
28 Juin 23 Militarie Gun, arme d’affection massive
Nous sommes en 2023. Tu viens d’intégrer une faille spatio-temporelle dans laquelle Turnstile fait la première partie de blink-182 au Madison Square Garden. Les médias et la scène s’enflamment et, selon les dernières statistiques, un groupe de hardcore naît dans une cave mal sonorisée toutes les deux minutes. Militarie Gun est un des plus prometteurs de ce bouillon de moshpit culture. On a organisé une visio avec son leader Ian Shelton, quelques jours seulement avant la sortie de leur royal premier album Life Under The Gun, pour aborder la question de l’âge d’or du hardcore, de la vulnérabilité dans la musique, mais aussi du sujet crucial de la jeunesse à risque. On en est sorti inspiré et avec une furieuse envie de descendre en sous-sol pour répéter quelques riffs en vue de la bagarre…
Comment tu te sens juste avant le grand jour de la sortie de Life Under The Gun ?
Ian Shelton : Je suis à la fois excité et anxieux ! J’ai hâte que l’album soit dans la nature et que les gens puissent enfin l’écouter. Ça a été un parcours si long… J’ai notamment hâte de voir leur réaction à la découverte de la deuxième moitié du disque puisque tous les singles déjà dévoilés sont sur la première.
J’ai l’impression que Militarie Gun est constamment en tournée. Vous venez de faire un petit passage en Europe. C’était comment ?
C’était génial. On adore venir en Europe ! On a joué pour la première fois à Paris dans une toute petite salle qui s’appelle le Klub et le show était vraiment cool. Je suis heureux qu’on puisse y retourner aussi rapidement pour le festival Pitchfork en novembre. C’est excitant de se dire qu’on est en train de construire une fanbase pour atteindre de plus en plus de personnes. Ça demande tellement de boulot de montrer qu’on existe en tant que groupe…
Justement, j’étais là à ce premier show parisien et j’ai été un peu frustré par le public qui est resté assez statique. Je me suis toujours demandé si c’était chiant de jouer devant des personnes sans trop de réaction, surtout en tant que groupe hardcore ou plus généralement de ‘rock’. Tu en penses quoi ?
C’est difficile de répondre à cette question surtout que, généralement, je ne bouge pas beaucoup non plus quand je vais voir des concerts. Mais c’est vrai que j’ai tendance à attendre que le public le fasse pour nous. C’est un peu deux poids deux mesures ! C’est en tout cas très dur de donner de l’énergie quand elle s’écrase sur un mur. Mais c’est aussi notre job d’intégrer qu’il existe plusieurs types de public, et que les gens peuvent très bien prendre du bon temps sans être forcément expressifs. C’est vrai qu’en Europe, nous faisions principalement face à un public assez immobile. Sauf à Cologne, mais c’était notre deuxième concert là-bas…Espérons qu’il en soit ainsi dans chaque ville lors de notre second passage !
Tu penses qu’on vit un âge d’or du hardcore ? Ou est-ce un truc répété par chaque génération ?
Je suis impliqué dans le monde du hardcore depuis 15 ans, et c’est assurément la période qui m’excite le plus, tout simplement parce qu’elle est plus riche musicalement parlant. Je dis toujours qu’on a connu une époque conservatrice et chiante, aujourd’hui rejetée par notre génération, bien décidée à rendre le genre plus attrayant et intéressant.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le hardcore actuel n’a pas peur d’aller arpenter des territoires surprenants, et d’affirmer son amour de la pop. Tu es d’accord ?
Oui, et j’ai une théorie à ce sujet. Selon moi, la pandémie a forcé toute la scène hardcore à écrire des albums qui puissent être écoutés à la maison, au calme, plutôt qu’en live pour faire réagir le public. Du coup, il n’est plus seulement question de passages rapides et propices au moshpit, mais de quelque chose qui s’écoute à n’importe quel moment ! Selon moi, c’est principalement pour cette raison que nous constatons cette effervescence. Honnêtement, ça n’a fait que rendre la musique meilleure, plus réfléchie et entraînante. Puis les messages que portent tous ces groupes à forte personnalité sont uniques et distincts.
Concernant Militarie Gun, est-ce qu’avoir recours à tout un tas d’éléments mélodiques est pour toi une façon de bousculer les puristes ?
C’est vrai que j’aime contrarier les gens… Mais au final, je suis seulement guidé par ce qui semble bénéfique au groupe et à sa musique, au même titre que chacun des membres y met un peu de sa passion. D’autant plus que nous écoutons tous des choses assez différentes, allant de The Jam à Jesus Lizard en passant par Third Eye Blind. Tout peut donc contribuer à un morceau de Militarie Gun, nous ne nous sommes jamais rien refusés. Et le fait d’étendre notre son avec plus de mélodies fait totalement sens, même si je sais que ça va faire chier certaines personnes. Ça m’excite aussi, du coup je fais d’une pierre deux coups !
Est-ce que des songwriters comme Robert Pollard de Guided By Voices ont plus influencé ta musique que des éléments hardcore traditionnels ?
J’ai été formé aux deux écoles. Robert Pollard est une influence dans le sens où il est extrêmement prolifique. J’essaie donc d’adopter sa méthode d’écriture autant que possible pour pouvoir proposer un maximum de chansons. Je veux toujours en finir une le plus vite possible pour pouvoir passer à la suivante. De fait, je ne suis pas dans le perfectionnisme, plutôt dans l’envie de constamment évacuer les idées de ma tête. En me convaincant que la prochaine chanson sera meilleure m’évite de passer trop de temps à peaufiner des détails. Cela dit, l’influence de Guided By Voices peut s’entendre aussi dans les guitares et dans la volonté du groupe de ne pas s’attarder sur un genre en particulier. De la jangle pop 60’s, de la country, des collages audio étranges… Pollard n’a pas peur d’expérimenter, et je suis dans le même état d’esprit.
Comme tu l’as dit, on assiste à une vraie effervescence du hardcore et l’exemple le plus criant est bien entendu la popularité grandissante de Turnstile qui semble déranger une petite partie de la scène ne voyant pas d’un bon œil que le hardcore se fasse une place dans les stades. Tu en penses quoi ?
Je ne suis pas un gatekeeper, ce n’est pas mon délire, je préfère discuter de l’art et des intentions qui s’y cachent. Le reste, je le laisse aux brutes de lycée. Quand j’étais gosse et que je ne savais rien du hardcore, j’étais très heureux que personne ne m’ait empêché de le découvrir sous prétexte que j’étais trop jeune. C’est aussi pour ça que j’aime beaucoup l’environnement actuel. Knocked Loose, Zulu, Show Me The Body… Les groupes sont tellement nombreux et diversifiés qu’il y a de multiples portes d’entrée pour le hardcore. Peut-être que les gens sont ensuite amenés à écouter des groupes comme Militarie Gun ou Angel Du$t. Tout ce qui m’intéresse, c’est de provoquer les mêmes émotions que je ressentais quand j’étais jeune, quand j’allais aux concerts où je me rendais compte que tout le monde était aussi niqué de la tête que moi. J’aimais l’idée d’une tribu qui ne fasse que s’agrandir. À mon époque, tous les concerts étaient merdiques et se tenaient dans des salles pourries. Pour quelle raison voudrait-on revenir à ça ?
Tu parles d’un certain sens de l’unité, et la musique semble t’avoir aidé à gérer les répercussions de certains événements traumatisants. La musique et sa qualité thérapeutique ne seront donc jamais un cliché pour toi ?
Oui… C’est la seule raison pour laquelle, aujourd’hui, je ne suis pas un junkie qui ne fait rien de sa vie. Sans la musique, je ne sais pas du tout quelle direction j’aurais pris. Je pense sincèrement que ça m’a sauvé la vie. Ce n’est pas dû à un groupe en particulier mais au hardcore et à la musique au sens large. Ça a donné un but à mon existence, et j’espère de tout cœur en donner un peu à celle de quelqu’un d’autre.
La personnalité, c’est ce qu’il y a de plus important dans l’art selon toi ?
100%. Tu peux mettre deux choses identiques l’une à côté de l’autre, leur perception sera différente selon l’expérience et les histoires de vie. C’est une affaire de perspective, et celle de l’artiste m’attire à chaque fois. Je peux très bien écouter une chanson et ne pas m’y sentir connecté, puis entendre une histoire sur l’artiste un peu plus tard qui change totalement ma perception du morceau en question. Revenons par exemple à Robert Pollard et son histoire : il était un enseignant en école primaire, et n’a réussi à percer dans le monde de la musique qu’à la fin de sa trentaine, après avoir démissionné. Là, il s’est pointé chez Scat Records avec des copies de Propeller sous le bras alors que son groupe avait splitté. Le label a quand même voulu un autre album, et c’est là qu’il a pondu Bee Thousand ! Putain ! Savoir d’où une personne vient, et trouver des similarités et différences avec d’autres artistes m’inspire.
D’ailleurs, tu ne manques pas de parler d’un sujet qui m’est cher : la façon dont la société traite la ‘jeunesse à risque’. À ton avis, quelles sont les clefs pour faire mieux ?
S’il y avait une solution, ça se saurait. J’ai été traité comme tel, on m’a mis dans une classe à l’écart, dont le programme consistait à m’informer des méfaits de la drogue. J’étais entouré de personnes qui prenaient déjà des drogues dures alors que ce n’était pas mon cas. Extirper ces enfants d’un cadre de vie normal ne fait qu’accentuer leur différence alors qu’ils ont un parcours de vie déjà compliqué. Après, c’est difficile aussi de leur donner les moyens de réussir sans les isoler du reste du monde. Je n’ai pas vraiment de solution mais, l’ayant vécu, je pense qu’on manque de beaucoup de clémence envers cette jeunesse troublée. L’idée qu’elle ne fera jamais mieux, qu’elle est vouée à l’échec est toujours aussi présente. Personne ne sait ce que ces enfants voient chaque nuit de leur vie au sein d’un foyer traitant de multiples addictions. Chaque jour peut y être traumatisant. Comment les aider quand tout ne fait qu’aggraver leur situation ? C’est déchirant, et c’est pour ça que j’en parle autant. J’écris à propos de mes origines, des traumas, des addictions, du fait de venir d’une petite ville, tout ça dans le but d’inciter les gens à s’ouvrir et à se sentir plus aimés et écoutés. Tout le monde devrait avoir le droit de faire des erreurs et de rebondir. C’est ce que j’essaie de dire avec Life Under The Gun. Je voudrais que chaque personne sur cette planète puisse suivre une thérapie l’invitant à ne pas mentir et à être honnête. J’ai été placé en thérapie à un très jeune âge, et je crois que c’est la seule raison en dehors du hardcore qui m’a empêché de vriller totalement.
Tu as aussi une expérience de réalisateur de clips. Ceux de Militarie Gun sont toujours incroyables. Quel est ton avis le plus polémique à propos du médium visuel ?
Je pense qu’on donne trop souvent la priorité aux mauvaises choses. Soit la vidéo est remplie de plans chiants beaucoup trop montés, soit le clip est prétentieux avec un sujet de fond super ennuyant. Dans les deux cas, ça ne m’intéresse pas. Quand je réalise un clip, je pars toujours avec l’intention de faire quelque chose de cinématographique qui, au final, soit là pour vendre la chanson. Après tout, un clip, c’est ni plus ni moins qu’une pub pour un morceau. Beaucoup de réalisateurs sont à côté de la plaque.
Dernière question primordiale. Tu essaies de concurrencer Liam Gallagher dans le nombre de parkas cools que vous possédez tous les deux ?
Je n’ai pas la thune pour le suivre ! Liam a des poches bien trop profondes pour que j’ose me mesurer à lui. Je suis foutu d’entrée de jeu. Je pense que nous avons surtout la même volonté de valoir la peine d’être regardé quand on monte sur scène. Tout le monde sait que c’est absolument ridicule que je porte ça mais j’adore que le public se demande quand je vais bien pouvoir enlever mon blouson. J’ai un rythme cardiaque très faible, donc je mets du temps à crever de chaud.
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