Interview : Fink (04-2006)

Interview : Fink (04-2006)

A une heure de son concert au Triptyque où il présente son nouvel album, le premier à sonorité folk, Fink nous reçoit dans un café à quelques mètres de la salle parisienne…

Comment vas-tu?
Un tout petit peu nerveux! Je n’ai pas encore beaucoup tourné, donc j’ai toujours la pression quand je dois faire une scène. C’est mon premier concert à l’international. Pour l’instant je n’ai joué qu’à Londres et à Brighton. Et là, en plus, les gens font la queue devant la salle! Ça me la met encore plus… Donc pour l’instant je n’ai joué qu’en Grande-Bretagne avec ce disque. J’ai mixé dans le monde entier, mais ça ne donne pas les mêmes sensations du tout. Quand tu es DJ, tu as les platines qui te cachent, on dirait un château fort, et tu es occupé à choisir tes disques. Ça demande de la concentration. En plus, personne ne vient t’applaudir ou te huer. Ce n’est pas plus ou moins facile, mais c’est juste complètement différent. Franchement, quand tu es un DJ Ninja Tune, c’est aussi beaucoup de pression, tout le monde t’attend un peu au tournant. Le label, en lui-même, est un tel gage de qualité que tu n’as pas vraiment le droit de décevoir. Partout où tu vas, quand c’est à toi de rentrer en piste, les gens t’attendent au tournant.

Justement, comment es-tu rentré dans l’écurie Ninja Tune?
De la manière la plus simple qu’il soit. Je leur ai envoyé une démo! J’étais déjà signé sur un autre label qui s’appelait Kickin, qui était assez porté sur la techno, ce que je faisais à l’époque. Je faisais de l’ambiant pour être exact. En fait, je faisais partie d’un groupe, on était trois, et on a fini par se séparer. On n’arrêtait pas de se disputer. C’est assez courrant quand on a un groupe de musique électronique, on joue tous du même instrument et donc on a rapidement tendance à se marcher sur les pieds. On a donc splitté quand on enregistrait notre deuxième album. On avait que cinq chansons de terminées, de l’ambiant on était plutôt en train de passer à du trip hop. Et sur ces cinq chansons, y en avait une qui était vraiment bonne, c’était un morceau Drum n’Bass, au moment où cette musique commençait à peine, au début des années 90. On l’a envoyée à Ninja. C’était à une période où eux se demandaient quoi faire de toutes ces démos qu’ils recevaient, où la plupart du temps il n’y avait qu’une chanson qui était vraiment bonne. Et ils ont décidé de sortir une compilation avec tous ces morceaux. Le nôtre a été sélectionné. Ils nous ont recontacté après pour savoir où on en était dans nos projets, et pour nous faire savoir qu’ils étaient vraiment intéressés pour suivre notre musique. On leur a dit qu’on s’était séparés, et ils avaient l’air vraiment déçus! Ils ont quand même insisté, nous demandant si on continuait à faire de la musique individuellement et, si oui, si on pouvait leur envoyer des démos. Je crois que j’étais le seul de nous trois qui était vraiment motivé à l’idée de bosser avec Ninja Tune. J’ai tellement progressé en tant que DJ quand j’ai intégré cette écurie! Quand tu tournes avec eux, tu es obligé d’être au top.Moi, j’ai appris énormément d’un mec comme DJ Food! Il m’impressionnait vachement, et du coup j’ai dû travailler comme un fou pour essayer d’être à son niveau.

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On peut donc dire que Ninja t’a permis de te professionnaliser?
Exactement! Quand tu fréquentes les mecs avec qui je tournais à l’époque, ça ne peut que te tirer vers le haut. Et le fait que ce soit sous le nom Ninja Tune, tu sais que tu dois être meilleur que les autres DJs. Les gens viennent te voir en soirée juste à cause du nom de ton label, pas pour ce que tu es toi-même… Ça met un peu la pression. Et là je recommence tout à zéro avec ce projet!

Parlons-en…
Ça commence à peine, je ne suis pas encore du tout sûr de moi, j’en suis qu’à mon sixième concert, donc encore loin de la sérénité. J’ai un pote qui m’a dit qu’il faut en moyenne cent prestations pour se sentir à l’aise. J’en suis loin, mais j’ai un calendrier tellement chargé que ça devrait venir assez rapidement. En plus, pour l’instant, mon set est assez court, puisqu’il y a deux chansons que je ne peux pas jouer sur scène, pour des raisons personnelles. Y en a une notamment, « Kamlyn », si je me mettais à la jouer, y a des chances que je fonde en larmes avant la fin. Donc je ne l’ai faite que pour l’album…

C’est plutôt rare de voir quelqu’un qui vient de l’électro passer à la folk. On était habitué jusqu’à présent à voir passer des gens des musiques « traditionnelles » vers l’électro…
En électro, on a tous les mêmes instruments, les mêmes techniques de sample, et il y a des gens comme Shadow, qui les utilisent à merveille. Moi, il y a un jour où je ne me suis plus senti inspiré par mes enregistrements. A ce moment-là, je devais me positionner pour savoir comment je me mettrais en scène, à quoi ressemblerait un de mes lives. Je n’avais pas de quoi m’offrir de nouveaux équipements, et je savais donc pas trop où j’allais. J’ai assez vite opté pour la guitare, j’avais un peu que ça comme solution. Mais ce n’est pas facile de marier la guitare avec un beat, ça sonne assez dégueulasse. Pareil quand on la marie à un sample. J’ai essayé pendant très longtemps, et honnêtement à part une ou deux fois, ça passait pas du tout. Puis j’ai commencé à bosser avec différents chanteurs pour mon album, mais je me suis rapidement senti frustré de ne pas chanter moi-même les textes. Mais d’un autre côté, j’avais du mal à me faire à l’idée que je pouvais devenir un chanteur/compositeur, je trouvais ça beaucoup trop cliché. J’étais aussi un peu trop timide. Et puis, depuis Dylan, je ne voyais pas qui avait fait quelque chose de bien. Personne n’a fait mieux que Dylan ou Joni Mitchell.

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L’électro par rapport à la folk, c’est quand même deux extrêmes. Il y en a une qui est intime et l’autre que l’on peut parfois qualifier de froide…
La plus grande différence pour moi, c’est qu’avec l’électro, ce que tu dis, ce que tu crées, est forcément ressorti par un ordinateur, réinterprété d’une certaine manière. Avec la folk, tu peux concrètement entendre quelqu’un qui fait quelque chose. Et tu te sens beaucoup plus « connecté ». Mais il y en a qui y arrivent super bien avec l’électro. Je pense à quelqu’un comme Björk, elle fait une musique résolument électro, relativement froide, mais elle donne tellement d’elle-même! Mais c’est un peu une exception, et je ne sais pas si elle recherche cette profondeur. Je pense juste que c’est en elle. Moi, je m’estimais juste heureux de savoir jouer de la guitare, et écrire des chansons. Alors quand Ninja m’a dit que je devais faire un live, je savais franchement pas quoi faire, et je me suis donc mis un peu la pression en me disant que si ce coup-là je n’osais pas monter sur scène et chanter, je ne le ferais jamais. Et si c’était nul, et bien tant pis! De toute façon, je n’avais plus envie d’être DJ. Je n’avais plus envie de claquer chacun de mes sous dans des vinyles. J’ai trop donné. Et là, honnêtement, j’ai vieilli, et j’ai d’autres envies.

Quel était ton rapport à la folk avant que tu te lances dans l’écriture de « Biscuits For Breakfast« ?
Un peu ambivalent. Mon père jouait de la folk, donc je détestais ça. C’est ça d’ailleurs qui m’a poussé à faire du break-dance! J’étais attiré par ces noirs qui criaient dans leurs micros pendant que mon père jouait de la folk. Quand j’étais vraiment très jeune, trop jeune pour être laissé seul à la maison, mes parents m’emmenaient tous les soirs dans leur club de folk et je détestais ça!
On peut donc finalement parler de maturité…

On peut dire ça… Et puis mes parents, qui détestaient la techno, adorent mon dernier album. Ça doit être mes plus grands fans maintenant. Bon, ils ont évidemment un peu de mal quand les chansons parlent de drogue, mais je crois que, dans le fond ils sont assez fiers que je fasse quelque chose de créatif. À 18 ans, je ne pensais un peu qu’aux filles et à me faire de l’argent, donc là ils peuvent se sentir un peu rassurés.

Et comment as-tu convaincu les gens de chez Ninja Tune de te suivre dans ce projet?
J’ai feinté! En fait, quand je leur ai amené mes démos, j’ai menti! Je leur ai dit que c’était quelqu’un d’autre, un mec que j’ai rencontré, un mec super bon, super cool, super mignon, et que je pensais qu’il avait d’autres morceaux à proposer. Ils m’ont tout de suite dit qu’ils étaient intéressés pour le rencontrer. C’était par peur de t’exposer ou dans une autre finalité? En fait, c’était surtout pour qu’ils écoutent ça avec une oreille « vierge », pour qu’ils n’écoutent pas du Fink. Je voulais vraiment qu’ils jugent le fond, pas le fait que je me mette à faire de la folk. Et comme ma voix est très différente quand je chante par rapport à quand je parle, ils n’ont rien vu venir. D’ailleurs, ils ne m’ont pas cru quand je leur ai dit que c’était moi, et que par conséquent, l’artiste était immédiatement disponible pour les rencontrer. Et ayant déjà dit qu’ils appréciaient, ils ne pouvaient plus reculer.

Merci monsieur, je peux te laisser le mot de la fin?…
Il est quelle heure? Putain! Je suis super en retard…


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