j’aime beaucoup les concerts intenses mais, quand je suis à la maison ou dans le camion, je préfère les choses plus calmes, les sons moins agressifs. Jusque-là, je n’étais jamais arrivé à faire un album que j’aime écouter dans ces deux cas. Celui-là, tu peux l’écouter sans problème dans la voiture, et on a réussi à changer un peu les choses, en enlever quelques-unes pour qu’il sonne autrement en live, en trio. Sur scène, il sera plus minimal, plus direct, alors que l’album est plus complexe, avec pas mal d’instruments qu’on a joué nous-mêmes. C’est un compromis qu’on réussit seulement maintenant.

Et côté batteur, toujours pas de membre permanent ?

Il y a eu un moment où on avait six batteurs, mais c’est trop compliqué pour s’organiser, répéter… Là, on a un batteur suisse-mexicain, un autre suisse-allemand, et Emma qui enregistre seulement parce qu’il vend des chaussettes sur les marchés, et il préfère faire ça que tourner (rire).

Et pourquoi vous n’avez pas de batteur attitré ?

Parce qu’on ne veut pas. A deux, c’est déjà difficile de décider certaines choses, alors si on devait être trois, ça le serait encore plus (rire).

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