No Metal In This Battle sait sur quel pied faire danser

No Metal In This Battle sait sur quel pied faire danser

En dépit de sa petite taille, le Luxembourg a enfanté en une vingtaine d’années une ribambelle de formations solides dans les courants hardcore, emo et math/post-rock. Citons à la volée Eyston, dEFDUMp, Mount Stealth, mais surtout Mutiny on the Bounty, ou encore Rome dans un registre dark folk. Avec ses membres comptant désormais parmi les aînés de cette scène locale, No Metal in This Battle continue sa perpétuelle mue, le krautrock, l’afrobeat, mais aussi le funk ayant pris l’ascendant sur son post-rock originel. Pierre (guitare/clavier/chant), Marius (guitare) et Laurent (basse) nous ont accueillis dans leur local de répétition de la Kultur Fabrik afin de nous parler de leurs aspirations musicales ou de la problématique de combiner vie active et vie de groupe.

Est-ce que vous vous connaissiez avant de monter le groupe ?

Pierre : Ça fait un certain nombre d’années qu’on se connait tous les quatre. Le groupe existe depuis 11 ou 12 ans et, avant ça, on jouait tous dans différentes formations locales. Le Luxembourg étant un petit pays, on a fait pas mal de trucs ensemble avant pour faire évoluer notre petite scène, comme organiser des concerts par exemple.
Marius : Laurent et Pierre avaient déjà un groupe avant, Eyston. À l’époque, j’étais un gros fan, j’allais les voir en concert. Ça m’a donné envie de faire de la musique et de monter un groupe. Pierre et moi, on s’était déjà croisés avant ça puisqu’on était en cours ensemble. Puis on s’est perdu de vue, jusqu’à ce qu’on se recroise à des concerts. C’est là qu’il ma dit qu’il cherchait à remonter un groupe, et m’a demandé si ça me bottait.

J’ai l’impression que la scène luxembourgeoise de post-rock, math-rock, emo etc. est assez active depuis un certain temps et assez soudée…

Pierre : Oui, c’est assez tentaculaire. Par exemple, on a tous plus ou moins joué avec des gars de Mutiny on the Bounty dans diverses formations. À une époque, tout un tas de groupes luxembourgeois se faisaient et se défaisaient… C’était comme une sorte de ‘micro-Seattle’ si tu veux… (rires), ou de ‘micro Washington D.C.’ puisque les groupes du label Dischord nous ont tous beaucoup influencés ici…

D’ailleurs, quand on est fan d’emo et de post-hardcore, comment se retrouve-t-on à intégrer de l’afro-beat dans sa musique ?

Pierre : Au départ, on était seulement trois dans le groupe et on faisait quelque chose qui s’apparentait à du post-rock assez ‘énergique’. On est ensuite passé à quatre avec Chris, puis ce dernier est parti. On a alors intégré Gianni (ndlr : batteur actuel) que l’on connaissait également et qui revenait tout juste de Montréal. À cette époque déjà, même si on n’en jouait pas, on était plus ou moins tous assez fans de Fela Kuti, mais intégrer de l’afrobeat dans notre musique n’est pas quelque chose qu’on a décidé de faire. C’est venu à nous lors d’une répétition durant laquelle on a utilisé un piano et commencé à bidouiller des trucs dans ce genre-là. C’est là qu’on s’est dit que ça pouvait peut-être donner quelque chose.
Laurent : C’est devenu vraiment une sorte de ‘patte’ pour nous, quelque chose qui est venu se greffer à notre musique instrumentale. Et l’arrivée de Gianni a aussi joué dans ce sens…
Marius : On ne réfléchit jamais aux directions vers lesquelles on voudrait aller. De mon côté, avant ça, je n’écoutais pas du tout d’afrobeat. Tous les trois m’ont fait découvrir cette musique et j’ai bien accroché. Même si je garde quand même un gros penchant pour les trucs punk en particulier.
Pierre : On a tous des goûts assez éclectiques. Par exemple, Laurent a aussi une grosse culture hip-hop et, par ricochet, aussi funk et jazz…

J’allais y venir justement : je trouve que le funk, comme le krautrock, sont plus présents sur votre nouvel EP…

Pierre : Depuis le précédent album, Paprika, on a pas mal expérimenté et jammé. Et quand tu jammes, tu as un truc un peu plus kraut qui ressort. Et puis, il y avait aussi cette envie de faire une musique un peu moins ‘saccadée’, plus psychédélique et donc basée sur la jam.

Comment arrive-t-on à garder une certaine cohérence, une certaine signature dans sa musique quand on mélange tellement de styles différents ?

Pierre : Je pense que chacun d’entre nous amène son identité au groupe, et le fait qu’on se connaisse tous les quatre depuis un bail aide sûrement aussi.
Laurent : On essaie de rester assez ouverts en général, et il y a toujours une espèce d’évolution musicale qui en découle. En tout cas, ça part toujours d’une idée de riffs de guitare qui est ensuite développée à quatre, que ce soit en répétition ou à la maison, devant le PC. Puis on voit si ça sonne comme du No Metal In This Battle ou non…

Les morceaux rassemblés sur cet EP sont en fait préalablement sortis au compte-goutte ces trois dernières années : pourquoi ?

Pierre : Après Paprika, chacun de nous a eu pas mal de changements au niveau personnel. On est tous devenus parents, donc tout s’est pas mal ralenti. Pas mal de nos potes qui se sont retrouvés dans la même situation ont d’ailleurs arrêté de jouer un moment avec leurs groupes. On s’est alors dit que, plutôt que d’attendre cinq ans pour réécrire des chansons, on préférait enregistrer et sortir de nouveaux morceaux au fur et à mesure. En plus, quand tu as des titres qui sont prêts, c’est frustrant de devoir attendre longtemps pour les sortir.

Pour beaucoup de groupes, le COVID a aussi été l’occasion de se poser et de composer. Pour vous aussi j’imagine…

Pierre : Premièrement, le COVID est tombé au moment où l’on avait déjà décidé de ralentir un peu les choses pour les raisons mentionnées auparavant, mais aussi pour prendre le temps d’écrire de nouveaux trucs.

Pour cet EP, vous étiez sur un rythme d’enregistrement de seulement deux morceaux par an, mais vous avez fait des sessions ‘éclairs’0 en studio, à chaque fois sur un seul week-end…

Pierre : Oui, on travaille toujours avec la même personne, Tom Gatti (Unison Studios, ndlr). On se connaît super bien et, pour mettre  deux chansons dans la boite, on n’a finalement pas besoin de plus de temps. On bosse vraiment bien avec lui ! Il sait ce qu’on recherche, donc ça va hyper vite.

Deux de vos nouveaux morceaux comportent du chant alors qu’il m’avait semblé t’entendre dire, Pierre, que jamais vous n’en intégreriez dans votre musique… (rires)

Pierre : On maquille le tout avec du vocoder ou des effets… (rires) En fait, Marius bossait sur plusieurs idées et nous les a envoyées histoire qu’on bidouille chacun dessus. C’est un peu comme ça qu’on procédait à une époque : on prenait des bouts d’impros issues des répétitions et ensuite on faisait chacun des maquettes sur cette base. Et sur les morceaux qu’il nous a envoyés, en posant des lignes de guitare dessus, je me suis dit qu’il y aurait vraiment le potentiel d’y mettre du chant aussi… Mais ça ne veut pas dire qu’on continuera forcément d’en intégrer sur les prochains trucs qu’on va sortir. C’est un peu parti d’une blague. Tu es là, chez toi à minuit à la maison et t’envoies le truc sur la Dropbox du groupe en mode : ‘Eh les gars ! J’ai fait un truc… Ecoutez ça !‘ (rires)
Marius : Les réactions ont été assez marrantes… J’ai directement dit à Pierre que j’adorais, alors que les deux autres détestaient ! Peu à peu, Laurent et Gianni ont fini par changer d’avis.

Je trouve les morceaux de cet EP plus groovy qu’avant. Est-ce qu’il y avait une intention d’essayer faire un peu plus bouger les gens à vos concerts ?

Pierre : Avant, on jouait plus de la musique ‘rock’. Et en défendant Paprika, on s’est rendu compte que c’était cool de jouer aussi pour des gens qui aiment bien danser. Venant de groupes plutôt hardcore/screamo, on n’avait jamais connu ça. Je pense que, sans se l’avouer, il y avait effectivement une intention d’aller dans ce sens-là. On trouve ça cool que les gens dansent au lieu de pogoter ou de rester en mode statique…
Marius : Et dans le post-rock, le public est généralement statique…

Ça veut dire que vous allez un peu moins jouer certains de vos vieux morceaux qui étaient justement un peu post-rock ?

Pierre : On a fait un peu le tri pour nos setlists et c’est vrai qu’on a plus tendance à jouer les morceaux plutôt dansants…
Marius : Quand tu joues devant 100 personnes, ça fait vraiment plaisir quand tu en vois certaines commencer à danser.
Pierre : En plus, c’est toujours bon enfant, pas du tout violent.

Vous disiez avoir des goûts très éclectiques mais en avez-vous aussi beaucoup en commun ?

Pierre : À part Marius qui n’écoute que de la merde… (rires)
Marius : On écoute quand même pas mal de trucs similaires. D’autant qu’on se partage aussi nos découvertes respectives et qu’on en parle souvent ensemble.
Pierre : Il y aussi des trucs rock, punk, ou noise qu’on écoutait tous il y a vingt ans et qu’on écoute toujours maintenant…
Laurent : Aussi des groupes funk des 70s… Finalement, des choses de toutes les périodes…
Pierre : Tous les quatre, on a un peu découvert sur le tard King Gizzard qu’on apprécie beaucoup. Il y a encore plein d’autres trucs afrobeat, jazz, post-rock… Laurent nous fait souvent découvrir des trucs hip-hop.

Vous mentionniez l’enregistrement au Luxembourg avec Tom Gatti que vous connaissez depuis longtemps, et vous avez sorti cet EP – entre autres – via Muaaah Records, un label du coin fondé par des potes (Nicolas Przeor de Mutiny on the Bounty et Marc Hauser, ndlr). C’est primordial pour vous de faire ça en local, avec vos amis ?

Pierre : Alors c’est déjà plutôt pratique puisque ça nous évite de devoir faire 300 bornes pour aller enregistrer pendant trois jours. Mais c’est sûr que de bosser avec des gens sur le long terme, c’est important pour nous. Le mastering, on le fait avec un Américain qui s’en charge depuis le début et la première révision est presque à chaque fois la bonne…
Laurent : Le but, c’est aussi de s’entourer d’une équipe avec laquelle on peut fonctionner de manière régulière, et sur le long terme effectivement. Après, on n’est pas nécessairement bloqué sur le Luxembourg et la scène locale, on reste ouvert à tout, même si c’est vrai qu’il y a aussi un côté sympa à ce que ce soit local. Les gars nous connaissent, on sait à quoi s’attendre… En plus, on ne peut pas se permettre de passer deux ou trois semaines en studio… Il y a trop de contraintes, à commencer par nos responsabilités familiales et professionnelles. C’est donc une façon de fonctionner qui nous arrange bien et qui est efficace.

Est-ce que vous avez prévu de refaire des concerts prochainement ?

Pierre : On a fait la release party de l’EP en novembre aux Rotondes, à Luxembourg Ville. On va aussi avoir quelques dates début 2024, puis on va jouer à un festival en mai. Avec notre tourneur, on va essayer de trouver deux ou trois concerts autour de cette date. Mais on remarque que, par rapport à 2019 et donc avant le COVID, c’est hyper dur de s’y remettre, notamment parce que les critères de certaines salles sont assez différents désormais. Aussi, la présence du groupe sur les réseaux sociaux est quelque chose de très important. On essaie de s’y mettre, mais ça nous gonfle un peu à vrai dire…

Vous êtes des vieux ! (rires)

Pierre : On est des vieux punks qui utilisent encore Facebook… (rires) C’est un peu frustrant, un peu chiant, mais il faut s’y mettre parce que cette histoire de visibilité sur les réseaux et plateformes rend le truc difficile : si tu n’as pas des milliers de vues sur Spotify, certains programmateurs restent assez frileux pour te faire jouer. Ce que je peux comprendre car les salles se remplissent de moins en moins et veulent de la prévente… Donc si tu n’es pas super connu, ça n’est pas toujours simple !

Photos : Mike Zenari, Jil Zago

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