Louis Jucker, l’éclat sublime des chansons foireuses

Louis Jucker, l’éclat sublime des chansons foireuses

Louis Jucker est un drôle de type. Derrière un visage malin partiellement caché par une pilosité folle, il peut s’emballer sur une de vos questions puis marquer un profond et long silence – pendant lequel ses yeux semblent traversés de toutes sortes d’éclairs – avant de repartir à toute blinde en dispensant çà et là des commentaires alternant l’absurde à la Van Damme et une réflexion toute personnelle sur la création au sens large.
Hyper-actif auteur de cinq disques avec cinq collaborateurs différents en moins de quatre ans (l’Altro Mondo dont on vous parlait ici), il présentait à Paris le 15 avril dernier l’un de ses derniers projets, Autisti, monté avec la chanteuse folk Emilie Zoé et directement branché sur le courant alternatif des groupes indies US des années 90 (Guided By Voices, Dinosaur Jr, Sparklehorse en gros). Leur set à l’Espace B a d’ailleurs vite pris les airs d’un grand shoot de teen spirit conclu par un long jam où le public s’est retrouvé un peu par surprise partie prenante.
On a retrouvé Louis Jucker quelques jours plus tard près du Centre Culturel Suisse où il présentait cette fois-ci un autre de ses projets, Gravels, en compagnie du musicien Charlie Bernath. Pas facile à suivre, mais on a quand même pu s’asseoir 30 minutes avec lui pour discuter de tous ces projets, de son inspiration lo-fi et de la scène suisse dont il fait partie.

Tu fais principalement de la musique – et de manière très active – tu participes aussi à des performances, des installations plastiques… Est-ce que tu peux m’en dire plus sur ton parcours artistique ?

Louis Jucker : J’ai commencé la musique enfant. Mes parents m’avaient inscrit au conservatoire alors j’y allais après l’école. J’apprenais le solfège… Et puis au lycée j’ai rejoint une école de jazz en Allemagne. Mais étudier la musique, c’est un truc horrible. Ce n’est pas du tout quelque chose que je voulais maîtriser.

De quel instrument as-tu appris à jouer pendant ces années de formation ‘classique’ ?

D’abord du violoncelle et puis après de la basse. Finalement, je ne suis ni un autodidacte, ni un musicien professionnel. Je me suis inscrit en école d’architecture après le lycée. C’est le seul diplôme professionnel que j’ai aujourd’hui.

A présent, la musique occupe l’essentiel de ta vie…

Depuis une dizaine d’années, oui. Mais même lorsque j’étais étudiant, je faisais des pauses pour continuer mon activité musicale et partir en tournée. La musique, c’est plein de formes différentes pour moi : des installations, du studio, des collaborations, des créations pour le théâtre… C’est un super laboratoire.

Il y a toujours une empreinte lo-fi qui vient caractériser tes enregistrements. Tu présenterais ça comme une faute de mieux ou comme un choix parfaitement assumé ?

Je veux avoir dans les mains quelque chose que je suis capable de comprendre. Et puis j’ai besoin d’un matériel qui puisse tenir dans une valise parce que j’enregistre toujours à plusieurs endroits : une semaine par-ci, une semaine par-là… J’aime bien faire ça moi-même. Ça me permet d’être au plus près de ce que je veux. Tu vois les grandes toiles de maître dans les musées, comme Le Radeau de la Méduse ? C’est toujours exposé de la même façon. Tu as d’abord les esquisses et enfin le tableau final que tout le monde vient voir. Mais ce grand machin, il est super chiant en fait ! Moi ce que je préfère, ce sont les esquisses. Elles sont plus vivantes, elles ont plus de caractère. Les choses capturées sur l’instant m’intéressent plus. Après, le son brut donne l’impression qu’il n’est pas retouché alors qu’il est lui aussi complètement bidouillé. Enregistrer le disque d’Autisti, par exemple, a été un bordel sans nom ! On a eu des galères pas possible avec les enregistreurs. Au final, on a dû tout exporter, repasser et réenregistrer sur bande. Donc même si on fait du lo-fi, on se prend la tête à fond ! Ce sont des processus qui sont complètement aux fraises.

Tu en écoutes aussi beaucoup de la musique lo-fi ?

Je fais de la musique sincère et directe. C’est là où elle se passe pour moi. Maintenant, j’aime bien Phil Spector. Je trouve ça chouette la façon qu’il avait de se la péter en studio en rajoutant plein d’effets. Pareil pour les arrangements de cordes chez T. Rex avec des kilomètres d’overdubs. Ça ne me dérange pas. C’est juste que pour le moment, je n’ai pas vraiment les moyens ni le temps de faire des trucs comme ça. L’Altro Mondo, c’est quatre ans de travail pour seulement quatre semaines de studio si on combine tout.

Comment t’a pris l’envie d’enregistrer ces cinq disques dans la foulée ?

Ça s’est fait au fur-et-à-mesure en fonction des opportunités. Là, je commençais à avoir trop de musique en stock pour que ce soit crédible de la sortir sur un seul album. Je voulais que la forme s’adapte aux différents genres de musique joués et aux lieux de représentation auxquels ils se prêtent. Par exemple, avec Autisti, on s’est produit à l’Espace B pour un cachet payé vite fait sur un coin de table et qui remboursait à peine nos frais de déplacement. Alors que pour présenter le disque de Gravels, on a passé trois jours en résidence au Centre Culturel Suisse. Je n’ai pas de préférence pour l’un ou l’autre, j’aime les deux en vérité. Mais il fallait se creuser la tête pour réunir tout ça.

En te voyant avec Autisti sur scène à l’Espace B, j’ai senti quelque chose d’hyper adolescent dans votre démarche. Comme si vous étiez seuls dans votre chambre à faire du air-guitar par-dessus des titres de Nirvana balancés à fond sur la mini chaine stéréo familiale. Mais ne le prend pas mal, c’est plutôt un compliment !

Déjà, on était super excités à l’idée de jouer nos morceaux sur scène. Et puis la musique d’Autisti est faite pour ça, pour trouver la corde qui te fait vibrer, celle qui te rend un peu débile. Je dirais qu’on a une démarche assez naïve – même s’il faut faire attention avec ce mot – et qui tient dans le plaisir simple de jouer ces accords-là. Je ne sais pas en quoi croient les gens aujourd’hui, ni avec quoi ils se shootent. Mais moi, mon shoot, c’est de faire de la musique et de la partager avec eux.

Au-delà de faire la musique, c’est de la présenter aux autres qui te stimule le plus ?

On ne sait pas ce que pensent les écureuils quand ils voient un concert, ils s’en foutent certainement ! Mais pour nous, c’est un truc de dingue à partager ! Ça te met vite dans état… disons hébété ! T’ouvres les vannes et tu vis à fond.

Au fait, c’était un acte prémédité de filer la moitié de vos instruments au public à la fin de votre concert à l’Espace B ?

Quand j’ai récupéré ma guitare, elle était couverte de sang ! Je me suis dit ‘Mais c’est pas à moi ça‘ ! Le gars qui l’avait a dû se défoncer les mains en grattant les cordes. Bon, sinon, pour ce qui est du démontage de la batterie, on l’avait fait à Lille le jour d’avant et là ça s’est reproduit. Mais ce n’est pas quelque chose qu’on fait à chaque concert. Il n’y a aucune démarche particulière derrière. Pour moi, le public est de toute façon déjà inclu dans les concerts. Je parle avec lui, je lui demande si ça va. Je trouve ça important pour voir si la musique est bien arrivée et si elle revient. Ce serait facile d’avoir un pied sur le retour avec des lumières en mode ‘silhouettes’… D’être dans une sorte de posture. Je préfère quand la lumière tombe directement sur le public.

Vous prévoyez beaucoup de concerts avec Autisti ?

Oui, ça a bien répondu du côté des organisateurs. Il y a notamment quelques festivals en Suisse qui veulent nous ajouter à leur programmation.

C’est peut-être dû à un manque de curiosité général, mais on entend assez peu parler de la scène musicale suisse en France. Comment tu la vois toi ?

Tu connais Disco Doom ? Faï Baba ? J&L Defer ? Peter Kernel ? Great Black Water ? Ce sont tous des groupes terribles ! Mais tu en as forcément, comme partout. Le problème de la Suisse, c’est qu’il y a une méga capacité de production mais aucune qualité de diffusion. Pas de gros labels, pas de réseau solide, pas d’artiste fédérateur pour ouvrir la voie aux autres… Les seuls artistes suisses qui s’exportent à l’étranger – sans être des grosses schlagues bonnes pour l’Eurovision – c’est Sophie Hunger ou Stéphane Eicher. On n’a pas de Fugazi nous en Suisse ! Et puis c’est un tout petit pays relativement isolé. Rien que pour s’exporter entre les différentes régions linguistiques, c’est un bordel sans nom. Pour moi, c’était plus facile de diffuser Autisti en France qu’en Suisse allemande…

En écoutant Autisti, on pense instinctivement à Dinosaur Jr et tous ces groupes indés au son crado des années 90…

[Il coupe] Dinosaur Jr c’est un groupe rigolo. Ils sont à chier !

Tu les a déjà vus sur scène ?

Ouais ! Et ils sont nuls ! J Mascis, c’est un peu le Gaston Lagaffe de la guitare électrique. Mais c’est ce qui le rend si inspirant justement.

Pendant votre concert, tu as expliqué qu’un de tes morceaux évoquait ces moments où tu t’acharnes à faire quelque chose pour finalement t’apercevoir que le résultat est à côté de la plaque. En tant qu’artiste, tu as souvent cette impression ?

C’est une affaire de lâcher prise. Quand tu fais plein d’esquisses, tu sais qu’elles ont des défauts mais c’est aussi pour ça que tu les aimes et que tu as envie de t’y remettre. Alors que si tu veux faire un truc parfait de A à Z, tu vas dépenser une énergie folle. Et qu’est-ce qui se passera quand tu auras terminé ? Rien. Si tu as le sentiment de faire quelque chose de foireux, c’est bon signe. Avec le recul, je trouve que mes meilleures chansons – sans dire qu’elles sont incroyables, hein – ce sont celles qui ne me satisfont pas sur le moment. Je ne suis pas trop sûr de ce que je fais en les présentant aux gens. Mais je le fais quand même parce qu’au fond ça me plaît bien sans vraiment comprendre pourquoi.

Plus d’infos sur l’Altro Mondo ici

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