Interview : Dub Trio (04-2008)

Interview : Dub Trio (04-2008)

Après trois albums et un live, et autant de gifles sonores, on mourrait d’envie de poser quelques questions au trio new-yorkais le plus impressionnant de ces dernières années. Joe Tomino (batteur), DP Holmes (guitares) et Stu Brooks (basse) s’expliquent.


Dans la chronique que nous avons écrite de votre dernier album, nous avons comparé votre musique à une version dub de Tool. Est-ce que ça vous convient?

Joe Tomino: Nous connaissons tous Tool, nous aimons beaucoup, mais je ne pense pas que ce groupe ait forcément une grande place dans nos influences respectives. La différence la plus évidente entre nos deux musiques réside bien sûr dans le fait que celle de Tool a du chant, alors que nous jouons une musique essentiellement instrumentale. Maintenant, en termes d’esthétique, d’agressivité, et de technicité, c’est vrai que nous avons sans doute pas mal en commun.

DP Holmes: On partage aussi une atmosphère très sombre, très oppressante.

Joe Tomino: Maintenant, pour la petite histoire, Maynard, le chanteur de Tool, déteste le dub. On ne sait pas ce qu’il pense de Dub Trio, mais nous connaissons quelques personnes en commun, et on a donc appris de source sûre qu’il n’aime pas du tout le dub. Alors évite peut-être de lui dire ça… (rires)

Ce nouveau disque est davantage downtempo que les précédents. Plus post-hardcore que punk à la Bad Brains. Vous en aviez marre de lire leur nom dans toutes les chroniques?

DP Holmes: (rires) Bon, c’est vrai que ça devenait un peu gonflant à la longue, mais ce n’est certainement pas la raison qui nous a poussés à changer de registre. On a toujours voulu faire ce qu’on avait envie de faire, sans trop y réfléchir. Les idées sont venues comme ça pendant l’écriture du disque. C’est venu naturellement, rien n’était vraiment prémédité.

Joe Tomino: Les journalistes auront toujours besoin de citer des noms pour expliquer aux lecteurs de quelle manière tel ou tel groupe sonne, on n’y peut rien. C’est vrai que c’est parfois un peu énervant. On n’essaie pas d’être untel ou untel. On fait ce qu’on fait, et c’est tout.

DP Holmes: Un jour, un journaliste nous a même comparés à un croisement entre Pearl Jam et Bob Marley… (rires)

En même temps, sans vouloir me faire l’avocat du diable, les groupes disent souvent que leur musique ne correspond à aucune étiquette, que c’est restreindre leur travail. Si, en plus, on ne peut plus citer d’autres groupes évoluant dans les mêmes sphères, comment les journalistes vont pouvoir parler de votre musique dans des termes compréhensibles par le plus grand nombre?

Stu Brooks: C’est vrai. On a bien conscience que leur travail n’est pas toujours simple. Il suffit de voir les appellations qu’ils sont parfois obligés d’inventer pour nous décrire. On a déjà lu “sludge-core overdub rhythms”, donc j’imagine que Tool et le dub, ça parle au moins autant aux gens.

Pochette de Another Sound Is Dying

Certains morceaux de “Another Sound Is Dying” sonnent comme des classiques du shoegazing, chose qu’on n’avait pas vraiment entendue chez vous par le passé. Est-ce que c’est quelque chose que vous avez écouté récemment, ou est-ce une vieille influence que vous avez mis du temps à digérer?

Stu Brooks: On se rend compte de plus en plus qu’on peut tout inclure dans notre musique. On ne veut rien s’interdire ni s’enfermer dans une chapelle précise. Donc quelque soit la musique qui nous intéresse aujourd’hui ou qui nous a intéressés par le passé, ça ressortira forcément à un moment ou à un autre dans notre travail.

DP Holmes: Je pense que c’est une influence qu’on a toujours plus ou moins eue en filigrane. C’est sûr que c’est la première fois qu’on l’entend à ce point, mais il y a toujours eu cette ambiance un peu extatique dans nos précédents disques.

Joe Tomino: Là encore, ce n’est de toute façon pas quelque chose dont on a parlé au moment de la composition. C’est venu très naturellement. On passe tellement de temps ensemble, sur la route ou en studio, qu’on évolue dans une même direction en s’influençant les uns les autres. Du coup, on est souvent sur la même longueur d’onde, et on n’a pas trop besoin de verbaliser les choses. Les idées viennent, on les essaie, si ça marche, on la garde, si ça ne marche pas, suivante!

Vous avez retravaillé avec Mike Patton sur ce disque. Il y a d’autres chanteurs avec qui vous aimeriez collaborer?

Stu Brooks: En général, on préfère venir jouer sur les disques des autres plutôt que d’inviter quelqu’un sur le nôtre. Mais c’est vrai qu’on aurait rien contre bosser avec des types comme Roots Manuva, Trent Reznor, Saul Williams ou Nick Cave…

Ce disque sort sur Ipecac, le label de Mike Patton. Est-ce un pas important dans votre carrière?

DP Holmes: Je pense que ça offre une jolie vitrine à notre musique. Parce qu’en règle générale, les fans des groupes Ipecac sont plutôt curieux des autres sorties du label. Un fan des Melvins ou de Isis est plus susceptible d’écouter ce qu’on fait parce qu’il voit notre nom sur le site d’Ipecac que s’il était tombé dessus par hasard sur le Net.

Stu Brooks: Ca se ressent aussi en concert. Il y a des gens qui suivent les groupes estampillés Ipecac, quoi qu’il arrive. Ce sont souvent des fans dévoués, et c’est toujours important pour l’évolution d’un groupe.

Joe Tomino: Maintenant, c’est vrai que c’est un pas important dans notre carrière, mais ce n’est pas pour ça qu’on s’attend à toucher le jackpot. On sait très bien que notre musique, par définition, a très peu de chance de toucher le grand public. Et le label ne nous met aucune pression sur ce sujet. C’est surtout sur cette question qu’on s’estime privilégié. On a une liberté artistique totale, c’est très rare. Ipecac a toujours su que nous ne vendront jamais des millions de disques, et ils n’ont pas hésité une seconde avant de se lancer dans l’aventure à nos côtés.

Dub Trio

Le disque sort aussi en vinyl chez ROIR. C’était important pour vous?

Joe Tomino: Oui, très important. ROIR nous a toujours beaucoup aidés, depuis le tout début. On est donc super contents que ça puisse sortir chez eux. On a une réelle volonté de constituer un cercle de proches, un peu comme une famille. ROIR et Ipecac en font partie. Sans eux, on n’en serait pas là.

DP Holmes: Et on aime aussi le fait de sortir notre musique sur plusieurs labels… En 2020, j’espère qu’on bossera avec une dizaine de labels différents!

Aujourd’hui, beaucoup d’artistes privilégient les sorties digitales plutôt que les vinyls. Ca leur revient tellement moins cher…

Joe Tomino: Notre musique est aussi disponible en MP3, mais on ne veut pas abandonner le vinyl. Tous nos disques sont sortis en vinyl. C’est aussi une sorte de tradition dub. Le son n’est quand même pas le même… Et finalement de plus en plus de gens semblent y revenir. Sur le stand de merchandising, on vend par exemple aujourd’hui presque davantage de vinyls que de CDs.

Vous êtes très occupés à tourner ou enregistrer avec d’autres groupes en tant que musiciens de session. Vous en êtes pourtant déjà à trois albums studio et un live en quelques années seulement. D’habitude, les groupes sortent un disque tous les deux ans. Comment expliquez-vous la prolificité de Dub Trio?

DP Holmes: Comme Joe le disait tout à l’heure, on est souvent sur la même longueur d’ondes. Les idées de morceaux arrivent donc assez rapidement. J’ai toujours deux ou trois trucs en tête que j’essaie pendant les balances par exemple. Mais ce n’est pas vraiment simple de bosser pendant les tournées. Ces idées se transforment toutefois souvent en ébauches de morceau qu’on va ensuite retravailler ensemble, dès qu’on est tous de retour à la maison. Pour cet album, on avait par exemple huit morceaux de prêts quelques mois avant qu’on entre en studio. Les six autres ont été écrits pendant les sessions.

En France, il y a pas mal de groupes de dub qui jouent aussi live, de manière très rock. Vous en connaissez quelques-uns?

DP Holmes: Oui, on connaît Guns Of Brixton. Un pote m’a fait découvrir Brain Damage également, même si c’est moins rock…

Joe Tomino: Je connais Kaly Live Dub, et j’ai récemment découvert Zenzile aussi. Je les ai écoutés sur le Net.

Vos albums sont de moins en moins dub. Est-ce que vous allez finir par être obligés de changer de nom?

Joe Tomino: Qu’est-ce que le dub? Y a-t-il une définition sur laquelle tout le monde s’entend?

DP Holmes: Nous ne définissons pas du tout le dub comme un simple dérivé du reggae. C’est plus vaste que ça, bien au-delà des genres musicaux. Nous le considérons comme une manipulation du son, une réinterprétation de quelque chose qui existait déjà.

Joe Tomino: Ce que tu entends sur le disque est un dub de notre idée de départ. Ce que tu entendras sur scène tout à l’heure sera un autre dub de cette même idée.

DP Holmes: On sait bien que les gens s’attendent parfois à nous voir avec des dreadlocks, des bonnets de laine aux couleurs rasta, etc. Mais, ça, c’est juste du folklore.

Peut-être aussi parce que votre premier album était vraiment plus dub, au sens où la plupart des gens l’entendent?

DP Holmes: Oui, sans doute. Mais avec le temps, on s’est rendus compte qu’on n’avait pas à s’en tenir à ça pour exister. D’autres idées venaient, et on ne voyait aucune raison valable pour ne pas les explorer à fond.

Joe Tomino: Quelque part, on considère le dub de la même façon que The Clash considérait le punk: c’est à dire comme un prisme au travers duquel tout autre genre musical peut être intégré.


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