Interview – Jawbox, façon buzz l’éclair

Interview – Jawbox, façon buzz l’éclair

A la rentrée 2009, tous les mélomanes élevés au rock des années 90 ont senti comme un véritable tremblement de terre en apprenant que Jawbox allait ressortir les guitares pour une prestation inespérée à la télévision américaine. Tout cela pour la ré-édition du mythique “For Your Own Special Sweetheart” chez Dischord, album qu’on pensait alors condamné à l’oubli. Alimentés par d’incessantes reformations les  mois qui précédaient, l’annonce amenait avec elle les espoirs les plus fous: revoir Jawbox sur scène, en tournée, dans sa ville, pourquoi pas même entendre un nouvel album. Pourtant, attaché à son éthique à l’instar d’un Fugazi, Jawbox ne pouvait faire comme tout le monde: il faudra se contenter de ces quelques titres interprétés chez Jimmy Fallon, car il n’y aura rien de plus. Non pas que l’envie ne soit pas là, juste que lorsqu’on est un des groupes incontournables des nineties, on ne se lance pas dans l’inconnu, sans assurance ni disponibilité. Mais ce retour éclair sur le devant de la scène nous aura en revanche donné l’occasion de discuter avec Bill Barbot, guitariste du groupe. Quelques emails échangés, et le bonhomme dit tout. Ou presque.

Douze ans sont passés depuis la dernière fois ou vous avez joué ensemble. Quel était le sentiment général lors des répétitions?

Bill Barbot: Ça s’est étonnemment bien passé. Nous nous attendions à ce que ce soit beaucoup plus difficile que ça ne l’a été. Kim et moi avons l’avantage de vivre ensemble, donc nous avons pu travailler les arrangements de guitare et basse plusieurs fois avant de rejoindre Zach et Jay. Aussi, Jay est propriétaire d’un studio à Baltimore, The Magpie Cage, donc nous avons pu répéter dans un environnement confortable pour la première fois en douze ans.

Avez vous été surpris par l’enthousiasme suscité par l’annonce de votre apparition au Jimmy Fallon Show?

Oui, nous ne nous attendions pas à ce que beaucoup de gens s’intéressent encore à nous. Quand nous avons annoncé qu’on jouerait à la télévision, beaucoup de fans de l’époque sont soudainement réapparus, tout excités. Il est facile de penser qu’une des raisons pour lesquelles nous avons arrêté Jawbox était qu’on perdait de l’intérêt auprès des gens. Mais apparemment, durant notre absence, l’intérêt n’a jamais vraiment disparu. C’était donc plutôt gratifiant.

Comment cette incroyable opportunité de se reformer à la télévision s’est présentée?

Quand ils ont entendu dire que Dischord allait ressortir le disque, nos anciens chefs de produit d’Atlantic, qui sont vraiment  très très bons, nous ont proposé de faire un peu de presse pour nous. Comme nous étions très occupés chacun de notre côté, nous n’avions pas prévu de tourner pour soutenir la sortie. Et il se trouve que Jonathan Cohen, qui programme la musique pour l’émission, est un vieux fan de Jawbox depuis l’époque ou il travaillait au magazine Billboard. Du coup, il était hyper enthousiaste à l’idée de nous y faire jouer. On s’est donc dit qu’il pouvait être intéressant de faire quelque chose à contre-courant de ce que nous sommes, et en même temps d’aider Dischord pour le disque en s’adressant à une audience nationale.

Vous avez choisi trois titres pour le programme. Si “Savory” s’imposait d’elle-même, sur quels critères avez vous choisi les deux autres?

Nous voulions des titres que nous aimions tous encore, que nous apprécierions de rejouer, et surtout qu’on était encore capable de ré-interpréter. Pour être honnête, nos morceaux n’ont pas tous résisté à l’épreuve du temps. Ca peut paraître bancal, mais nous avons utilisé des accordages et accords assez bizarres à l’époque, qui font que certains titres sont difficile à rejouer après tant de temps. “FF=66”, “68” et “Desert Sea” que nous avons joué aussi, nous allaient donc tous très bien.

Grace au Late Night With Jimmy Fallon, vous avez bénéficié d’une visibilité médiatique que vous n’avez jamais eu du temps ou Jawbox existait. Selon toi, est ce la preuve irréfutable qu’un groupe gagne généralement en reconnaissance quand il n’existe plus, ou quand il n’a pas joué depuis longtemps?

Je ne pense pas que la preuve soit irréfutable. Il y a beaucoup de groupes que j’adorais quand j’avais entre douze et quinze ans dont je n’aurais honnêtement rien à faire aujourd’hui. Je ne suis pas en train de dire que nous sommes de ces groupes intemporels qui n’étaient pas appréciés jusqu’à ce qu’ils arrêtent – The Velvet Underground est l’exemple classique pour moi puisqu’ils ont été beaucoup plus populaires et influents après avoir splitté – mais certains sont le reflet d’un aspect important de leur époque qui a réussi à perdurer. C’était cool d’avoir de nouveau l’attention du public, d’obtenir de bonnes chroniques de cette réédition, mais je ne sais pas si nous avons prouvé quelque chose.

Quelle est ton opinion au sujet de tous ces groupes des années 90 qui se reforment depuis quelques mois? Sont ils trop nombreux pour être sincères?

Tu sais, c’est difficile d’être dans un groupe, de mettre toute ta vie dans ton travail, et de finalement ressentir le fait que tu n’ais pas obtenu tout ce que tu aurais du. Surtout pour les groupes de notre génération, ceux de la période pré-internet, puisque ça a quand même été frustrant de voir des groupes qu’on a influencé se servir du web pour décoller d’une manière inaccessible pour nous avant eux. Il y a donc peut être parfois une volonté de faire de l’argent, mais dans l’ensemble ces formations sont surtout en quête de revendications, de reconnaissance, et de plaisir de jouer de nouveau ensemble tout simplement.

268824047_74f879f52aEst-ce ce genre de questions qui pousse Jawbox à ne pas se laisser tenter à redonner une poignée de concerts?

Bonne question. La réponse est en partie oui. Je n’apprécierais pas que les gens dans le monde pensent que nous ferions cela pour l’argent, alors que nos motivations seraient on ne peut plus saines. Nous étions dans ce groupe pour la musique avant tout, et nous voulons continuer à honorer cela. Si nous sentions que nous pouvions partir en tournée, donner d’aussi bons concerts que par le passé, et pourquoi pas apporter une perspective différente à nos chansons d’une façon plus originale qu’un simple unplugged, peut être que nous reconsidérerions notre position. Mais cela demande des efforts, et pour l’instant, nous avons d’autres choses à gérer dans nos vies respectives qui nous empêchent de pousser cela si loin.

Vous avez sorti deux albums pour Atlantic. Pourquoi avez vous réédité “For Your Own Special Sweetheart” et pas le disque éponyme? Est ce qu’une réédition est également prévue pour celui ci?

Nous travaillons là dessus actuellement. Nous avons commencé par “Sweetheart” parce que c’est le premier chronologiquement, et que c’était le meilleur moyen de savoir si il y avait encore de l’intérêt pour “Jawbox”, le moins populaire des deux.

Est ce qu’impliquer Dischord dans ces rééditions était aussi un moyen de lui offrir ce qu’il a manqué de peu à l’époque?

C’était l’idée de Dischord avant tout. Ils nous ont proposé de remasteriser et rééditer le disque. Nous avons simplement dit “pourquoi pas”.

Un des éléments déclencheurs de cette réédition fut Bob Weston. Peux tu nous dire à quel point le fait que ce soit lui qui travaille sur le disque a fini de vous convaincre de le rééditer?

Bob est un excellent musicien et ingénieur du son. Donc, quand non seulement nous avons eu l’opportunité de le sortir chez Dischord, mais aussi de travailler avec lui, il n’y avait plus aucune raison de ne pas le faire.

jawbox3Jason Farrell a fait la pochette de la réédition. Pourquoi ne pas avoir repris l’originale et retravaillé avec Steve Raskin qui en était l’auteur?

En fait, nous voulions faire quelque chose de différent, en s’inspirant de l’original. Et puis nous n’avons jamais pu retrouver le fichier original qui datait des premières heures de l’informatique. C’était intéressant aussi de travailler avec Jason sur une nouvelle pochette qui prenne des éléments et idées de l’originale, pour en faire quelque chose de plus moderne.

Jawbox est maintenant considéré comme une référence, et a été repris de nombreuses fois ces dernières années. Quelle reprise avez vous préféré?

Honnêtement, je suis fan des versions au violoncelle de Gordon Withers. Je trouve qu’il a proposé une approche très différente, très créative de l’exercice.

Après Jawbox, Jay Robbins a continué à jouer avec Burning Airlines et Channels. Qu’avez vous fait, vous, de votre côté?

J’ai joué de la basse dans Burning Airlines au moment du premier album “Mission: Control!“, avant d’arrêter pour me consacrer à mon entreprise, Threespot Media. Depuis, j’ai joué de la basse dans un groupe avec quelques amis, sans enregistrer ni donner de concerts, juste pour le fun. J’ai aussi ré-appris à jouer du piano. Zach est toujours en activité. Il a sorti un disque avec The Up On In il y a quelques années, puis a joué sur les disques de quelques potes, comme “STARTS” de Drew O’Doherty. Aujourd’hui, il fait partie du groupe Bells, à Brooklyn. De son côté, Kim a beaucoup plus mis la musique de côté et s’est consacrée à notre fils, comme à ses études de bibliothéquaire.

Jay est un musicien influent qui a enregistré et produit de nombreux groupes ces derniers temps. Est il nostalgique lorsqu’il compare la scène d’aujourd’hui et celle des années 90?

Je ne pense pas. Il y avait beaucoup de bonne musique à l’époque, et bien que les choses aient beaucoup changé depuis, le constat est le même. C’est dur de ne pas être nostalgique de notre jeunesse, quand nous étions frais et minces… Mais Jay, comme moi, n’a pas choisi de voir les choses sous cet angle. J’ai vu trop de musiciens déprimer parce qu’ils pensaient que les meilleurs moments, les meilleurs groupes étaient derrière eux. C’est sûr, nous avions plus d’énergie en ce temps là, mais j’aime penser que nous pouvons encore apprécier la musique que nous faisons, comme celle qui sort actuellement.

Est ce que ce court interlude a ravivé la flamme en vous, que ce soit pour Jawbox ou pour une carrière musicale en général?

Oui, on pourrait dire ça. J’ai toujours eu l’habitude de dire que j’aimais être dans un groupe la seule heure que l’on passait sur scène. C’était les 23 autres heures de la journée qui étaient plus dures. Rejouer à nouveau ensemble, même pour cette seule performance, m’a rappelé à quel point cette heure là pouvait rendre les 23 autres utiles. Je n’ai jamais eu l’impression que la musique me manquait. Quand j’ai cessé d’en jouer dans un cadre professionnel, elle m’est apparue beaucoup plus profonde, comme si je la jouais uniquement par amour pour elle, et pas pour savoir quand viendrait mon prochain repas, ni pour savoir si elle était “vendable” à mes compères comme à mes fans. Maintenant que j’en joue uniquement pour le fun, ça m’a beaucoup ouvert l’esprit, m’a donné l’opportunité d’aborder d’autres genres, d’autres instruments que je n’ai jamais essayé dans Jawbox et Burning Airlines.

Kim a dit que vous aviez travaillé de nouveaux morceaux par emails interposés. Aurons nous la chance d’entendre un nouvel Ep, ou plus, dans un futur proche?

Je peux seulement dire peut être. Nous avions de bonnes intentions pour finir quelques titres et voir ou ça nous emmenerait, mais cela demande un temps que personne n’a aujourd’hui. Nous sommes tous enthousiastes là dessus, mais nos vies sont tellement occupées qu’on ne pourrait pas s’y atteler pleinement. Je ne peux donc pas faire de promesses.

Pour finir, peux tu nous dire quel disque a changé ta vie?

Il y en a eu tellement! Si je devais en choisir qu’un seul, je dirais le premier Rites Of Spring. J’en ai profondément adoré d’autres avant et après, mais ça a été le premier disque avec lequel j’ai été émotionnellement connecté. Pas grâce aux chansons en elles mêmes, mais à travers le fait que ce disque ait été fait par des mecs comme moi, qui habitaient à côté de chez moi, et qui le sortaient sur un label de ma ville. J’ai adoré beaucoup de disques Dischord, comme ceux d’autres labels locaux avant, mais aucun n’a eu autant d’impact émotionnel, vicéral et brutal, que celui là.


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