Mandy, Indiana, tu l’aimes ou tu le quittes

Mandy, Indiana, tu l’aimes ou tu le quittes

Auréolé d’un tonnerre de louanges, le premier album de Mandy, IndianaI’ve Seen a Way – repose en partie sur les épaules de Valentine Caulfield, française exilée durant dix ans à Manchester où elle a fait ses classes musicales avant de rencontrer son acolyte Scott Fair. Au bout de quelques répétitions, le groupe se mue en entité underground à cheval entre club et cave, kicks techno et riffs bruitistes, tous fédérés par la voix et les textes francophones engagés de Valentine. Bientôt lancée sur les routes d’une tournée étalée entre Etats Unis, Royaume-Uni et Europe, c’est elle qui a pris le temps de répondre à nos questions et de revenir sur son parcours, ses années anglaises, comme son rapport à la langue et à l’écriture. 

Tu es à Manchester en ce moment ? 

Valentine Caulfield : Non, je suis chez mes parents en Bretagne. Je suis en transit en ce moment car je m’installe à Berlin au début du mois d’août. Manchester a vraiment empiré ces deux dernières années, je trouve. J’y suis resté presque dix ans. C’était vraiment sympa quand je m’y suis installée mais, sur la fin, ça ne valait plus vraiment le coup. Le gaz et l’électricité y ont beaucoup augmenté, et il n’y a aucune aide du gouvernement britannique. Depuis deux ans, ma facture a pratiquement triplé. Quand le Brexit est entré en vigueur, il n’y avait plus rien dans les supermarchés et encore aujourd’hui, niveau approvisionnement, tu ne trouves plus autant qu’avant. Les services publics ne marchent pas, il y a des bus de merde, un tram qui ne roule pas… Ça n’en vaut plus la peine quoi !

Pourquoi ce choix de Berlin ? 

Je me tâtais déjà l’an dernier. J’ai pas mal d’amis qui s’y sont installés depuis quelques années. C’est une ville que j’ai toujours beaucoup aimé. La vie y est abordable, il y a de grands parcs, plein de choses à faire… J’avais aussi envie de rentrer en Europe, mais pas à Paris parce que c’est trop cher. Mes parents n’y sont plus depuis qu’ils sont à la retraite. Il y a toujours ma soeur et ma grand-mère, mais je n’y ai plus vraiment les mêmes cercles sociaux que lorsque j’en suis partie.

À l’origine, tu es partie à Manchester pour tes études ? 

J’ai fait une année d’Erasmus, et j’avais choisi Manchester pour la musique. La ville avait la réputation d’être très active à ce niveau-là. Avant, quand tu te baladais dans le centre, tu avais au moins trois ou quatre concerts et tu payais 3 ou 4 balles. Maintenant, il y a encore des trucs sympas, mais c’est moins fréquent parce que les petites salles ont moins de moyens. Du coup, c’est plus difficile, même quand tu débutes. Il y a deux ans, il y avait un immeuble dans le centre de Manchester, avec des salles de répétition, loué par des musiciens. Finalement, ça a été vendu. J’avais essayé d’écrire un article à ce sujet à l’époque, mais c’était impossible de savoir qui possédait ce truc. Ce sont certainement des promoteurs qui l’ont acheté, comme plein d’autres trucs là-bas. Ça construit partout, des petites tours avec des petits apparts dégueulasses qui vont couter une blinde, pour essayer d’y faire dormir un maximum de personnes. Donc si tu veux louer une salle pour répéter à Manchester, tu as plus qu’un ou deux endroits, où tu es obligé de louer à l’heure.

Comment as-tu rencontré Scott, l’autre membre fondateur du groupe ? 

Scott et moi étions tous les deux dans des formations différentes. Un soir, nous avons joué au même endroit, en première partie d’un groupe. On s’est rencontré comme ça. J’ai aimé son groupe, il a aimé le mien, puis les deux projets se sont arrêtés. Vu qu’on avait gardé contact, on s’est dit qu’on pouvait repartir ensemble sur autre chose.

En termes d’influences, comment vois-tu ton évolution en Angleterre alors que tu étais à cheval entre les cultures française et anglaise ?

À l’origine, j’étais plus influencée par la musique britannique. J’ai grandi avec les Sex Pistols, les Clash, après il y a eu Florence and the Machine, les Libertines. On ne va pas se mentir, il y a eu une époque bénie de la musique anglaise et moi, je venais de là. Ma culture musicale française, c’était surtout mes années de conservatoire. J’ai commencé vraiment gamine, je devais avoir six ans. Je viens de la musique classique, j’étais dans un chœur de quartier, j’ai continué au conservatoire de Paris en horaires aménagés durant toute mes années collège. J’ai arrêté quand j’ai découvert le punk (rires). J’ai fait ma crise d’adolescence à 13 ans, quand j’ai décidé que j’en avais marre de la musique classique. Mes goûts musicaux ont beaucoup évolué et évoluent toujours. J’apprécie beaucoup de genres musicaux différents. Les premières années en Angleterre, je suis revenue aux sources, j’écoutais beaucoup les Beatles, Oasis aussi alors que maintenant je crois que je préférerais me crever un oeil. J’ai découvert la musique électronique au moment où j’étais avec mon ancien groupe, puis je me suis familiarisée à la techno en allant à Berlin.

Ce qui est intéressant quand on écoute l’album, c’est que vous avez un son très malléable entre rock et musique électronique. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que certains de vos morceaux ont été remixés : ils s’y prêtent. Il y a un côté dansant et frontal dans votre musique, comme peut l’être la techno, du coup ça ne me choquerait pas de vous voir jouer en club… 

Oui, tout à fait, je pense qu’on a une familiarité avec le dancefloor. On nous a parfois accusés d’aborder des sujets un peu lourds, mais l’idée c’est aussi la catharsis par la danse. On utilise ce genre de rythme et de sonorités qui viennent de là, pour essayer aussi d’exorciser nos démons. C’est notre manière d’aborder la musique.

Est-ce que tu te rappelles le moment où tu as décidé de chanter en français ? Enfin, tu ne chantes pas : tu scandes, tu récites, tu joues beaucoup avec ça… Comment s’est opéré ce choix ? Avais-tu essayé en anglais auparavant ?

Quand j’ai rencontré Scott, j’avais écrit une chanson en français. À l’époque, je chantais en anglais mais ce morceau l’avait vraiment marqué. Du coup, dès le début, on s’est dit que c’était intéressant pour moi de chanter en français alors que l’anglais était devenu ma langue principale. Quand je me parle toute seule, c’est en anglais, même chose quand je m’adresse à mon chat. Le français n’est plus la langue qui me vient naturellement. En termes d’écriture, c’est donc une approche différente : je me retrouve à faire des recherches sur Google pour vérifier que certains termes se disent, mais c’est une démarche intéressante parce que la plupart de notre public n’est pas francophone et ton expérience de la musique est toute autre quand tu ne sais pas ce que les gens te racontent. Ça me rappelle beaucoup quand j’écoutais de la musique anglaise et américaine à la radio.Tu as une recherche supplémentaire à faire si tu veux savoir de quoi ça parle et, d’un point de vue personnel, l’écriture est intéressante parce ça m’a fait revenir à ma langue maternelle, ça m’a permis d’aborder le langage autrement qu’auparavant.

Et cette manière que tu as de dire tes textes, c’est quelque chose qui s’est imposé dès vos débuts ? Comment est-ce que vous composez par rapport à ça ?

Généralement, Scott fait une démo, il me l’envoie, et on en discute. À la base, je chantais plus, mais quand on a commencé à affiner notre son et ce qu’on voulait vraiment faire, on s’est rendu compte que ce qui marchait le mieux, c’était ça. Ça donnait une sonorité plus intéressante. Il y a quand même deux morceaux sur l’album sur lesquels je chante. Je ne suis pas contre, au contraire puisque c’est ma formation à la base, mais ça s’est fait naturellement. Chanter ne convient tout simplement pas à certains morceaux, donc on fait donc au cas par cas.

Ça s’est donc imposé à vous, mais quand on écoute l’album, il est parfois difficile de comprendre ce que tu dis, notamment en raison des effets. Du coup, je me dis que tu es par moments plus intéressée par la manière dont ça sonne que par le fond des paroles. 

Tout à fait, et c’est ça qui est intéressant dans le fait d’avoir des gens autour de toi qui ne comprennent pas ce que tu racontes. Ce qu’ils essayent de mettre en valeur dans la voix, ce sont ses sonorités. Ça influence beaucoup la manière dont j’écris. Selon ce que j’essaye de transmettre, je me sers beaucoup d’allitérations, de consonnes assez percussives. Je pense que j’utilise plus les sonorités que le sens des mots pour essayer de transmettre les émotions du morceau. Mais effectivement, on considère la voix comme un des éléments de la musique. Ce n’est pas le groupe et la voix, c’est un ensemble. Souvent, elle n’est pas mise en avant comme elle le serait sur un morceau pop. Je suis juste un instrument de plus.

Tu dis que tu aimes être parmi les spectateurs en live, dans un esprit de confrontation. Du coup, comment ça se passe devant un public français, qui te comprend ? Les retours sont-ils différents ?

Nous jouons un style de musique qui est plus difficile à vendre en France, je pense, même si on a quand même pas mal de gens qui nous aiment bien, qui nous envoient des messages et qui nous demandent de venir jouer. Mais c’est là où le public a été le plus partagé : des gens ont vraiment aimé, d’autres ont trouvé que c’était de la merde. À vrai dire, je ne m’attendais pas à ce que l’album soit aussi bien reçu et, bizarrement, la seule mauvaise critique qu’on a eu est venue de France. Ça me dépasse un petit peu. Le mec disait que ‘quiconque parle français se rendra compte que les textes sont à chier’ alors qu’on a sorti aussi le disque en Belgique et au Canada. Ce n’est pas grave, on ne peut pas plaire à tout le monde, mais c’est assez typique de l’ouverture d’esprit à la française. Ça m’étonne assez moyennement. Cette musique, tu la comprends ou non, et cette personne a eu une réaction assez violente. Ce sera peut être différent en France, devant un public qui viendra nous voir, que dans un festival où des gens sont venus sans savoir ce qu’ils allaient voir. Quand on joue dans d’autres pays, ça arrive qu’il y ait des français qui viennent me dire que c’était cool. Il y a un public dans l’hexagone, mais il sera moins « universel » qu’ailleurs. Une fois de plus, ça fait dix ans que je suis partie de France, et il y a une raison. 

Comme tu le dis, les critiques sont généralement très positives, quasi unanimes, pour ce premier album. Ça vous met la pression ? Comment vivez-vous cette réception ? 

J’ai été la plus surprise, d’autant que ce n’est pas un genre de musique accessible à tous. On essaye de provoquer une réaction. Peu importe qu’elle soit positive ou négative, je préfère qu’elle soit violente. Je me suis réveillée à la sortie de l’album et on était élus meilleure nouvelle musique sur Pitchfork ! C’est quoi ce bordel ?! Après, je ne sais pas s’il y a nécessairement une pression par rapport à ça. On va aux Etats Unis au mois de décembre, au Royaume Uni en octobre/novembre, en Europe en début d’année prochaine… Tout ça nous donne une meilleure visibilité pour continuer à faire des concerts, là où communique vraiment avec notre public. On a fait l’album qu’on avait envie de faire et il résonne chez les gens. Je suis donc contente que ça nous offre plus d’opportunités pour continuer à faire ce qu’on aime.

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