Interview – High Tone a quand même pas mal de choses à dire…

Interview – High Tone a quand même pas mal de choses à dire…

Quinze jours seulement après qu’il ait sorti « Out Back« , High Tone donnait un concert parisien exceptionnel, devant le petit comité de La Maroquinerie. L’occasion était parfaite pour venir capter quelques images, et discuter avec le groupe avant que celui-ci ne se lance dans la longue et traditionnelle tournée qui suit chaque album. Et s’il se disait que l’interview n’était pas l’exercice préféré des lyonnais, Dj Twelve et Selekta Dino se sont prêtés au jeu avec simplicité, naturel, alors que sonnait l’heure de l’apéro. Bien calés en terrasse, on a presque eu du mal à les arrêter.

Hormis le projet Dub Invaders, quel a été le programme de High Tone ces trois dernières années, entre « Underground Wobble » et « Out Back »?

Dj Twelve: On a d’abord fini la tournée d' »Underground Wobble » puisque, à chaque fois qu’on sort un disque, on tourne à peu près deux ans derrière. Puis on a enchaîné directement sur le début de la composition de « Out Back », en parallèle de « Dub Invaders » grâce auquel on a fait quelques dates en solo, en sound-system.
Selekta Dino
: Avec « Dub Invaders », on s’est remis dans les travaux que chacun fait de son côté, que ce soit de la création ou des remixes. Quelque part, ça a permis de lancer le processus de création pour « Out Back ». Du coup, même si c’est vrai que chacun de nous mixe et compose de son côté, High Tone ne nous laisse finalement pas tant de temps que ça. Donc on préfère se concentrer à fond sur le groupe histoire de bien faire les choses. Mais c’est sûr que « Dub Invaders » nous a donné la possibilité de jouer en sound-system, qui est une expérience plus dancefloor. C’est quelque chose que tu vis différemment. J’ai trouvé que c’était une bonne expérience.

Sortir un nouvel album, c’est souvent choisir une ligne directrice, un concept. Qu’en est-il pour « Out Back »?

Dj Twelve: L’idée de départ, c’était de faire un double album, ce qui n’était pas simple étant donné qu’on avait très peu de temps pour le faire: trois ou quatre mois seulement. Cela faisait quelques années que nous voulions faire un double, mais nous n’avions jamais le temps ou les idées pour le faire. Là, on s’est lancé, ce qui a permis de couper le disque en deux parties biens distinctes: la partie dub comme on aime en sound-system, plus dansante, et la partie plus expérimentale.
Selekta Dino: Cette partie est présente chez High Tone depuis le début. Ça a été une expérience intense puisqu’on a eu que trois mois, là où pour « Underground Wobble » nous avions eu plus de temps en multipliant les sessions entre les tournées.
Dj Twelve: C’est vrai que la composition d' »Underground Wobble » avait été plus étalée, mais « Out Back » est un album riche, bien qu’il ait été fait plus dans l’urgence que d’habitude.

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Utilisez-vous toujours le même processus de création, à savoir l’enregistrement de session de travail live retravaillées ensuite?

Selekta Dino: Ca part toujours de jams, en tout cas d’un travail à cinq. Mais cette fois, il y a eu plus d’esquisses de morceaux, plus d’idées amenées par chacun qui ont reçu l’aval des autres. Quand le morceau se transforme, qu’on réussit à le « High Toniser », il reste. Si par contre, ça ne décolle pas, on le jette. Par rapport aux précédents albums, on a pris plus de temps pour restructurer les titres, d’éditer chacun de notre côté, donc d’être plus efficace dans la production. Du coup, l’album est peut-être plus produit que les précédents, plus studio. Et puis les deux facettes faisaient qu’on savait qu’on voulait jouer certains titres live plus que d’autres.
Dj Twelve: Il y a quelques morceaux bien taillés pour la scène mais, au final, ceux là sont minoritaires. Ce sont plutôt des morceaux studio qu’on adapte pour les concerts.

Tout n’est donc pas composé pour le live…

Selekta Dino: Non, pas systématiquement. Là, on avait bien envie qu’il y ait des morceaux vraiment studio. Sur « No Border », on savait pertinemment qu’il y aurait des titres qu’on ne jouerait jamais en concert, sauf s’il nous prenait l’envie de faire une tournée qu’avec ces titres là, avec une installation vidéo par exemple.

ht2Etes-vous d’accord si on vous dit que « Out Back » est un condensé de la carrière d’High Tone?

Dj Twelve: Oui, complètement. C’est toujours le même concept de création, le même état d’esprit dans le son.
Selekta Dino: On a la même envie de faire des essais de mariage, de collage de sons qui n’ont rien à voir. Du cross-over comme ils disent (rires). On aime bien.
Dj Twelve: Cet album a tout de même la particularité d’avoir trois chanteurs, ce qui est une première dans l’histoire du groupe. C’est une autre approche, ça donne envie.
Selekta Dino: C’est quelque chose qu’on a jamais forcé, on attendait simplement des occasions. Pupa Jim, on l’avait croisé en sound quelques fois, Ben Sharpa et Oddateee sont sur Jarring Effects. Ce sont des rencontres via le label, des artistes qui sont restés très longtemps en Europe, souvent pour des tournées. Comme c’est Jarring qui les fait tourner, ils passent par Lyon, donc c’est l’occasion pour nous de les choper. On est jamais allé chercher le featuring prestigieux, le genre de truc où il faut aligner alors que tu sais même pas ce que ça va donner. Dans ces cas là, on a fait que l’instru, on a moins passé de temps à développer le morceau. Pour nous, c’était une manière agréable de travailler.
Dj Twelve: Ce sont aussi des artistes dont on apprécie le travail. Je trouve qu’Oddateee a un bon flow new-yorkais, qui tape dur. Ben Sharpa a un talent monstre. Ils sont issus de l’underground. Tu prends Oddateee par exemple, il ne vit pas encore complètement de sa musique, il est livreur de boissons. Ce n’est pas du tout le gros rappeur américain à succès.
Selekta Dino: Ben Sharpa est reconnu dans son pays. Tout le « African Dope Beat » est, sinon des références, en tout cas un minimum connu ou reconnu. On va dire que ses artistes sont connus en Afrique du Sud comme Jarring doit l’être en France.

6a00e008cd0b2788340120a5396161970b-500wi« Boogie Dub Production » semble être un hommage à Boogie Down Production, un des premiers groupes à mixer des influences reggae, dancehall et hip hop. Qu’est ce qui vous a influencé chez le crew Americain?

Dj Twelve: Aussi bien l’aspect musical que l’état d’esprit. Le mariage de la musique jamaïcaine et du hip hop à Brooklyn dans une petite structure, ça nous touche forcément. Pour nous, c’est une bonne référence. C’est aussi ce qu’on écoutait lorsqu’on était plus jeunes. Ca en est venu à « Boogie Dub Production » parce que, d’une part on aime bien, mais aussi parce que dans ce morceau, il y a un truc qui ressemble à du piano, qui nous a fait penser à du boogie. Donc le titre du morceau est venu comme ça en fait, un peu bizarrement comme la plupart des titres de nos compos d’ailleurs.

On parle de BDP comme influence, mais un titre comme « Space Rodeo » s’inspire plus de groupes comme Antipop Consortium ou El-P.  Qu’est-ce qui vous attire dans la scène dite abstract hip hop?

Ces groupes font aussi partie de nos influences. Vast Aire, Cannibal OX, toute cette scène nous a influencés.
Selekta Dino: C’est sûr que ce qui se dégage de ces groupes nous influence et se rapproche de ce qu’on fait. C’est plutôt cet aspect là qui nous influence, plus que la musique, car si tu prends un titre comme « Space Rodeo », il est musicalement assez éloigné de ce que font ces groupes. Il y a plus d’influences électroniques chez Antipop par exemple. Mais par contre, pour ce qu’ils dégagent, je vois des similitudes effectivement. Portishead a également été une grosse influence.
Dj Twelve: C’est vrai que « Space Rodeo », avec ses vieilles guitares, a aussi un côté Portishead. Encore une fois, c’est un mélange de pas mal de styles.

« Ollie Bible » est peut-être le titre le plus électro, très proche dans les sonorités d’un artiste comme Clark. « Spank » et « Dirty Urban Beat » lorgne plus vers le dubstep et le breakbeat. Du coup, High Tone semble évoluer naturellement au rythme de l’évolution musicale contemporaine. Etes-vous d’accord avec ce constat?

ht3Mine de rien, vu qu’on baigne dans le milieu de la musique électronique, tu es forcément influencé par ce qui se fait. Le dubstep a été une grosse influence ces dernières années.
Selekta Dino: Et puis, on n’est pas du tout nostalgiques du dub des années 70 ou 90. On a toujours aimé évoluer avec la technologie, avec ce qui se faisait musicalement. Quand j’ai découvert Amon Tobin, j’ai tout de suite adhéré, le type est vraiment fort. Ceux qui pensaient qu’on resterait sur un dub-ethno se trompaient. Ça n’a jamais été notre but. On a toujours lorgné vers le hip hop, la jungle, la techno, et cela ne nous pose aucun problème. Il ne faut pas que ce soit trop fusion pour autant, mais j’aime l’idée du collage, le fait de prendre des choses vraiment différentes et essayer d’en faire quelque chose de bien plutôt que du ska-reggae-punk tout le temps. C’est un peu le principe de base de High Tone. On reste très ouvert.

Pensez-vous que cette capacité à évoluer assez vite est une particularité de la scène dub française?

Dj Twelve: C’est vrai que tu as une scène dub anglaise plus traditionnelle, et des groupes français qui font ça très bien aussi aujourd’hui. Mais c’est vrai que les groupes de dub français tournés vers le live ont tendance à piocher dans pas mal de genres et d’influences différentes. Je pense à Kaly par exemple, ou Lab: il y a un paquet de groupes comme ça. En Angleterre, tu avais ce côté là aussi, un groupe comme Asian Dub Foundation avait commencé ce genre de mélange, même si ce n’est pas du dub.

Vous utilisez beaucoup de samples et scratchs qu’on peut qualifier d’ethniques. Quels sont les pays qui vous attirent plus particulièrement musicalement?

On pioche assez souvent dans les musiques asiatiques et orientales. C’est à cause des notes et gammes qu’ils utilisent, tu peux les marier assez facilement avec des lignes de basse assez droites. En revanche, il y a des choses qu’on pourrait moins utiliser, comme la flûte de pan des Andes (rires). Il y a des choses qui te plaisent moins. Nous, on préfère ce qui est mineur assez souvent. Le côté mélancolique, triste de ces musiques…

La rencontre avec Ben Sharpa comme les compilations « Cape Town Beat » de Jarring Effects vous ont elles rapprochées de la musique sud-africaine?

Selekta Dino
: A titre personnel oui, mais nous avons toujours été sensibles à toute la musique africaine. Mais ce qui est bien avec cette scène sud africaine, c’est qu’elle est très novatrice. Elle est très active, et digère des années et des années de rythmiques plus traditionnelles. C’est aussi une culture anglophone donc, si tu prends le rap par exemple, les gars ont le flow. Par contre, par rapport à la sonorité de leur musique plus traditionnelle, c’est difficile de la coller sur notre dub mineur et mélancolique comme disait Twelve.
Dj Twelve
: J’avoue que je ne connais pas la musique sud-africaine traditionnelle. Je connais plus la scène electro-hip hop de ce pays.
Selekta Dino
: Pareil pour moi.

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Vous faites aujourd’hui parti des piliers du label Jarring Effects. Pourquoi cette fidélité et comment analysez-vous son penchant de plus en plus affirmé pour la scène électro et hip hop?

Dj Twelve: L’évolution de Jarring correspond bien à ce qu’on fait: un brassage de cultures musicales. On est tout simplement dans la continuité.
Selekta Dino: Jarring s’est monté en parallèle de High Tone en 2000, au moment ou on sortait le premier disque. Notre fidélité s’explique par le fait que c’est une bande de potes de Lyon. Nous, on fait de la musique, eux ont monté un label. C’est un microcosme lyonnais. On a progressivement tissé des relations étroites, on a donc tout simplement pas besoin d’aller voir ailleurs.
Dj Twelve: Il n’y a jamais eu de soucis. Il y a toujours des petites galères car c’est une petite structure. Mais ils se démènent à fond pour faire aboutir les projets.

C’est d’ailleurs Jarring Effects qui avait aussi sorti vos collaborations avec Zenzile ou Improvisators Dub

Selekta Dino: On avait cette solution sous la main, donc autant l’utiliser. C’est vrai que, si tu prends les Improvisators Dub ou Zenzile, eux passaient d’un label à l’autre. Nous, à chaque fois, on avait cette stabilité là, et des gens qui poussaient derrière. Donc ça c’est fait comme ça. Aussi, à chaque fois, l’initiative est venue d’High Tone pour concrétiser le projet, car l’idée de mélanger venait des deux groupes. L’envie était commune mais, entre chaque album, on poussait pour que ça se fasse. A ce titre, le « Zentone » a été le plus préparé puisqu’on s’était envoyé des choses avant.

Qu’est ce que vous recherchez dans ce genre de projet?

De la fraîcheur, du plaisir. Avec les Improvisators Dub par exemple, c’est un groupe qu’on a côtoyé souvent, on a fait plein de concerts ensemble. Cela a forcément créé des liens.
Dj Twelve: On avait commencé avec Kaly, c’était une histoire de potes. Certains membres des deux groupes avaient habité ensemble donc il y avait une proximité qui s’y prêtait. Ce sont donc les rencontres qui ont rythmé ces projets. Je pense qu’il y en aura d’autres.
Selekta Dino: En France, on a la chance d’avoir un bon niveau. Que ce soit des albums comme « Battlefield » d’Ez3kiel ou « Short Cuts » de Brain Damage, ce sont des petits bijoux de son. On a pourtant ce sentiment d’infériorité par rapport à la scène anglaise, et beaucoup de gens sont sûrement d’accord avec ça. Mais quand on bouge dans les pays de l’Est, le public est super réceptif à la scène française, les gens te parlent des sorties Jarring comme ils te parlent d’artistes comme Roots Manuva. C’est assez bluffant. C’est l’avantage d’internet et des possibilités qui sont offertes d’écouter tout ce qu’on veut. Cela aurait été plus difficile il y a quelques années. Pareil quand on se pointe au Maroc, les gens sont à fond sur internet, ils connaissent notre musique, c’est agréable.

3687731608_3606101f5bVous-mêmes, utilisez-vous beaucoup internet pour votre communication?

Non, nous, on ne s’occupe pas du tout de ça, on n’est pas des nerveux d’internet.
Dj Twelve: On a seulement construit un site internet qu’on a voulu assez complet.
Selekta Dino: Jarring s’en sert par contre plus que nous, notre tourneur aussi.
Dj Twelve: Pour la sortie de « Out Back », on a monté un Facebook pour la première fois, un Myspace aussi car il en existait déjà un mais qui était géré par quelqu’un que nous ne connaissions pas. Le problème, c’est qu’il n’était pas du tout géré et qu’il n’y avait que des vieux morceaux. Donc on a préféré en faire un autre, officiel si on peut dire.
Selekta Dino: Mais bon, on ne s’occupe pas vraiment de ce genre de choses, notre priorité reste la musique. Des gens le font pour nous. Et puis, de tous les outils, je pense que c’est notre site qui est le plus important.
Dj Twelve: Tu as tout: la musique, les bios, les dates de concert, des photos… C’est déjà pas mal. Tout ce que tu peux savoir sur le groupe, tu l’as. Le reste, c’est du plus. Facebook, on s’y est mis parce que c’est le truc actuel que tout le monde utilise. Maintenant, les jeunes sortent grâce à Facebook. Tu programmes une soirée, et tout le monde est au courant en une heure.
Selekta Dino: Mais du coup, l’économie ne marche plus, la France se casse la gueule (rires), plus personne ne bosse, les malades ne sont plus soignés… (rires). Pour être plus sérieux, un petit message aux créateurs de sites: faites des sites plus légers, faciles à voir, car il y a plein de pays qui n’ont pas le haut débit comme en France et qui attendent sept ans avant de pouvoir ouvrir une page. Du Honduras au Mali, il y a des gens qui veulent aller sur certains sites mais qui ne peuvent pas. Sinon, pour continuer sur internet, tu peux aujourd’hui télécharger 40 gigas de musique indienne, et chercher des samples. Avant, avec Twelve, on faisait les vides grenier, on allait à Londres faire les disquaires. La démarche n’est plus la même, les choses évoluent et internet a changé la donne. Il y a aussi plein de choses inutiles sur le web, du remplissage. Il faut en faire quelque chose d’intéressant, comme on aurait pu faire quelque chose d’intéressant avec la télévision. Ce qui est rarement le cas.

Parmi les nouveaux artistes contemporains, quels sont ceux qui vous ont bluffé récemment?

Dj Twelve: Ce n’est pas très nouveau mais, ce que j’écoute en ce moment, c’est Vincent Segal avec Ballaké Sissoko. Je trouve que cet album est mortel.
Selekta Dino: Moi, je vais enfoncer le clou avec l’album de Ali & Toumani. Ce ne sont pas des nouveaux artistes mais les albums, eux, sont nouveaux. Il y aussi tout la scène dub sound-system avec OBF, le Stand High Crew, Dawa Hifi, qui font à la fois des bonnes soirées et des bonnes prods. Ce sont des gens avec qui on collabore souvent, sans se prendre la tête. On se passe des fichiers pour des remixes par exemple, sans histoire d’argent.

Quel disque a changé votre vie?

Dj Twelve: « L’Histoire De Melody Nelson » et « L’Homme A La Tête De Chou », les deux classiques de Gainsbourg. D’abord parce que ça remonte à l’enfance, j’ai écouté ça très tôt, et puis c’est musicalement quelque chose que tu peux écouter aujourd’hui et qui est toujours aussi génial. Les instrus sont mortelles. C’est un summum.
Selekta Dino: « Catch A Fire » de Bob Marley, pour la magie de la musique. Tu écoutes ça à 13 ou 14 ans, et tu as plein de choses qui te viennent: la liberté, le côté rebelle qui en ressort, le groove du truc. C’est indélébile.


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