
10 Nov 23 Lol Tolhurst x Budgie x Jacknife Lee, créature tentaculaire
Son nom ne vous dit peut-être rien, et pourtant : Budgie, de son vrai nom Peter Edward Clarke, est un des batteurs les plus influents de la scène post-punk originelle, notamment pour avoir accompagné la trajectoire de la reine gothique Siouxsie Sioux (avec The Banshees et The Creatures) ou celles de John Cale, Peaches, Cocorosie ou John Grant. Accompagné aujourd’hui de deux acolytes prestigieux (Lol Tolhurst de The Cure et le producteur et musicien irlandais Jacknife Lee), il publie cet automne Los Angeles, un disque à la fois sombre et hédoniste où se bousculent les collaborations de James Murphy, Bobby Gillespie, The Edge ou encore Arrow de Wilde. Niché dans le Sud Ouest de la France, il nous livre les réflexions qui ont mené à la création de ce disque aux voix pluriels et avant tout motivé par la volonté d’en découdre avec l’image de simple exécutant qui colle encore bien trop souvent à la peau de ceux qui s’aventurent derrière des fûts. Quitte à donner le tempo d’une nouvelle ère en célébrant la mémoire d’un genre qui n’a pas dit son dernier mot.
Pour commencer, peux-tu nous dire comment l’idée de cette collaboration et de ce disque est née ?
Budgie : Nous étions en tournée quand j’ai rencontré Lol Tolhurst, presque par hasard. A chaque fois que nous nous voyions, nous parlions de faire quelque chose ensemble, que ce soit de la musique ou autre chose. Pour la première fois, nous l’avons vraiment fait.
Votre travail commun sur le podcast Curious Creature, débuté en 2021, a-t-il joué un rôle dans votre envie de faire de la musique ensemble ?
Oui et non. En fait, nous nous sommes lancés dans le podcast après avoir écrit les premiers morceaux du disque. Mais comme je suis rapidement parti en tournée avec John Grant, nous avons continué à en parler, à distance, en envisageant même une émission de télévision à un moment (rires). Quoi qu’il en soit, à mon retour, nous nous sommes enfermés et avons terminé les premières pistes de l’album, et c’est à ce moment-là que nous nous sommes lancés dans ce projet de podcast en suivant les conseils de notre ami Joe Wong, qui anime The Trap Set. Il a joué un rôle déterminant en nous réunissant, Lol et moi. Cette expérience nous a permis d’avancer dans notre amitié et notre réflexion, alors que nous nous demandions ce que ces morceaux purement instrumentaux allaient devenir. Nous avons donc commencé à inviter des chanteurs à apporter leur contribution et avons été surpris de voir l’enthousiasme de James Murphy ou de Bobby Gillespie pour trouver du temps à nous consacrer dans leurs emplois du temps pourtant chargés. En effet, même si nos morceaux étaient presque terminés, nous pensions toujours qu’ils méritaient mieux qu’on les sorte directement sur le net ou via une plateforme de streaming. C’est alors que nous avons commencé à le considérer comme un vrai projet d’album. Nous avons réuni une super équipe et avons enfin eu l’impression de lui donner les meilleures chances possibles, celles qu’il méritait, ou que nous méritions si tu préfères (rires).
Il y a en effet beaucoup d’invités sur cet album. Comment les avez-vous choisis ? Aviez-vous une liste de souhaits au départ, ou cela s’est-il fait au fur et à mesure ?
Oui, il y avait bien une liste (sourire). Avec des noms comme Björk (rires), ou même Lou Reed si seulement il avait été encore parmi nous… Cette liste était extrêmement bizarre car il y avait aussi Catherine Deneuve ou Robert De Niro ! En fait, nous cherchions des voix, avec une mobilisation forte de nos contacts : ‘ce type connaît ce type qui connaît ce type…’, ce genre de choses. J’avais par exemple rencontré James Murphy dans un festival en Écosse, et Bobby Gillespie dans un autre en Suède. J’ai parlé à Bobby de ces morceaux, mais sans lui demander s’il voulait chanter dessus car je le pensais bien trop occupé. Nous lui avons quand même envoyé des mixes… et il est venu poser sa voix sur trois titres (rires). James en a fait deux, et puis d’autres personnes sont venues, comme Pan Amsterdam qui n’était pas une connaissance directe, ou Arrow de Wilde que nous connaissions avec Starcrawler et qui était à Hollywood à ce moment-là. Pour Isaac Brock, Jacknife Lee avait déjà travaillé avec Modest Mouse, tout comme avec The Edge. Nous n’attendions rien d’eux, mais ils sont venus avec des parties de guitare, des voix incroyables. Il ne s’agissait plus alors de simples parties chants, mais de vraies performances, puissantes et chargées d’émotions, comme celle de Lonnie Holley qui chante simplement sa passion pour la vie. C’est à partir de là qu’on s’est dit qu’on tenait vraiment quelque chose.
Était-ce facile de travailler avec autant de personnes et de caractères différents ?
Plutôt oui. James, Bobby et Arrow sont venus au studio. Lonnie et Isaac sont passés aussi, je crois. Mais sinon, chacun travaillait chez lui et nous envoyait ses prises ensuite. Davide Rossi, qui a fait les arrangements pour les cordes, était avec nous également, nous échangions beaucoup. Ça sonnait si bien, nous avons eu beaucoup de chances de travailler avec des gens si talentueux. Ils auraient pu se consacrer à d’autres projets à la place mais ils sont venus, souvent dans le petit studio de Jacknife Lee, au Topanga Canyon, et ont tout donné. Rien n’était prévu. Nous ne les dirigions pas, nous leurs demandions de simplement de chanter, de dire quelque chose, un petit poème, n’importe quoi (rires). La poésie, l’image, la danse sont des choses qui flottent encore dans l’air au moment où nous parlons, puisque nous aimerions amener ce disque sur scène.
Une tournée est donc en préparation ?
Nous avons commencé à répéter, oui. Avec Laurence [Lol Tolhurst, ndlr], on s’est assis derrière deux batteries dans le studio d’un ami et on s’est dit que ça sonnait bien, même si on ne sait pas trop comment nous allons faire puisque l’on doit encore trouver les chanteurs. Nous sommes très excités et avons beaucoup d’idées. J’espère que cela se fera début 2024.
Vous parliez d’images… Comment vous êtes-vous investis dans la création des clips, et lequel vous a le plus marqué ?
Peut-être celui pour Uh Oh, avec Arrow. J’ai été très impressionné par sa performance. Au début, nous devions seulement faire deux clips pour Pias avec le budget d’un seul (sourire). Mais nous nous sommes finalement débrouillés pour en faire quatre, en nous améliorant au fur et à mesure. On s’est bien amusés aussi pour We Got To Move, avec Isaac qui chante à travers le poste de télé. Quand vous travaillez avec des gens au sommet de leur talent comme Fred Armisen, l’acteur et créateur de Portlandia qui joue dans le clip, c’est un vrai plaisir tant ces personnes sont adorables et à l’écoute.
C’est vrai ?
Oui, et c’est aussi un constat que nous faisons dans le cadre de notre podcast. Dans celui-ci comme pour le disque, nous ne cherchons rien de particulier. Pas d’impératifs, pas d’ego surdimensionné. Ce n’est pas ‘notre’ podcast, de même que ce n’est pas ‘notre’ album. C’est comme pour la recherche du producteur dont nous avions besoin : il ne fallait pas d’histoire d’ego, sinon ça ne fonctionne pas tant son rôle est essentiel pour faire ressortir le meilleur de chacun, pour savoir quand les choses dérapent, et quand il faut les laisser déraper. Sur ce disque, ça a toujours été pour le meilleur. Je pense à certains albums des Cure auxquels Lol a participé, où le producteur a été un collaborateur à part entière, ou même à Mike Hedges pour Siouxsie and The Banshees ou The Creatures. C’est vraiment ce que j’ai ressenti ici aussi avec Jacknife : l’alchimie a été immédiate. Il était honnête tout en étant très facile à vivre. Il n’exige pas ce qu’il veut, mais il vous dit ce qu’il aimerait entendre, et aussi ce qu’il ne veut pas. C’est parfait pour nous. Nous n’avons pas cherché à faire des chansons, ni de jolies vidéos. Nous avons juste décidé de faire quelque chose qui nous passionnerait, et qui je l’espère sera ressenti ainsi par l’auditeur.
Même si ce n’est pas très étonnant venant de vous trois, la plupart des morceaux du disque sont très axés sur la dimension rythmique, avec des dynamiques fortes et des groove entraînants. Comment avez-vous choisi les différents éléments de batterie et les patterns rythmiques que vous utilisez ? Étaient-ce des choix faciles à faire ?
Oui, c’était très facile car nous n’avions pas de réelle séparation entre l’enregistrement et le studio. Nous étions entourés de claviers, de synthétiseurs, de guitares, d’instruments de percussion, et il y avait aussi un piano et une batterie dans une autre pièce. Nous étions en phase pour reconnaître chaque moment important. Nous n’avons pas eu à nous interroger, à poser des questions ou à demander la permission de faire telle ou telle chose. Nous créions des boucles, de nouveaux sons avec les synthétiseurs. Par exemple pour le morceau Skins, avec James Murphy, j’ai trouvé ce rythme qui pourrait tout à fait provenir d’un album des Creatures. Ce genre de rythme me vient en tête quand je ne pense à rien d’autre, justement. Si on ne cherche pas à l’analyser, cela se produit, tout simplement. C’était très familial, avec une approche et une manière de faire que je n’avais pas eu depuis longtemps. Et c’est lorsque vous avez cette liberté que vous pouvez laisser les choses se faire. Tout a été facile donc. Pas de règles, pas de répartition des rôles. Cela vous empêche de faire passer immédiatement votre cerveau du mode créatif au mode analytique. Le fait de faire de longues prises aide aussi. En enregistrant constamment, il y a de fortes chances que vous vous enfonciez dans cette zone de création et que vous n’engagiez pas la partie de remise en question. Et là, c’est la libération. Ne pas parler, continuer à faire de la musique, à moins que celle-ci n’aille nulle part. Et ensuite, seulement après cela, faire une pause avec les musiciens. C’est mon secret de fabrication, et tout le monde va le faire maintenant (rires).
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