08 Oct 21 Les Rockomotives de Vendôme, une philosophie d’irréductibles gaulois
Le cap des trente ans. Un moment particulièrement révélateur quand il s’agit d’un festival de musique qui, depuis ses débuts, s’est donné comme impératif d’imposer sa vision sans concession, sa façon de faire singulière, dans un monde ou le marketing et le copinage s’amusent à vous mettre régulièrement des bâtons dans les roues. En toute indépendance, ou presque, les Rockomotives de Vendôme sont devenues avec le temps un évènement dont le public et les professionnels du secteur épient chaque année la programmation, plus ou moins conscients – selon où ils se placent – que la petite bourgade du Loir et Cher fait aujourd’hui figure de village gaulois dans un environnement plutôt hostile à ce genre de philosophie.
A sa tête, un meneur, jamais à bras raccourcis. Passionné et particulièrement bien ancré sur son territoire, Richard Gauvin est un résistant, fidèle et un poil provocateur, y compris en plein contexte de pandémie durant laquelle il est parvenu à maintenir son édition 2020 quand nombre de ses confrères mordaient la poussière. Alors que se profile une nouvelle édition synonyme de retour à la normale, discussion avec celui qui a choisi depuis toujours d’avancer doucement mais sûrement, loin des grands rassemblements trop pressés et aux ambitions douteuses. Des fois qu’on découvre la potion magique…
Les Rockomotives fêtent cette année leur trentième anniversaire. Peux-tu nous rappeler dans quel contexte est né cet évènement ?
Richard Gauvin : Cet évènement a été créé par l’équivalent du service jeunesse de la Ville de Vendôme en 1992, avec une mise en place d’ateliers ‘musique’ pour les enfants sur la semaine de vacances scolaires et quelques concerts sur le weekend. De 1994 à aujourd’hui, le festival n’a cessé d’évoluer avec de nouveaux lieux, un nombre de projets artistiques grandissant sur une période qui est passée de 3 jours à une semaine. Le festival est devenu ‘associatif’ en 2003 avec Figures Libres.
La programmation du festival reste toujours une des plus attendues à chaque rentrée. Comment expliques-tu que les Rockomotives soient devenues si incontournables auprès des amateurs de musiques spécialisées ?
Ce festival est tout d’abord monté avec la passion de la musique, la connaissance du territoire et la volonté d’imposer une certaine philosophie allant souvent à l’encontre de l’évolution de ce petit ‘monde de la musique’ dont les codes ne nous correspondent pas vraiment. Historiquement, la programmation est effectuée sans réellement tenir compte de l’actualité discographique ou autres de l’artiste, sans calculs et sans concessions, avec toujours cette méfiance du ‘fake’, des artistes à tremplins, du surdopage marketing, des ‘hypes’ indolores… Le festival bénéficie, logiquement, d’une part de financement public. Nous nous imposons donc un devoir de régulation face à une industrie de la musique dont les objectifs sont ailleurs. Aussi, nous sommes très attachés à bien accueillir le public, les techniciens, les bénévoles.
Chaque année, la programmation regroupe des groupes qui bénéficient d’une attention particulière de la part des médias et du public, et d’autres qui s’apprêtent à faire pas mal parler d’eux. Quel est ton secret pour réussir à faire cohabiter tous ces groupes à chaque fois ? Peut-on dire de toi que tu es un prescripteur de premier plan ?
Le cœur du sujet est effectivement là. La passion : j’écoute de la musique quasi en continu, mais je ne pense pas être un prescripteur de premier plan. Je vois, en période normale, entre 250 et 300 concerts par an. Je n’ai absolument pas besoin de l’avis d’une certaine presse ou des membres du jury de tels ou tels dispositifs d’accompagnements ‘banquérisés’ ou non. Par contre, j’écoute beaucoup certains de mes amis proches, de mes connaissances et de certains collègues.
C’est la 30ème édition des Rockomotives cette année, et chaque évènement durable a sa propre histoire. Je suis très fier de cette histoire vendômoise. C’est toujours compliqué à décrire mais en vulgarisant quelque peu, la philosophie du festival peut être symbolisée par des soirées à la programmation éclectique, un peu de provocation également. Je pense notamment aux allemands Les Trucs programmés après Gaetan Roussel, ou Deerhoof juste avant Keny Arkana. Des noms très grand public ont été programmé sur le festival. Vendôme n’est pas une métropole étudiante et, sur la programmation, il est important pour nous de jongler afin de contenter le passionné de musique dite underground ou indépendante, et le public, tout aussi respectable, plus en attente de noms identifiables par un plus grand nombre.
Tu as donc du voir moins de concerts que d’habitude ces derniers mois. Ces conditions particulières n’ayant pas aidé, as tu autant de certitudes que les autres années sur cette programmation 2021 ?
La programmation de cette trentième édition est assez centrée sur des projets artistiques nationaux. En temps normal, c’est quasi un 50/50 entre internationaux et nationaux. Nous accueillons cette année une majeure partie d’artistes ayant un passé sur notre festival, comme Mansfield Tya, Girls in Hawaii, Laetitia Sheriff, Peter Von Poehl, Troy Von Balthazar, Chapelier Fou, ou Lo’Jo… Ces projets, nous les connaissons bien. De plus, une dizaine d’artistes locaux – c’est à dire originaires de Tours, Vendôme, ou Orléans… – sont également de la partie. Nous accompagnons, de près ou de loin ces artistes via des dispositifs divers, et pour certains via notre label Figures Libres Records. Les certitudes sont là.
Il n’y a quasiment jamais de têtes d’affiche évidentes à l’affiche des Rockomotives. Est-ce un choix délibéré de proposer une programmation variée mais très homogène, ou une conséquence naturelle des moyens dont vous bénéficiez ?
C’est un choix délibéré. C’est même un moteur pour moi. Le jour où mon ‘taf’ se cantonne à ne servir que de relai de l’industrie musicale, je stoppe. Les ‘têtes d’affiches’ sont importantes pour notre festival mais elles ne représentent qu’une infime partie de l’architecture du festival et, celles programmées ont l’environnement adapté, que ce soit côté staff, bookers, ou maisons de disques… Nous n’oublions pas que ce festival se situe à Vendôme, très chouette ville, sous-préfecture du Loir et Cher, sans énormément d’étudiants. Le potentiel publique sur une programmation exclusivement associée à la scène indépendante n’aurait pas de sens.
Le festival propose de plus en plus de créations exclusives. De quel constat es-tu parti pour développer ce genre de performances ?
C’est un peu la philosophie du festival. A titre perso, j’aime vraiment actionner certaines rencontres entre artistes. Le listing de connexions effectuées dans le vendômois est incroyable. Une création ‘Hop Pop Hop festival / Rockomotives Festival’ est en cours et sera présentée en 2022. Il s’agit de ‘Transmission’, avec Lionel Laquerrière (Geysir, Yann Tiersen…), Johan Guillon (Ez3kiel, Zero Gravity), James P Honey (Buriers) et une cabine téléphonique… Je laisse planer le mystère. Le disque sortira sur Figures libres Records.
On tente de sortir d’une période qui a coûté la vie à nombre de vos confrères. Comment l’as tu vécu de ton côté ?
Ça a été une période douloureuse. Il faut en tirer les leçons. Il est important de savoir s’arrêter, se poser, constater et reprendre goût à ce qui nous paraît essentiel. En mars-avril dernier, nous avons organisé 45 concerts dans les seuls endroits où nous avions le droit : les écoles primaires. Cette expérience a été tellement salvatrice pour les mômes, les enseignants et pour nous que cela nous paraît évident de renouveler l’expérience chaque année.
Il se dit que les festivals de petite envergure ont désormais plus d’avenir que les grands barnums. Tu confirmes ? Quelle est la raison de cette tendance selon toi ?
Les ‘petits’ contre les ‘gros’ : un vaste sujet. Je vois les choses autrement. J’aime l’idée de l’encrage local, de la dynamique de territoire, de la forme juridique associative. Les Rockomotives peuvent avoir des points communs avec, par exemple, les Vieilles Charrues, sur ces sujets. Ceci dit, je pense sincèrement que notre avenir se joue dans l’’artisanat local’. Sur de très gros évènements, l’arrivée de coproducteurs et de capitaux issus souvent de ‘boîtes’ dont l’éthique est contestable, n’a pas vraiment de sens. Cette stratégie a déjà montré ses limites dans le monde de la presse par exemple.
Quel est le meilleur souvenir que tu gardes de toutes ces années passées à la tête de l’évènement ?
Tellement de bons souvenirs, de rires, de joies, de passions. C’est assez dur. Je mettrais en avant le fait d’avoir pu influer sur le brassage des publics, des générations… et joué sur une ouverture d’esprit. J’ai une aversion pour les évènements et festivals engendrant l’entre-soi, le communautarisme, regroupant une petite branchouille étriquée. C’est tellement facile de se ‘rêver’ des certitudes sans se confronter à l’autre. Ma satisfaction première, c’est de voir un public acheter un ticket pour The Do, Eddy de Pretto ou Camille et repartir avec le vinyle de One Sentence Supervisor, Puts Marie ou Ropoporose.
Mon plus beau concert à Vendôme fut celui de The Notwist en 2014 (photo ci-dessus). Les munichois ont terminé leur concert d’1h30 en balançant ‘Hier, nous étions à Paris pour le Pitchfork, avec un set de 50mn; ce soir nous sommes à Vendôme pour les Rockomotives : nous savons ou est la fête !‘.
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