08 Sep 09 Interview – Krazy Baldhead, l’alterno-mutant
Dans l’ombre des Justice, Mehdi et autre Busy P, Pierre-Antoine Grison peaufine en silence son electro mutante, loin des avalanches de beats concassés auxquelles on aurait trop vite fait de l’associer. Fort d’une décennie passée au conservatoire, il sort sous le pseudo Krazy Baldhead un premier album ambitieux, « The B-Suite », à écouter comme une alternative novatrice au tout-venant actuel. Quelques minutes après son passage sur la scène brestoise de l’Astropolis, rencontre avec l’un des plus discrets pensionnaire de l’écurie Ed Banger.
Tu peux revenir sur ton parcours avant ta signature chez Ed Banger?
Je suis passé par une école d’ingénieurs à Brest. D’ailleurs ça me fait plaisir de recroiser des personnes avec lesquelles je jouais à cette époque. Ensuite, ça a été start up, chômage et du temps pour faire de la musique. Vers 2002-2003, j’ai envoyé mes premières démos à plein de labels dont j’écoutais les disques: Warp, Ninja Tune, XL Recordings, Domino, Karat, Jazzanova… jusqu’en 2004 où c’est parvenu jusqu’aux oreilles de Pedro qui m’a dit banco. Ma sœur bossait avec sa copine au Palais de Tokyo et c’est comme ça que j’ai su qu’il montait un label. Mon maxi « Bill’s Break » était le quatrième à sortir sur le label.
Tu te souviens de la genèse de « The B-Suite »?
Ça m’a pris entre six et huit mois, inspiré par une oeuvre classique de Nikolaï Rimski-Korsakov qui s’appelle « Shéhérazade » (une suite symphonique de 1888 qui inspira notamment les Ballets Russes, ndlr). C’est quelque chose d’assez magistral auquel je ne veux pas me comparer, mais dont je trouvais la structure vraiment maligne: le fait d’avoir deux ou trois thèmes qui reviennent dans les mouvements, ça ralentit, ça accélère, il y a plein de changements. La première étape, ça a été de voir comment l’œuvre était construite pour ensuite essayer d’appliquer sa structure à l’electro. Ça m’a permis de me mettre dans l’esprit pour ensuite trouver un thème à décliner. Je voulais m’inspirer de l’œuvre originale sans trop la pomper non plus, et au final je crois que je m’en suis assez éloigné.
Les quatre mouvements étaient là dès le début?
Oui, et c’est vraiment quelque chose que je voulais garder parce que ce sont des structures qui ont fait leurs preuves avec le temps. Si tu le sors bien, ça fonctionne parce que ça fonctionne depuis des siècles. Le challenge c’était de le faire marcher avec des sonorités un peu plus actuelles.
On a l’impression que tu t’es laissé une part d’improvisation dans la composition. C’est le cas?
Ça vient surtout de ma façon de faire des lives durant ces trois dernières années. Il y avait une sorte d’improvisation dans le sens où j’essayais au maximum de réagir sur le moment, de me demander s’il fallait que je ralentisse le tempo ou si, au contraire, il fallait que je m’énerve davantage parce que ça devenait trop mou. Mon seul fil conducteur consistait à se dire «qu’est ce que j’ai envie d’entendre maintenant». Je l’ai pratiqué pendant trois ans et ça a pas mal influencé ma façon de composer « The B-Suite ». Tout s’est fait dans la continuité de la création, un peu à la manière dont ça se passe dans le jazz: créer des tensions, des montées au paroxysme pour qu’ensuite il y ait relâche.
Est-ce que ton expérience de remixeur t’a servi dans la même mesure?
Le remix m’a apporté des choses, forcément, mais je n’ai pas l’impression d’en avoir fait suffisamment pour que ça sorte du domaine de l’anecdotique. Ce sont plutôt les lives de ces trois dernières années qui m’ont aidé à créer l’album.
Ton premier remix était le «Ink 808» de dDamage. Tu les connais d’où?
Ça date de mon premier maxi. Ils l’ont bien aimé à l’époque de sa sortie et de mon côté j’écoutais déjà leur musique. On s’est rencontré un soir et on vient de fêter nos cinq ans de connaissance. Ce sont devenus des potes.
C’est par leur biais que s’est faite la connexion avec le rappeur New-Yorkais Tes?
C’est eux qui m’ont fait découvrir sa musique et qui me l’ont présenté. Il était de passage à Paris, j’avais envie de bosser avec des rappeurs donc il est venu chez moi, on a enregistré des morceaux et ça marchait très bien. Il a un flow assez rythmique et structuré et je trouve qu’on fait une bonne équipe. Le morceau en question est sorti sur un maxi précédent et pour l’album ça me paraissait évident qu’il y soit.
Et les japonais Big-O et Yulia?
Pour Big-O et Yulia, c’est un peu différent. Le Hip Hop japonais m’a toujours fait tripper parce que je trouve que la sonorité de leur langue se prête super bien au rap. L’an dernier, alors que j’étais en train de bosser sur l’album, j’ai fait une petite tournée asiatique avec une date à Osaka et une autre à Tokyo. Avant de partir, j’ai demandé à Pedro s’il connaissait des rappeurs japonais et il m’a branché avec Verbal (l’un des mc’s les plus en vue du Japon, membre du duo M-Flo et des Teriyaki Boyz, ndlr) qui avait plus envie de mettre en avant Yulia, une rappeuse avec laquelle il bossait. Big-O passait dans le coin et on a improvisé le morceau « Katana Powa » tous les trois. Je trouve que ça apporte une touche « world » à l’album et que ça correspond parfaitement à la façon dont j’ai appréhendé le Hip Hop pendant des années. Sans rien comprendre à l’anglais, je me contentais d’apprécier le flow et c’est un peu ce que je retrouve sur le morceau. C’est juste du flow dans ta gueule, tu comprends rien mais je trouve que ça marche.
T’es venu au rap via Public Enemy et les productions du collectif Native Tongues, quels sont tes rapports avec la scène actuelle?
Il y a moins de deux mois, j’ai vu Q-Tip en live au Bataclan et je me suis redis « c’est ça que j’aime« ! Je trouve que c’est quelqu’un qui a su mener sa barque et qui reste d’actualité au fil des années. Ça peut paraître old school mais du Dizzee Rascal ça me parle moins et je n’ai pas eu de gros coup de cœur dernièrement. Au delà du rap, j’ai entendu des trucs excellents en Drum n’ Bass mais plus au niveau de la production parce que dès que ça part en ragga, ça me gonfle. Je ne suis pas le mec le plus au fait de la musique actuelle, j’écoute plein de choses en festival ou en boite, mais sans forcément être touché parce ce que j’entends. Même s’il y a quelques trucs que je trouve mortels, chez moi je vais surtout réécouter des vieux trucs que j’écoute depuis des années.
Idem pour ce qui est des dernières sorties Warp, Ninja Tune…?
Le dernier album Ninja Tune que j’ai écouté, ça doit remonter à cinq ans… Par contre, j’ai écouté des trucs plus récents sorti chez Warp, les Flying Lotus, Clark et même du Dubstep par exemple. Mais j’écoute ça un peu comme de la Drum n’ Bass, pour des techniques de production que je vais trouver mortelles. Sur la longueur, j’ai plus de mal.
Tu t’es servi de sons analogiques retravaillés pour réaliser « The B Suite », comment envisages-tu le live?
C’est un mix de tout ça. J’ai un synthé analogique Moog, des guitares, des pianos que j’ai samplé moi même et, à côté de ça, j’ai des sons purement synthétiques. Je procède en fonction du son que j’ai envie d’entendre, que ce soit de l’analogique ou du numérique, peu importe. Après, tout ce qui est analogique ou organique – je n’aime pas trop ce terme – je les ai aussi en fichier audio dont je me sers pour mes lives, en complément de sons plus synthétiques qui sont à l’intérieur de mon logiciel. La frontière analogique/numérique n’a plus vraiment de sens aujourd’hui.
Par parenthèse, comment s’est passée l’Astroboum devant un public composé d’enfants de moins de douze ans? J’imagine que c’était une première pour toi…
En fait, c’était même l’une des premières fois que je mixais tout court! Je ne suis pas un Dj moi, je l’ai fait il y a plusieurs années, avant de commencer les lives, et je m’y suis remis cet après-midi parce que je trouvais marrant de le faire pour des gamins. Je pouvais aussi bien passer du Marvin Gaye que du Mr Oizo. Tant qu’il ne s’agit pas de faire danser deux milles personnes sur des morceaux que tout le monde connaît déjà, je peux le faire.
Des nouvelles de ton projet Donso, dont le premier album était prévu pour l’année dernière?
L’album n’est toujours pas sorti à cause des latences au niveau du label. Finalement, ça sortira chez Comet et pour le coup, je pense qu’il sera terminé avant la fin de cette année, pour une sortie probable courant 2010. Pour ce qui est du groupe, Donso est composé de quatre personnes, deux maliens – un qui chante et l’autre qui joue de la guitare – un français qui joue d’un instrument traditionnel chelou, et moi qui suis derrière à la programmation. L’idée c’est de reprendre tous les critères de la pop malienne mais en instrumentalisant ça en electro. Ça a un côté trance, un côté pop, c’est un truc assez barré et différent.
Ta playlist du moment?
Ma playlist du moment date un peu de 1968. Du Bill Evans parce que j’ai terminé un bouquin sur lui et que je suis fan de la façon dont il réussit à faire chanter son piano. J’écoute aussi pas mal de Soft Machine, un groupe de Rock psyché de la fin des années 60 et dont l’album « Volume Two » est à écouter au moins une fois dans sa vie: c’est complètement barré et ça m’a un peu inspiré pour l’album. J’aime aussi beaucoup ce que fait Mr Oizo, l’album de Rone sorti sur In Fine (« Spanish Breakfast », ndlr) que je trouve super frais même si ça sonne un peu old school, je pense vraiment qu’il y a de bons trucs. Et au delà de ça, tout à l’heure dans le train j’écoutais un live de Stevie Wonder, le genre de son dont je ne me lasse pas parce que j’hallucine chaque fois que j’entends ce que les mecs sortent de leurs tripes.
Au niveau de l’intensité, c’est un résultat qui te paraît atteignable avec la musique électronique?
Oui, et je crois même que Justice en est quasiment à ce degré là de volonté. Pour moi, que ce soit dans le Jazz ou dans n’importe quel style de musique, ce qui compte c’est d’arriver le plus proche possible de son intention de départ. C’est là que tu deviens bon artiste, peu importe la manière. Par exemple, le truc qui me fascine à partir de l’année 1963 de Miles Davis, c’est qu’il obéit à certaines règles mais qui m’échappent complètement. Pour autant, j’ai des frissons chaque fois que je l’écoute et l’impression d’avoir une poignée de sable en or qui me file entre les doigts.
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