
18 Nov 22 Opinion, musicien autrement
À vingt ans, une majorité écrasante de la population cherche principalement à cuver correctement une gueule de bois en pantalon de jogging. Hugo Carmouze, lui, a déjà à son actif des dizaines et des dizaines de sorties garage/indie/noise avec différents projets comme Opinion, et a même lancé son propre label Nothing Is Mine. La petite fée de la créativité ne se pose pas sur le berceau de tout le monde de la même manière. L’auteur-compositeur-interprète et multi-instrumentiste bordelais a longuement Zoomé avec nous pour nous affranchir, entre autres, sur sa productivité et sa conception du D.I.Y. Une chose est certaine : Hugo est aussi généreux dans l’effort que dans le partage. Adoubons le petit génie, et continuons à suivre sa trajectoire avec un épatement toujours plus grand.
Ta production discographique est démente pour quelqu’un de ton âge. Tu as constamment la tête à la composition, ou t’autorises-tu des jours de pause ?
Hugo Carmouze : Ces temps-ci, j’ai des jours de vacances pendant lesquels je ne compose pas. Mais d’ordinaire, c’est plutôt quand je fais du mixage, des répétitions ou des concerts. Depuis mes années collège jusqu’à récemment, j’ai tout le temps composé. En cours, je ne pensais qu’à rentrer pour enregistrer. J’avais envie de m’occuper de choses différentes, que ça soit Opinion ou mon projet grindcore. Mais je commence à me rendre compte que le temps passe, et que les gens que j’aime ne seront pas toujours là. Je suis resté trop longtemps chez moi dans mon coin à composer. J’ai déjà fait plus de 30 albums, je peux essayer de passer du temps avec mes proches…
Pour quelqu’un d’aussi productif que toi, le fait d’avoir été enfermé pendant les confinements a t-il été une aubaine ?
J’ai plutôt bien vécu les confinements. Quand le premier a été instauré, j’avais fini de composer Molly. A cette époque, je faisais le mixage avec mon père. Mais c’était une vraie galère parce que j’étais à l’internat, et mes parents étaient séparés. De mars à juin 2020, je me suis donc pourri la vie à mixer ce double album alors que je n’y connaissais encore pas grand chose. J’ai beaucoup appris, du coup. Mais je suis content d’avoir pu faire ce travail sur une seule période, plutôt que de devoir mixer une semaine sur deux. Pour le deuxième confinement par contre, ça a été plus frustrant : Molly venait de sortir et j’avais des concerts de prévu… J’étais tellement dégoûté que j’ai fait plein d’albums. Je crois que je n’en ai jamais fait autant en si peu de mois. En tout cas, maintenant, quand on joue les chansons de Molly en live, ça ne sonne pas du tout comme l’album. Ce sont des versions plus sombres, plus lentes et plus mélancoliques alors qu’à la base, c’est un disque assez enjoué. J’ai l’impression d’avoir vécu de multiples crises d’ado.
Ton père a l’air d’être assez présent dans ton processus créatif. C’est quelqu’un qui a beaucoup influencé ta vision artistique ?
Ma mère aussi ! Mes parents sont intermittents du spectacle, et je baigne dans leurs influences depuis tout petit. Ils m’ont ouvert des portes. Mon père m’a aidé à construire mon son, et ma mère m’a aidé pour le chant. J’ai eu cette chance d’avoir des parents qui aiment la musique et qui m’encouragent dans ma passion. C’est eux qui m’ont acheté ma première guitare, mon premier ampli, ma carte son pour enregistrer…
En termes de culture, tu t’es plutôt nourri des idéaux DIY de la scène garage actuelle, ou des groupes lo-fi des années 80/90 ?
Pour faire simple, c’est vraiment quand j’ai découvert Nirvana que j’ai su que je voulais faire du rock. J’ai eu une période monomaniaque sur ce groupe. Et puis à la fin de mon adolescence, ça a été l’explosion garage. Je ne savais pas que c’était possible d’enregistrer un album tout seul de A à Z. Pour moi, il fallait forcément avoir un groupe, et aller en studio. Et puis je me suis intéressé au délire DIY : tu vas dans ta chambre, tu enregistres et ça sature mais ce n’est pas grave. C’est comme ça que je veux qu’un album sonne. Certes, c’est dégueulasse et lo-fi, ça sonne du cul mais au moins c’est honnête. Le message est : accepte-moi tel que je suis. J’ai beaucoup été inspiré par Ty Segall, King Gizzard, les Osees… J’aime le principe de l’autoproduction. Avec un PC et un micro acheté à Super U, tu peux faire un putain d’album.
Tu as eu du mal au départ à laisser d’autres personnes jouer tes compositions en live ? Ça n’a pas été trop dur de laisser le volant ?
Pas tant que ça ! Je m’attendais pourtant à être un peu dictateur. J’ai passé toute mon adolescence à enregistrer dans ma chambre avec du matos pourri donc, quand je me suis mis à jouer avec des copains qui avaient du bon matériel en vue de donner des concerts, ça m’a changé. Je n’ai pas eu à leur donner de conseils pour les pédales, les amplis… Je n’en savais rien ! Dès le début, on a totalement modifié les chansons, et je les ai encouragés à interpréter les morceaux comme ils le sentaient. J’ai envie qu’ils y mettent leur patte. Si je les prends dans le groupe, c’est que je veux leur son.
Le fait d’avoir un nom aussi générique qu’Opinion, c’est une manière de t’effacer plus naturellement derrière ta musique ?
Je n’ai pas vraiment choisi d’avoir un nom introuvable sur internet. Au départ, le groupe s’appelait Anal Distorsion. Quand on a fait notre premier concert dans un concours de groupes de collège, on nous a étonnamment demandé de changer de nom. Sur le moment, je n’avais pas vraiment d’autre idée… Et puis j’ai pensé au titre Opinion sur un coffret de démos de Nirvana que je venais de recevoir pour Noël. Je trouvais que ça sonnait bien, et ça veut tout et rien dire. Puis, j’aime le fait que ça s’écrive de la même manière en anglais et en français. J’envisageais en changer de nouveau un peu plus tard, mais j’ai eu la flemme. Mon prochain album sera tellement différent du garage que je joue habituellement, que je trouve que ça fait sens de garder Opinion.
Tu as l’air d’être dans une démarche de plus en plus noise et expérimentale. C’est parce que tu adores dénicher constamment de nouvelles bizarreries ?
Oui ! J’aime les trucs bizarres. Le saxophone est le premier instrument que j’ai appris et, très rapidement, j’ai découvert le free jazz. Je me lançais dans des solos free avant de me faire engueuler par les profs qui me demandaient où étaient passées mes gammes. Il ne faut jamais rester dans un confort d’écoute. Je me retrouve à créer des chansons remplies de dissonances, et je trouve ça magnifique. C’est bien d’éduquer son oreille à la musique expérimentale et de comprendre la spiritualité derrière. Ça me fait voyager intérieurement.
Et c’est justement pour donner une place au bizarre que tu as monté ton propre label Nothing Is Mine ?
Je rêvais depuis un moment d’avoir un label qui puisse défendre les musiques osées. Et je ne veux pas me limiter à une esthétique grunge, ou pop, ou rock indé… Nothing Is Mine met en avant ce que je considère comme de la musique « honnête ». Le premier truc que j’ai sorti était de la noise, et j’ai enchaîné par un album de reprises de Nirvana. Il y a un projet grindcore qui arrive aussi. Mon but, c’est de balancer tout ce que j’aime, sans jugement. Je n’ai aucune prétention. Mon objectif est de composer, pas d’être le roi du business.
Et c’est quoi alors la suite pour Opinion ? Tu t’y retrouves dans tous ces projets ?
J’ai fini un album cet été et j’attends de le sortir. Je ne sais pas trop quand par contre… J’ai envie de passer à autre chose en tout cas. J’ai aussi un album de démos qui ne va pas tarder à arriver. Sans pression, histoire de pouvoir faire quelques concerts acoustiques… Et puis un disque de Teeth en décembre qui sortira sur Nothing Is Mine !
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