19 Fév 09 Interview : Victor Deme (02-2009)
Le premier album de Victor Démé, sorti sur Chapa Blues, est sans conteste l’une des plus belles réussites musicales de l’année 2008. Composant à la frontière entre la musique mandingue, la salsa et le blues, l’artiste burkinabais y clame son engagement dans la construction de son pays, sa volonté de lutter contre la pauvreté, mais y chante aussi l’amour, le respect et l’unité. Près d’un an après cette sortie renversante, nous avons pu, grâce à l’aide de l’association Ouagajungle installée au Burkina, poser quelques questions à Victor Démé, qui revient avec émotion et humilité sur sa vision de l’Afrique aujourd’hui, ne manquant pas d’insister sur le pouvoir unique de la musique…
Pourriez-vous revenir sur votre parcours musical, notamment sur vos débuts au Burkina Faso?
J’ai commencé la musique avec ma grand-mère maternelle. C’est elle qui m’a donné envie de faire de la chanson. Elle était griotte et chantait dans les baptêmes, les mariages. Quand elle chantait, ça me plaisait et je voulais faire comme elle. Dans les années 80, j’ai décidé d’aller en Côte d’Ivoire où j’ai rencontré le groupe Super Mandé, dont Abdoulaye Diabaté était le chef d’orchestre. Cet homme m’a vraiment donné le courage de me lancer car c’était la première fois que je touchais un micro. C’est avec ce groupe que je me suis formé à la musique moderne. Je suis ensuite revenu au Burkina et, arrivé là-bas, il n’y avait presque plus de groupes… J’ai tout de même continué la chanson à Ouagadougou avec le groupe Suprême Comenba, un vieux groupe très connu au Burkina. Je suis ensuite rentré à Bobo-Dioulasso, et comme il n’y avait plus aucun orchestre, j’ai continué à travailler dans les champs de mon grand-père. En 1989 a été lancé le concours du Centre Culturel français de Bobo-Dioulasso organisé en partenariat avec RFI. Je suis allé tenter ma chance et j’ai eu le premier prix. On m’avait promis de me produire et d’enregistrer une cassette, mais rien n’a été fait… Après ça j’ai donc été obligé de passer par les clubs et les cabarets pour gagner ma vie…
Comment se sont faits la rencontre avec Ouagajungle et Makasound et l’enregistrement de votre album?
J’ai rencontré Camille de Ouagajungle par l’intermédiaire de Kampla, un jeune guitariste. Il m’a proposé de venir à Ouaga pour enregistrer quelque chose, mais je n’ai pas eu le courage… Ca n’est qu’au bout de deux ans que j’y suis venu et que je l’ai recroisé chez mon frère Doudou. J’ai pris ma guitare et j’ai commencé à jouer et chanter. Camille m’a demandé s’il s’agissait de mes propres compositions. J’ai dit oui et il m’a dit qu’on pouvait travailler ensemble. Il voulait qu’on aille directement en studio mais je n’avais pas un rond pour les payer! Mais Camille m’a dit qu’on pouvait faire ça gratuitement. Du coup on a enregistré 4 titres, Ouagajungle et Chapa Blues m’ont donné beaucoup de conseils, ils m’ont dit par exemple qu’il fallait aller déclarer mes droits d’auteur le plus tôt possible. Voilà, tout a commencé comme ça et ensuite ça a donné un album.
Votre album est imprégné de différentes influences, mandingues tout d’abord mais également latines. Comment expliquez-vous ce mélange?
J’ai joué dans des groupes où il y avait des gars qui faisaient de la musique mandingue, d’autres qui faisaient de la salsa, d’autres encore qui faisaient du blues… C’est aussi ce que j’ai écouté depuis mon plus jeune âge. Donc à l’époque où j’étais simplement choriste je me suis imprégné de toutes ces influences. Ensuite je me suis dit qu’il fallait que je commence à travailler mes propres compositions à partir de tout ça.
Les influences blues sont très présentes dans vos compositions. Quel regard portez-vous sur cette musique qui est née en Afrique avant de trouver ses heures de gloire de l’autre côté de l’Atlantique?
Je trouve que le blues est fait pour expliquer des choses et des sentiments vraiment sérieux et réels. Il est mieux placé pour expliquer ce que j’ai vu que d’autres styles musicaux. C’est quand les Noirs ont eu leur liberté qu’ils ont essayé de le mettre en valeur pour raconter leurs vies. Donc je me suis dit qu’à travers le blues je pouvais expliquer beaucoup de choses, par exemple le respect des autres, le fait que nous sommes tous des humains… « Djôn’maya », par exemple, est un titre que j’ai composé à partir de là [« Djôn’maya » signifie « Le mépris ». Dans ce titre, Victor prône le respect et incite à ne jamais avoir recours au mépris ou à la moquerie]. Le blues n’est pas fait pour chanter l’amour comme « Chérie je t’aime, Chérie tu me manques »… Je crois qu’il est fait pour expliquer des choses qui te marquent au fond du coeur. Je suis donc obligé de passer par lui pour dire ce que je pense.
Vos titres abordent de nombreux thèmes, à la fois personnels et plus universels. Où trouvez-vous votre inspiration pour composer vos morceaux?
L’inspiration de ma musique vient des choses que je vois, par exemple dans la rue. Des choses qui me vont droit au coeur, par exemple comme dans le morceau « Burkina Mousso », qui parle des femmes qui font tous les jours 15 km, 20 km pour aller faire leur marché, venir s’occuper de leur famille… Il faut chanter ça, c’est normal, il faut les encourager! Mais je suis aussi obligé de chanter sur des choses qui me font mal. J’essaie de sensibiliser mon peuple. Je dois parler à mon peuple Burkinabé de ce qui ne va pas, par exemple de la pollution énorme au Burkina, car à cause de ça c’est la famine qu’on est en train de préparer pour nos enfants.
Quel regard portez-vous sur la situation du Burkina à l’heure actuelle, et plus généralement sur la situation de l’Afrique?
Avant l’Afrique était vraiment unie, il y avait la paix, la joie… Maintenant ce n’est plus comme avant. Quand j’étais gosse par exemple, je prenais le train pour venir au Burkina avec ma mère qui est ivoirienne, il n’y avait pas d’emmerdements. On présentait une pièce d’identité et ça passait. Maintenant tout est compliqué. Certaines de mes chansons parlent justement de ça. Comme je le dis: moi je suis burkinabais, ma mère est ivoirienne, mon frère est burkinabais, sa femme est togolaise, ma fille est burkinabaise, son mari est malien… Je crois que ça c’est la réalité. Il faut vraiment préserver le métissage en Afrique. Par exemple, je me rappelle que, lors d’une tournée, on a pris un autocar de Paris jusqu’en Allemagne et on ne nous a absolument pas arrêté à la frontière. On ne sait même pas où se trouve la frontière de l’Allemagne, où se trouve la frontière de la France… J’ai rien compris! Et je me suis dit, pourquoi chez nous, jusqu’à présent, toutes ces barrières existent? Je trouve que c’est sûrement cela qu’il manque: elle doit s’unir, s’entendre, faire une table ronde et créer une nouvelle Afrique. C’est ça qui nous manque.
Pensez-vous que la musique peut encore changer les choses? Est-il important selon vous que la musique soit porteuse d’un engagement politique, notamment en Afrique où sont nées des musiques particulièrement engagées comme l’afrobeat de Fela Kuti au Nigeria?
Oui… Mais je crois que nous, on ne fait que chanter… Alpha Blondy, Bob Marley, Peter Tosh, Tiken Jah… Tous ont parlé de l’unité africaine, et ça n’a rien changé… Mais ce n’est pas ça qui va nous faire arrêter de chanter pour la paix! Qu’ils écoutent ou qu’ils n’écoutent pas, nous on est obligés de chanter pour que la paix règne. Moi même je dois tout faire pour le Burkina, et comme tous les artistes burkinabais, je veux faire quelque chose pour le pays. Nous sommes tous obligés de faire quelque chose pour le pays. Parce que chez nous la vie est chère, il n’y a pas assez de boulot, les jeunes sont comme des animaux dans la rue, ils ne savent même plus où aller… Je crois qu’on a beaucoup de choses à dire et moi je veux parler à ma population, car chaque burkinabais doit se mettre en tête qu’il doit participer à construire son pays.
Votre album a été particulièrement apprécié en France, où vous avez d’ailleurs joué plusieurs fois. Que représente pour vous ce succès?
Ce succès m’a donné envie de continuer dans la musique, de me perfectionner. Parce qu’à une époque, je me souviens, j’étais comme un mort… Ici au Burkina, j’ai fait tous les concours, le grand prix national de la culture 1989… J’ai tout fait et rien n’a marché. J’ai même songé à arrêter la musique… Un jour j’ai dit à ma femme, « tu vas prendre la guitare et tu vas préparer la sauce avec! » (rires). Je voulais vraiment arrêter la musique, j’étais prêt pour ça. C’est la rencontre avec Camille qui a tout relancé. Je ne m’attendais pas du tout à un tel succès en France. Et c’était mon rêve!
Quel rapport entretenez-vous avec le public lorsque vous êtes sur scène?
Grâce au succès de l’album en France et à la tournée, j’ai compris beaucoup de choses. Le public m’a fait comprendre des choses qui m’ont beaucoup servi. Ca m’a vraiment formé. Ce qui me fait très plaisir, c’est qu’en France, partout où je joue, le public est toujours très souriant avec moi, toujours de mon côté. Le public m’a beaucoup encouragé et ça me va droit au coeur.
Quels sont vos projets pour l’avenir? Avez-vous des projets de collaboration avec d’autres artistes?
Pour l’instant, on travaille un peu avec des artistes ici. Au niveau d’un second album, c’est balèze! Parce que là, je risque d’avoir des problèmes, j’ai trop de choses à dire! Je vois des choses qui se passent ici et qui ne sont pas du tout normales… C’est nous qui devons sauver notre pays. Donc ce sera un album beaucoup plus engagé, où je veux dire que d’une certaine façon, nous les burkinabais, nous sommes tous coupables. C’est à nous maintenant de reprendre les choses en main. Il faut aussi sensibiliser les gens, ça fait partie de la construction, par exemple sensibiliser les gens au respect de la terre, de l’environnement…
Le mot de la fin?
Chacun a son rôle à jouer, et surtout il faut laisser la place au talent.
Thierry PONTAC
Posté à 23:41h, 02 juilletNous venons de faire votre connaissance Monsieur Victor DEME et nous sommes fière de voir des hommes comme vous vouloir réaliser de grande chose pour votre pays. Nous vous souhaitons beaucoup de succès dans votre futur album.
epargne retraite
Posté à 22:22h, 02 aoûtmerci de permettre à cet artiste d’être plus largement connu via cette interview!!
j’étais au concert au cabaret sauvage début juillet et comme d’habitude, c’était top!!
unibet
Posté à 06:54h, 03 aoûtOn aimerait bien le contraire, mais il faut se rendre à l’évidence : la créativité naît dans la difficulté. Les grandes qualités de DEME en sont une preuve.
Youssouf
bwin
Posté à 08:39h, 09 septembreBravo, j’ai aimé Démé. On en redemande.
Domino