08 Déc 23 Odyssée, l’inspiration des grands espaces
Edouard Lebrun cachait bien son jeu. Ou plutôt, avait de plus en plus de mal à le cacher. Connu pour tabasser les fûts de Jean Jean depuis maintenant dix ans, il n’a jamais freiné les velléités du groupe, avide de se plonger de plus en plus dans la musique électronique. A tel point qu’il en fait aujourd’hui l’essence d’Odyssée, un projet solo bordé d’un concept passionnant sur fond de communion avec la nature. Récemment auteur d’un premier album, Arid Fields, cet ancien parisien – parti s’isoler dans un chalet des Alpes – a pu profiter d’une connexion internet tout juste rétablie pour discuter avec nous de ses nouvelles envies, de son nouvel environnement, de sa nouvelle vie.
Avec Odyssée, on te découvre dans un registre très différent. Est-ce que ce sont les derniers émoluments electro de Jean Jean qui t’ont mis sur la voie de ce projet ?
Edouard : Oui et non dans le sens où, avec Jean Jean, j’ai toujours eu envie d’aller vers la musique électronique, toujours eu une sorte de fascination pour les synthés. Par manque de temps, je ne m’y suis jamais mis donc j’ai laissé notre claviériste s’en charger, mais j’avais déjà cette attirance au tout début du groupe quand on sonnait beaucoup plus rock, qu’on était à fond dans d’autres sonorités. Là, le fait que Jean Jean marche de mieux en mieux, qu’on tourne beaucoup, ça m’a donné une petite confiance en moi en tant qu’artiste solo qui m’a poussé à me lancer. Puis il y a aussi eu le fait d’arriver ici à la montagne où j’ai désormais beaucoup plus de temps pour ça.
Avec Almeeva, vous êtes désormais deux du trio à vous prononcer clairement en faveur de l’electro via vos projets solo. Est-ce qu’on peut s’attendre à ce que le groupe s’y plonge complètement à l’avenir, ou ces projets sont-ils une manière d’assouvir vos envies electro pour mieux vous consacrer au rock en trio ?
C’est une très bonne question parce qu’on est entre les deux. En effet, c’est un très bon exutoire électronique de faire ça, dans le sens où ça permet de laisser libre cours à cet espèce de fantasme de sons de synthés. En même temps, Jean Jean vient du rock, on a fait quelques pas vers la musique électronique et ça risque de s’accentuer encore. On garde le pilier rock autour duquel on s’est construit mais là, je pense qu’on a maintenant les deux pieds dans une électro jouée par l’homme et non des machines…
En 2020, tu es parti de Paris pour t’installer dans les Alpes. Pourquoi ce choix ? A t-il été motivé par tes envies musicales, ou est-ce que celles-ci sont plutôt nées de ton nouvel environnement ?
Cette esthétique électro un peu froide et instrumentale était déjà présente à Paris sauf que le fait de vivre là-bas ne me laissait pas de temps pour la concrétiser. Mentalement, je pense que je n’étais pas prêt non plus et le fait d’arriver ici m’a vraiment ouvert les yeux sur le fait que, pour être heureux, il faut faire les choses dont tu as envie. Donc avoir plus de temps, et prendre un peu de recul sur ma propre vie dans un endroit plus calme à la fois physiquement et socialement, m’a amené à réfléchir et à me centrer sur ce que je voulais vraiment faire. Je me suis donc lancé, j’ai fait des premières sessions dans la nature pour le fun, et ça m’a tellement plu que j’ai eu envie de continuer.
Comment est née cette idée de jouer de la musique dans des endroits insolites de la planète ?
À Paris, un pote m’a parlé de Cercle Music. Ce sont des gars qui organisent des concerts dans des endroits un peu bizarres. Ça m’a tout de suite parlé, ça m’a donné envie de faire de la musique en dehors des salles, même si je n’y suis pas fermé pour autant. Donc, quand je suis arrivé dans les Alpes, j’ai monté mon set up de synthés modulaires, j’ai trouvé un moyen de l’alimenter sur batterie, et je suis allé faire une session test. Au fur et à mesure, ça a pris de plus en plus de sens. C’est tellement cool de brancher son matériel au milieu de la nature et d’entendre ce son qui résonne là-dedans !
Et pourquoi partir seul ? Quel est ton rapport à la solitude ?
À plusieurs, il y a toujours le regard de l’autre qui s’immisce dans tes choix, quels qu’ils soient. Quand tu es seul, en tous les cas dans ce genre de démarche, il y a une espèce de vérité. Tu te demandes ce que tu veux vraiment à un instant T et je trouve intéressant de transposer ça artistiquement. Quelle note est-ce que je vais choisir ? Pour quelle ambiance je vais opter ? La vraie solitude te confronte à ton for intérieur. Sans rentrer dans des explications trop longues, il y a quand même un côté auto-analytique à faire de la musique seul dans un endroit isolé. Là, tu te confrontes à ta vraie personne, sans aucun autre regard que le tien.
Peut-on dire que le fait de te retrouver seul face à la nature, de t’en inspirer, revient finalement à une sorte de ciné concert en réalité augmentée ?
(rire) J’avoue qu’il y a un peu cette sensation ! Souvent, j’ai des écouteurs pour entendre ce que je fais, donc c’est hyper immersif, je suis à fond dans mon son, et je suis complètement coupé de celui de l’environnement dans lequel je suis. Du coup, quand je lève la tête, j’ai l’impression d’être dans quelque chose d’irréel, alors que ça ne pourrait pas être plus réel et concret. Il y a des moments où tu es tellement emporté par le décor et la musique que tu arrives à te croire dans une simulation. Si ça se trouve, il y a des animaux ou des promeneurs qui m’aperçoivent et qui doivent bien se demander ce que je fais (rire).
Hormis les Alpes, où es-tu allé ?
J’ai commencé ici au milieu des montagnes pour prendre confiance. Après avoir fait un peu le tour de la région, j’ai eu envie de passer des petites vidéos sur Instagram à un véritable album, du coup j’ai tenté d’autres environnements. J’ai donc cherché l’opposé des Alpes, et je suis parti dans le désert au Nevada, en Arizona et en Californie.
Es-tu retourné là-bas en souvenir de tournées avec Jean Jean ou pas du tout ?
Oui et non. Ce sont des paysages qui m’ont effectivement marqué, mais où l’on n’a pas eu le temps de s’arrêter. Quand tu es en tournée avec un groupe, il y a toute la logistique : les hôtels, le matériel, le van… Je connaissais ces endroits vus de l’autoroute mais c’était l’occasion d’y aller plus longuement et d’entrer en connexion.
Parce qu’il y a quand même un autre parallèle qu’on peut faire entre Jean Jean et Odyssée : le deuxième album du groupe avait été enregistré à la montagne, avec des histoires très marquantes…
… Oui, il a été enregistré ici, dans mon chalet. C’est vrai qu’à l’enregistrement de Froidepierre, on a cru qu’il y avait un fantôme. Ça a été un moment assez bizarre pour le groupe. On a vécu beaucoup d’événements très étranges pendant cette session. Le tout cumulé, ça faisait vraiment beaucoup, suffisamment pour nous faire peur. Mais maintenant que j’y habite, je peux vous dire que tout va bien.
Par contre, il a fallu prendre son courage à deux mains pour y venir vivre…
C’est vrai. C’est un endroit particulier. Parfois, je n’ai pas internet, il fait froid parce que le chalet n’est pas hyper bien isolé, donc il faut faire du feu. C’est plus rustique que la vie parisienne, mais c’est tellement agréable d’être au milieu de nulle part que ça vaut l’inconfort !
Y a t-il eu des moments de nature qui se sont révélés très difficiles, hostiles ? As-tu des anecdotes sur la genèse de ce premier album ?
Oui, il y a eu quelques moments marrants, notamment dans le désert du Nevada. J’étais dans un ancien lac, sans eau puisqu’elle a été utilisée pour arroser la Californie… C’était dans une ancienne cité balnéaire complètement désaffectée. J’étais là-dedans avec aucun être humain aux alentours et, quand j’ai enregistré un des morceaux de l’album, une tempête de sable est arrivée. J’étais prêt à capter le titre, je le sentais bien, mais je l’ai enregistré tel qu’il est sur Arid Fields, sans modification, car le sable entrait de plus en plus dans mon ordi et mon matériel. Ça doit durer six minutes et, quand je l’ai terminé, j’avais du sable partout, j’ai tout plié rapidement, je suis rentré dans ma tente pour me mettre en sécurité sauf qu’elle s’est à moitié envolée dans la nuit. Du coup, j’ai dormi dans la voiture… Mais je n’étais pas en danger, contrairement à mon matériel.
Saurais-tu mesurer à quel point la nature est influente sur ta musique ? En quoi la composer dans des endroits divers et variés la rend forcément différente que si tu avais tout produit dans ton chalet ?
Elle aurait forcément été différente si tout avait été enregistré dans les Alpes puisqu’il n’y aurait pas eu toutes ces contraintes d’environnement, de météo, de durée de vie des batteries… Quand je sors mon set up, j’ai un temps limité qui s’écoule assez vite et, vu que je voulais que l’album ne soit pas trop produit, trop retravaillé, certains morceaux sont vraiment des sessions brutes, ni plus ni moins ce qui est sorti quand j’ai tourné les boutons. Quand je pars, je pars avec rien et, une fois sur place, je compose un ou plusieurs morceaux donc il y a toute la place à l’influence de l’environnement.
Parlons plus technique désormais. Peux-tu nous en dire plus au sujet de ce système de synthé modulaire auto alimenté qui t’a permis tout ça et qui est au coeur de ce premier album ?
C’est un synthé que j’ai monté au fur et à mesure de mon apprentissage. Ce sont des voix de synthétiseur classique, sauf qu’elles sont séparées en plusieurs tranches avec lesquelles je peux interagir. C’est assez standard en termes d’architecture mais j’ai fait en sorte de pouvoir avoir la main sur les filtres, les delays… pour pouvoir interpréter en live. J’ai donc construit le synthé en y mettant les sons que je voulais, sans avoir moults machines à trimballer. Tous les sons que j’adore y sont. Et pour la batterie, j’ai tout bêtement trouvé celle d’un ordinateur portable avec le bon voltage qui soit compatible. En gros, j’ai quatre heures d’autonomie dans la nature avant d’aller recharger dans un McDonald (rire).
Je suppose que la vidéo est un format qui s’est imposé de lui-même étant donné que tu ne composes jamais au même endroit. Comment vas-tu exploiter toute cette matière ?
Ça a été une évidence puisque c’est comme ça que j’ai commencé, en filmant mes sessions. Maintenant, c’est devenu un des éléments artistiques du projet. Avec chaque morceau, il y a une vidéo. Pour le moment, je ne me vois pas faire des clips narratifs. Ce qui m’importe surtout, c’est d’immortaliser l’ambiance de chaque composition, la façon dont elle est née. Je réfléchis à incorporer la vidéo aux lives à l’avenir, notamment avec des logiciels comme Touch Designer qui permettent de modifier l’image en temps réel. Ca pourrait être conceptuel de filmer la session et de la reprojeter modifiée par la musique sur le même cadre. C’est un peu compliqué à expliquer mais je travaille là-dessus avec un pote.
As-tu déjà en tête un autre concept pour la suite du projet ?
Ce serait ça, et aussi des lives avec une caméra 360 pour que ceux qui ont des lunettes VR puissent être encore plus immergés dans l’endroit où je suis en train de faire de la musique. Techniquement, ça ne doit pas être trop compliqué…
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