30 Août 24 Mono, l’éternité à portée de main
Trois décennies après son apparition, le post-rock continue de perdurer : on ne compte ainsi plus les formations perpétuant l’héritage des aînés, quitte à parfois virer à la caricature peu inspirée. Fondé au Japon à la toute fin des années 90, Mono s’est imposé dès 2002 – et la sortie de son deuxième album One Step More And You Die – comme une valeur sûre de ce courant, notamment grâce à son impressionnante maîtrise de la narration, sa manière subtile de tirer les fils du genre, et surtout sur la foi de prestations live mélangeant puissance libératrice qu’émotions à fleur de peau. Mais avant toute chose, les Japonais font indiscutablement partie des quelques groupes qui ont su faire évoluer le post-rock au fil du temps. OATH, leur excellent douzième album, vient de sortir : l’occasion d’en apprendre davantage sur sa genèse et sur leur mode de collaboration, y compris avec le regretté Steve Albini, partenaire de toujours des Tokyoïtes. Takaakira ‘Taka’ Goto (guitare), à l’origine de la plupart des compositions, a répondu à nos questions.
Vous fêtez cette année le 25ème anniversaire du groupe. Quels sont vos meilleurs souvenirs et vos plus grandes réalisations de ce quart de siècle ?
Takaakira « Taka » Goto : La première chose dont je me souviendrai toujours, c’est ce concert que nous avons donné en mars 2001 au CBGB de New York. C’était la première fois que nous avions l’impression d’évoluer en tant que groupe depuis notre création. C’est aussi le jour où nous avons décidé de déménager notre ‘base d’opérations’ du Japon vers les États-Unis. Quant au souvenir le plus inoubliable, je dirais qu’il s’agit de notre show au Barbican Hall de Londres en décembre 2019, pour notre vingtième anniversaire. Ce soir-là, j’ai eu un sentiment d’accomplissement comme je n’en avais jamais eu auparavant. C’était comme si le plus long voyage que nous n’ayons jamais entrepris arrivait enfin à son terme.
De ton côté, comment en es-tu arrivé à jouer ce genre de musique ? Quel était ton background musical et ton ambition quand tu as monté ce groupe à la fin des années 90 ?
Dès le début, j’ai voulu créer une musique qui soit à la fois lourde, belle et intense. Une musique qui se place au croisement des guitares magnifiques et spectaculaires de My Bloody Valentine, et du monde cinématographique d’Ennio Morricone. Et vu que je ne peux pas chanter, ça ne pouvait être qu’un projet instrumental.
Si j’ai bien compris, OATH a été principalement inspiré par la pandémie de Covid. Quels moments, images ou souvenirs de cette époque ont influencé l’écriture de ce nouvel album ?
Tes infos sont bonnes, en effet. Cet album a effectivement été écrit durant la pandémie et, de fait, a pris une tournure différente des précédents. À ce moment-là, mes habitudes quotidiennes ont soudainement disparu et, alors que je ne savais pas ce que l’avenir me réservait, j’ai perdu mon père et des amis proches. J’ai alors réalisé que nos vies n’étaient pas éternelles, ce qui m’a amené à me poser beaucoup de questions. J’ai donc commencé à composer au printemps ; puis, tout au long de l’été, de l’automne et jusqu’en hiver, j’ai écrit ce que je ressentais en chaque instant. Une fois l’hiver passé et le printemps réapparu, j’ai réalisé que les choses que j’avais récemment considérées comme acquises n’étaient finalement pas si ordinaires. OATH exprime ‘l’éternité à portée de main’, incarne la joie de vivre le moment présent, mais aussi mes pensées à ceux qui sont décédés, ma détermination à écouter les voix de mon âme et à fouler tous les endroits de cette planète durant tout le temps qu’il me reste.
Vous avez très souvent inclus des instruments à cordes à vos albums mais sur OATH, les orchestrations semblent plus poussées encore. La composition et l’enregistrement de ce disque ont-ils été différents des précédents ? Avez-vous fait appel à des musiciens ayant déjà joué sur quelques-uns de vos albums ?
Dès le départ, il était clair pour nous que OATH commémorerait notre 25ème anniversaire. Même si, à Chicago en 2003, Steve Albini nous a présentés d’excellents musiciens classiques, violonistes ou violoncellistes pour la plupart, notre réseau s’est élargi et nous avons fait depuis beaucoup d’albums avec des amis que nous respectons beaucoup. Donc cette fois, j’ai composé des morceaux et nous les avons enregistrés avec l’idée de partir en tournée mondiale avec un orchestre dont ils feraient partie.
Est-ce que tu t’es chargé toi-même des arrangements de cordes ? Quand j’écoute votre musique, j’ai toujours l’impression que vous y passez beaucoup de temps et que vous accordez beaucoup d’attention aux détails…
Oui, je m’occupe personnellement des arrangements de l’orchestre. Pour être au plus proche de l’univers que j’imagine, sans jamais compromettre la vision et la puissance du groupe, je passe beaucoup de temps à choisir les arrangements de cordes et de cuivres, à me demander quel instrument utiliser, combien de musiciens inclure à l’ensemble…
J’ai entendu dire que tu suivais un processus créatif très rigoureux : quasiment chaque jour, tu te réveilles à 6 heures du matin, puis tu composes jusqu’à 14 heures. Quand as-tu commencé à t’imposer une telle discipline ?
J’ai vraiment commencé en 2020, quand le monde s’est totalement arrêté en raison de la pandémie. Avant que le soleil se lève, dans un monde silencieux et sacré où tu n’entends même pas encore les oiseaux chanter, tu peux communiquer avec ton coeur de la manière la plus significative qui soit. Ce moment me procure un sentiment de joie qui m’inspire beaucoup.
Compte tenu des conflits en cours, de la crise environnementale, de la montée de l’extrême droite dans beaucoup de pays, l’anxiété est aujourd’hui plus forte que jamais au sein de notre société. Même si votre musique peut être perçue comme triste ou mélancolique, elle est surtout porteuse d’espoir. J’ai le sentiment que chacun de vos albums transmet des vibrations de paix et de sérénité…
Même si je comprends que la population souhaite une société toujours plus pratique, toujours plus riche, et que le désir d’évolution de l’Homme ne s’arrête jamais, le monde va de plus en plus mal parce qu’il repose sur des gens qui, par le biais des affaires ou de différents intérêts, veulent désespérément gagner toujours plus d’argent, se montrer toujours supérieurs aux autres. Pour être plus humain et dire les choses plus simplement, il n’y a rien de plus important que le respect, l’entraide et l’amour de son prochain. Lorsque nous écoutons cet album, nos âmes guérissent et se libèrent. Beaucoup de gens étouffent aujourd’hui dans leur vie quotidienne. J’espère que ce disque pourra les aider à écouter leur propre coeur ainsi que les voix de leur âme.
Quels sont les artistes au sens large qui t’ont le plus inspiré ?
J’ai toujours aimé Stanley Kubrick et Haruki Murakami. Ce sont deux artistes qui essaient de donner des réponses à des choses qui n’en ont pas.
Jeremy DeVine, le boss du label Temporary Residence, est souvent crédité dans vos albums pour le mastering, la direction artistique… Pour OATH, j’ai entendu dire qu’il avait même suggéré les titres des trois premiers morceaux : Us, Then / OATH / Then, Us. C’est assez rare qu’un patron de label s’implique autant dans des disques…
Jeremy est l’un de nos plus solides partenaires, sans conteste celui qui comprend le mieux notre musique. Nous travaillons ensemble depuis plus de 20 ans, quasiment depuis que Mono est né. Il nous arrive souvent de modifier l’arrangement de nos morceaux suite aux idées qu’il apporte, aux conseils qu’il nous donne. C’est aussi lui qui a suggéré d’organiser notre premier concert new-yorkais avec un orchestre, à l’occasion de notre dixième anniversaire. C’est lui qui nous a présenté notre batteur, Dahm, en 2018. Bref, si nous ne l’avions pas rencontré, je ne serais certainement pas en train de te parler aujourd’hui. Il est notre partenaire à vie.
Photos : Titouan Massé
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