Odezenne, de l’amour à en crever

Odezenne, de l’amour à en crever

Forts d’un nouvel album sublime et passionnant paru en octobre dernier, les trois bordelais d’Odezenne ont entamé une fois de plus une tournée qui les verra aller à la rencontre d’un public de plus en plus nombreux au fil des dates. La raison ? Des mélodies lancinantes et inoubliables, des textes simples et francs qui vont droit au cœur, ainsi qu’une vision et une analyse de l’époque contemporaine dans laquelle nous vivons, transmises avec un doux mélange d’insouciance et de sagesse. Odezenne, c’est un peu tout ça à la fois, voire plus encore. Et comme on voulait discuter avec eux, on a décidé d’aller les sortir de leur sieste juste avant qu’ils ne montent sur la scène du Rockstore de Montpellier. Avec eux, on a parlé messages d’amour, de synthétiseurs, de fêtes entre potes, de studios mythiques, d’Etienne Daho, de politique et de racisme, et bien plus encore. Plus qu’une discussion, une véritable rencontre autour de quelques bières et de quelques shots de whisky, le breuvage des héros paraît-il.

Il s’en est passé des choses depuis la sortie de Dolziger Str.2 il y a trois ans : la promo du disque, de nombreuses dates, des festivals, les concerts à la demande… J’imagine que vous avez pris un peu de vacances pour digérer tout ça, pour vous retrouvez entre vous ? Je crois savoir que vous n’avez pas tout de suite entamé la réalisation de ce nouvel album…

La tournée précédente s’est terminée aux Etats-Unis et effectivement, le fait d’être là bas, de voyager, ressemblait déjà à un début de vacances. D’une parce que le rythme n’est pas le même quand tu tournes à l’étranger, et puis de deux parce que l’enjeu était surement moins important là bas… Personnellement, j’y suis resté pendant quasiment un mois après la tournée, pendant que les autres sont partis chacun de leur coté durant le même laps de temps. Chacun a vadrouillé mais, finalement, on a rapidement retrouvé le studio de Bordeaux, et on s’est assez vite remis à la composition.
Mattia : Moi, à la fin de la tournée, j’ai bougé un peu en Italie. Je me suis tapé un trip en Sicile et à Bologne pour acheter des vieux synthés que j’avais trouvé sur le net. Après ça, on s’est effectivement retrouvé assez vite pour installer la config du nouveau studio.

Un nouveau studio ?

J’entends par là une nouvelle installation, une nouvelle configuration, pas un nouveau lieu. On commence à avoir pas mal de nouveaux joujous, des nouvelles boites rythmes, des synthétiseurs, etc. Faut reconfigurer tout ça à chaque fois.

C’est vrai que vous commencez à avoir pas mal de matos depuis Dolziger Str.2, on le voit notamment sur scène…

Ce qu’on ne veut surtout pas, c’est devenir un groupe avec un setup prédéfini qui ne bouge plus, tu vois ? On veut vraiment faire évoluer notre son et davantage à l’avenir.

Justement, j’ai le sentiment que, pour Au Baccara, la démarche artistique – voire humaine – n’a pas du tout été la même que pour Dolziger Str. 2 ? Qu’est-ce qui a été vraiment différent dès le début ?

Jaco : La démarche artistique était extrêmement différente en effet car, pour Dolziger Str.2, on s’était expatrié à Berlin pendant 7 mois, en quasi autarcie. On bossait de manière assez sérieuse, alors qu’on a fait Au Baccara dans notre studio qui se trouve à 400 mètres de la maison, dans une ambiance plutôt festive et détendue, durant l’été, souvent la nuit. Sans mauvais jeu de mots avec le titre du disque, on a vraiment vécu sa conception comme un amusement, dans un esprit joueur et assez bon enfant.
Mattia : On ne savait vraiment pas comment le disque sonnerait quand on l’a commencé. Dolziger Str.2 s’est fait à Berlin parce qu’on arrivait plus à composer dans les maisons qu’on squattait habituellement, chez des amis ou de la famille. Il fallait qu’on parte, qu’on soit dans une bulle. Pour ce nouvel album, on ne voulait pas réitérer la même démarche de partir. Du coup, on l’a carrément fait chez nous, tout simplement.
Jaco : Et il y a le plaisir de se dire que, même si tu fais ça chez toi, tu vis quand même des trucs, t’as des choses à raconter.
Mattia : Mais on a quand même fait beaucoup plus la fête chez nous qu’à Berlin (rires) !

C’est ce que j’allais dire ! Niveau distractions, ça devait être moins évident non ? Parce qu’en général, quand on part s’isoler, c’est justement pour se mettre dans une bulle comme disait Mattia. Alors que là, en gros, c’est comme si vous aviez ouvert cette bulle aux autres.

Jaco : Ah ça, les copains étaient souvent là en effet.
Alix 
: Exactement ! Pas d’isolement.
Jaco : Sur l’album, il y a carrément des gens qui étaient là pendant certaines prises, et qui criaient ‘ouais vas-y‘, c’était incroyable.
Alix : C’était cool et, en même temps, c’est une des parties les plus difficiles de la conception d’une chanson je trouve… Savoir trier les bons accidents qu’on garde et les choses qu’on pense pouvoir mieux faire. Heureusement, on n’est pas toujours d’accord tous les trois, et c’est bien d’être dans le doute. Ça nous permet de discuter et de débattre sur des idées, on se challenge, et on se tire vers le haut mutuellement concernant nos tentatives, nos idées et nos envies.

On sent justement que c’est important pour vous de ne pas tomber dans la routine. Mattia, tu parlais du nouveau matériel que vous achetez à chaque album et qui, forcément, vous donne de l’inspiration et de nouvelles possibilités. Cette fois-ci, quelles ont été les autres nouveautés, les trouvailles qui ont permis de rendre la réalisation de ce disque encore un peu plus unique ?

Un truc tout con par exemple… Avec Jaco, on s’est servi d’un Google Doc en ligne pour écrire les textes… Donc, en gros, on avait tous les deux accès en temps réel à un document en ligne sur lequel on agissait en même temps. Mattia, lui, nous envoyait des instrus ou des idées de boucles, on faisait play, et on commençait à écrire. Mais du coup, ça s’est transformé en écriture à quatre mains et à deux cerveaux. Physiquement, ça n’a strictement rien à voir avec le fait d’écrire avec deux feuilles et deux stylos séparément. Là, on avait la même feuille, c’était assez fou. J’écrivais une phrase ou un mot, lui il enchaînait, et ainsi de suite, c’était assez stimulant. On a procédé à 99% de cette façon, et les idées naissaient très rapidement, on écrivait beaucoup plus vite.
Mattia : Le morceau Au Baccara est un bel exemple de cette façon de travailler très spontanée et rapide. Je m’en souviens super bien, c’était un dimanche, je suis allé au studio alors que j’avais pris une énorme caisse la veille. Je me suis marré à faire un peu de batterie, j’ai foutu une guitare dessus, je trouvais ça cool et un peu poppy, un truc du dimanche quoi ! Puis je l’ai fait écouter à Alix, il trouvait ça super, il voulait commencer à écrire direct dessus…
Alix : Même pas ! Je me souviens très bien, je t’ai dis ‘vas-y j’enregistre direct‘, et là Jaco a dit ‘attends, j’ai même pas encore écrit quoique ce soit‘, et je lui ai répondu ‘ben vas-y, écris pendant que je pose, j’en ai pour 5 minutes‘ (rires) !
Mattia : C’était très instinctif, on ne savait jamais où on allait partir.
Jaco : Sans vouloir se la raconter, l’idée était un peu de célébrer l’expérience, celle du travail d’écriture et de composition. C’était vraiment incroyable comme sensation.
Alix : Et puis c’était la teuf quoi ! On avait toujours du monde autour de nous. Certains morceaux n’avaient pas encore deux jours d’existence que huit personnes les connaissaient déjà. Jamais on avait fait ça auparavant.

J’imagine qu’habituellement, comme beaucoup d’autres, vous gardiez ça pour vous secrètement jusqu’au moment où ça sortait, non ?

Jaco : Ben ouais, on jouait le mystère. Quand ça sort, tu ressens un peu de fierté. Mais là, on avait des potes qui passaient souvent devant la maison. Ils voyaient de la lumière, et vu que tout est fermé à 2 heures du matin à Bordeaux, ils toquaient à la porte. Nous on disait ‘allez les gars, rentrez, installez vous‘, et puis ‘fermez vos gueules‘. Là, on faisait nos prises et, à la fin, on les entendait crier ‘ouais, c’est énorme‘ ! C’était très stimulant comme moments.
Alix : Moi, j’ai vraiment beaucoup aimé partager ça avec des copains. Parce que mine de rien, les gens sont des baromètres, et notamment nos potes. Il faut quand même savoir qu’à la base, pour la plupart d’entre eux, ils n’étaient pas fans de ce que nous faisions, mais ils nous ont toujours respecté parce qu’ils voient qu’on charbonne depuis longtemps. Et là, les faire entrer dans le processus de création et qu’ils assistent à ça en direct, c’était vraiment génial, on s’en rendait pas forcément compte sur le moment.
Jaco : L’expérience a été exceptionnelle pour nous, mais si tu leur demandes aujourd’hui, je suis sûr qu’elle l’a été tout autant pour eux. C’était vraiment des moments dingues.

Vous m’arrêtez si je me trompe mais, pour moi, il y a un avant et un après Rien, votre EP qui est sorti en 2014. J’ai le sentiment qu’Odezenne s’est réellement découvert et dévoilé à partir de ce moment là. Vous en pensez quoi ?

Je pense que c’est à partir de ce moment là qu’on s’est réellement mis au service de la chanson à 100%.
Alix : Moi, je pense que c’est à partir de ce moment là qu’on s’est autorisé une grande fracture, qui en l’occurrence s’appelle Je Veux Te Baiser. C’est quand même un titre qu’il fallait oser sortir après Sans Chantilly et OVNI, à une époque ou on avait cristallisé pas mal d’attentes dans le milieu rap indé et underground. On nous cataloguait dans ce rap un peu technique, un peu conscient, et sortir ce morceau à ce moment là a été une manière de se libérer de ça, parce qu’on pouvait le vivre un peu comme une pression. C’était une manière de dire ‘ne me faites pas chier‘ à tout le monde. Quand Je Veux Te Baiser est arrivé, on le trouvait trop beau, et aujourd’hui on en rigole parce qu’on se régale à le jouer. En concert, c’est un hymne, c’est trop bien.

Pour toi c’est Je Veux Te Baiser, pour moi c’est le morceau Rien. C’est à partir de ce morceau là qu’on sent une nouvelle démarche, qu’on sent que les instrus peuvent aller plus loin et que, par conséquent, le flow et les textes vont devoir évoluer aussi.

Mattia : Pour moi, on est passé du rap à de la chanson à partir de là. C’est ça le grand changement, et je crois qu’on avait un tout petit peu entamé ça sur OVNI avec des titres comme Meredith ou Saxophone. Mais oui, c’est très différent maintenant. Avant, tu t’attendais toujours à ce que ça parte à un moment, alors que là, sur les nouvelles instrus, tu sais jamais trop où ça va aller.

Mais c’est ça qui est drôle d’ailleurs, parce que les médias ont l’air de galérer depuis un moment pour identifier ou étiqueter votre musique, alors qu’en réalité, quand on vous écoute maintenant, on peut dire ‘ça c’est du Odezenne‘. C’est une vraie patte, une vraie signature.

Alix : Après, une signature, ça prend du temps tu sais. Nous, on savait depuis le début qu’on aimait chercher des choses, qu’on aimait expérimenter. Aujourd’hui effectivement, en regardant ça de manière rétrospective, on peut peut-être dire que notre musique est plus facilement identifiée. Mais, quand on a sorti l’EP Rien, c’était juste un nouveau disque et il aurait pu ne pas prendre auprès du public. On a eu la chance que des gens nous suivent, et ça c’est dû au fait que, dans nos deux premiers albums, il y avait surement déjà des petites graines qui l’annonçaient. Et les gens qui sont curieux aujourd’hui de savoir ce qu’Odezenne peut sortir comme musique, sont ceux qui ont compris ça, qu’ils aiment ou pas au final. Il y aura toujours quelques extrémistes qui ne voudront pas que tu fasses quelque chose de différent, mais ça reste un faible pourcentage.

J’ai lu d’ailleurs dans une interview précédente que tu considérais Au Baccara comme votre album le plus pluriel. Tu peux aller plus loin ?

Je trouve que, en termes de BPM, de couleurs, d’intentions et de vibes, c’est celui qui est le plus hétérogène. Après, ça reste mon avis, ce n’est peut-être pas le tien.

Justement, pas tellement. Je trouve que Dolziger Str.2 est peut-être plus hétérogène, que ses propositions sont plus diverses, entre des titres comme Boubouche, Vodka, Satana, Cabriolet

Sur Au Baccara, tu as quand même des titres très divers aussi comme BNP, James Blunt, Bonnie, Bébé

Oui mais, comment t’expliquer… Il y a une sorte d’homogénéité qui se dégage sur ce nouvel album. Peut-être via la thématique globale du disque qui est très forte. Sur Dolziger Str.2, chaque titre avait son propre message, alors que sur Au Baccara chaque chanson est un hymne à l’amour, à la liberté…

C’est possible… Mais je pense que c’est peut-être parce qu’il est mieux réalisé aussi. Les choix de Mattia en termes de mix et de production ont surement fait que le disque est plus cimenté et homogène, il se tient beaucoup mieux que les autres, ça c’est indéniable. Mais c’est aussi la première fois qu’on a un processus de réalisation pensé et organisé de A à Z, avec des passages en studio, des mises sur bandes. Mattia t’en parlera surement mieux que moi…
Mattia : Je pense que le passage aux studios Konk – studios londoniens fondés par The Kinks dans les 70’s – a énormément homogénéisé les choses et conforté une même couleur effectivement. Là bas, on a tout fait passer dans les mêmes consoles et les mêmes machines. Il y avait une table de mixage Neve et d’autres bécanes toutes aussi légendaires que les Beatles ont utilisé avant nous, des compresseurs d’époque, etc. Après, je pense aussi que la cohésion et l’homogénéité du disque sont dues au fait que certaines choses étaient moins maîtrisées sur Au Baccara.

Moins maîtrisées, c’est à dire ?

J’entends par là plus relâchées, plus spontanées. Quand je faisais une instru et que je la transmettais à Alix et Jaco, ils accrochaient assez rapidement et ils faisaient leur truc dessus, ça allait très vite, c’était cool. Au final, j’ai passé beaucoup plus de temps à réenregistrer des choses et à faire en sorte que ces choses là sonnent le mieux possible, plutôt qu’à les composer. Contrairement à Dolziger Str.2 où il y avait une sorte de tension dans l’écriture. C’était pas le même délire, c’était l’hiver à Berlin, j’avais composé près de cent projets pour le disque, alors que pour Au Baccara j’ai dû en faire un peu plus d’une vingtaine.
Jaco : Je pense aussi que l’unité que tu ressens sur le nouvel album est due – comme le disaient mes comparses – à la rapidité d’exécution. On était dans un mood de faire ça en très peu de temps. En deux ou trois mois, on avait tout dans la besace. Après, il a effectivement fallu remettre de l’ordre dans tout ça. Mais, selon moi, tous les morceaux d’Au Baccara partent plus loin et plus différemment que Dolziger Str.2.

Au final, c’est la connexion entre vous trois qui s’est faite plus vite sur ce disque…

Mattia : C’est exactement ça. Et c’est vrai qu’il y a pas mal de morceaux où je me suis dis que je reviendrai dessus, et puis finalement non, on est resté dans l’idée de ce premier geste très instantané. Du coup, c’est peut-être pour ça que le disque ne paraît presque pas fini, mais dans le bon sens du terme. On s’est arrêté avant le contrôle total, contrairement à Dolziger Str.2 où tout est maîtrisé, contrôlé. De toutes façons, aux studios Konk, on n’avait pas vraiment le temps de peaufiner.
Jaco : A 1200£ la journée, ça fait cher le café sur place… (rires)… Mais bon, le lieu était incroyable, rempli d’histoires et de fantômes, c’était une bonne expérience.

Globalement, et même si chacun peut avoir sa propre compréhension de l’album, les thèmes principaux d’Au Baccara semblent tourner principalement autour de l’amour, de la chance et du destin. Ça représente quoi pour vous ces trois mots, ces trois notions ?

C’est notre vie. Je pense que la chance, il ne faut pas trop en parler, il faut surtout la savourer. C’est ce que nous faisons, et je crois que ça se ressent sur ce disque. On est conscient qu’on a beaucoup de chance, de pouvoir vivre tout ça, de faire des disques, des concerts, dans ces conditions, entre nous, entre potes, ensemble. C’est un truc incroyable, l’impression de vivre un rêve.

Tu parles comme si tu le réalisais à l’instant, comme si tu en prenais conscience en me parlant. Il s’est passé quelque chose de fort avec ce disque on dirait…

On a fini une tournée de plus de cent dates où on s’est rendu compte quand on n’était pas tous seuls dans nos chambres, qu’il y avait plein de gens autour de nous. Et à ce moment là, tu te dis que t’as un truc dans les mains et qu’il faut que tu le célèbres. Il n’y a rien d’autre à faire de mieux. Donc plutôt que d’en parler, le mieux c’est de le vivre à fond.

Au Baccara est à mon sens l’une des plus belles chansons du disque et peut-être même de votre discographie. Je crois savoir qu’Etienne Daho en pense la même chose. T’as des news Alix ?

Alix : (rires) Non mais il a pété un plomb avec ce disque. Je l’ai vu il y a trois jours à Bordeaux, il nous a invité à son concert et, après, il nous a convié à boire un verre à son hôtel, et il s’adressait à moi comme un fan. Il était là un peu tremblant, il m’a dit dix mille fois que notre disque était une merveille. Je te jure, il avait l’air choqué, et moi j’étais avec ma meuf, je faisais gavé le beau (rires) ! Elle hallucinait, il me demandait si son concert m’avait plu. J’ai trouvé ça hyper smart parce que le gars, à la base, je ne suis pas trop connaisseur. Pourtant, je me suis retrouvé à chanter la moitié des chansons malgré moi parce que le Monsieur est quand même une usine à tubes, et voilà quoi. Je trouve ça super cool de sa part, d’arriver devant un jeune groupe et de se mettre dans la position d’un simple fan de musique, ce que nous sommes tous à la base il faut le rappeler. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous faisons ça. Il n’y a jamais vraiment eu de connexions entre la musique d’Etienne Daho et celle d’Odezenne, mais ses compliments nous ont fait chaud au cœur, on ne va pas se mentir.

Cette chanson titre, c’est une véritable déclaration d’amour. Et ce qui fait sa grande force je trouve, c’est sa franchise et sa sensiblerie, mais surtout le fait de finir par un message très féministe au fond.

Jaco : Il est plutôt humaniste je trouve, pas juste féministe. Parce que si tu pars du principe qu’il est juste féministe, ça peut être misogyne quelque part. Pour moi, c’est ce que devrait être notre normalité.
Alix : Dans cette chanson, Jaco dit ‘je ne suis pas l’homme de ta vie, je suis l’homme de la mienne‘. C’est aussi un garde fou pour les hommes. Il n’y a pas que les femmes qui sont annihilées dans leurs couples.
Jaco : Après, bien évidemment, ce texte aurait moins bien marché s’il n’y avait pas celui d’Alix juste avant. Tu imagines commencer la chanson par ‘t’es pas la femme de ma vie, t’es la femme de la tienne‘ ?
Mattia : Ce serait une manière un peu déguisée de dire qu’on est toujours un peu seul au final (rires).

Non mais, effectivement, les messages de Jaco et d’Alix se complètent et se donnent mutuellement plus d’impact.

Alix : J’avoue que, sur ce coup là, Jaco m’a mis un beau piédestal.
Jaco : Ou alors c’est Alix qui m’en a mis un… Parce que, dans un sens, mes paroles sont plus fortes tout simplement grâce à ce qu’il dit juste avant. Je dis ça sans vouloir vous contredire les garçons (rire général).

Jaco, tu as dis une fois : ‘l’important ce n’est pas la rime, c’est ce qu’il y a entre les deux‘. Est-ce, d’une certaine manière, une façon pour toi de dire que le plus important n’est pas le but à atteindre mais le chemin parcouru pour l’atteindre ?

Non, ça voulait dire que l’important est ce que tu dis, c’est le fond et non pas la rime. Tu peux dire des horreurs ou des conneries avec des rimes incroyables, très techniques. Moi, je préfère faire des rimes un peu plus pauvres en tentant de dire des choses moins connes.
Alix : La rime, ça peut être le pire ennemi de celui qui écrit. Tout simplement parce que, parfois, pour faire rimer quelque chose, tu peux aller contre ton idée de base, juste parce que ça rime ! Et du coup, tu vas modifier le sens pour une rime. C’est souvent le cas quand t’es jeune et que tu débutes l’écriture. C’est un péché d’orgueil et quiconque a testé l’écriture le sait. Personne ne me contredira, on l’a tous fait.

Tout à l’heure, on parlait d’homogénéité dans le disque, notamment sur le thème de l’amour. Mais il y a néanmoins des titres qui dénotent du reste. Comme par exemple BNP qui aborde la politique et la finance. On dirait que vous abordez de moins en moins ces sujets là au fil des disques ? Bonnie en est d’ailleurs peut-être une réponse puisqu’il traite de l’absence d’avis…

Je pense pas qu’on soit moins politique dans le fond, mais ce sujet là, ça fait des fois un bon morceau, et des fois non. On avait un autre titre pour le disque qui s’appelait Peur Bleue et qui avait cet aspect sociétal, mais on l’a pas mis parce qu’on ne l’a pas trouvé au niveau. Ce n’est pas un objectif d’avoir des morceaux politiques sur le disque, mais quand on en a un ou plusieurs qui sont bons et qui ont du sens, on les met. Mais au final, si tu regardes bien la discographie, il n’y en a toujours que un ou deux sur chaque disque qui abordent vraiment ce sujet.
Mattia : Et puis finalement, les morceaux se servent un peu les uns les autres sur ce disque. S’il ne comportait que des Pastel ou Bonnie, ce serait très pauvre. Là, un titre comme BNP fait du bien à Pastel qui fait du bien à Bonnie, etc. Cette diversité, elle vient de notre background musical. Moi, j’adore la pop et le rock. A l’époque, je faisais des free party et j’adore toujours la techno. Alix, lui, il explore la musique trap depuis pas mal de temps, du coup ça nous a inspiré un titre comme Bonnie. Il y a un équilibre qui se crée dans tout ça, autant sur les thématiques que sur les instrus.

Et si finalement c’était l’amour le message politique ?

Alix : Ça c’est sûr. D’ailleurs, c’est curieux que tu dises ça parce que, juste avant de partir en tournée, c’était les commémorations des attentats du Bataclan, et ma meuf regardait la vidéo qui était passée à l’époque dans Le Petit Journal : celle où on voyait un enfant d’origine asiatique dire à son père ‘les méchants ils sont pas très gentils, on va devoir déménager, ils ont des armes‘ et son père qui lui répondait ‘eux ils ont des armes mais nous on a des fleurs‘. Finalement, c’était pas si faux, il est là le message.
Mattia : C’est un peu le seul truc qui nous reste et qui pourra nous sauver non ? Quand tu regardes autour de toi, ça commence à devenir un peu compliqué malheureusement. T’as l’extrême droite qui commence à pousser un peu partout, en Italie, en Autriche, au Brésil récemment… Parce que ça commence à être un peu les prémices de la nouvelle crise financière qui finira par arriver. Donc oui, je crois qu’on va sérieusement avoir besoin d’amour dans tout ça.
Jaco : Et malheureusement, c’était déjà dur à l’époque, mais aujourd’hui on a de moins en moins – voire plus du tout – ce truc un peu hippie comme dans les années 70, ces messages de paix, etc. Donc oui, l’amour devient encore plus un message politique aujourd’hui.
Alix : Moi je partage ma vie avec une nana qui est d’origine malienne-sénégalaise depuis plus de dix ans. Inchallah un jour on aura sans doute un môme, et ça c’est la meilleure réponse qu’on puisse apporter au racisme. Je pourrais en parler des heures mais bref, le monde va forcément tendre vers un métissage, à long terme bien sûr. Ça, tous ces gens d’extrême droite en ont peur, alors que finalement ce n’est que de l’amour. Oui, aujourd’hui, c’est ça le message politique.

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