Interview – Jeff Mills sur d’autres planètes

Interview – Jeff Mills sur d’autres planètes

Cent ans plus tard, vous donnez votre version de l’oeuvre ‘The Planets’ de Gustav Holst. Est-ce une manière de simplement célébrer l’anniversaire, ou est-ce une œuvre que vous avez soigneusement choisie parmi d’autres, pour coller avec l’esprit Jeff Mills ?

Jeff Mills : En fait, j’ai été inspiré et motivé par ces deux constats. A la fois par le centenaire de la création ‘The Planets’, mais aussi par l’évolution de mon propre travail en termes de rapprochement entre musique classique et électronique. J’ai pensé que beaucoup de nouvelles choses avaient été découvertes depuis un siècle au sujet des planètes voisines, et qu’il était peut-être temps de revisiter le sujet à travers la musique, une fois de plus.

Votre approche est-elle similaire à celle de Holst ? Quelle est la différence ?

Mon approche s’appuie plus sur les perspectives données par la science, plutôt que sur les références initiales de Holst, axées sur la mythologie grecque. J’avais envie de créer quelque chose qui ressemble à un tutoriel, une espèce de voyage éducatif vers chaque planète – et l’espace qu’il peut y avoir entre elles – qui tirerait les auditeurs et le public de plus en plus loin de ce qu’ils connaissent et imaginent aujourd’hui. Ce projet est construit pour être modifié et rafraîchi en fonction de chaque nouvelle découverte ou leçon que les humains pourront tirer de chacune des planètes. Pour moi, c’est un projet qui restera probablement en éveil jusqu’à la fin de ma vie. Et même au-delà. J’espère réellement qu’il sera repris et mis à jour par d’autres compositeurs dans le futur. Mon idée est de créer un projet, un concept, et un show qui traversera littéralement le temps.

J’imagine qu’il aurait été trop facile de rester fidèle à l’œuvre originale, en lui donnant simplement une touche moderne. De quelle manière allez-vous donner votre propre vision du système solaire tel que nous le connaissons aujourd’hui ? Quel est le but de ce challenge ?

Je crois que l’unique esthétique que je peux proposer ici est conditionnée par les sons et les séquences qu’il était possible de créer du temps de Holst. Par exemple, utiliser certains sons anormaux pour décrire des choses anormales auxquelles nous sommes témoins, à propos et autour de ces mystérieuses planètes. Réaliser cette bande-son a demandé énormément d’imagination. Certains de ces rêves sont bien sûr basés sur ce que nous savons déjà, mais la majorité est fondée sur des visions et un ressenti particulier. Le challenge était de faire sonner chaque planète comme une bande-son différente, mais dans un cadre commun, celui que nous percevons comme d’autres ‘Mondes’.

Dans le trailer de ‘The Planets’, vous dites que vous essayez de jouer avec les tailles, les textures et la densité des planètes. Concrètement, comment traduisez-vous cela musicalement parlant ?

La taille et le diamètre de chaque planète ont joué un rôle significatif sur la signature temporelle, la durée, le choix des notes et des accords, la forme des séquences, et même l’égalisation de chacun des morceaux. Mon objectif est de donner l’impression aux auditeurs que chacune des planètes possède son propre écosystème. Certaines d’entre elles prennent une place plus importante dans le système solaire que d’autres, par exemple si l’on compare la Terre avec Jupiter… On peut également prendre Uranus, une planète faite de gaz et de glace dont on ne sait que très peu de choses, qui s’oppose à Mars, une planète de pierre sur laquelle les humains peuvent marcher, et dont on possède beaucoup plus d’informations. Ce genre de paramètre pèse dans le choix et le nombre de sons ou d’accords dans l’orchestration.

Vous êtes définitivement une légende de la techno et cette nouvelle orientation musicale pousse indéniablement vos fans à s’intéresser à la musique classique. L’inverse est-il vrai ? Pensez-vous qu’il est plus difficile d’amener les amateurs de classique vers la musique électronique ?

Non, je ne ressens pas cela comme une difficulté. Je pense qu’à partir du moment où quelqu’un utilise le manuel traditionnel du musicien pour présenter quelque chose de nouveau, il a peu de chance de rencontrer le succès. Je pense qu’en se concentrant sur un sujet, un but ou un concept nouveau qui paraît communément logique selon les standards relatifs aux deux genres, alors il y a plus de chances que la performance soit reconnue et accueillie comme il se doit. Rappelons-nous que les gens qui écoutent du classique sont, comme les amateurs d’électronique, des amoureux de la musique. Dans les deux cas, ce sont des gens qui cherchent à aller un peu plus loin dans la recherche et dans la pertinence du son en général. A mon avis, le seul critère qui divise réellement ces deux communautés est le fait de danser, mais nous devons également nous souvenir que la musique classique était initialement composée pour la danse !

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre relation avec ce public hétérogène ? Quand vous jouez en live, parvenez-vous à ressentir qu’il y a finalement un mix de générations et de goûts musicaux dans la salle ?

Oui, j’arrive à le détecter et j’essaie tout le temps de penser à cette question. En considérant que le public électronique est sans doute plus large aujourd’hui, et lui-même composé de personnes jeunes et plus âgées que lors des précédentes décennies, nous devons proposer plus de styles musicaux et des représentations capables de parler à tout le monde. Je ne m’adresse pas qu’à ces chanceux qui peuvent encore rester debout et danser en club jusqu’à l’aube. ‘The Planets’ a définitivement été créé avec ce sujet particulier en tête.

Dans le même temps, vous sortez ‘Exhibitionist 2’, onze ans après le premier volume. Le premier était basé sur un DJ set spontané, et ce nouveau volet sonne plutôt comme un album qui l’est tout autant. Chaque courant musical possède plus ou moins sa part d’improvisation lorsqu’il est joué en live. Qu’essayez-vous de montrer sur ce CD et ces deux DVD ?

Oui, tu as raison. Ce que j’essaie de montrer, c’est que nous pouvons utiliser les mêmes outils de production de différentes manières pour produire des résultats différents. Il était ici important d’être capable de montrer en gros plan ce que je faisais, de façon que le spectateur puisse comprendre ce qu’il se passait. En d’autres termes, ils peuvent observer les mouvements et les actions qui sont quasiment impossibles à voir dans la configuration d’un club sombre ou d’une salle de concert. Dans certains des films, les gens peuvent observer qu’il se passe beaucoup de choses pour produire le son final : la réflexion, le positionnement et la planification, l’action…

Y-a-t-il une œuvre classique dont vous auriez aimé être l’auteur ?

Oui, ‘The Firebird’ de Stravinsky !

Toutes les infos : 
http://www.onlille.com/event/jeff-mills-electrosymphonic/


Tags:
Pas de commentaire

Poster un commentaire