
17 Fév 23 Monolithe Noir ne doit plus rester un secret bien gardé
Actif au sein de nombreuses formations pop et rock indé belges, Antoine Messager Pasqualini est surtout l’esprit démiurgique derrière Monolithe Noir. Né à l’origine comme un projet de musique électronique en solo, c’est à la faveur d’un excellent troisième album (Rin) que le bloc de granit sombre et froid s’est fissuré en un trio de krautrock nerveux, acquérant au passage un pouvoir de fascination décuplé. Au cours d’une longue conversation dans les fauteuils d’un estaminet bruxellois, le musicien d’origine bretonne nous a retracé son itinéraire sinueux.
Qu’est-ce qui t’a amené vers ce nouvel album Rin qui contraste radicalement avec les autres ?
Antoine Messager Pasqualini : Cet album participe plus que les autres à mon ADN musical. Pendant quelques années, j’ai bifurqué vers les musiques électroniques, davantage orientées vers les aspects expérimentaux. J’étais vraiment dans une phase de recherche. Mes premiers EPs étaient très axés musique électronique avec mon synthé modulaire, et en même temps je me retrouvais souvent avec des groupes rock ou post-rock. Au bout d’un moment, je me suis dit que j’avais un peu fait le tour de ma démarche, pas parce que je suis allé bout de l’instrument mais parce que je ne m’épanouissais plus vraiment. Ma musique était identifiée à mon instrument, ce que je trouvais un peu absurde. J’ai donc eu envie de recommencer à jouer avec des gens. C’est pour ça que j’ai mis petit à petit de côté cet instrument, pour finalement m’amener à faire des chansons avec une écriture peut-être un peu plus condensée. Et à peu près à ce moment-là, j’ai rencontré Yannick Dupont (synthé et basse). C’est avec lui qu’on a vraiment commencé à répéter, improviser, à faire des découpages, etc… L’idée était surtout de développer un disque qui soit facilement jouable sur scène, ce qui n’était pas du tout le cas avec mes albums précédents Le Son Grave et Moïra, qui demandaient une réécriture assez laborieuse. Beaucoup de gens pensent que jouer avec un ordinateur c’est ‘facile’, mais ça demande tellement de travail en amont qu’on se retrouve parfois à faire deux journées de boulot en une… C’est très introspectif et moins fun sur scène.
Est-ce que ce processus a changé ta façon de travailler ?
En soi, ça n’a pas changé tant de choses. C’est surtout les outils qui ont changé. Au lieu d’écrire la musique sur l’ordinateur, en utilisant un séquenceur, je jouais toutes les parties instrumentales. Après, il y a toujours une partie découpage-collage avec Yannick. On partait beaucoup plus de sessions improvisées – l’idée c’était surtout de jouer. Donc, en fait, ça reste beaucoup de travail avec un ordinateur, mais c’est moi qui pilote, qui ai le premier et le dernier mot. Ensuite, j’adore laisser les autres développer leurs propres musiques.
Qui fait partie du groupe aujourd’hui ?
Yannick et moi, ainsi que Christophe Claeys qui nous rejoint pour le live. En fait, on est trois batteurs dans le groupe ! Ça arrive assez souvent dans les formations dans lesquelles je joue pour le moment. C’est notre instrument de base, ce qui explique les parties très rythmiques de notre album. En live, par contre, chacun joue un instrument différent, et on n’outrepasse pas trop notre rôle.
Qu’est-ce que tu écoutais au moment de composer Rin ?
Rin est venu à un moment où je redécouvrais ce que j’écoutais plus jeune. Je ne sais pas pour vous, mais moi j’écoute toujours les mêmes choses que ce j’écoutais à 19 ans. Fugazi a toujours fait partie de mes influences de longue date. J’écoutais pas mal de trucs du label Constellation. Mes goûts musicaux récents sont assez rattachés à cet ADN : j’ai beaucoup accroché sur Gilla Band, Tropical Fuck Storm… Je me suis aussi intéressé à des trucs un peu ‘tradi’. J’ai voulu en apprendre un peu plus sur la musique bretonne ou traditionnelle française, sans trop aller dans les profondeurs non plus. Je m’intéressais beaucoup à la vielle à roue. Je disais que c’était un peu un synthétiseur du Moyen-Âge. J’en ai fabriqué une artisanalement, de manière très empirique, qui crisse très fort (rires) ! Après, c’est un instrument très difficile à sonoriser et coûteux.
Donc Rin est un petit peu une sorte de retour aux sources pour toi, vers tes racines plus pop et rock ?
Oui, c’est un peu ça. Il fallait que je fasse une sortie de route à un moment pour apprendre à maîtriser les synthés, et surtout apprendre une autre manière d’écrire la musique. Avant, je faisais vraiment de la pop (ndr : avec le groupe Arch Woodmann), mais je me suis vite senti un peu à l’étroit dans ce domaine. Je ne me cache pas d’être très fan de Beak, Portishead et de Radiohead, tous ces groupes qui mêlent l’expérimentation avec un format rock.
Pourquoi avoir choisi ce nom d’album, Rin, qui signifierait ‘secret’ en breton ?
Franchement, je ne sais même plus trop pourquoi j’ai choisi ce mot (rires). J’imagine qu’on est beaucoup à avoir voulu apprendre de nouvelles choses pendant le confinement, faire un truc différent. Moi, je n’avais plus de travail donc j’ai décidé d’apprendre le breton et faire de la vielle à roue. J’apprenais du vocabulaire, et je suis tombé sur ce mot-là. Je ne sais pas trop pourquoi il a retenu mon attention, j’étais intrigué par la sonorité. Et au moment où le disque est parti au pressage, j’ai vérifié dans mon dictionnaire de breton si le mot existait. En fait, il ne s’y trouvait pas ! Je me suis dit que j’avais envoyé des communiqués de presse avec une info qui n’existe pas… (rires) Heureusement, en cherchant dans d’autres dicos de breton plus anciens, je l’ai finalement retrouvé. C’était un mot apparenté à un dialecte local de breton qui signifie effectivement ‘secret’.
Qu’est-ce que tu aimes tant dans les drones, les ondes persistantes ?
Je ne sais pas encore l’expliquer. C’est très primaire, instinctif. Je ne sais pas pourquoi la musique d’Éliane Radigue, par exemple, peut me donner envie de pleurer. C’est vraiment très mystérieux. Je sais que je l’apprécie parce qu’elle me met dans un état second, qui est plus proche de l’état méditatif et d’observation de ce qui m’entoure que quand j’écoute du rock, qui est plus un catalyseur d’émotions qui peuvent se déchaîner. Avec le drone, j’ai l’impression de passer à un autre état. En parlant de drone, j’ai vu le groupe France en concert au Brass, où ils ont joué plus d’une heure et demie en continu. C’est la première fois que je ressentais un truc comme ça. Soniquement, c’est tellement fort que tu ressors de là et… tout descend comme ça, d’un coup. Et en même temps, il y a une vibration qui est encore présente dans ton ossature, ton organisme…
Comment ça se passe pour toi sur la scène bruxelloise, où tu es très actif dans plusieurs groupes ?
À Bruxelles, on répète tous dans un même cadre, mais musicalement c’est très ouvert. Il y a beaucoup de monde, de super musiciens et musiciennes, t’as accès aux choses très facilement. L’émulation est aussi très forte ici. Les gens ne se regardent pas de haut, donc je ne me sens pas dans une adversité avec qui que ce soit. J’adore cette ville donc, si ce n’est qu’elle me fatigue beaucoup. À terme, j’ai pour projet de retourner en Bretagne, dans le Finistère.
Qu’est-ce qui fait que tu es resté à Bruxelles plutôt que de retourner en France ?
En France, il y a trop d’adversité, trop de concurrence, trop de mépris. C’est comme si, en se tirant la bourre, on aurait plus facilement une place, mais ça ne se passe pas comme ça. Et puis la France propose une scène qui est très vite formatée. Si t’es dans le viseur d’un programmateur ou d’un dispositif d’accompagnement, le truc devient vite chiant en fait. Il y a trop cette conscience du regard qui est porté sur ce que tu vas faire. Et ce truc de vouloir avoir l’air pro… Avec les musiciens avec lesquels je joue ici, on rigole toujours sur le côté semi-pro. J’ai la chance de jouer avec des super musiciens qui ne se prennent pas au sérieux, un peu ‘schiev’ (ndr. : de traviole en bruxellois), ça rend le truc vivant. Après, je caricature vraiment parce qu’il y a une scène underground en France qui est très présente, mais très sélective et peut-être aussi snob, et c’est dur d’y trouver sa place.
Est-ce que tu arrives à vivre de ta musique ?
Oui, car je joue dans 4-5 groupes et je fais de la vidéo. Je ne joue qu’avec des gens que j’apprécie, et c’est ce qui continue à me motiver. Maintenant, je ne dirais pas que c’est facile pour autant.
Comment vois-tu l’avenir de Monolithe Noir ?
Sur le long terme, j’apprécie le projet actuel qui va cependant certainement évoluer. J’aimerais bien aussi faire un disque complet avec Jawar. Ça serait vraiment cool !
Quelle est ta dernière découverte musicale ?
Thelonius Monk. Yannick n’arrêtait pas de m’en parler… J’écoutais des standards de jazz plus jeune, mais il y a eu un long passage à vide. Et découvrir ce jeu de piano a complètement remis en question mes a priori jazz.
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