No Age, libre comme l’air

No Age, libre comme l’air

‘We want to get old and weird’. Cette phrase, apparemment anodine, est souvent répétée en interview par Randy Randall, guitariste de No Age. Et pour cause, c’est le mantra qui définit le mieux le groupe californien qui, après avoir aligné les albums chez Sub Pop, a rejoint Drag City en 2018 pour afficher bien haut son penchant pour une musique noise, ambiant et expérimentale. C’est à la Marbrerie de Montreuil, juste avant leur concert, qu’on a pu avoir un échange enrichissant avec les affables Randy et Dean Allen Spunt sur tout un tas de sujets gravitant autour de leur processus de création. L’opportunité de donner la parole à un groupe défendant une vraie vision DIY, et refusant tout compromis foireux pour mieux servir sa musique.

Vous avez toujours aimé détourner les codes de la musique pop, en ajoutant des effets au point de rendre votre son difficile à classer. Est-ce que ne pas vous cantonner à un genre précis est une motivation quand vous composez ?

Randy : Oui… Nous avons toujours été attirés par l’idée de jouer avec des mélodies entraînantes, mais nous ne considérons absolument pas les genres musicaux ou un son particulier comme une limite. On fait ce qu’on veut, au moment où on le décide.

C’est justement parce que vous êtes si insaisissables que No Age est toujours debout ?

Randy : Je ne sais pas… On serait probablement plus populaires si nous n’étions pas aussi insaisissables, justement ! Ça serait plus facile pour nous ! La longévité de No Age est surtout due au fait que le groupe se challenge constamment pour écrire de nouvelles chansons, et tenter des trucs différents. Notre capacité à créer ne s’épuise jamais.

Êtes-vous d’accord si je vous dis que People Helping People n’est peut-être pas la porte d’entrée idéale pour découvrir la discographie de No Age ?

Randy : Non, je pense vraiment que tu peux nous découvrir à partir de n’importe quelle étape de notre discographie. Mais on connait si bien notre musique que nous sommes les plus mal placés pour répondre à cette question. Je ne sais pas encore vraiment ce qu’en pensent les gens, mais je considère que People Helping People sonne exactement comme un album de No Age.
Dean : C’est une réflexion étrange à avoir en tant qu’artiste. Le temps passant, les chansons que nous avons écrites il y a un bail semblent désormais avoir été écrites par des personnes différentes tant elles ne reflètent pas ce que nous sommes devenus.
Randy : Tu ne peux pas lutter contre le temps. C’est la vie ! C’est pour cette raison que les reformations de vieux groupes choquent toujours : dans ta tête, les mecs ont perpétuellement 25 ans ! On a tous tendance à penser à tort que les pop stars ne vieillissent pas…

Disons qu’il y a aussi une différence entre les reformations de blink-182 et Pavement ! Chanter sur la masturbation adolescente quand tu as 50 ans peut sembler lourdingue…

Randy : Dean et moi sommes uniquement attentifs à garder intacte l’honnêteté de notre musique. Nous évitons à tout prix les constructions formatées. blink-182 est très à l’aise avec les blagues sur les pets, tandis que nous espérons atteindre une signification plus profonde dans nos compositions. Je n’ai rien contre ce genre de blagues, je les adore. C’est toujours marrant, que ce soit à 4 ans ou à 40 ans. Mais je ne suis juste pas doué pour les écrire…

La pandémie n’a pas été le seul obstacle qui a gêné la réalisation de People Helping People puisque vous avez également été viré de votre studio. Vous pouvez nous parler de ces quelques mois de galère et des éventuelles conséquences que ce changement d’environnement a pu avoir sur l’album ?

Randy : Pendant dix ans, nous avons eu un studio dans le centre-ville de Los Angeles dans lequel on a écrit et enregistré énormément de musique. Au début de la pandémie, et à cause de tout ce bordel, notre ami qui possédait l’immeuble a du le vendre. On s’est donc réfugié chez moi, et on y a installé un nouveau studio. Finalement, ça a été très bénéfique pour notre créativité, et donc pour l’album. De toute manière, People Helping People était quasiment achevé avant notre éviction, il ne restait à enregistrer que les parties vocales de Dean… Mais ça nous a permis d’être beaucoup plus libres, et de travailler à notre propre rythme. Nous avons accordé plus d’attention à la production, et on s’est fait plaisir sur les expérimentations.

C’est donc le premier album que vous avez entièrement enregistré vous-mêmes. Elle vous plaît cette casquette de producteur ?

Randy : Je pense bien ! J’y ai pris beaucoup de plaisir. Dean et moi nous efforçons d’être le plus autonomes possible, et ce nouvel album est celui qui s’approche le plus de notre vision puisque personne n’était là pour nous empêcher de faire quoi que ce soit. Pour le meilleur comme pour le pire d’ailleurs !

Cela semble être une obsession pour vous de commencer à composer un nouvel album avec, en tête, l’obligation de surprendre et de prendre le contre-pied du disque précédent. Qu’est-ce qui définit justement la direction musicale d’un nouvel album de No Age ?

Randy : Goons Be Gone, le précédent album, nous semblait être idéal pour le live, au même titre que Snares Like a Haircut. À l’époque, nous étions particulièrement excités à l’idée d’imaginer la dimension que prendraient ces titres en live. Seulement, la pandémie ne l’a pas permis. Du coup, l’envie de faire un album expérimental et de passer du temps en studio a cette fois pris le dessus. On en parlait déjà à l’automne 2019, donc on a eu le temps d’explorer cette idée en profondeur. Plus globalement, c’est naturel pour le groupe de donner le meilleur, tout en prenant du plaisir à composer des choses que nous voulons écouter.

Ça vous inspire quoi alors ce côté DIY, en 2023 ? Cette scène ne vous semble pas trop sectaire et beaucoup trop réfractaire aux compromis ?

Dean : À l’heure qu’il est, nous n’avons pas d’autre choix puisque personne ne veut faire de trucs pour nous. On s’est toujours arrangés pour faire ce que nous avions en tête. Il y a des années, ce côté DIY était plutôt une position volontaire de notre part puis, au bout d’un moment, tout le monde a voulu aider et avait des conseils à nous donner. Certaines personnes et labels ont voulu nous emmener plus loin, mais nous avons préféré tout gérer nous-mêmes. D’une certaine manière, nous sommes donc revenus au point de départ, à nous débrouiller seuls. Mais on sait comment faire.

Vous faisiez d’ailleurs partie intégrante de The Smell, une salle de Los Angeles particulièrement connue pour la promotion d’une musique avant-gardiste et DIY. Elle est toujours debout ?

Dean : Oui, toujours ! Depuis 25 ans maintenant. Ça fermera à un moment donné parce qu’il me semble que quelqu’un a acheté l’immeuble et compte le détruire. Mais ça changera juste d’emplacement ! C’est probablement la plus ancienne salle DIY encore active à Los Angeles.

Pensez-vous qu’esprit DIY et capitalisme peuvent faire bon ménage ?

Dean : Si tu fais tout toi-même, je ne vois pas le problème de chercher à gagner de l’argent. De toute façon, j’ai l’impression que ce mouvement est plus fort que jamais grâce aux réseaux sociaux qui, c’est vrai, sont liés au capitalisme.
Randy : Aussi, les plateformes Bandcamp et YouTube sont autant d’énormes marchés capitalistes que d’incontournables entités de distribution qui permettent à tout le monde aujourd’hui d’écrire une chanson et de la mettre en écoute. En amont, tu peux désormais avoir des moyens d’enregistrer chez toi, décemment, sans te ruiner. Si l’idée est donc de t’exprimer artistiquement, les options sont nombreuses. En revanche, si ton ambition est avant tout de gagner de l’argent, c’est toujours un sacré challenge à relever…

Tout en restant ancré dans le punk, People Helping People laisse encore plus de place à l’ambient. Comment expliquez-vous cela ?

Dean : C’est venu naturellement. Je n’oppose jamais les genres. Quand on fait de la musique ensemble, tout ce qui compte est de faire quelque chose qui sonne bien. En tant que batteur, je réfléchis peut-être plus à composer des morceaux pouvant marier des parties avec ou sans mon instrument. Le ying et le yang.
Randy : J’aime considérer les sons comme des collages, ou comme des couches. J’imagine le tout comme une sculpture musicale. Tu empiles ces couches pour créer de la tension ou des harmonies. Pas besoin de faire des notes ! On s’est beaucoup entraîné grâce au logiciel Pro Tools. Ça nous aide à avoir une certaine palette sonore, des boucles et un bon réservoir d’idées dans lequel piocher. Je te l’assure, personne ne comprendrait quoi que ce soit à nos installations de sessions d’enregistrements ! (rire) Mais j’aime ce genre de productions sans étiquette, qui sont juste bizarres et expérimentales.

Vous jouez ensemble depuis une vingtaine d’années et, entre les enregistrements et les tournées, vous passez beaucoup de temps ensemble. Vous corrigeriez quel défaut chez l’autre pour signer pour 20 ans de plus ?

Dean : Tu sais, on fonctionne très bien ensemble. Nous communiquons beaucoup, on se connait par coeur, donc il n’y a aucun problème pour l’un d’entre nous de dire si quelque chose plait ou non. C’est très simple : c’est oui ou non.
Randy : Nous avons aussi des projets solos qui nous permettent d’explorer d’autres choses. No Age existera toujours à la conjonction de nos intérêts communs. Je me sens chanceux d’avoir cette clarté sur ce que nous sommes et sur ce qu’on attend de nous. C’est fini le temps où les labels mettaient la pression au groupe. Nous sommes arrivés à un point dans notre carrière où on peut se permettre de faire ce qu’on veut ! Ne pas faire ce qu’on aime ne nous rendrait pas service, et serait une perte de temps pour tout le monde, y compris nos fans qui, je l’espère, nous suivront toujours dans ce trip de plus en plus bizarre ! Je suis curieux et excité d’imaginer la suite de nos aventures.

Photos : Non2Non

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