Quentin Sauvé, l’échappée belle

Quentin Sauvé, l’échappée belle

Quentin Sauvé est sur un petit nuage. Du genre hyperactif depuis ses premiers pas dans la musique, le songwriter se pose en défenseur de la cause rock tant il balaye large les influences. En effet, alors qu’il sort tout juste d’une intense période qui a vu la consécration de Birds In Row, son groupe hardcore, il s’apprête à dévoiler Whatever It Takes, son oeuvre la plus personnelle, celle qu’il couve depuis maintenant de longues semaines et qui prend ni plus ni moins le relais de Throw Me Off The Bridge, autre projet qui n’a pas manqué de le distinguer de la masse il y a seulement quelques mois. Sauf que, désormais, le lavallois ne se cache plus : c’est sous son nom qu’il compose un indie folk de haute facture et débordant d’émotion, pour chanter ses réflexions et ressentiments les plus intimes. Avec lui, on revient donc – entre autres – sur l’exceptionnelle aventure de Birds In Row, l’importance que revêt ce nouvel album, ou sa relation avec son frère (et producteur) Amaury.

Tu viens de connaitre une belle année avec Birds In Row dont le dernier album a même fini dans pas mal de tops internationaux. C’était un besoin pour toi de t’offrir une petite accalmie, de faire preuve de plus de sensibilité ?

Quentin Sauvé : C’est assez difficile pour moi de différencier des périodes de ma vie en fonction de tel ou tel projet. Concernant Birds In Row (photo ci-dessous) et mon propre projet qui s’appelait auparavant Throw Me Off The Bridge, je jongle entre les deux depuis bientôt cinq ans. En effet, il y a eu beaucoup de choses cette année : en décembre 2017, j’enregistrais Whatever It Takes, avec une petite pause studio pour Noël et quelques répétitions Birds In Row pour peaufiner la compo de We Already Lost The World; en Janvier 2018, c’était le mix de mon album, deux jours seulement avant le début des prises de Birds In Row qu’on a mixé dans la foulée, suivi du master des deux albums. C’est après ces deux mois d’hibernation dans le studio de mon frère qu’on a repris les dates avec le groupe, avant et après la sortie de l’album en juillet, jusqu’à la fin de l’année dernière. C’était plutôt une récréation pour moi car les tournée Birds In Row représentaient les rares moments où je pouvais essayer de m’écarter de mon ordi, de mes mails, pour prendre du recul concernant mon nouveau projet solo, et tout simplement ‘faire le rock’ comme on dit ! Je dis bien ‘essayer’ car, même en tournée, je ne me coupais jamais vraiment de ça, à répondre et envoyer des milliers de mails avec mon phone… Donc pas vraiment d’accalmie ! Ce besoin d’avoir un projet plus perso, sensible et intime, je l’ai depuis la création de Throw Me Off The Bridge il y a neuf ans.

Penses-tu pouvoir bénéficier de la mise en lumière de Birds In Row en solo, ou considères-tu partir de zéro ?

Ce n’était pas le but à la base, mais je me rends compte que j’en bénéficie déjà, même depuis un moment. Avant, j’étais ‘Quentin d’As We Draw‘, ou de Calvaiire, ou de Brutal Deceiver,  ou de Hourvari… Maintenant, avec ces projets plus ou moins terminés ou en stand-by et l’actu de Birds In Row, je suis ‘Quentin de Birds In Row‘. Les gens décident de voir ça comme ils le veulent mais, à la base, on est juste un petit groupe de potes zikos vivant dans la même petite ville. On a tous partagé divers projets les uns avec les autres. Les premiers à partir en tournée ont filé les contacts aux autres quand ils en ont eu besoin. Les premiers à sortir des disques en téléchargement gratuit sur Bandcamp ont donné des tips aux autres. On fabriquait notre merch nous-mêmes, de nos propre mains, des fois les uns pour les autres…
Il y a un sentiment de nouveau départ, par rapport à Throw Me Off The Bridge surtout. Au moment où j’ai débuté ce projet, j’étais très investi dans As We Draw, mais nos agendas respectifs au sein de ce groupe ne nous permettaient pas de tourner autant que je le voulais, autant que nos potes de Birds In Row par exemple. J’ai donc vite entrevu un moyen de fuir cette frustration avec ce premier projet solo, qui me permettait de jouer où je voulais, et quand je le voulais. Mais il fallait passer le cap de faire tout ça tout seul, c’est à dire sans mes potes, et surtout sans mon frère (batteur d’As We Draw). Là, je partais vraiment de zéro pour le coup. C’est d’ailleurs ça qu’exprime ‘Jetez moi du pont‘. C’est ‘aidez moi à faire le grand saut‘, en fait. Ce premier album, sous mon propre nom, est encore un nouveau challenge. Sur le papier, je repars à zéro mais, pas vraiment au final.

Comment considères-tu ce parcours solo justement ? Est-ce quelque chose de très sérieux que tu veux poursuivre, ou une occasion de tuer le temps en attendant la suite du groupe ?

C’est le projet de ma vie. C’est mon ‘bébé’ en quelque sorte… Quelque chose que j’ai construit de toute pièce, tout seul, dans lequel je mets tout mon temps et toutes mes ressources. Je n’ai pas du tout besoin de tuer le temps dans ma vie. Au contraire, il n’y a clairement pas assez de jours dans l’année pour faire tout ce que je voudrais avec ce projet tout en continuant Birds In Row, en ayant une vie sociale, une relation amoureuse… Les gens voient ça comme un side-project, mais c’est tout sauf ça. Tant que j’ai la force de poursuivre, tant que je suis encore capable de faire Whatever It Takes, je poursuis, et on verra bien !

Quels sont les retours des autres membres de Birds In Row sur cet album solo ? Est-ce quelque chose de délicat à défendre vis à vis d’eux ?

Les gars me soutiennent à fond. Comme je le disais, j’ai commencé Throw Me Off The Bridge quatre ans avant de rentrer dans Birds In Row, on se connait depuis qu’on est tous jeunes. Ils savent ce que ça représente pour moi, et notre nouveau batteur (qui nous a rejoint en octobre dernier) est bien placé pour le savoir aussi puisque c’était celui de la formule groupe de Throw Me Off The Bridge. Il était là sur la majeure partie de la session studio de Whatever It Takes pour assister mon frère. Les membres de Birds In Row sont passés plusieurs fois pour écouter et donner leur avis. Je partage mes doutes avec eux, on discute beaucoup de tout ça dans le camion… Là seule chose délicate, c’est le planning pour conjuguer les deux. Ce n’est vraiment pas évident parfois, mais on finit toujours par se débrouiller.

Pour le coup, tu touches aux deux extrêmes du rock. L’indie folk, c’est quelque chose que tu as toujours eu en toi ?

Non, c’est quelque chose qui est arrivé au fur et à mesure, même si j’ai été bercé par les albums de Neil Young qu’écoutait ma mère. Je me suis super vite attaché à la musique violente. Quand j’ai commencé la musique à 8 ans, c’était directement pour jouer de la guitare électrique et faire du rock. À 13 ans, c’était le gros métal déstructuré à la Meshuggah, Gojira, Nostromo… et ensuite le post-hardcore, le screamo, qui m’ont emmené vers des choses plus sensibles. En découvrant des artistes comme Bon Iver ou City and Colour, je me suis dit ‘pourquoi pas moi ?‘, et ça a sonné le début de Throw Me Off The Bridge. Aujourd’hui, je n’écoute plus que très peu de hardcore, mais ça me fait toujours le même bien d’en composer et d’en jouer en concert. Ce sont peut-être deux extrêmes dans la forme mais, selon moi, le fond reste le même. J’ai toujours fait de la musique pour exorciser mes démons, que ce soit dans un projet ou dans un autre. Le fait de toucher aux deux est super intéressant et riche. C’est une balance dont j’ai besoin dans ma vie. Je crois qu’au au fond de moi, je sais qu’un seul des deux ne suffirait pas à me rendre heureux.

Avec le recul, doit-on donc considérer Throw Me Off The Bridge comme une passerelle qui t’aurait aidé à mieux assumer ce virage radical qui fait ton actualité aujourd’hui ?

C’est exactement ça. Etre tout seul, c’est vraiment différent. Lorsque tu composes et que tu bloques, tu n’as pas d’autres avis pour débloquer la situation. Sur scène, en groupe, tu partages quelque chose avec tes potes quoi qu’il arrive, qu’il y ait des gens ou pas, qu’ils écoutent ou pas… En solo, il n’y a que les gens en face de toi avec qui tu peux, et même dois, partager quelque chose. S’ils n’écoutent pas, tu te retrouves vraiment seul. Il m’a fallu beaucoup de temps pour apprécier être seul sur scène, au moins 70 concerts je crois. J’ai commencé à prendre plaisir sur environ un concert sur cinq, puis deux sur cinq, et ainsi de suite. Au final, j’ai enregistré et sorti deux albums solo en auto-prod, tourné à fond en Europe, rencontré plein de gens, transformé ce projet solo en un full-band, enregistré et sorti un EP et un 7 inch full-band (toujours en auto-prod), tourné encore en groupe, jusqu’à ce que deux des trois autres membres ne puissent plus continuer. J’ai vraiment eu l’impression que tout s’effondrait à ce moment là mais, au final, ça valait le coup. Tout ce qui est arrivé dans ma vie avec Throw Me Off The Bridge, les hauts et les bas, les expériences de tournée, tout ce que j’ai appris des autres membres du full-band et des sessions studio, m’ont amené à ce nouvel album solo.

Justement, peux-tu nous dire quand et comment se sont dessinées les prémices de Whatever It Takes ?

Quand les gars ont arrêté le projet full-band, j’ai eu beaucoup de choses à écrire. Ca a donné très rapidement six nouvelles compositions. De septembre à décembre 2017, j’ai fait une quarantaine de dates en solo, toujours sous le nom Throw Me Off The Bridge, où je jouais ces nouveaux titres ainsi que des plus anciennes du full-band, toutes retravaillées en version solo. J’ai composé encore sur fin novembre/début décembre, et je suis arrivé en studio avec neuf morceaux. Le but était de faire quelque chose de très fidèle au côté ‘solo’, très épuré, avec le moins d’instruments possible, mais avec de l’ampleur et plein de textures différentes. C’était refaire le premier album de Throw Me Off The Bridge, mais pas de manière ‘roots’. C’est entre les prises et le mix, pendant cette pause de Noël, que j’ai décidé de changer de nom et repartir à zéro. Sortir un cinquième disque, en revenant au solo après le full-band, ça n’avait plus de sens et, surtout, j’avais vraiment besoin de tourner la page. C’était devenu trop long et trop lourd émotionnellement.

Ce premier album solo sonne de façon très intime. Tu t’y dévoiles tout en donnant l’impression de le jouer à l’oreille de l’auditeur. Penses-tu que, pour en arriver là et passer ce cap de la pudeur, il est nécessaire de faire preuve d’une certaine maturité, et d’atteindre cet âge ou tu finis par te dire que tu n’en as strictement rien à foutre de ce que les gens vont en penser, que le principal reste de jouer une musique qui te fait du bien à toi ?

Sur le moment, quand j’écris, c’est en effet pour m’aider moi-même. La plupart du temps, j’écris quand je ne vais pas bien, et transformer ce mal-être en texte/musique me permet d’analyser les problèmes, d’y trouver du positif, et ainsi de continuer d’avancer. Je pense avoir passé un premier cap de la pudeur au début de Throw Me Off The Bridge. Je savais crier dans un micro, pas vraiment chanter, mais au moins je savais que ce que j’extériorisais était sincère et donc peu importe ce que les gens allaient en penser. Peut-être qu’à l’époque, je me cachais un peu derrière certaines choses comme le nom du projet, style groupe de post-rock dépressif, des accords de guitares compliqués, quelques chants saturés… Ce nouveau projet, c’est un deuxième cap, c’est totalement assumé. C’est moi, mon nom, et je veux que les gens comprennent ce que je dis, même si c’est très intime, pour que le message passe. Parce que si ça me fait du bien, peut-être que ça peut faire du bien à d’autres. J’ai envie de partager tout ça.

Tu as dévoilé deux titres, tous deux clippés, en amont de l’album. En parlant de celui de Love Is Home (voir ici), tu évoques l’adolescence, le danger et le besoin de réconfort qui vont de pair, en précisant que c’est ce que tu éprouvais. Quel rôle a joué la musique dans ce moment apparemment délicat de ta jeunesse ?

La musique était vraiment un exutoire. Je n’attendais que ça toute la semaine, d’arriver en répet’ le samedi et ziker toute la journée. C’était même une drogue, j’en étais malade si on devait annuler pour tel ou tel raison. Quand je faisais mes études à Nantes, je rentrais tout les week-ends à Laval pour ça. J’avais une répet’ avec un groupe le vendredi soir, une le samedi après-midi avec As We Draw, et une autre le samedi soir avec Brutal Deceiver. Ca a toujours été le deal avec nos parents pour mon frère et moi depuis tout petit : on travaille assez à l’école pour avoir la moyenne, et on fait ce qu’on veut à côté. Et nous, ce qu’on voulait faire, c’était de la musique extrême à 10000 db, des sports extrêmes aussi mais, après s’être fait bien mal deux ou trois fois, on a gardé seulement la zik ! En fait, quand t’es ado, tu ne peux tout simplement pas être toi-même, c’était dur pour moi en tous cas. Alors qu’au moment où tu fais un concert, quand t’es à fond dans la musique et que plus rien d’autre ne compte, là tu peux être pleinement toi-même, y’a plus à réfléchir.

Ton frère Amaury est devenu un producteur assez reconnu, au sein de cette scène musicale notamment. Si j’imagine que la musique contribue elle aussi à des liens forts aujourd’hui, qui a mis le pied de l’autre à l’étrier ? Vous nourrissez vous chacun des expériences et des découvertes de l’autre ?

On a commencé la musique en même temps, mais c’était plutôt Amaury qui me faisait découvrir des choses à la base, qui allait toujours chercher d’autres trucs. Dans la vie en général même, c’est le grand frère quoi ! On a développé une connexion musicale très forte, une sorte d’osmose. C’était une force et aussi quelque chose de pas évident à gérer pour les autres membres de nos groupes. Dans nos vies actuelles, la dynamique est hyper intéressante car lui rencontre de nouveaux musiciens qui viennent enregistrer dans son studio; moi j’en rencontre tout le temps aussi à travers les tournées. Des musiciens qu’il enregistre se retrouvent à jouer avec moi car il me les a conseillés (c’était le cas pour Tom et Joris de Throw Me Off The Bridge), et des groupes avec qui j’ai tourné se retrouvent à enregistrer chez lui. Il y a même quelques anecdotes : le fait que je me retrouve à tourner avec Converge en sachant qu’Amaury s’est renseigné et s’est inspiré à fond de Kurt Ballou dans son travail ; Magnus Lindberg de Cult Of Luna, groupe dont on est trop fan tous les deux, est venu enregistrer un groupe Belge (Thot) au studio… etc.

Le caractère très intime de cet album a t-il été aidé dans sa réalisation par le fait que ce soit ton frère qui t’accompagne en studio ? Dans quelle mesure ?

Tout-à-fait ! C’était hyper important pour moi de le faire avec mon frère. On pourrait se dire ‘nouveau départ’ donc ‘nouveau producteur’, mais au final, il me connait tellement bien, il sait ce qui est en jeu pour moi et je crois qu’il vit ce nouveau départ avec moi. J’ai enregistré tous les disques de tous mes projets avec lui, qu’il soit dedans ou pas. Notre relation de frère a parfois rendu ça très compliqué, il y a eu de très grosses prises de têtes entre nous. Sur cette session studio, on s’est montré tous les deux, l’un à l’autre, qu’on s’aimait, qu’on avait bien grandi avec le temps, et qu’on était maintenant capable de mieux gérer nos émotions concernant les choses qui nous tiennent à cœur. Le dernier morceaux de l’album, Disappear, parle de lui, et plus particulièrement d’un moment de sa vie où j’ai dû être présent, là où lui l’a toujours été pour moi. Et à ce propos, mon pote Sofian, cadreur sur les deux clips mentionnés précédemment, est en train de finir le montage d’un documentaire sur cette session studio, dans lequel on voit bien ce rapport entre nous deux.

La sensibilité est donc partout sur cet album, elle s’exprime aussi sur Dead End (lui aussi clippé ci-dessous) et People To Take Care Of (voir ici) qui parlent directement de tes grands parents, de leur faire passer des messages avant qu’il ne soit trop tard. En quoi cette démarche était importante pour toi ?

J’ai écrit sur ce sujet déjà plusieurs fois avec Throw Me Off The Bridge, mais il m’a semblé important de le faire ‘avant’, cette fois-ci. Je me souviens avoir pensé ‘un jour je vais les perdre… j’écrirai surement une chanson‘, et juste après je me suis dis ‘ben non, autant le faire maintenant en fait !‘. People To Take Care Of étant déjà très explicite, je ne voulais pas forcément la clipper, le texte en disait assez à mon goût. Alors quand est arrivé le brainstorming avec la réalisatrice Ananda pour Dead End, j’ai eu l’idée d’y faire jouer mes grand-parents, pour leur rendre hommage tout en exprimant deux partie de moi-même. Celle qui est bloquée dans le passé, qui a déjà abandonné, et celle qui s’obstine à essayer, coûte que coûte (whatever it takes).

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