
09 Mai 25 marcel s’emmanche sans complexe
Ce n’est pas une mince affaire que de réunir un groupe au grand complet peu de temps avant son passage sur scène. Encore plus un jour de convention des labels indépendants, à Paris, où ça fourmille de partout. Et quand le groupe en question se nomme marcel, a l’énergie d’un commis de cuisine coké en plein rush, le challenge relève de l’impossible. Spoiler : marcel était sobre et nous y sommes arrivés. C’est réfugiés dans une sorte de placard à balais où sont stockés les fûts de bière du Point Ephémère, qu’on a pu s’adonner au petit jeu des questions-réponses. Là, tes futurs belges préférés ont distribué quelques punchlines et pistes pour mieux décoder ô fornaiz, leur deuxième et sacrément coolos album de post-punk expérimental. Une sincérité désarmante à ne surtout pas confondre avec de la naïveté, du sixième degré à ne surtout pas confondre avec du second degré, et du wallon à ne surtout pas confondre avec du flamand.
Pour ô fornaiz, vous avez rejoint Géographie, un label français qui collabore avec Luik Music, votre label belge de toujours. Ça y est, marcel vise l’internationale ?
Amaury : C’est ce qu’on a toujours voulu ! C’est assez récent puisque nous n’avions pas encore signé avec eux lorsqu’on a joué en septembre en première partie de McLusky au Point Éphémère.
Maxime D. : Nous cherchions impérativement un label français. Je ne me rappelle plus qui est venu vers qui pour finaliser les détails !
Amaury : Tu peux préciser que toute l’interview est sujette à caution !
Sur cet album, vous citez Crass et This Heat, deux de mes groupes favoris, parmi vos influences. Mettre la barre super haute, c’est une manière de vous mettre sous pression ?
Amaury : Honnêtement, je ne pense pas que ce soit quelque chose d’important pour la plupart d’entre nous. En gros, lorsqu’on compose, un ou deux membres se pointent et proposent de nouvelles idées. Certains répondent ‘ok c’est cool‘, et d’autres ‘je m’en fous‘. Qu’importe si c’est bas de gamme ou snob !
Maxime D. : Pour le bien du groupe, Amaury m’a presque obligé à élargir mon horizon musical en me forçant à m’imprégner de trucs beaucoup plus noise que ce que j’avais l’habitude d’écouter. Du coup, mes compositions et mon style de guitare évoluent dans ce sens-là.
L’album a été produit et mixé par Ben Hampson, qui s’est occupé notamment de DITZ et des Lambrini Girls. Ça a été un choix voulu pour apporter cette petite touche post-punk actuelle ?
Ulysse : Non, il avait déjà mixé notre premier album. On a donc souhaité poursuivre cette collaboration.
Maxime H. : Il y avait surtout cette envie d’avoir quelqu’un qui s’occupe du son, mais qui soit aussi producteur lors de l’enregistrement de l’album. On avait cette volonté d’être entouré, de bénéficier du regard de quelqu’un d’extérieur au projet. C’est la première fois qu’on travaille avec un producteur. On a découvert Ben sur le tard et nous ignorions que son apport allait être aussi bénéfique, notamment dans la canalisation de notre énergie.
Ulysse : Oui, nous avons tendance à partir dans tous les sens alors que lui est une force tranquille. Il est très calme, il sait où il va. Il a toujours le mot qu’il faut pour nous recadrer.
Amaury : C’est un sorcier du son doublé d’un moine zen. Ce genre de mec est assez rare. Ce n’est pas facile pour lui de bosser avec des puces excitées comme nous !
Maxime D. : Ben nous a beaucoup fait travailler sur les sons de nos guitares et de nos basses. Nous avions l’idée d’expérimenter milles trucs alors que lui voulait d’abord que nous exploitions au maximum nos trois pédales, mais sans jamais rien nous imposer. Cela nous a permis d’avancer efficacement et de ne pas nous perdre… Ça a vraiment été une chouette expérience. Nous sommes restés en vase clos pendant deux semaines en studio à Sprimont, près de Liège, dans une ancienne boulangerie.
Amaury : En pleine campagne et en plein Euro ! Les larmes de Cristiano Ronaldo ont d’ailleurs irrigué l’album.
Le thème central de ô fornaiz est le feu. Quel a été le cheminement de pensée pour en arriver là ?
Amaury : J’ai toujours été fasciné par le feu et, récemment, j’ai ressenti comme une sensation de spirale de plus en plus intense sur le monde. Comme si nous étions au milieu d’une fournaise ! J’ai simplement voulu explorer toutes les formes de feu possibles et imaginables, que ça soit d’une manière concrète, ou en parlant aussi des passions humaines qui dévorent et consument.
En parlant de passions dévorantes, quelles sont les vôtres ?
Ulysse : À coté de la musique, je jardine beaucoup. Je peux même te donner un exemple pour que tu voies à quel point ça me travaille. J’habite dans une région où il gèle toutes les nuits, et ma copine a oublié de rentrer tous mes légumes d’été. Je lui avais donné cette mission et elle a zappé ! J’ai vraiment gueulé parce que c’est quelque chose qui me passionne vraiment.
Maxime D. : Moi, je suis menuisier. J’ai lancé mon entreprise et ça me consume énormément ! Je suis obsédé par… la peur de la rue. C’est un taf aux multiples situations et problèmes. J’ai toujours l’impression d’apprendre de nouvelles techniques étant donné que tu dois souvent faire face à des choses que tu n’as pas envisagées. Je ne pourrai jamais faire le tour de ce boulot, et c’est ce que je trouve excitant.
Maxime H. : Perso, j’ai un délire en ce moment avec les oiseaux. L’ornithologie. J’aimerais bien me former, d’ailleurs… Je prends toujours mes lunettes lorsque je pars en promenade, c’est trop un kiff. Même si j’ai une mémoire de merde et que je ne retiens jamais les noms…
Amaury : En ce qui me concerne, c’est très simple. J’ai l’obsession des mélodies entêtantes, au point que ça m’empêche de dormir beaucoup. J’y pense tout le temps : la nuit, sous la douche… Il faut toujours que je trouve comment restituer une mélodie correctement. Clairement, ça, ça me consume…
En lisant ce qui se cache derrière les paroles de task force diane, je me suis fait la réflexion que seul un groupe comme marcel pouvait proposer un délire pareil. Vous pouvez me raconter exactement l’histoire de ce morceau ?
Amaury : J’ai acheté une anthologie de littérature belge, et je suis tombé sur un texte qui parlait des premières béguines du Moyen-Âge, dans nos régions. Ces femmes étaient généralement recluses dans des monastères et l’une d’elles a foutu les boules à son béguinage parce qu’elle n’arrêtait pas de se mortifier en pensant au Christ. Elle chialait tout le temps, avait des visions, et a fini par se faire exclure de la paroisse parce qu’elle était trop zélée dans l’exercice de sa foi. J’ai transposé ça dans le milieu de l’entreprise capitaliste pour voir dans quelle mesure, par exemple, un pape PDG pouvait ordonner à ses employés d’adorer l’entreprise et de vouer un culte au sacrifice de soi. C’est pour ça que le capitalisme est une religion… En fonction du nombre de larmes que les employés versent, on peut leur offrir un voyage tout frais payés à Disneyland. Voilà donc la béguine qui finit par noyer tout le building dans ses larmes et qui doit donc s’échapper dans des canaux de sauvetage. C’est un film des frères Dardenne quoi !
J’ai pris énormément de plaisir à lire et décortiquer votre dossier de presse absolument hilarant annonçant le nouvel album et les singles. Qui l’a écrit ?
Amaury : C’est moi ! C’est super chouette ce que tu dis. Les radios, elles, sont généralement moins littéraires. C’est déjà arrivé que l’une d’elles parle de marcel en disant que notre musique était géniale mais qu’on se branlait totalement sur notre dossier de presse, que c’était insupportable ! Ça me fait plaisir que tu saisisses le second degré !
Ce dossier est truffé de références au foot et on trouve sur l’album un morceau intitulé spirit of eden hazard kicking ball-boy. A votre avis, la rivalité foot qui oppose la France à la Belgique est-elle encore plus grande que celle qui existait entre les Beatles et les Stones ?
Ulysse : C’est plus une frustration des Belges qu’une vraie rivalité.
Amaury : Les Belges qui traitent constamment les Français de connards sont insupportables. On a eu une belle équipe, mais elle a duré trois ans.
Maxime D. : Les Belges sont devenus tellement de mauvaise foi !
Amaury : On s’est francifié ! C’est nous les connards, maintenant ! Personne à Paris ne va aux Champs-Élysées pour fêter une défaite de la Belgique alors que chez nous, ça fait la fête sur les places… Par contre, je comprends que les belges aient ce fameux seum. Lors des dernières rencontres qui ont opposé les deux équipes, c’était très pénible. Mbappé était franchement à décapiter ! Sur la place de la Concorde !
Il paraît que vous envisagez d’enregistrer un album de free jazz ou de bossa nova en wallon. C’est encore du millième degré ou ai-je un quelconque espoir d’entendre ça un jour ?
Amaury : C’était encore une connerie !
Maxime H. : Honnêtement, le free jazz est un des seuls styles musicaux que je n’arrive pas à écouter.
Ulysse : J’aime le côté touche-à-tout de l’album mais j’espère qu’on va arriver à garder une certaine cohérence. C’est important pour moi que les gens reconnaissent la touche marcel…
Amaury : On se dit simplement que le premier album n’a pas marché. On s’en fout maintenant, nous ne sommes plus obligés d’être célèbres, on fait ce qu’on veut ! Ce n’est pas marrant de faire un album complet qui ressemble juste à IDLES.
Aujourd’hui, vous avez été invités à jouer pour la convention des labels indépendants. C’est aussi le week-end du Disquaire Day. Quel est votre regard en tant que musiciens sur l’évolution de cette économie des labels et des vinyles ?
Maxime H. : Avec nos anciens groupes, nous ne fabriquions que des CDs. Maintenant, nous pressons seulement des vinyles, on ne se pose même plus la question…
Ulysse : On a justement eu une discussion entre nous il y a exactement deux jours sur le fait de financer ou non une campagne Spotify pour être pitché dans des playlists. On a finalement refusé parce qu’on ne voulait pas filer de la thune à cette plateforme, et parce que le retour sur investissement ne valait pas le coup. Ça rejoint la problématique du secteur musical actuel, des labels qui sont confrontés à un monopole et qui récupèrent des miettes.
Maxime H. : J’écoute parfois l’album sur Spotify alors que je l’ai en vinyle dans ma discothèque. Par pure flemme. Je l’achète, je l’écoute une fois et puis…
Maxime D. : Il le jette !
Amaury : Sur les oiseaux ! Pool !
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