
06 Juin 25 Moreish Idols, un pour tous
Après deux EP produits par Dan Carey, particulièrement bien accueillis par la critique, Moreish Idols, quintet formé en Cornouailles, vient de sortir All In The Game, un premier album à la croisée du post-punk et du jazz, lui aussi chez Speedy Wunderground. C’est lors de la dernière venue du groupe à Paris qu’on a pu s’entretenir avec lui.
Pour commencer, un grand classique : comment vous êtes-vous rencontrés ?
Jude (guitare/chant) : On s’est rencontré à l’université de Falmouth, une ville au bord de la mer en Cornouailles, dans un petit coin de l’Angleterre. On suivait tous des études différentes mais, vu que c’est une toute petite ville, c’était un peu particulier. C’était un peu comme si on était en vacances toute l’année, sauf qu’on avait quand même des dissertations à rendre !
Casper (basse) : On s’y est rencontré mais nous sommes tous originaires de différents endroits. Moi, j’ai grandi à Londres, Tom vient du Lancashire, Jude est de Brighton…
Tom (guitare/chant) : On s’est tous rencontrés en Cornouailles mais maintenant, on vit à Londres.
Pourquoi être tous partis en Cornouailles alors ?
Tom : Parce que c’était loin de tout. À Falmouth, tout le monde se connaît parce que beaucoup ont les mêmes centres d’intérêt ! Disons que c’était l’endroit le plus éloigné d’Angleterre où on pouvait partir, sans se retrouver à l’étranger pour autant. En tout cas, ça a été le cas pour moi. J’ai grandi dans un village, les grandes villes me faisaient un peu peur. C’est un peu comme les petites roues d’un vélo : il fallait que je passe par Falmouth avant de pouvoir déménager à Londres.
Casper : Moi, j’ai passé toute ma vie à Londres. Je voulais vivre au bord de la mer et voir ce qu’il se passerait si je quittais la capitale.
Comment avez-vous créé le groupe alors ?
Jude : Ça a commencé comme un projet solo. J’étais dans un groupe à Brighton mais, quand je me suis installé à Falmouth, j’ai eu envie de quelque chose de nouveau. Vu que j’avais quelques chansons de côté, j’ai proposé à Tom de monter un groupe quand je l’ai rencontré.
Tom : J’avais aussi cette idée en tête et, à une autre soirée, j’ai rencontré Solomon (batterie). Logique : on était chez lui ! Quand j’ai entendu la batterie, j’ai commencé à en jouer. Au début, je voulais être le batteur, puis ça a changé avec le temps.
Solomon (batterie) : On a monté le groupe il y a huit ans donc plusieurs membres sont passés. On a eu environ cinq line up différents. Ce n’est qu’une fois qu’on s’est retrouvé avec la formation définitive qu’on a déménagé à Londres et que Tom est revenu dans le groupe.
Vous avez beaucoup joué à Falmouth ? Comment est la scène musicale en Cornouailles ?
Tom : Il n’y a pas grand chose à y faire si ce n’est pêcher ! Les clubs sont plutôt ringards donc, une fois que tu y es allé, tu ne veux plus y retourner. Il ne te reste alors que les soirées chez les uns et les autres, ou les concerts… À un moment donné, absolument tout le monde faisait partie d’un groupe. Certains étaient très bons, comme Vanilla Falls, Holiday Ghosts, The Golden Dregs ou encore Factor 50 avec qui on a joué il y a encore quelques jours. Eux sont la nouvelle génération ! Ils ont obtenu leur diplôme bien après nous. La scène de Falmouth est 100% DIY. L’endroit où on jouait le plus, c’est le Woodlane Social Club qui n’est pas vraiment une salle de concert. C’est une sorte de grande salle de bal, avec les tuyaux apparents et la lumière allumée. Il n’y a aucune ambiance mais tous les groupes locaux jouent là-bas. Il y a un mec, une légende, qui a un sonomètre et qui passe son temps à nous dire qu’on joue trop fort (rire). Pour rigoler, on l’appelait Carey, sans qu’on se doute qu’un jour Dan Carey finisse pas être notre producteur (rire). C’est fou ! Une fois, on a repris Enter Sandman de Metallica et il aime tellement cette chanson qu’il m’a dit ‘ne t’en fais pas, je l’ai éteint !‘. C’était si rare que ça m’a touché ! Bref, Falmouth, c’est ce genre d’aventures !
Jude : La plupart du temps, ça joue chez des gens ou dans un bar. Il y a un endroit avec des studios d’artistes, dans un bâtiment municipal entouré d’eau, où on pouvait juste s’installer et jouer. Quand on a commencé, il n’y avait ni toilettes ni scène mais maintenant, c’est devenu un vrai festival, la Cottage Party.
Tout cela vous a donc poussé à déménager à Londres ?
Tom : À Falmouth, t’as vite fait le tour de la ville, ce n’est pas vraiment un endroit où tu peux ‘grandir’. Vu que beaucoup de nos amis déménageaient aussi à Londres, c’était logique pour nous d’y aller. Nos potes de Bristol ou Manchester s’y sont installés aussi. Maintenant, on est un grand groupe d’amis qui font de la musique, c’est cool !
Il fallait ça pour rencontrer Dan Carey ?
Tom : J’ai déménagé à Streatham, qui est le quartier dans lequel il vit, et il est passé chez moi pour m’acheter un synthé pendant le Covid. Du coup, vu que j’avais son mail, je lui ai demandé des recommandations pour un ingénieur du son. Puis je me suis dit qu’après tout, je n’avais qu’à lui envoyer la live session qu’on avait faite avec Moreish Idols ! On l’avait déjà fait parvenir à plein de personnes qui ne nous ont jamais faits de retour. Dan Carey, lui, m’a répondu en dix minutes en me disant qu’il l’adorait. On l’a ensuite croisé au marché des labels, où il nous a dit vouloir nous produire.
Avez-vous ressenti une certaine pression à l’idée de travailler avec lui ?
Jude : Oui, c’était assez stressant de bosser sur notre premier EP. Je savais que ce que l’on allait faire serait cool, mais on n’avait jamais bossé en studio, on n’avait jamais enregistré live…
Tom : Maintenant, on se débrouille, mais la première fois était assez impressionnante en effet, surtout que Dan enregistre sur bande, donc on n’avait vraiment pas le droit à l’erreur.
Jude : Je me souviens qu’il avait insisté pour qu’on ne joue aucun morceau en entier pendant qu’il nous testait. Donc quand on a enregistré les premières chansons – W.A.M. et When the River Runs Dry, sur notre premier EP, Float – c’était la première fois qu’on les jouait intégralement pour lui !
Tom : C’est ce qui fait sa particularité. Il veut toujours capturer ce petit moment magique, et ça rend la suite encore plus intéressante.
Est-ce que vous avez changé votre façon d’enregistrer pour l’album, All In The Game ?
Solomon : On a fini de l’enregistrer un an jour pour jour avant sa sortie.
Jude : On aurait pu le sortir bien plus tôt, mais on voulait que tout soit carré. Quand on a sorti le premier single, on avait encore beaucoup de choses auxquelles penser : la pochette, les clips… On voulait être les plus convaincants possible !
Tom : Pour Float, notre premier EP, on s’est beaucoup amusés mais surtout, on apprenait à travailler en studio avec Dan, et on voulait juste que notre musique soit cool. Pour le second EP, on a essayé d’être un peu plus sérieux, de se concentrer sur l’écriture et les paroles, que ce soit parfait dès le début pour que Dan n’ait pas à tout reprendre. Et pour l’album, on a essayé de mêler ces deux façons de travailler, pour que la production ne fasse pas tout mais serve vraiment de cadre à notre musique.
Jude : C’était aussi la première fois qu’on enregistrait complètement live. On a toujours tout enregistré comme ça, sauf la voix. Sur l’album, vu qu’on était déjà un peu plus confiants, on a essayé de pousser notre voix, en évitant de trop se concentrer sur la guitare.
Tom : C’était hilarant. J’étais dans une sorte de boîte avec seulement une minuscule fenêtre, je ne voyais rien ! Vu que Dan avait baissé le son de la voix au maximum, on ne savait pas si c’était bon ou non. Il disait : ‘je ne veux pas que tu puisses t’entendre. Donne juste le meilleur de toi-même‘.
À propos du chant, le fait de compter deux chanteurs au sein du groupe s’est présenté naturellement ?
Jude : Après que Dan nous ait aidé à trouver notre son, il nous a fallu trouver le petit truc qui incarne notre identité. On a toujours eux deux chanteurs qui chantaient dans deux styles différents, mais on s’est rendu compte qu’on gagnait en singularité en chantant ensemble. J’ai donc appris les parties de Tom, il a appris les miennes, puis on a commencé à écrire l’un pour l’autre.
Tom : J’aurais aimé qu’on ait encore plus de temps pour travailler ça, pour apprendre à chanter ensemble. On aurait pu aller encore plus loin, faire des harmonies… Mais ça représente bien l’idée du groupe. C’est vraiment un travail collaboratif, on ne veut pas de ‘frontman’ officiel, et c’est un peu le message qui est retenu quand on vient nous voir. Dan a utilisé l’exemple de Fontaines D.C., qu’il a produit : sur scène, c’est plutôt traditionnel, Grian est au centre et parvient à renvoyer le message du groupe à la perfection. Nous, on voulait faire quelque chose de différent, mais il fallait que ce soit bien fait. Et chanter à deux est techniquement encore plus compliqué ! On a donc étudié les parties qu’on voulait chanter ensemble, celles qu’on laissait à l’autre… On veut vraiment être perçus comme un ensemble. La pire chose pour nous serait que les gens qui viennent nous voir préfèrent que ce soit moi ou Jude qui chante !
Est-ce la même chose pour l’écriture ? Est-ce le fruit d’un travail collaboratif, ou est-ce que l’un de vous prend l’ascendant sur les autres ?
Casper : On essaie de rendre ça le plus collaboratif possible, même si Jude et Tom, les chanteurs, écrivent souvent les paroles. Côté musique, quelqu’un peut arriver avec une idée – un riff ou autre – qui va nous plaire, puis qu’on va transformer jusqu’à ce qu’elle contente tout le monde.
Jude : Souvent, Tom amène une idée de guitare, généralement assez dark, donc on essaie de la rendre un peu plus joyeuse, de faire en sorte que ça reflète nos goûts à tous.
Tom : Une fois qu’une idée est présentée, elle n’appartient plus à quelqu’un, en particulier, mais au groupe tout entier. Il y a un studio à Streatham dans lequel on a l’habitude de faire des jams. On enregistre donc nos improvisations puis, une fois chez nous, on les réécoute en nous demandant comment en faire de bonnes chansons. C’est ce qui s’est passé pour Dream Pixel par exemple. En principe, quand une chanson arrive déjà toute prête, ça ne marche pas. Ce sont celles qu’on aime le moins, sur lesquelles on doute le plus.
Vous mélangez le jazz et le rock et, vu que tu viens de mentionner l’improvisation, je me demandais si vous aviez une formation musicale classique…
Tom : En quelques sortes, mais je n’étais pas très bon parce que je suis quasiment dyslexique. Ma famille a une formation classique mais moi, ça ne me convenait pas. Dylan est le plus formé de nous tous ! C’est un as de la théorie. Nous, on raconte n’importe quoi, on invente des termes. Quand on joue, il nous dit ‘alors ça, c’est un Mi bémol‘. Et on lui répond : ‘si tu le dis !‘ (rire).
Casper : Moi j’ai suivi des cours de piano et de guitare mais, en vrai, j’ai plutôt appris en jouant avec les autres.
Tom : Et Solomon est une rockstar née !
Quelles sont vos influences musicales ?
Tom : Clairement pas Oasis, ça c’est sûr !
Solomon : Pour l’album, je dirais Wilco et Broken Social Scene que j’ai beaucoup écoutés dernièrement.
Jude : Je pense que Beck a eu une grande influence sur moi. Je l’ai toujours beaucoup écouté, à tel point que j’ai dû lui piquer quelques trucs. Il a fait tous les types d’albums possibles ! Si on écoute bien, toutes les chansons ressemblent à une chanson de Beck, parce qu’il a tout fait.
Casper : À la basse, on ne joue pas de riffs, c’est plutôt une émotion, donc je dirais que c’est vous. Après, j’adore Big Thief et Talking Heads, mais surtout parce que j’ai appris à jouer sur leurs chansons.
Jude : C’est vrai qu’on est tous fans de Big Thief, même si on n’en a jamais vraiment parlé. On adore tous leur album Dragon New Warm Mountain I Believe In You. Il est tellement éclectique que ça ouvre d’autres horizons.
Dylan : De mon côté, je n’ai pas vraiment d’influences au saxo…
Jude : Surtout pas Squid ! (rires) Dylan a joué du saxo sur leur deuxième album, O Monolith.
Dylan : Je dirais que Solomon est ma plus grande influence ! J’écoute ce qu’il fait à la batterie et j’essaie de le suivre. C’est facile de tomber dans le cliché du joueur de saxo qui joue ce que le public attend de lui. Moi, ce n’est vraiment pas ce que j’ai envie de faire. Donc ouais, je n’ai pas vraiment de nom à donner, surtout pas Squid !
Jude : Évidemment, on adore tous Squid… Sauf Dylan !
Comment décririez-vous votre musique à quelqu’un qui ne vous a jamais écouté ?
Jude : Ça c’est vraiment notre plus gros mystère… Un peu comme Oasis !
Tom : En fait, j’ai une super comparaison. Notre musique, c’est comme si tu allais chez quelqu’un, que tu ouvrais son frigo, et qu’il y avait un peu de tout. Tu manges et tu te dis que c’est plutôt bon, mais en même temps que ça pue un peu. Le mec achète bio mais ne nettoie pas bien son frigo, il y a des restes dans le fond… Notre musique, c’est un peu ça (rires).
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