Nathan Roche n’a pas peur du ridicule

Nathan Roche n’a pas peur du ridicule

Difficile de retracer les grands chapitres de la vie de Nathan Roche. A mesure qu’on tente d’en apprendre un peu plus sur la vie de l’ex chanteur du Villejuif Underground, les lieux s’emmêlent et les anecdotes défilent, créant une narration trouble qui en dit long sur les tumultes et les aventures de cet australien tombé amoureux de la France il y a de cela quelques années, après avoir accompagné en tournée un groupe de punk de son lointain pays. Aujourd’hui établi dans la vallée de la Roya, c’est un Nathan apaisé qui se confie à nous à l’occasion de son nouvel album solo, le premier sur Born Bad. Au fil de ses réponses, derrière l’accent marqué et quelques pensées débridées, se dessine la figure d’un éternel curieux, habité par une philosophie de la rencontre et du mouvement perpétuel qui aura dicté toute sa vie.

Depuis quand vis-tu dans la Vallée de la Roya ? Tu ne t’y sens pas trop isolé ?

Nathan Roche : J’y suis depuis 2 ou 3 mois et, non, je ne m’y sens pas seul. Il y a une ligne de train qui passe juste en bas de chez moi et qui va jusqu’à Nice. Le trajet dure une heure. Puis après Nice, il y a Marseille, et ensuite Paris. Il faut dix heures en tout, mais ça va.

Tu t’y vois y rester un moment, ou est-ce que c’est temporaire ?

C’est pour la vie, je pense. Cet endroit, c’est le paradis sur terre : c’est au dessus des montagnes, tu as des villes qui datent du Moyen Âge, tous les gens qui habitent dans le village sont tarés, incroyables, gentils, adorables, tous très contents d’être là. Une nuit, j’ai pris du LSD et nous sommes descendus dans le bourg. Il y a un bar qui fêtait la semaine de la musique baroque. Quand on y est arrivé, tout le monde était en train de chanter, je me suis vraiment demandé de quoi il s’agissait. Tous m’ont invité à danser. Il y avait au moins 15 ou 20 danses du Moyen Âge. J’étais comme dans Game of Thrones ou The Legend of Zelda.

C’est difficile de reconstituer la temporalité de ton parcours tant tu bouges beaucoup. Du coup, je me demandais d’où venait cet amour de la découverte, du voyage…

Je pense que ça vient de mes lectures, de la musique, des films, de tout ce que j’ai pu écouter dans ma vie, tout ce qui m’a inspiré. Tu sais, tu n’as pas forcément besoin d’aller partout, tu peux parfois être inspiré seulement en regardant les choses d’une certaine manière, et y trouver de la poésie et de la soif de vivre. Il faut juste ne pas toujours regarder les choses de façon banale, sinon c’est triste et un peu toujours la même chose.

Du coup, comment ton regard s’est-il enrichi ?

Je viens de Townsville, au nord de l’Australie. C’était une petite ville sportive, militaire, stricte, très conservatrice. Là-bas, je me suis plongé dans des livres, dans des films. Je trouvais toujours quelque chose pour m’occuper alors que la plupart des gens pensaient qu’il n’y avait rien à y faire. Ça, c’est le bénéfice de l’art : ça change la perception de ce que tu vois.

Tes parents te poussaient à ça ?

Pas trop non, pas du tout même. Mon père est géologue, il scrute des petits détails dans la terre, et voit le monde dans une autre dimension. Il me disait toujours : ‘Nathan, quand j’avais ton âge, je passais toute mes journées dans le désert, seul, à regarder des cailloux et à prendre des notes‘. Ma mère, elle était prof d’anglais, mais classique, genre Shakespeare. C’est moi qui lui ai mis des livres plus étranges, moins académiques, entre les mains.

Quand tu étais jeune, avais-tu ce fantasme de partir un jour ?

Oui, tout ce que j’ai vu au travers de l’art m’a donné envie d’aller voir si les choses étaient identiques dans la réalité. Et tu y trouves toujours quelque chose de différent, surtout quand tu n’es pas en train d’écrire un livre ou une chanson. Avant, quand j’écrivais, il y avait toujours un écart entre la réalité et la fiction, comme une distance avec le personnage. Maintenant, je vis pleinement mes expériences. Par exemple, quand je vais au Maroc, au Mexique, ou au Japon, je fais en sorte de rencontrer le plus de gens possible, justement pour être dans le vrai. Mais pour la musique, c’est différent parce que c’est mon cadre. C’est une forme fixe avec des rimes.

D’où pars-tu quand tu te lances dans l’écriture d’une chanson ?

Je commence avec un thème, mais ce n’est pas moi qui le choisit : c’est vraiment la musique qui me guide. Je pense beaucoup à Larry David, de Curb Your Enthusiasm, qui est un humoriste qui m’influence, tout comme Jerry Seinfeld par exemple. Chacune de leurs blagues a un sujet différent. Sur ce nouvel album, j’ai écrit tous les morceaux, et mon pote a fait les arrangements. Pour ce qui est des paroles, je m’amuse, j’ai plus de liberté qu’auparavant.

Toi aussi, tu as cette idée d’écrire de manière très spontanée ?

Ah oui, c’est toujours comme ça. Ce nouveau disque, je crois que c’est mon trentième, tous projets confondus. Tout ce que j’ai fait a toujours été spontané. Je ne change pas, ce n’est pas moi qui décide.

Et donc tu es revenu en Australie pour composer et écrire ?

Ouais, parce que je n’y étais plus allé depuis le Covid. Les frontières du pays ont été fermées pendant deux ans, donc je n’ai pas pu voir ma famille pendant tout ce temps. Quand je suis revenu, c’était un peu bizarre. Ça me procure ce sentiment chaque fois que je reviens puis, au bout d’un moment, la France me manque, et je dois repartir. En Australie, je suis comme dans une chanson, c’est comme si je vivais à l’intérieur d’un cadre. Je ne sais pas trop ce qui me fait ça là- bas. Ça doit être une sorte de force magnétique. En Europe, je peux vivre comme un gosse, comme quand j’avais 18 ans. En Australie, c’est plus propret, plus centré sur le boulot, tout est carré, un peu speed. Quand j’y suis retourné, j’ai revu mes amis et ils étaient tous posés. ‘On bosse maintenant, donc on ne boit que le vendredi et le samedi‘. Pour eux, je suis un psychopathe ! La société australienne est ainsi, c’est moins sauvage. Là-bas, si tu vis à la campagne, tu es vraiment loin des villes alors qu’en France, les distances sont moins importantes, donc l’énergie de la ville reste très accessible. La campagne, c’est l’idéal pour moi, mais il faut que je bouge régulièrement, que je donne des concerts, que je participe à des projets, à des soirées… Quand j’habitais à Paris, c’était ça tous les soirs, j’avais envie de voir chaque quartier, d’aller à chaque soirée, de prendre un vélib’ pour aller du 18ème arrondissement jusqu’à Pont de Sèvre. En Australie, une telle vie est impossible, donc je m’y sens en décalage.

Tu dis que tu trouvais ta vie en Australie trop facile. Le confort te faisait peur ?

Ouais, je craignais de devoir trouver un boulot, et de rentrer dans le système. Cette liberté que j’ai en Europe est incomparable. C’est une autre dimension ! Désormais, je connais plus la France que l’Australie. J’y ai joué dans une soixantaine de villes, alors que j’ai du en voir que 5 ou 6 en Australie. D’ici, tu peux aussi aller facilement en Italie, en Allemagne, en Grèce, en Belgique… C’est plus intéressant, tu découvres toujours de nouvelles choses. Pourtant, en Australie, je pouvais compter sur une sorte de Pôle Emploi alors qu’ici, je n’ai rien. Ça me force à sortir, même pour donner un petit concert qui va me faire gagner 50 balles. Cette vie qui ne se contrôle pas, c’est comme un jeu.

Est-ce qu’il y a quelque chose qui te fait peur dans l’avenir ?

Je ne sais pas. Si je meurs demain, je mourrai très content. Quand j’avais 10 ans, j’avais une sorte de stress existentiel, mais maintenant je suis apaisé. J’ai fait tout ce que j’avais envie de faire. Tout ce qui vient s’ajouter désormais n’est que du bonus, c’est cool.

Ce dernier album est beaucoup plus varié au niveau des arrangements. Il y a des cuivres, des chœurs… Par moments, on a même l’impression d’entendre une parodie de rock, avec des riffs hard rock. On sent que tu t’amuses beaucoup…

Avec mon pote, on aime tous les styles de musique. Nous n’avons pas de filtre, on fait comme on a envie. On aime Motley Crue, Iron Maiden, Judas Priest, on aime ces types d’arrangements. Et si on commence à rire, c’est bon signe. Si c’est complètement ridicule, encore mieux ! Ce n’est jamais sérieux. On pleure quand on enregistre, mais ce n’est pas une blague pour nous. On ne s’est jamais dit : ‘Ça, c’est trop gênant‘.

Ça faisait longtemps que tu avais sorti quelque chose sur Born Bad. C’est toi qui as proposé cet album à JB ?

Oui, je lui ai demandé parce que c’est cool de garder ce lien avec Born Bad. J’ai la sensation que, avec Le Villejuif Underground, cette collaboration nous a fait changer de statut. Mais ça n’enlève rien aux autres gars du groupe qui ont des personnalités hyper fortes. Ils sont trois amis d’enfance, donc j’étais un peu détaché. Par moments, c’était un comedy club un peu absurde. J’ai donc demandé à JB s’il voulait sortir le disque. J’aime la famille Born Bad. Des labels comme ça n’existent presque plus. Quand je pense aux compilations, aux repressages, je trouve que c’est un label qui reste accessible pour les gens. Tu payes 15 ou 20 balles pour un disque, quand d’autres labels t’en demandent 40 ou 50. C’est important qu’un disque ne devienne pas un objet de riche, d’autant plus que le vinyle est devenu une mode.

Qu’est-ce que JB t’a dit au sujet de cet album ?

JB ne dit pas grand chose. Il ne dit même pas non s’il n’aime pas. Je ne sais pas, en fait. Je me souviens qu’avec Le Villejuif, quand je lui ai envoyé le premier 45t, je lui ai demandé : ‘Tu veux le faire ?‘. Il m’a répondu : ‘Ouais‘, sans développer. Mais c’est cool. J’espère qu’on a là un nouveau chapitre dans ma carrière solo. J’ai vraiment besoin de sortir quelque chose tous les ans. Avec le groupe, tout prenait trop de temps. Là, si j’ai envie d’enregistrer demain, je peux le faire. Un disque, c’est comme des photos : même si personne ne l’écoute, ça me permet de graver des souvenirs.

Photos de Titouan Massé

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