Interview – Rhymesayers, à l’encre indélébile

Interview – Rhymesayers, à l’encre indélébile

En regardant un peu dans le rétroviseur du hip hop, il apparaît clairement que divers labels influents se sont toujours passés le relais pour incarner les périodes les plus fortes du genre. À des degrés différents, et pour toujours renforcer la diversité du rap, Death Row, Def Jam, Fat Beats, Def Jux, Rawkus, Stones Throw comme des dizaines d’autres, ont tous oeuvré pour que la discipline soit ce qu’elle est aujourd’hui. Mais ces derniers temps, un d’eux s’est particulièrement fait remarquer, notamment par l’incroyable qualité et la forte cohérence de son catalogue. En effet, alors qu’il s’apprête pour la première fois à envahir l’Europe par le biais d’une tournée commune de ses artistes les plus représentatifs, Rhymesayers fait plus que jamais parler de lui. Avant que le Vieux Continent ne tremble, on s’est donc rapidement entretenu par mails interposés avec Brent “Saddiq” Sayers. C’est que le boss du label à bien d’autres chats à fouetter…

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Comment est-ce que l’aventure Rhymesayers a débuté? Quelle était votre ambition au moment de sortir le tout premier album du catalogue?

Nous étions alors juste quelques gamins biberonnés au hip hop de la Golden Era, qui ont suivi leur amour et leur passion pour cette culture, jusqu’à ce qu’elle se transforme en un des plus respectés labels indépendants. À ce moment précis, notre motivation consistait juste à être entendus, et à être respectés.

De qui était alors composée l’équipe dirigeante? Est-elle la même aujourd’hui? Combien de personnes le label fait-il vivre aujourd’hui?

À l’origine, il ne s’agissait que de moi. Je faisais tout. Puis, je me suis associé à J-Bird pour qu’il s’occupe du management des tournées de nos artistes. Au fil des ans, nous nous sommes étoffés et sommes devenus une véritable entreprise. Désormais, nous sommes une équipe de six personnes, sans y inclure le personnel dédié au shop en ligne Fifth Element.

r22J’ai l’impression qu’il est assez facile aujourd’hui d’identifier une production Rhymesayers. D’après toi, quel est le point commun à tous les disques du catalogue? Est-ce que le label choisit ses artistes dans le respect d’une certaine ligne directrice?

Non, nous n’imposons rien, ni aux artistes ni à leur art. Le seul point commun de tous ceux qui sont présents au catalogue est qu’ils sont tous ce qu’ils sont, qu’ils s’expriment tous à leur façon, ils sont tous originaux. Nous avons évidemment notre mot à dire quant au produit final, mais ce n’est qu’un avis supplémentaire dans le processus. Personnellement, je n’ai jamais considéré nos disques comme nos artistes facilement identifiables à Rhymesayers. Ça me paraît difficile quand tu as des gens aussi différents que Atmosphere, MF Doom, Freeway, Brother Ali, Eyedea & Abilities, Evidence, P.O.S, Grieves, Blueprint… Même si certains ont quelques similitudes, beaucoup ont en revanche un background très différent, comme des expériences de vie et des approches artistiques contraires. Et c’est cela que Rhymesayers veut constamment représenter: un catalogue extrêmement varié de voix et d’artistes talentueux.

Beaucoup de labels hip hop n’ont pas survécu au temps. Etant donné l’expérience que vous avez désormais, peux-tu nous dire quels sont les pièges récurrents qui peuvent faire obstacles à un label comme le vôtre?

cita1La seule chose qui compte est de toujours rester focalisé sur les artistes. Rhymesayers ne serait rien sans les siens, donc ils sont prioritaires sur n’importe quoi d’autre. Nous apprécions nos réussites, mais elles ne changent pas notre état d’esprit. Aussi, nous essayons vraiment de rester pertinents et actuels en signant de nouveaux talents venant contrebalancer d’autres plus expérimentés. Au-delà de ça, il ne s’agit que de s’en aller voir hors des sentiers battus, et de toujours garder un temps d’avance.

Rhymesayers gagne en importance dans une industrie en crise, à l’avenir totalement imprévisible. Quelles sont les raisons de cette réussite?

Le talent de nos artistes, beaucoup de travail, ainsi que tout ce que j’ai énuméré auparavant.

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Est ce que le fait que des labels comme Anticon ou Def Jux aient moins de succès ou aient jeté l’éponge, peut être une des raisons du succès grandissant de Rhymesayers? Je pense par exemple que Hail Mary Mallon (projet de Rob Sonic et Aesop Rock) ne serait jamais sorti chez vous si Def Jux était toujours en vie. Je me trompe?

Peut-être, on ne peut pas savoir… Nous avions déjà du succès quand ces labels étaient sur le devant de la scène, donc je ne peux pas dire que c’est la principale raison de notre bonne santé actuelle. Mais évidemment, et c’est logique: moins nombreux sont nos contemporains, plus nous avons de chances de travailler avec des artistes historiquement rattachés à eux.

Beaucoup de labels se focalisent principalement sur la scène hip hop de leur propre ville: Anticon à San Francisco et Los Angeles, Def Jux à New York, Galapagos 4 à Chicago, vous à Minneapolis… Comment expliques-tu que cette politique soit si courante? Est-ce une clé de réussite d’après toi?

cita2En ce qui nous concerne, mais je pense qu’il en est de même pour les autres, c’est on ne peut plus logique puisque nous sommes de Minneapolis, et que nous aimons notre ville. Mais je pense que le fait de travailler avec des artistes d’autres régions est aussi une raison indéniable du succès actuel de Rhymesayers. Autant que le fait de se focaliser sur Minneapolis en tout cas…

Y a t-il des artistes que tu aurais adoré signer mais que tu aurais manqué. Lesquels?

J’aurais adoré travailler avec Aesop Rock depuis le tout début de sa carrière. À l’origine, “Daylight” était d’ailleurs censé sortir chez Rhymesayers. J’aurais également adoré travaillé avec Little Brother avant que le groupe devienne ce qu’il est désormais. J’ai toujours pensé que nous aurions pu aider ces artistes à transformer ce qu’ils faisaient en quelque chose de beaucoup plus gros et solide. Actuellement, il y a une poignée de jeunes talents avec qui j’aimerais faire des choses. Mais je crois fermement au destin, je suis persuadé que tout ce qui doit arriver arrive, au moment où cela doit arriver. Donc, qui sait, peut être que des projets se concrétiseront à l’avenir…

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Quel bilan fais-tu aujourd’hui quand tu retraces l’histoire du label? Quelles sont les lignes directrices que vous comptez suivre au cours des prochaines années pour permettre à Rhymesayers de garder le cap?

J’ai le sentiment que, de plusieurs façons, nous nous sommes définitivement imposés au sommaire des livres d’histoire du hip hop. Nous avons réalisé ce que nous avons entrepris, et puisque nous sommes bons dans ce que nous faisons, tout ce qui arrivera maintenant ne sera qu’une cerise de plus sur le gâteau. Le principal à l’avenir sera de ne jamais oublier comment nous en sommes arrivés là, et de rester fidèle à notre éthique.

Est ce que la crise actuelle au sein de l’industrie musicale vous conduit à développer d’autres activités comme le merchandising, les tournées, le management…? Aspirez-vous à l’avenir à travailler sur tous les éléments rémunérateurs du développement d’un artiste?

Nous avons toujours fait ça. Nous nous sommes tout de suite engagés dans un business à 360°, non pas en vue de profiter de nos artistes pour générer des revenus additionnels, mais par nécessité. En ce qui concerne le noyau d’artistes avec qui nous travaillons depuis le premier jour, nous faisons tout pour leur carrière, et avons toujours tout fait. Nous essayons vraiment de travailler en tandem avec chacun d’eux pour le bien de leur propre marque, comme de la nôtre.

r5Désormais, l’évolution d’internet permet à certains artistes de se passer d’un label. Comprends-tu ce choix? Que dirais-tu à l’un d’eux qui refuserait l’offre d’un label comme le vôtre pour avancer seul?

S’il a les moyens de le faire, cette décision prend tout son sens. Mais à la fin de la journée, qui que vous soyez, vous aurez toujours besoin d’une équipe. C’est là que nous entrons en jeu et que nous endossons notre rôle.

En tant que patron de Rhymesayers, quelle est ta plus belle récompense à l’heure d’aujourd’hui?

Pour chaque projet, partir à chaque fois de zéro, et travailler avec des gens vraiment supers. Aussi, voir mes amis artistes atteindre leurs objectifs et prospérer grâce à la combinaison de nos efforts.

Quels sont les nouveaux albums que nous pouvons attendre de Rhymesayers en 2012? Est-ce que de nouveaux artistes sont déjà prévus au catalogue l’année prochaine?

Brother Ali, P.O.S, Jake One… Peut-être aussi quelque chose de la part de MF Doom, et bien sûr quelques nouvelles arrivées et surprises possibles. Stay tuned.

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Brother Ali – “Good Lord”Brother Ali Evidence – “You”
Atmosphere – “She’s Enough” Grayskul – “Missing”
POS – “Drumroll” Felt – “Chewed”
Abstract Rude – “Thynk Eye Can” Freeway – “She Makes Me Feel Alright”
Blueprint – “Radio Inactive” Hail Mary Mallon – “Smock”
Eyedea & Abilities – “Smile” Atmosphere – “Shoulda Known”

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