12 Oct 19 Marble Arch, ce genre de plaisir simple
L’idée de hasard est celle d’une rencontre entre des faits rationnellement indépendants les uns des autres, rencontre qui n’est elle-même qu’un pur fait, auquel on ne peut assigner de loi ni de raison. Dans le cas de ma rencontre avec Thomas (guitariste de Marble Arch), la raison n’est autre que notre passion partagée pour la musique, celle de Froth en l’occurrence et la loi de l’attraction naturelle pour une bouille certes magnétique, mais attribut d’une personnalité résolument cool. Ainsi, dès nos premiers échanges, cette rencontre hasardeuse aux premiers abords résonnait assez vite comme une évidence tant, en plus de son côté sympathique, le dernier album de Marble Arch avait suscité un vif émoi dans une de nos chroniques quelques mois auparavant. Très vite, l’envie mutuelle d’organiser une interview avec le reste du groupe survient de façon naturelle.
Yann, tu es né et a grandi en Bretagne, à Lannion plus exactement. Ensuite, tu as suivi des études en architecture tout en étant guitariste de Maria False. Est-ce que tu peux brièvement nous raconter ton parcours et nous dire comment il a abouti à Marble Arch ?
Yann : Longue histoire… J’ai toujours fait de la musique, du piano depuis mes 6 ans. Entre 2004 et 2011, on a monté Maria False avec un pote qui m’a permis de mettre le pied à la composition et à la scène. Par la suite, j’ai eu envie de faire mes propres morceaux. Tout seul, j’ai fait quelques démos que j’ai mises sur un Bandcamp, et ça a pris tout seul. Au départ, je n’avais pas forcément en tête de monter un groupe, juste une envie de poser les choses. Mais vu l’engouement, je me suis dit ‘pourquoi pas’… A cette époque, je montais sur Paris, j’ai appelé Thomas en premier, et puis c’était l’occasion de retrouver des potes et de faire de la musique. C’était plus un hasard qu’une vraie volonté et, au fur à mesure, Marble Arch est né.
Marble Arch vient d’un attachement particulier à la culture anglo-saxonne ? Ou de la fascination d’un architecte pour le monument ?
Au départ, c’est un nom que j’avais entendu dans une chanson qui me plaisait bien. Après, ça colle bien avec l’architecture, et je trouvais que ça sonnait assez rond. Je n’ai malheureusement pas d’histoire particulière à raconter derrière ce choix, juste que ça sonnait cool (rires).
Ton deuxième album est la première publication du label Géographie. C’est quoi la petite histoire ? Est-ce le fruit d’un coup de cœur musical ou des amis qui ont toujours eu envie de travailler ensemble ?
Avant la sortie du premier album, j’avais déjà de nouvelles compositions. Je me rappelle que notre manager Nicolas Hublot (Hello Acapulco, Point Ephémère) m’avait fait part de son souhait de monter son propre label. Au moment de sortir le deuxième album, nous avons eu du mal à trouver un label malgré quelques touches en Europe. Au même moment, Nicolas et Rémi (Atelier Ciseaux) décidaient de monter Géographie. Atelier Ciseaux était un label que je suivais déjà, et vu que ça se passait très bien avec Nicolas, ça semblait assez cohérent de signer chez eux. Et puis la proximité et les affinités nées du fait qu’on répétait au Point Ephémère rendaient le fait de travailler avec eux assez évident.
C’est également lié à l’arrivé de Barthélémy Bouveret (Good Morning TV, Brace!) sur cet album, et une sorte de révolution qu’on ressent dans la composition. Est-ce que tu peux nous raconter comment ça s’est passé entre vous ?
J’avais composé le premier album tout seul dans ma chambre, d’où ce son un peu lo-fi. Je n’ai même pas le souvenir d’avoir fait un master à l’époque, pour te dire. Pour le deuxième, j’avais commencé par composer de la même manière, mais j’ai voulu y mettre un petit coup de polish par la suite, le confier à quelqu’un qui s’y connaît en mixage, et qui pourrait y mettre sa patte. Je connaissais la qualité du travail de Barthélémy donc, quitte à dépenser un peu d’argent, autant le faire bien. On partageait le même studio avec Good Morning TV, donc on se croisait souvent et, cerise sur le gâteau, c’est un mec vraiment très sympa. L’ambiance était amicale, et j’étais très content de collaborer avec lui.
Vous répétez au Point Ephémère où vous côtoyez au quotidien d’autres groupes. En quoi un tel environnement influence-t-il votre création ?
Adrien : Les murs sont très fins au Point Ephémère, donc on a toujours une oreille sur ce qui se passe à côté. Du genre ‘c’est quoi ce nouveau groupe qui répète‘. Même quand tu sors fumer une clope, tu croises beaucoup de gens. Vu qu’on est tous là à s’échanger des jacks, forcément des affinités artistiques se créent. Et puis à la fin de la répétition, quand on est un peu lessivé et qu’on a juste envie de se détendre et de boire une pinte, il y a toujours un concert sympa à aller voir. Cet environnement est une vraie source d’inspiration pour notre musique.
Justement, à l’écoute de ta musique, plusieurs noms nous viennent à l’esprit, voire certaines références. Notamment dans le titre Children of The Slump, le passage ‘Time will tear us apart‘ qui fait écho au titre du premier album The Bloom of Division, et donc à Joy Division. Est-ce que tu peux nous dire quel disque, quelle rencontre, quels groupes essentiels ont influencé ta musique ? Et comment la qualifies-tu d’ailleurs ?
Yann : On a tous des influences assez variées dans le groupe. Mes collègues parleront pour eux, mais on passe assez facilement des trucs très pop à des trucs un peu plus vénères. On a tous eu le temps de digérer tout ça, et on est aussi à un âge où on n’est plus forcément influencé par un groupe en particulier. On est tous passé par pleins de styles, et c’est aussi cela qui caractérise notre son. Ne pas essayer de faire que des copies, créer en mettant chacun sa touche. Brique par brique, ça donne une sorte de… salade niçoise de sons. Tu vas couper ce passage j’espère! (rires) C’est aussi ça qui est intéressant donc, oui, on peut citer Joy Division, des groupes anglais, américains mais je n’arrive plus exactement à définir mon son dans un style particulier. Les mecs, je ne sais pas si vous voulez rajouter quelque chose…?
Adrien : Revenons à la salade (rires.) En fait, le groupe a été étiqueté shoegaze à cause du premier album mais, comme l’a dit Yann, on a tous digéré le grunge, le krautrock… Notre musique, c’est un peu un mélange de tout ça.
Est-ce que nous avons à travers cet album ton empreinte définitive, ou te laisseras-tu tenter d’explorer d’autres univers pour tes futurs albums (s’il y’en a) ?
Yann : On ne va pas se mettre des barrières. On va sûrement essayer de faire des sons un peu plus bruts, voire utiliser moins de pédales de reverb. Il n’y a qu’à voir la machinerie de Thomas pour voir que les choses évoluent dans ce sens (rires). Le plus cool, c’est d’avoir un panel de tout ce qu’on sait faire, une sorte de pantone qui pétille. Pour le prochain album, nous souhaitons fonctionner comme un groupe : chacun amène ses chansons et on travaille tous ensemble dessus.
Vous avez choisi d’appeler ton album Children Of The Slump (enfant de la crise, ndr). Est-ce en lien avec le contexte social actuel ?
Oui, c’est le titre du dernier track de l’album. C’est une sorte de constat un peu amer sur la jeunesse qui vit avec ses rêves dans la tête. Ca résumait un peu la période dans laquelle je l’ai écrite, une sorte d’écho à l’actualité. Rien de pessimiste non plus, faut pas que ça devienne badant (rires).
Adrien : C’est essayer de vivre de sa musique quand on a plus de 21 ans, et être obligé de faire des petits boulots à côté pour vivre et manger. Travailler en tant que barman, dans une galerie ou dans les fringues pour essayer de vivre son rêve le plus longtemps possible, et retarder au maximum ce syndrome de Peter Pan.
La pochette suscite de prime abord une émotion qui est très proche de celle qui se dégage de cet album. Ce qui interpelle forcément sur votre processus de production et votre approche créative sur un album. Les textes, la musique, l’artwork…
Yann : Le texte, c’est souvent le truc que je fais au dernier moment. Je préfère faire de la musique au lieu d’écrire, bien que je souhaite m’y pencher un peu plus pour le prochain album. Sur celui-ci, ce n’était pas forcément une volonté de lier le tout, mais en écoutant l’ensemble des titres, il se dégageait une certaine ambiance. J’ai donc eu envie que cela se ressente aussi à travers la pochette, une espèce de sacralisation de l’ensemble. J’ai mis du temps à la faire, et quand j’ai trouvé la photo après plusieurs allers-retours, ça collait parfaitement. Il n’y avait rien à changer entre les teintes, le message caché derrière quelque chose de cassé et joli à la fois… C’était assez cohérent. Mais pour le prochain on verra. Pourquoi pas tout déconstruire, faire l’inverse : la pochette en premier, et l’écriture par la suite. Rien n’est figé !
Quand j’écoute le titre Your Song, je ne peux m’empêcher de fermer les yeux sur ce riff… Il est destiné à une personne en particulier je suppose…
C’est bien vu. En fait j’ai eu envie de faire un petit clin d’œil à… ma meuf (rires). Elton John qui a écrit Your Song, je trouvais ça stylé. Je l’avais écrite aussi à une époque où je flirtais et puis… je rougis (rires).
Adrien, Thomas, je m’adresse à vous maintenant. Marble Arch est présenté comme le projet personnel de Yann. Mais sur scène, vous êtes un groupe. Comment vous êtes-vous rencontrés, et est-ce que vous intervenez aussi en studio ?
Adrien : J’ai rencontré Thomas et Yann alors qu’ils cherchaient un nouveau guitariste. Je suis arrivé à la rescousse bien que je connaissais déjà un peu le groupe. Lorsqu’il faut mettre à plat les morceaux pour les jouer en live, tu as toujours ta patte perso qui rentre en jeu. Et c’est bien car ce n’est pas cinq fois la même personne qui joue sur scène, mais cinq personnalités avec des univers différents. Par exemple, notre ancien batteur, Dany que j’adore, a enregistré toutes les percussions car Yann voulait un son de batterie un peu plus live. Pour le troisième album, on souhaite vraiment composer tous ensemble. Thomas tu veux rajouter quelque chose?
Thomas : Non, il y’a rien à rajouter, tout a été bien dit.
Yann : Merci Thomas, Thomas boit sa bière voilà (rires).
Vous avez pas mal tourné depuis la sortie de l’album. Comment s’opère la transition du studio à la scène ?
Thomas : Forcément, ça sonne différemment parce que Yann a composé et écrit les deux premiers albums à sa façon. Notre plus-value est de réarranger les morceaux afin de les rendre plus vivants dans un contexte live. On est chanceux d’avoir une bonne symbiose au sein du groupe, on échange beaucoup, et Yann est très ouvert sur ce sujet. C’est bien d’avoir deux lectures : une lorsqu’on écoute l’album chez soi, posé dans son canapé, et une autre un peu éméché, dans une fosse avec une pinte dans la main. On n’est pas du tout attentif à la même chose selon le contexte et nous sommes tous assez conscients de cela. Pour nous, c’est aussi important d’aborder la musique de Marble Arch à travers ces deux prismes.
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