29 Avr 22 MNNQNS, nerds à vif !
En un album et une poignée d’EPs, MNNQNS a mis tout le monde d’accord sur la place de choix qu’il mérite dans la musique à guitares française. Loin de se reposer sur ses lauriers sur son fabuleux deuxième album The Second Principle, le groupe s’écarte un tant soit peu de son amour post-punk dissonant pour faire péter les glorieux synthés modulaires. Rencontre avec Adrian, Grégoire, Félix et Hugo pour une interview certifiée 100% détente et allégresse, où les vannes fusent dans tous les sens. Entre autres au programme, la thermodynamique, l’horreur cosmique, Philipp Glass et… Taxi. En voiture !
Sur The Second Principle, vous troquez un peu les guitares cracras contre des synthés. Pensez-vous aliéner une partie de vos fans et du public, ou est-ce que cette sorte de confrontation est quelque chose que vous recherchez ?
Grégoire : C’est vrai que les synthés prennent une certaine place par rapport aux guitares. C’est par là qu’on voulait aller, et ça nous parlait. Le synthé est un outil de création comme un autre qui nous emmène vers de nouvelles choses. On ne s’est pas du tout posé la question d’une quelconque aliénation d’une partie du public. C’est un choix guidé par l’artistique. Chaque morceau a une ambiance différente permise par les sonorités de cet instrument. Si ça ne plait pas aux gens, tant pis… Si j’ai réussi à entendre du synthé, les gens y arriveront aussi !
Les influences de ce nouvel album sont apparemment la thermodynamique, l’espace, Lovecraft. En fait, vous êtes des gros nerds…
Adrian : Ouais, et on ne s’en cache pas ! On a grandi dans des caves avec de grands grimoires ! C’est une esthétique qu’on est en train d’explorer et les synthés y sont pour quelque chose. En ce moment, on kiffe beaucoup les BO de vieux films de science-fiction où tous les décors sont en PQ. C’est fait avec les moyens du bord, et il y a un côté super honnête. On a utilisé des petits synthés modulaires chelous et des synthés monophoniques pour que ça colle avec les esthétiques qu’on a en tête. Je pense par exemple au générique du Doctor Who et la musique du BBC Radiophonic Workshop. C’était super créatif malgré le peu de moyens techniques disponibles à l’époque. En tant que nerds, on aime l’esthétique du bricolage laborieux. Le processus créatif est aussi important que la finalité.
Concernant Lovecraft, vous vouliez retranscrire l’horreur cosmique en musique ?
C’est marrant parce que ce n’est pas un truc qu’on a spécialement voulu. Faire une BO pour Cthulhu, ce n’était pas le but, mais en écoutant certains passages de l’album, ça fait sens. Je trouve qu’il y a un côté angoisse cosmique ! Les synthés désuets aident à créer cette ambiance. En tout cas, ça nous parle beaucoup.
Le titre de l’album est une référence au deuxième principe de la thermodynamique. Désordre, transformation, entropie… C’est pour mettre l’accent sur votre degré d’imprévisibilité en tant que groupe ?
Ta lecture est intéressante ! On était plus intéressés par le champ d’images et lexical que ça génère, plutôt que par l’idée de la thermodynamique en soi. Ça évoque des thèmes comme l’espace, la science-fiction… On ne voulait pas non plus que ça soit trop cramé. Notre album ne s’appelle pas Space Odyssey !
Votre pochette m’a fait penser à l’esthétique prog et krautrock. C’est voulu ?
Grégoire : On aime le krautrock. J’ai toujours voulu explorer ça en concert ou en studio. Au niveau rythmique, il n’y a pas meilleur beat que ça. Cet amour a commencé à ressortir pour ce deuxième album mais ce n’était pas vraiment calculé. Je ne m’attendais pas à ce que tu dises que ça ressorte sur la pochette, je m’en délecte ! J’ai vécu la période où j’écoutais des groupes sans avoir aucune idée des noms des musiciens, de leurs âges, de leurs provenances… Maintenant, tu peux savoir qui est qui à n’importe quel moment. J’étais obsédé à l’idée de me dire : mais à quoi le groupe ressemble t-il ? Il me fallait une image, que je sache la vérité. Parfois, ne rien savoir me bloquait même dans mes écoutes. D’où l’importance de la pochette ! Ce n’est pas un morceau de plus, mais presque. On voulait une photo au rendu instantané, et ne surtout pas foutre Saturne à côté d’une planète qui n’existe pas par exemple, pour rappeler la thématique un peu spatiale de l’album.
Adrian : La fameuse planète Rock One !
Félix : Avec Saturne qui serait en fait un manche de guitare !
Adrian : Pochette faute de goût extrême. On verra ça pour le troisième album.
Selon vos mots, vous étiez obsédés par l’idée de prendre la meilleure chanson du monde pour la saloper. Sur ce deuxième album cependant, vous ne cherchez pas du tout à martyriser les mélodies. C’est ça qu’on appelle l’album de la maturité ?
Grégoire : On a fait le contraire, on a pris la moins bonne chanson pour la rendre la plus belle possible !
Adrian : Plus sérieusement, cette idée de saloper des mélodies avait du sens pour le premier album. C’était un gimmick nous permettant d’écrire le même genre de chansons. Maintenant, on va plutôt créer un tout petit univers dans un morceau. On a agrandi notre éventail d’outils. On peut se permettre de faire des choix plus narratifs en termes de sons et de songwriting.
Vous citez Edgar Varèse et Philip Glass comme principales influences pour The Second Principle. Vous vous êtes plongés ou replongés dans les grands compositeurs modernes ?
Pendant la réalisation de l’album, Félix et moi avons matté le film Koyaanisqatsi. On a pris une énorme claque.
Félix : Je me suis dis qu’un enregistrement d’album, dans le noir et dans une maison de campagne, avec le son dans les enceintes de monitoring, était le bon moment pour le regarder.
Grégoire : Pendant que, moi, je regardais Taxi avec notre ingé son… Et on entendait quand même la bande son incroyable de Glass de Koyaanisqatsi !
Adrian : Donc en gros, The Second Principle est un album inspiré par Taxi et Philip Glass.
Votre approche et vos cœurs penchent toujours du côté de la musique expérimentale alors ?
On penche vers pas mal de choses en même temps. On est toujours autant attaché à l’écriture des morceaux et le côté artisanal du songwriting. Même en passant par des trucs plus théoriques comme la modulation harmonique… Cette cohabitation entre le songwriting et les sons allant plus loin dans l’expérimentation est une constante dans MNNQNS. C’est à partir de ce moment que, pour moi, l’expérimental au sein de la pop devient intelligent. On est aussi fan de pop tubesque des années 80 que de musique concrète. On est vraiment emballé quand les deux se rencontrent et que tu n’as pas l’impression que c’est la guerre des clans.
Du coup, vous n’avez pas trop l’impression d’avoir le cul entre deux chaises ?
Grégoire : Je pense déjà qu’on l’a posé entre quatre ou cinq chaises. Plus on va se focaliser sur un point, sur un morceau, plus les autres choses n’appartenant pas à ce champ seront lumineuses et apparentes autour. On fait un choix drastique à chaque titre, mais un choix ouvert. Nous ne renonçons pas au reste. On assume juste le fait que nous ne sommes pas obligés de montrer toutes les facettes de notre personnalité dans chaque seconde d’une composition. C’est plus honnête et authentique comme résultat.
Adrian : Pour chaque morceau du deuxième album, on peut dire en une seconde quelle en est l’idée principale. Ce sont des évidences. Pacific Trash Patch, c’est la séquence. Eyes of God, ce sont les voix.
On sent justement un gros travail sur les harmonies. C’est quelque chose qui vous parle particulièrement ?
On écoute beaucoup de pop des années 60, et ça se ressent sur cet album. Les lignes vocales et les arrangements de l’époque sont totalement fous. Malgré un format d’à peu près trois minutes, c’est super riche et complexe. Les Beach Boys sont magistraux pour ça.
Sinon, y a quelque chose dans l’eau à Rouen pour produire autant de groupes de qualité et avoir une scène aussi florissante ?
Je crois que c’est le calcaire.
Hugo : C’est super petit et tout le monde se connaît. On interagit tous ensemble. Ca croupit presque, dans une sorte de macération. Il en sort plein de trucs totalement différents et difformes qui prolifèrent. C’est comme une cocotte-minute sous pression.
Adrian : Hugo, c’est le guide touristique de l’Apocalypse !
Pas de commentaire