27 Mar 11 Interview – Kid Koala, les sillons plutôt que les rides
A 37 ans, Kid Koala en paraît 15. Surtout quand il enfile la combinaison de son animal fétiche pour ce show à l’Aéronef de Lille. « J’ai perdu un pari! », aime t-il rappeler au micro, avant d’attaquer un set éclectique et de qualité devant un public contaminé par le sourire permanent qu’il affiche sur son visage. Qu’il scratche sur le morceau préféré de sa fille de deux ans, ou qu’il enchaîne les prouesses techniques sur des disques de jazz, de hip-hop et même d’ambient , Kid Koala est un entertainer naturel en plus d’être un artiste complet et bourré de projets. Rencontre…
Je ne vais pas te poser des questions du genre « quand et comment as tu appris à scratcher? » etc… Parlons plutôt de tes nombreux projets, comme de « Music To Draw To… » par exemple. Quel en est le concept?
Kid Koala: C’est plus un « community event » relatif à l’art et la culture, que l’on voulait mettre en place à Montreal. Tu sais, en hiver, il y a quatre ou cinq mois où il fait –20° dehors, et personne ne quitte sa maison. Personne… Donc nous nous imaginions que tout le monde bossait dans son studio pendant ce temps. On s’est donc dit que ça serait sympa de monter un événement où les gens sortiraient et travailleraient ensemble dans une même pièce. Je joue de la musique downtempo, calme, de la « working music »… En fait, beaucoup de musique sur laquelle j’ai moi-même dessiné. Donc je l’ai déjà testée, et je pense que c’est du bon son pour travailler! Alors, on a amené huit systèmes hi-fi, des petits haut-parleurs, mais avec un son très chaleureux pour donner une ambiance de salon. C’est très calme et assez incroyable à voir parce que tu as parfois plus de trois cents personnes dans la salle et personne ne parle! Il s’agit juste de travailler en musique. J’ai un peu le même sentiment quand je joue pour le dancefloor, que tout le monde saute et danse… J’ai l’impression que les gens y portent la même attention, le côté créatif en plus.
Penses-tu importer ce concept dans d’autres pays?
Oui, on a déjà fait plusieurs évènements au Canada et aux Etats-Unis pour l’instant. On a commencé à Montréal en 2009 et on l’a amené à Toronto, Los Angeles, New-York… Et cette année, on parle de San Francisco, et de Montreal à nouveau. Mais j’aimerais bien faire ça à Londres, Paris, Oxford, Sidney. Mais ça n’est pas du tout un événement qui génère des profits. L’entrée coûte cinq dollars, et ça comprend en partie les pâtisseries, car ma femme a un stand de pâtisseries! Elle fait des cupcakes, des snacks… Si tu viens, on te donne des « chocolats chauds » (en français dans le texte, ndlr) et des crayons!
C’est très familial comme événement!
Oui! On apporte aussi les tables à dessin, il y en a environ 80. Le seul moyen pour que ça soit faisable dans d’autres pays, c’est de le combiner avec une autre tournée. Quand « Space Cadet » sortira, je pense qu’on fera un « Music To Draw To… » le lundi. Tu vois, c’est un événement à faire en semaine, c’est pour travailler. Mais c’est marrant, les gens font des trucs de fou! L’autre jour, quelqu’un a fabriqué une robe pendant mon set (il me montre des photos sur son Blackberry, ndlr), et à Montreal il y a beaucoup de créateurs de jeux vidéos, donc certains ramènent leur laptop. Je me suis dit: « Hééé, il envoie des e-mails!« . Mais en fait non, quand je suis allé voir derrière, il était en train de fabriquer des personnages en 3D. Woah!
Tu sembles aimer la combinaison entre la musique et le dessin. Tu fais également tes propres pochettes de disques. As tu en tête d’autres manières d’associer ces deux formes d’art?
Oui, j’ai déjà sorti un livre appelé « Nufonia Must Fall » en 2003. C’est un bouquin de 300 pages avec un cd, la B.O. de cette nouvelle en quelque sorte. Contrairement à mes albums sur Ninja Tune, où je fais d’abord la musique avant de faire l’artwork et le livret, pour « Nufonia » j’ai d’abord dessiné le livre avant de faire la musique. Mon nouveau projet, « Space Cadet », est un peu comme ça, une nouvelle graphique et une B.O.!
Peux tu donc m’en dire plus sur le Space Cadet Show?
« Space Cadet » est donc un livre qui sortira en juillet avec le cd-soundtrack, et c’est l’histoire d’un robot et de sa fille, une sorte d’exploratrice de l’espace. Ils sont tous les deux connectés par ce lien familial, il y a plein de flashbacks, tu vois qu’ils ont des vies relativement similaires à des années-lumières d’écart, des connections particulières… Ces deux personnages sont seuls et isolés, lui est sur Terre, elle dans l’espace. La musique reflète tout ça, à travers des espèces de berceuses. Alors quand il a fallu créer un concert, c’était contextuel, et on a pensé que la meilleure chose à faire était d’avoir des casques, parce que c’est à la fois social et solitaire. C’est une idée complètement anti-dancefloor car la musique est très lente. Puis il y a environ 250 personnes avec 250 câbles pour les casques dans la salle! Le son est excellent… Isolé, mais social quand même!
Tu as également réalisé des morceaux pour le film « Scott Pilgrim vs. The World »! Comment est-ce arrivé?
Je connaissais Edgar Wright depuis « Shaun Of The Dead ». Il est venu à l’un de mes shows en 2003, quand j’étais à Londres. Un ami mutuel l’a emmené au concert, il a vraiment aimé ce qu’il a entendu. Nous avons commencé à discuter, et il m a dit qu’il était en train de finaliser la musique pour « Shaun Of The Dead ». Il m’a donc demandé de faire un remix scratché de « Dawn Of The Dead » pour le générique de fin. Quand il a fini « Scott Pilgrim », il voulait l’un de mes morceaux, mais ne pouvait pas obtenir la licence. Il voulait encore un « turntable track », donc il m’a demandé de l’aider. C’est un honneur pour moi!
Tu as également enregistré un morceau pour la compilation des vingt ans de Ninja Tune…
Oui, « 3 Bits Blues »!
… C’est super sexy, super bluesy. Peut on s’attendre à un nouvel album de Kid Koala avec ce genre de morceau?
Oui, ça sera fini en mai, et « 3 Bits Blues » est dessus. En fait, ça s’appelle « 12 Bits Blues », c’est le titre de l’album! (rires) C’est un album réalisé principalement avec le sampler SP1200, comme tous mes albums de rap préférés. Je n’avais jamais pu me le payer avant… C’est comme les disques de Public Enemy, Cypress Hill, A Tribe Called Quest, tous les premiers trucs… Ca sera donc un son très blues, très classique, avec des scratches, du chant, des guitares. Je me suis fixé comme objectif de le terminer en mai, ça sortira peut être l’année prochaine.
Quand tu as eu l’idée de monter le projet The Slew, était-ce parce que tu sentais comme un vide en étant seul sur scène, ou est ce que les instruments manquaient pour compléter tes scratches?
(rires) Les deux! C’est génial de jouer seul en tant que DJ, mais c’est vrai que tu ne peux pas reproduire toutes les possibilités d’un instrument, ce son plus viscéral, organique… En fait, The Slew a commencé avec un album. On n’avait pas l’intention de le jouer en live au départ, c’était juste fabriqué avec des platines. Quand Dynomite D de Seattle et moi avons terminé l’album, on s’est dit: commençons une tournée! Quand on a jeté une oreille aux sessions, on a remarqué qu’il fallait au moins huit ou neuf DJs pour faire ça. Toutes ses couches à scratcher en live… J’ai donc commencé à écrire une liste de DJs à recruter, mais c’était trop compliqué car il y avait des mecs qui venaient d’Asie, d’Australie, de la West Coast. Imagine la galère pour réunir tous ces gens! Mais ça n’est pas la seule raison… Tu vois, c’est un disque de rock! On devait donc le faire comme un groupe de rock, avoir une section rythmique rock… On aimait tous les deux le premier album de Wolfmother, surtout la manière dont sonnait la rythmique, en particulier avec Chris Ross et Myles Heskett. Je les ai brièvement rencontrés, mais ils étaient en plein boom, en train de devenir gros, occupés avec un Grammy etc… Mais je leur ai joué un peu de The Slew et ils ont tout de suite été à fond. On leur a donc demandé de venir jouer ça en live avec nous. J’ai alors recruté P-Love, avec qui j’ai joué pendant plusieurs années. On avait donc six platines, on assurait les voix et les guitares, puis la basse, les drums et les claviers étaient assurés par Chris et Myles. Ils sont monstrueux… En fait, ils n’ont même pas besoin de nous! (rires) Mais c’était dynamique et très fun, si bien qu’on a décidé après la tournée de travailler ensemble sur un nouvel album.
Tu as fait les scratches pour Deltron 3030 ou Gorillaz, entre autres… Y a t’il un groupe ou quelqu’un sur cette planète pour qui tu aimerais travailler dans cette voie?
J’aime bien les chanteuses, dans le rock. J’ai beaucoup travaillé sur des trucs hip-hop ou électro, je pense que ça peut être cool de faire un disque plus vocal. L’une de mes chanteuses favorite est l’islandaise Emiliana Torrini. Je peux jouer ses morceaux dans mes sets, donc j’apprends à intégrer les platines dans ce genre de musique. Ca peut être intéressant de faire quelque chose dans ce style un jour! C’est une musique que j’écoute et que j’adore, mais que je n’ai jamais entendu croisée avec la culture du turntablism.
Tu aimes prendre une note de musique, trompette ou violon par exemple, la développer, la scratcher et construire un nouveau morceau. Après toutes ces années, n’as tu pas envie d’apprendre pour de vrai à jouer de ces instruments?
(rires) C’est marrant parce que je regarde énormément de vieux DVDs de jazz, de Billie Holliday, Coltrane, Thelonius Monk, … C’est un peu l’école pour moi, juste de regarder comment ils font. Par exemple, Billie Holliday a un champ d’action très large au niveau de sa voix, mais elle le réduit pour se forcer à transmettre plus de feeling avec moins de notes. Elle chante parfois des chansons avec juste quatre notes, tu vois! Quand tu l’écoutes, elle n’est jamais dans la démonstration. Il s’agit plutôt de donner de l’importance à chaque note. C’est parfois ce que j’essaye de faire, juste prendre une note et travailler à fond dessus. Un peu comme Miles Davis.
Tu apprends beaucoup de tout ça…
Oui, j’apprends énormément à force de regarder ces vidéos, ça tourne tout le temps chez moi.
Et tu joues d’un instrument?
Je joue du piano. Mais je suis plutôt « platines ». Quand je regarde des gens comme Sidney Bechet, je me demande comment traduire ça sur mes platines, c’est toujours un petit challenge. Et ça me rend perfectionniste! J’ai eu une opportunité, et je n’ai jamais été aussi nerveux dans un concert… J’ai été invité par le Preservation Hall Jazz Band au Preservation Hall, un club de jazz reconnu en Nouvelle-Orléans. Je viens du piano classique, c’est donc une mentalité d’autodidacte, d’entrainement et de persévérance avant de faire un concert ou une compétition. C’est très solitaire comme exercice. Pour moi, le jazz c’est la somme de tous les musiciens qui jouent ensemble et improvisent… Tout le monde improvise en même temps, mais tout le monde connaît l’accord principal. Techniquement ça peut sonner très chaotique, mais quand tu l’écoutes bien, comme le jazz de Nouvelle-Orléans, c’est très joli. Donc quand j’ai été invité à jouer là-bas, j’étais TROP nerveux! (rires) Je pense que la moyenne d’âge du groupe était d’environ…65 ans ! Et ils jouaient comme ils respiraient, il prenaient leur instrument et c’est comme si la musique sortait toute seule. Le plus jeune de la bande devait avoir 62 ans, et il m’a dit que là-bas, dès que tu as l’âge de jouer du tambourin, tu te retrouves déjà dans une fanfare pour jouer à des funérailles ou à Mardi-Gras. Il ne s’agit jamais d’une seule personne mais d’un groupe, même s’ils font tous des solos. Même si tu es un enfant et que tu joues du tambourin comme ça (il tape sur ses genoux comme un enfant, ndlr), peu importe parce que le reste des musiciens va te soulever, t’aider à t’améliorer. C’est une vraie communauté! Il y a des professeurs et musiciens de la nouvelle génération, et d’autres de l’ancienne, mais personne n’est séparé, tout le monde joue en même temps, peu importe le niveau. Et par la force des choses, tu deviens meilleur parce que tu joues avec de supers musiciens, tu apprends tous les secrets! C’était une expérience très enrichissante, très différente du piano classique ou même du DJing. Ce sont des gens qui viennent jouer de la musique ensemble, prendre du bon temps, s’exprimer.
Donc nerveux au début et finalement emballé!
Totalement! (rires) Ca a complètement changé ma perception de la musique. Tu vois, même si j’ai joué dans des groupes, ça n’est pas pareil. Tu joues la partie que tu as répétée, ta partie, tu as un truc a jouer à un moment donné. Je pense que lorsque j’ai joué avec eux… c’était quartier libre! Et j’avais l’impression que rien ne pouvait s’écrouler, parce que par dessus tout, tout le monde sait où il doit emmener le morceau. Il suffit de se laisser aller et ça devient un superbe moment.
Quelle est ta position par rapport aux nouvelles technologies? Restes tu fidèle à la configuration deux ou trois platines et une mixette?
Pour l’instant oui. Je suis une espèce de…
Puriste?
(rires) Noooon! Je pense que si tu es DJ, tu es forcément fasciné par la technologie. La technologie nous permet de produire des nouveaux sons. Mais je pense que les DJs n’ont jamais aimé que les machines fassent le boulot à leur place. Ils ont toujours voulu avoir le contrôle, la parole, tu vois? Tu ne veux jamais que la machine te prenne ta voix, tu veux plutôt l’utiliser pour la porter. Pour moi, le vinyle a une voix, les platines ont une voix… Il y a de quoi étudier! Je ne crois pas que j’arriverai à la fin de ma carrière en ayant tout appris des platines. C’est infini! J’entends des trucs dans ma tête que je n’arrive pas à reproduire physiquement. J’ai de quoi faire avant d’acheter du nouveau matos… Back to basics!
Et que penses tu de logiciels comme Traktor ou Serato?
Je pense vraiment que ce type de programme est incroyable. Beaucoup de gens me disent que je suis l’un des derniers à procéder à l’ancienne, mais ça n’est pas pour faire mon « puriste ». C’est pour des raisons personnelles: j’apprécie le son du vinyle, j’aime changer les disques, j’aime les craquements, quand la cellule glisse et qu’il faut apprendre à rattraper le coup parfois, j’aime travailler sur mes rotations. Toutes ces choses font partie des bases. Si tu m’enlèves ça, je me dirais que l’ordinateur le fait pour moi et je me ferais vite chier. Je devrai penser à de nouvelles choses à faire, un peu comme au départ, quand tu arrives à transformer tes scratches avec une table de mixage et que tu te dis « maintenant c’est trop facile, il faut que je trouve un truc plus compliqué à faire!« . Avec les technologies, c’est pareil, c’est la course entre l’homme et la machine! Mais pour moi, il y a un son. Comme quand tu joues de la guitare, il y a un son quand tu glisse d’une frette à l’autre entre deux notes. Imagine si tu joues de la guitare digitale, tu perds ces sons. C’est aussi comme un chanteur à qui tu couperais tous les moments où il inspire: tu lui enlèverais sa personnalité! Crois-le ou non, c’est la même chose avec les vinyles. Et après toutes ces années, c’est quelque chose que j’entends. Par exemple, ce tout petit son de basse quand tu mets ta main sur le disque pour le tirer vers l’arrière, ce petit « woh » (il imite le son du disque, ndlr): ça donne une personnalité au scratch et j’adore ça! (rires)
RoskÖ
Posted at 21:14h, 27 marsLe Kid est à mon goût le plus génial des turntablists. Très bonne interview, bravo.
güs
Posted at 10:18h, 05 avrilOué ! Super concert à Lille et très bon article. Bravo.
Kid Koala en live, c’est vraiment quelque chose. Malgré son « professionnalisme » et son expérience, il ne cède pas à la facilité du show millimétré et parfait. Honnête, il prend des risques, se trompe parfois, et rattrape le coup en sourire (et en sueur). L’inverse d’un pousseur de disques ou de boucles. Un vrai show poétique et humain.
François
Posted at 23:49h, 05 juinComplètement en phase avec vous. Première fois que je le voyais en live et c’était…adorable! En plus de ça, je vous confirme que c’est un personnage simple, drôle et accueillant, d’où cette demi-heure d’interview passionnante…
Kalcha
Posted at 13:42h, 06 juinje crois que tous les gens qui ont eu la chance de le rencontrer sont unanimes: ce type est d’une gentillesse et d’une simplicité surprenantes quand on voit sa carrière (et surtout quand on en voit certains autres qui n’ont encore rien fait de leur vie). 🙂