Luis Francesco Arena, quand le destin tient à ses six cordes

Luis Francesco Arena, quand le destin tient à ses six cordes

On avait laissé Luis Francesco Arena sur les cendres de l’excellent Stars and Stones sorti en 2013. Pourtant, après cinq albums d’une pop classieuse, le rideau fut tiré. Clap de fin. Il aura alors fallu attendre que se termine son évasion au sein du projet RubiCan et qu’il prenne un peu de distance avec les escapades de Francky Goes to Pointe à Pitre pour que Pierre-Louis s’associe à Nicolas Ceuille (Room 204, Seal of Quality, Pyjamarama) afin de ranimer le défunt et enregistrer High Five, un nouvel album placé sous le signe de la résurrection. Entretien avec le principal intéressé pour tout savoir de ce retour inattendu.

Headcases, Luis Francesco Arena, Friskies, Pegazio, RubiCan, Francky Goes To Pointe à Pitre, sans compter tes collaborations avec Le Prince Miiaou et Julien Pras (Calc)… Du haut de ses vingt ans, ta carrière musicale est impressionnante. Que t’inspire cette longévité ? 

Pierre Louis François : Figure toi qu’il y a vingt ans jour pour jour, nous enregistrions le premier EP de Headcases ! Tous ces groupes ont été de chouettes aventures, tous en lien et en réaction les uns aux autres. Ça fait un sacré paquet de bons souvenirs tout ça ! Enfant, je rêvais d’être musicien, j’espérais que – une fois adulte – je puisse vivre de la musique sans pour autant devenir une rock star. Juste pouvoir en faire tout le temps… Par chance, obstination et témérité, et à 37 ans aujourd’hui, la musique reste ma principale activité. J’ai parfois douté mais je n’ai jamais lâché ce rêve de gosse.

La fibre est-elle toujours intacte ou est-ce que ton regard a évolué avec le temps ?

L’envie de créer est toujours intacte mais, avec les années, il est de plus en plus difficile de se surprendre. Ça demande beaucoup de travail et une remise en question permanente. Il faut provoquer les accidents, casser les habitudes en se mettant en danger de temps en temps.

Te cantonner à une seule forme musicale n’a pas l’air de te suffire. Ces grands écarts de styles sont importants pour toi ?

Je ne me pose pas vraiment la question en ces termes là. Si tu veux parler de Francky Goes To Pointe-Pitre, l’idée de départ était vraiment de jouer une musique que l’on ne connaissait pas, tout en la mêlant à notre culture rock au sens large. J’ai toujours trouvé qu’il était plutôt sain d’avoir plusieurs groupes. Chaque formation est une bulle d’air pour les autres, et je pense que c’est une bonne manière de garder l’inspiration ainsi qu’une certaine fraîcheur. Le fait de jouer avec des musiciens différents est aussi très stimulant.

Tu nous quittais en 2013 avec Stars and Stones, un album unanimement salué, orné d’un dernier titre – Containers – qui esquissait un virage dans ta musique. Puis, finalement, tu as choisi de brouiller les pistes et de ranger le costume LFA pour réapparaître avec RubiCan, un one man band où tu as tenté l’expérience des synthés et du chant en français. Peux-tu nous parler de ton choix de creuser ce sillon à l’époque ?

Après Stars and Stones, il m’est devenu impossible d’écrire une chanson intéressante avec une guitare acoustique ou même une guitare électrique. La guitare est devenue pour moi un instrument d’arrangement, ou un instrument lead comme on peut l’utiliser dans FGTPAP. J’ai eu de plus en plus de mal à l’utiliser pour accompagner un chant. A l’époque, j’ai commencé à expérimenter avec l’ordinateur et ça a donné RubiCan. L’ordinateur m’a donné accès à une nouvelle façon de composer que j’ai trouvé hyper excitante, et j’ai eu le sentiment de retrouver l’inspiration à ce moment là. Quant au chant en français, ça me trottait dans la tête depuis un bon moment. J’aimais assez l’idée de pouvoir m’adresser directement à un auditoire dans ma langue maternelle. Au final, ma façon d’écrire en français est assez similaire à ce que j’écris en anglais. Je m’y remettrais peut être mais, pour le nouveau LFA, tous les textes me sont venus instinctivement en anglais. Je pense que les morceaux s’y prêtaient complètement.

Était-ce une expérience heureuse ou malheureuse dans la complexité de ce que tu voulais défendre ?

RubiCan a été une expérience super excitante en studio. J’ai vraiment créé ces morceaux sans me soucier de la façon dont j’allais les retranscrire en live. C’est là que les choses se sont quelque peu compliquées. Pour des raisons pratiques, j’ai voulu jouer ce projet tout seul sur scène, ce qui a été un travail plutôt laborieux à base de boucles, de séquences, armé d’un dispositif assez lourd qui m’a demandé une bonne dizaine de dates avant d’être maîtrisé. C’était assez grisant d’y arriver au final, mais je me suis un peu perdu dans l’aspect technique, et j’ai eu du mal à habiter les morceaux sur scène. Au final, beaucoup de stress pour un rendu pas toujours convaincant… Si je recompose pour RubiCan, je le ferai certainement différemment.

Du coup, qu’est-ce qui t’a motivé à ressusciter Luis Francesco Arena après ces cinq années de silence ? Un coup de tête ou une longue réflexion ?

Je n’avais absolument pas l’intention de ranimer Luis Francesco Arena, c’est arrivé complètement par hasard. Après Stars and Stones, comme je te le disais juste avant, je n’ai plus réussi à écrire de chanson intéressante avec une guitare acoustique ou électrique, j’ai eu le sentiment d’être arrivé au bout du projet, tout bêtement. C’est grâce à la basse VI que je me suis remis à composer de nouveau avec un instrument ‘traditionnel’, de façon très fluide et viscérale comme ça a été le cas pour mes précédents disques. Je sentais que j’habitais corps et âme ces nouveaux morceaux, ce qui ne m’était plus arrivé depuis des années. Je me suis dit que ces chansons pouvaient constituer un nouvel album de Luis Francesco Arena. Ca s’est alors fait rapidement et simplement. Une sorte d’accident heureux qui ne se serait sûrement pas produit si je n’étais pas tombé sur ce nouvel instrument.

Te voilà donc de retour avec High Five, un nouvel album placé sous le signe d’un renouveau instrumental avec cette fameuse basse VI dont tu parlais à l’instant. Comment es-tu tombé en amour pour cet instrument, et de quelle manière a-t-il influencé tes nouvelles compositions ?

J’ai découvert la basse VI complètement par hasard, dans le studio de Damien Tillaut pendant la session de mastering du second album de FGTPAP. Je l’ai décrochée du mur, elle me semblait plutôt moche, pourtant ça a été une révélation instantanée. J’ai tout de suite senti le potentiel que je pouvais en tirer. J’en ai donc acquis une de seconde main, et c’est de là que tout est (re)parti. C’en était presque troublant. Chaque matin, je me demandais si je n’avais pas rêvé de toutes ces chansons… J’ai mis tant de temps à retrouver l’inspiration pour ce projet que cela me paraissait dingue… D’ailleurs, il n’y a aucune guitare sur le nouvel album, tout est enregistré avec la basse VI. Ceci dit j’adore jouer de la guitare, beaucoup plus d’ailleurs qu’à l’époque où je m’en servais pour composer des chansons. C’est juste devenu un rapport différent.

As-tu composé durant ces cinq dernières années, ou est-ce que les titres ont vu le jour dans un temps resserré, histoire de faire davantage confiance au côté instinctif ?

Je dirais que tous les morceaux sont nés dans un intervalle de huit mois. On a directement enchaîné avec l’enregistrement de l’album. Il y a eu pas mal d’instinct dans cette histoire, c’est sûr !

Est-ce que l’expérience Francky Goes To Pointe à Pitre a aussi influencé ce nouveau visage de Luis Francesco Arena ?

FGTPAP est le groupe avec lequel je tourne le plus désormais, donc j’imagine qu’il doit forcément déteindre quelque part sur Luis Francesco Arena. Je pense qu’on peut en sentir l’influence sur un morceau comme A Picture of You par exemple. Plus généralement, le fait de jouer beaucoup de musique instrumentale depuis quelques années a aussi pu influencer mon écriture, qui est peut-être un peu plus vivante qu’auparavant.

Luis Francesco Arena a toujours été un projet à géométrie variable, en solo ou en compagnie de musiciens. Cette fois, c’est Nicolas Cueille (Seal Of Quality, Room 204…) qui t’accompagne. Comment est née cette rencontre et cette envie de travailler ensemble ?

Ça fait longtemps que je croise Nicolas, depuis son groupe Alaska Pipeline je crois. On a beaucoup d’influences en commun, c’est quelqu’un que j’admire beaucoup d’un point de vue musical et humain. Il s’est installé sur Tours il y a deux ans à peu près. On a commencé par improviser des trucs tous les deux dans ma cave, puis lorsque les morceaux me sont venus, je lui ai tout de suite proposé qu’on les arrange et qu’on les joue ensemble. Je suis extrêmement content du résultat, c’est une chouette collaboration. On avance vite tous les deux, le fait d’habiter la même ville facilite beaucoup les choses.

A-t-il été force de proposition pendant la conception du disque ?

Oui bien sûr, ce serait quand même dommage de jouer avec quelqu’un d’aussi talentueux sans le mettre à contribution ! Il a une super écoute et il sait parfaitement se mettre au service des morceaux. On se concerte beaucoup, mais il est à l’origine de toutes les parties batteries et synthétiseurs que vous pouvez entendre sur le disque.

Les sonorités de High Five sont différentes de tes précédents disques, mais le fond de ton propos reste intact. On y reconnait bien sûr immédiatement ta voix et ta patte mélodique en quête d’élévation, toutes deux accentuées par un côté plus rock dans l’approche musicale. Tu avais besoin de quitter ta folk originelle, de transformer les reliefs de ta musique ?

Je suis ravi et flatté que tu trouves une cohérence entre tous ces disques, ça me rassure ! Je suis très fier de ce nouvel album, il représente de façon honnête et sincère ce qu’est ma musique aujourd’hui, plus sobre et moins lyrique. Avec le temps, j’ai eu besoin d’un nouveau médium qui bouleverse mes habitudes pour composer quelque chose de nouveau et avoir le sentiment d’avancer. Il se trouve que maintenant ça ne passe plus par la guitare acoustique. Ça reviendra peut-être, mais ça ne me manque pas plus que ça. La dynamique est assez large sur ce disque, certains morceaux sont assez rock et d’autres beaucoup plus planants, c’est un album un peu plus radical de ce point de vue là.

Et le choix de son titre, c’est un pied de nez, une dérision pour nous dire que Luis Francesco Arena n’était finalement pas mort mais juste en sommeil ?

Il s’agit de mon cinquième album, c’est donc en partie un jeu de mot. J’aime aussi la légèreté que ce titre implique : il est positif et il célèbre en quelque sorte ce retour à la scène.

Pour l’enregistrement, tu es retourné auprès de Benjamin Mandeau avec qui tu as déjà collaboré sur tes précédents albums. Est-ce un choix d’amitié, un choix artistique ou bien était-ce juste confortable de rester fidèle à un producteur de longue date ?

L’argument premier, c’est que Benjamin est un des meilleurs ingénieurs du son de studio que je connaisse… De surcroît, c’est un très bon ami, et j’apprécie vraiment de bosser avec lui en studio. Il travaille très vite, on se comprend parfaitement, j’avais hâte d’avoir son regard sur ces nouveaux morceaux.

A-t-il apporté sa patte au niveau des arrangements de High Five, tout comme il l’avait fait dans le passé et plus particulièrement pour Containers ?

Je dirais que, cette fois, il nous a apporté sa connaissance pointue de son studio pour nous guider rapidement où on voulait aller. C’est un album très live, sans fioriture, il n’y a quasiment aucun overdub. Sur scène, on peut jouer le disque à deux, comme tu l’entends, sans avoir recours à des loopers ou des séquences.

Quel regard portes-tu sur les anciens albums de Luis Francesco Arena aujourd’hui ?

Ces albums forment une sorte de journal de bord, je les assume tous même si je ne me reconnais plus dans certaines chansons, ce qui est normal au bout de 15 ans. Stars and Stones, par exemple, me met un peu mal à l’aise parce qu’il me rappelle des périodes trop sombres.
Le premier album est très naïf, truffé de maladresses, j’avais 20 ans quand j’ai composé ces morceaux et j’ai un peu de mal à supporter ma voix sur ce disque, mais d’un autre côté je le trouve touchant. Malgré tout, il représente assez bien ce que j’avais dans la tête à cette époque.
Il s’est passé six années depuis Stars and Stones, je suis devenu quelqu’un d’assez différent. Je suis père de deux enfants et j’ai maintenant l’impression de prendre la vie avec un peu plus de légèreté et de dérision. Les angoisses persistent mais se déplacent ailleurs que sur ma propre personne. J’aime à penser que ce nouvel album reflète ce changement.

Tu écoutes quoi en ce moment ?

Cette année, j’ai beaucoup écouté l’album Currents Constellations de Nels Cline Four. Je suis vraiment fan de ce guitariste. Sinon, je dirais le dernier album de Son lux, et peut-être le dernier disque de Suuns.

A quoi vont ressembler tes prochains mois ?

On va défendre High Five le plus possible sur la route, puis continuer à composer en vue d’un prochain album. On a déjà quelques nouveaux morceaux figure-toi ! Avec FGTPAP, on va être encore beaucoup sur la route cette année, puis on va aussi tâcher de composer un nouvel album. J’aimerais aussi développer un projet de guitare improvisée en live, en collaborant avec des artistes pratiquant d’autres disciplines comme la vidéo ou l’art plastique. Il faut que je trouve le temps de m’y consacrer.


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