Interview – Health, la pop aux manettes

Interview – Health, la pop aux manettes

Six ans que Health n’avait plus sorti de nouvel album, le groupe préférant prendre son temps et apprendre de l’expérience Max Payne aux plusieurs millions d’exemplaires vendus. Si ce n’est cette parenthèse enchantée qui ne pouvait pas passer inaperçue, pas une note, même pas un mot griffonné à la va-vite pour nous expliquer dans quelle nouvelle aventure les californiens étaient partis se fourrer. Mais cette année, l’attente prend fin: les quatre compères de Los Angeles reviennent avec un troisième album intitulé ‘Death Magic’. Leur disque le plus pop, ou des mots comme ‘tube’ et ‘conquête des stades’ reviennent en boucle tout au long de l’écoute, et ou la noise des débuts semblent appartenir pour de bon à une époque révolue. C’est lors d’une journée promo de juin qu’on a pu discuter avec Health – avec Jake Duzsik et John Famiglietti surtout – notamment de ce qui déconcerte et passionne dans ce coming out finalement pas si imprévisible.

Six ans sont passés depuis ‘Get Color’. Pourquoi tant de temps?

Jake (chant/guitare): On a tourné pendant quelques temps après la sortie de ‘Get Color’, peut être pendant deux ans. On est pas mal venu en Europe, on a aussi fait beaucoup de concerts aux Etats Unis. Ensuite, on a sorti ‘Disco 2’, un album de remixes qui comprenait un nouveau single. Du coup, on est reparti sur la route, jusqu’à ce qu’on se décide à travailler sur un nouveau disque. Là, le projet Max Payne 3 s’est présenté, et nous a occupés pendant un an. Puis on a de nouveau tourné.

Quand avez-vous commencé à travailler sur ‘Death Magic’ alors?

On s’y est mis en 2011, à peu près quand on a dû composer pour Max Payne 3 qui est sorti en 2012.

J’ai lu dans une interview que vous paraphrasiez Trent Reznor pour décrire le travail de cet album. Vous parliez d’ ‘une énorme débauche d’énergie dépensée de façon très inefficace‘. Est-ce qu’on doit en conclure que le processus de composition s’est révélé frustrant pour vous?

Non, c’était une façon très ironique de parler de notre méthode de travail ponctuée d’un peu de malchance. Mais au final, tout a bien fonctionné.
John (basse): C’est juste que, lorsqu’on a enregistré en studio, on a perdu les DAT et qu’il a fallu quasiment tout recommencer étant donné que nous étions presque arrivés au bout du processus.
Jake: Ce dont nous sommes les plus fiers en tant que musiciens, c’est de toujours faire notre possible pour ne pas sonner exactement comme un autre groupe, ce qui peut parfois être difficile et prendre beaucoup de temps. Du coup, on finissait par rigoler d’avoir à refaire constamment la même chose pour atteindre notre but. C’est ça le gros morceau de notre méthode de travail, et je t’accorde que ça a pas mal contribué à la longue gestation de ce nouvel album.

Aujourd’hui, il y a beaucoup de courants musicaux qui vont et viennent très rapidement. Du coup, attendre six ans doit représenter une certaine prise de risque pour un groupe, non?

Absolument! Nous ne sommes vraiment pas un modèle à suivre, et ne recommanderions ça à personne (rires). Mais comme tu le dis, ça va, ça vient, donc quelques groupes ont aussi disparu pendant ce temps-là.
John: Six ans, du point de vue du musicien qui fait partie d’un groupe, c’est très long. C’est presque trois générations de modes musicales. Mais ce n’est pas tout: quand un groupe est sur le déclin et sort un très mauvais disque, c’est rare qu’il ait l’occasion de renaître de ses cendres. Donc, prendre son temps, c’est aussi s’assurer de revenir bien armé. Mais six ans, c’est vrai que c’est vraiment trop long, et je ne pense pas que les gens auraient conclu à un mauvais album s’il était sorti plus tôt.
Jake: En tous les cas, nous avions vraiment besoin que tout soit prêt avant d’entrer en studio, surtout en ce qui concerne les productions. Avoir un son, c’était la chose la plus importante pour nous. Nous avions écrit pas mal de morceaux avant, dont nous étions fiers et que nous avions envie de partager avec les gens.
John: Pour le premier disque, nous n’avions ni label ni argent, donc nous étions très limités, devions presque tout faire par nous-mêmes, mais on pouvait déjà déceler un son. Pour le second, nous avons fait appel à un ingénieur. Les gens l’ont apprécié mais il ne sonnait pas vraiment comme on l’aurait voulu. Ça nous a un peu froissé, mais on a pu y travailler confortablement, d’autant qu’il s’est passé environ deux ans entre chaque. Du coup, ces trois expériences – surtout celle de Max Payne 3 qui a été déterminante car très instructive pour nous dans la manière d’aborder différentes sonorités – ont beaucoup apporté à ‘Death Magic’. Vraiment, on ne pourrait pas sortir un album qui ne sonne pas comme nous le voulons. C’est le plus important, et ça prend du temps. Mais nous ne mettrons pas six ans pour le prochain!

Vous avez travaillé avec The Haxan Cloak sur le titre ‘Victim’, puis ce sont Lars Stalfors (Mars Volta) et Andrew Dawson (Kanye West…) qui se sont chargés du reste…

On avait vraiment envie de travailler avec The Haxan Cloak. On aurait aimé qu’il participe plus mais il est très occupé, donc il n’a pas pu faire plus que ‘Victim’ qui introduit parfaitement le disque.
Jake: Concernant Andrew Dawson, il faisait partie des personnes que nous cherchions, celles avec qui nous pouvions partager l’idée d’une musique efficace, pertinente, qui adopte le langage actuel, qui soit proche de ce que nous écoutons. Pour en avoir discuté avec notre management et notre label, le public nous perçoit comme un groupe puissant, aux prestations live très physiques. La logique aurait donc voulu qu’on travaille avec quelqu’un du milieu rock. Mais non, pour nous, l’évolution la plus naturelle fut d’aller vers un producteur issu du hip hop. C’est pour cette raison que nous nous sommes tournés vers lui pour assister Lars qui s’est chargé de la majorité du disque.
John: On a vraiment bien bossé avec Dawson, notamment pour tout ce qui était batterie et percussions. C’est un peu sa spécialité. Il a apporté la touche finale en quelque sorte.

Donc ça n’a pas été trop difficile de coordonner ces producteurs venus d’horizons différents!?

Non parce qu’ils écoutent un peu la même chose. Lars écoute beaucoup de hip hop par exemple. Ça aurait peut-être été plus compliqué s’ils avaient travaillé dans la même pièce. Mais comme ils ont contribué séparément…

‘Death Magic’ est bien plus direct que tout ce que vous avez pu enregistrer avant, et c’est la première fois que vous avez des tubes aussi évidents comme ‘Flesh World’ ou ‘Dark Enough’. Est-ce le nouveau visage de Health?

Jake: Je pense que c’est une évolution naturelle de ce que nous composions auparavant. Si tu prends ‘Die Slow’, ‘USA Boys’ extrait du deuxième album de remixes, ou la bande son de Max Payne, c’est une progression assez logique. Les morceaux sont juste plus mélodiques désormais. On voulait faire un album pop.

Considérez-vous que cette évolution vous éloigne de l’étiquette expérimentale et DIY qu’on vous collait à vos débuts? Est-ce le début d’un nouveau chapitre pour Health?

Non, je ne pense pas. Il y a des titres de ce nouvel album qui sont aussi dingues que ceux que nous avons pu enregistrer sur nos premiers disques. Qu’on soit qualifié d’expérimental ou non n’a plus trop d’importance pour nous. Tout change, tu abandonnes certaines choses pour en acquérir d’autres. Il n’y a plus de règles.

Des changements musicaux, des collaborations avec plusieurs producteurs… Qu’est-ce que Health a appris de tout ça en tant que groupe?

John: Tout dépend des étapes qui ont fait la préparation de cet album…
Jake: Nous avons composé des heures de musique pour Max Payne. Ça nous a permis de ne jamais décrocher vraiment, d’approfondir notre savoir-faire, de générer de nouveaux sons, de combiner ceux des guitares, les pédales, de trouver des sons de batterie qui au final n’en soient pas. On était très excité par tout ça. L’autre nouveauté, c’est qu’on réécrivait beaucoup pour ne pas se répéter.
John: On est beaucoup resté à l’écoute de notre entourage, et si quelqu’un trouvait un refrain mauvais, on pouvait très bien envisager de le refaire. Cette fois, nous étions constamment ouverts à l’idée de changer certaines choses.

Revenons sur vos albums de remixes. Il existe bien plus de remixes de vos morceaux que vos originaux. D’où vient l’intérêt que vous portez à cet exercice?

C’est différent aujourd’hui mais, à l’époque, il y a eu une explosion du remix, et il s’est trouvé qu’on connaissait pas mal de producteurs qui ne sortaient que cela. C’était fun, et on ne voulait pas que les gens nous considèrent seulement comme un groupe expérimental ou un groupe noise, d’autant que nous écoutions aussi ces artistes-là. La première fois que nous avons été remixés, ça a été par Crystal Castles, des gens que nous écoutions sur Myspace bien avant qu’ils sortent un disque. Du coup, ce fut notre première expérience internationale (rires).
Jake: Et bien qu’on était considéré comme un groupe noise, le fait que je ne crie pas mais que je chante a facilité le travail. Ca aussi, c’est naturel pour nous. Il y a plein de choses intéressantes dans la dance music, et tu peux d’ailleurs en entendre un peu au sein de nos premiers disques.

Du fait que beaucoup de remixeurs d’horizons très différents soient parvenus à faire quelque chose de bien de votre musique, pensez-vous que votre son a une prédisposition à être retravaillé?

Je ne sais pas si le fait que ta musique soit remixée ait quelque chose à voir avec une prédisposition quelconque. Nous utilisons des éléments que les producteurs trouvent intéressants à remixer, et c’est une conséquence de ce à quoi nous portons beaucoup d’attention.
John: On aime les remixes, on aime les sélectionner, travailler avec différentes personnes, pourquoi pas les accompagner. Ça permet à d’autres de s’investir dans ta musique, de sortir autre chose que leur propre répertoire.
Jake: Chez Health, on y voit l’occasion d’être la bande son d’un véritable documentaire musical. En général, les meilleurs remixes viennent de jeunes artistes qui les produisent sur leur laptop, et qui s’impliquent vraiment dans le truc parce qu’ils aiment le morceau original. Rien à voir avec les plus gros qui se font payer pour le faire. Nous ne sortons pas forcément un remix parce qu’il est signé par quelqu’un de connu. On ne fonctionne pas comme ça: on veut être bon avant tout. Donc, pour répondre à ta question, je dirais plus que tout cela est une conséquence d’un certain contrôle de la qualité, plutôt qu’une prédisposition de notre son.

Est-ce quelque chose que vous comptez rééditer avec ce nouvel album?

John: Oui! On le fera à la condition qu’on ait collecté assez de bons remixes pour que la sortie d’un album soit justifiée. Ce n’est donc pas sûr encore, mais on aimerait beaucoup. C’est un peu devenu une tradition pour nous.

J’aimerais qu’on revienne un peu sur le projet Max Payne. Quel effet cela fait-il de travailler dans de gros studios, avec des entreprises de la taille de Rockstar Games?

Ca été gratifiant quelque part, surtout qu’on y a passé du temps. C’était cool!
John: On avait aussi beaucoup de moyens mis à notre disposition alors que jamais notre musique n’a dû être approuvée par quelqu’un, même si Rockstar Games avait un superviseur musical dans le coup. Mais personne d’autre que nous n’ayons jamais rencontré n’a mis son nez dans notre travail.

Quelque part, c’est bien qu’une société aussi énorme fasse appel à un groupe de noise non?

Jake: Comparés à beaucoup de leurs concurrents, ils apportent beaucoup d’attention à la musique dans leurs jeux. Ca ne s’arrête pas à prendre des titres à droite et à gauche pour Grand Theft Auto. On a été très surpris d’être sollicités. Mais après avoir appris à les connaitre, et être devenus amis avec eux, tout a pris sens. Nous sommes assez proches maintenant, mais ça a été beaucoup de travail pour en arriver là.

Je suppose que, pour ne retenir que les 25 morceaux de la bande son, vous avez dû en composer beaucoup plus!

Je ne sais plus avec combien d’heures de musique nous avons fini. On avait plusieurs disques remplis. Mais, il a fallu faire des choix, et sélectionner les parties de morceaux susceptibles d’être utilisées dans le jeu. Si on avait tout mis sur la bande originale, je pense qu’il aurait fallu quatre disques.

Vos choix ont porté sur quels critères? L’ambiance du morceau?

Oui sur l’atmosphère, en grande partie. Il fallait se mettre totalement dans le contexte, dans la position du musicien qui contribuait à la réussite d’un jeu, plutôt que celle de celui qui veut attirer l’attention sur lui. C’est la même chose que pour ceux qui travaillent pour la mode. Faire du mieux que tu peux, produire la meilleure musique possible, tout en approchant une nouvelle forme d’art, ça été un peu le côté marrant et intéressant du truc aussi.

Si vous en aviez l’occasion, est-ce que vous seriez intéressés par une collaboration avec une énorme star de la pop music? Ça pourrait coller? Avec qui?

John: Bien sûr que nous serions intéressés! Pour le reste, on ne sait pas. On pense que ce serait intéressant de travailler avec un artiste hip hop. C’est peut être une étape envisageable après avoir composé une bande originale.
Jake: Il y en a beaucoup avec qui nous aimerions collaborer… On ne veut pas trop en dire plus. Pourquoi pas avec Taylor Swift (rires)? C’est la plus grosse pop star du monde!
John: Ou Iggy Azalea ? Non, je plaisante elle n’est pas très agréable, et je n’aime absolument pas sa musique.

Elle est constamment attaquée dans les médias, par les fans, sur Twitter…

Je ne sais pas comment ça a commencé. Je pense qu’elle n’aurait pas dû dire certaines choses. En tous cas, je la trouve assez agaçante.
Jake: Ça me fait penser à autre chose que je n’aimerais pas faire: vendre un morceau pour une pub que je n’aime pas. Combien Chris Brown a t-il pu gagner quand il l’a fait pour une campagne télévisée de l’armée américaine? C’est vraiment naze et pas très moral. A sa place, je ne serais vraiment pas à l’aise. Mon jeune moi ne peut pas vendre une chanson à l’armée.

Vous avez enregistré votre premier album à The Smell (salle de concert et d’enregistrement fréquentée par la crème des artistes lo-fi et DIY de Los Angeles), joué avec Nine Inch Nails et Interpol, vous avez composé une BO. Avec le recul, comment vous voyez cette accumulation d’expériences très différentes les unes des autres?

Je pense que ça a été à la fois bénéfique et négatif pour nous parce qu’il est désormais plus difficile de nous cataloguer, de décrire ce que nous faisons: on fait des albums de noise mais on a joué avec Nine Inch Nails, on a des albums de remixes…
John: Tout ça fait partie de notre esthétique globale. Ce n’est pas clairement défini, on ne fait pas partie d’un genre, et ça nous aide à avancer en tant que groupe. Mais, du coup, c’est difficile pour les gens de comprendre notre identité exacte.
Jake: C’est ce qui rend ton job de journaliste beaucoup plus difficile (rires).

Dernière question, en bonus: quelle est la pire question qu’on vous ait posé en interview? Peut-être une des miennes d’ailleurs…

Ça pourrait bien être celle-là oui! (rires) Ca y est, tu viens de la poser! Non, sérieusement, j’ai jamais eu de question qui me donne envie de m’étouffer, mais on en a toujours eu des bien débiles. La pire qu’on m’ait jamais posé est due au fait que, pendant des années, quelqu’un a tenu notre page Wikipedia sur laquelle il était mentionné que nous faisions des concerts gratuits à nos débuts. Du coup, pendant longtemps on nous a demandés si c’était exact.
John: C’était une question débile à laquelle on répondait toujours par ‘bah oui’. Quel groupe n’a jamais fait un concert gratuit à ses débuts? C’est pareil dans toutes les villes du monde! Quand tu commences en tant que groupe, tu ne fais pas de concerts pour être payé. On nous a posé cette question des centaines de fois…


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