Interview – DJ Mehdi, banger packer…

Interview – DJ Mehdi, banger packer…

Considéré en France comme la crème des producteurs hip hop, Dj Mehdi a débuté à l’adolescence au sein d’Ideal J. Membre originel du groupe Different Teep (avec Manu Key, Mista Flow et Lil Jahson), il monta ensuite le collectif Mafia K1 Fry en compagnie de Kery James et Manu Key. Sa discographie compte des productions pour Rohff, les Sages Poètes de la Rue, Oxmo Puccino, Fabe, Karlito, Akhenaton ou encore récemment Booba pour son opus «Ouest Side» avec la prod du titre «Couleur Ebène». Au delà du rap français, les new-yorkais Ghostface Killah ou Lil Dap (Group Home), pour ne citer qu’eux, ont également bénéficié de ses talents. Après de longues années passées au service du hip hop, il bifurque progressivement vers d’autres univers, notamment en signant chez Ed Banger au même titre que Justice, Mr Oizo, Krazy Baldhead, et Feadz. Alors que Monsieur Favéris-Essadi sort une compilation de quelques-uns de ses remixes intitulée “Red Black & Blue”, il répond à nos questions dans un bar de Paname…

C’est la première fois que tu travailles avec Booba. Comment cela s’est il passé? C’est assez bizarre puisque tu es normalement plutôt proche des artistes du 94 comme Rohff et Kery James…

Mehdi: J’ai toujours connu Booba, même s’il est vrai que j’ai toujours été entouré par des gens du 94, que ce soit au sein de Different Teep, Ideal J ou Mafia K1 Fry. Mais je n’ai jamais eu de souci avec qui que ce soit d’autre. J’ai plutôt été flatté que Booba soit intéressé par mes productions. Je sais que j’en ai surpris plus d’un avec cette collaboration. En tant que producteur, je veux pouvoir aller d’univers en univers, garder à l’esprit ma façon de penser qui me pousse à tenter de nouvelles choses, à évoluer et avancer.

Booba t’a contacté directement?

Oui, je le connais depuis longtemps, mais nous nous sommes vraiment rencontrés qu’en studio avec le groupe 113 quand il a collaboré avec eux. C’est là que nous avons parlé. Il m’a ensuite appelé quelques fois, m’a fait savoir qu’il avait quasiment fini son nouvel album, et m’a proposé de lui faire quelques beats. Il apprécie ma musique, était fan de Ideal J quand il était plus jeune, donc il m’a sollicité. Je lui ai balancé quelques trucs, il a écouté et m’a rappelé en me disant que c’était cool, mais que Animalsons (ses producteurs) lui avaient déjà proposé quelque chose de ce genre, et qu’il attendait de moi une approche différente. Cette situation illustre bien ce qui a changé dans mon regard sur la musique. Booba voulait être surpris, voulait une touche un peu fun pour ce disque. J’ai donc été étonné mais j’ai apprécié sa réaction. A ce moment là, j’étais sur “Lucky Boy” pour Ed Banger donc je lui ai fait écouter quelques sons de cette période, c’était vraiment ce qu’il attendait. Donc je lui ai filé un instrumental qui était censé intégrer l’album. C’était un beat pour lui, plus orienté rock et electro, très loin du «boom-tchack»…

C’est une rencontre qui t’a fait évoluer?

Oui parce que je ne voulais vraiment pas faire marche arrière et refaire la même chose que dans le passé. A l’époque où j’étais avec Kery James, 113 et Rohff, je leur faisais des beats qui venaient tout naturellement. Ils ne s’intéressaient pas toujours à la manière dont je produisais, ni même sur ce à quoi j’aspirais. C’était bien d’une certaine façon. Ils voulaient des productions du moment et ils choisissaient les meilleurs beats hardcore. Moi, je voulais toujours mettre quelque chose en plus dans leurs albums, ce que j’ai finalement réussi à faire. Aujourd’hui encore, nous formons toujours un crew…

Peut on prendre comme exemples tes samples de Kraftwerk et quelques trucs electro old school utilisés pour Rim K du 113? Ils ne les ont pas reconnus?

Ils écoutent le beat, l’apprécient et posent dessus si cela leur plaît. Ce sont de vrais artistes rap mais ils ne sont pas tout le temps intéressés par ce qui a été samplé ou par le travail de production. Et puis ce n’est jamais pareil quand tu travailles avec ta famille, comme avec Kery, qu’avec d’autres rappeurs connus que tu ne connais pas vraiment personnellement comme Booba. Je connaissais son parcours, je le connaissais lui, mais je n’étais pas dans sa tête. Ca n’a rien à voir avec mes potes de la Mafia K1 Fry, Karlito ou Rohff. D’une certaine façon, c’était une sorte de virage dans ma carrière, ca m’a beaucoup aidé à m’ouvrir l’esprit en termes de production.

Tu es considéré par la presse comme un nouveau de chez EdBanger alors qu’en fait, tu es un des premiers à avoir été signé sur le label, et à y avoir sorti un album («Lucky Boy»). Avant cela, ils n’avaient sorti que des maxis. Comment en es tu arrivé à switcher de ton crew rap français à l’electro et un label internationalement réputé?

Les gens ne le savent pas forcément, mais Pedro Winter (Busy P) est mon manager depuis 1999, depuis l’époque ou je faisais partie du 113. Déjà, il s’occupait de mes deals et de mes contrats. Je le connais depuis 1997. Juste après le deuxième album de Daft Punk, j’ai naturellement été intégré à son monde. En 2002, j’ai signé chez Virgin et il m’a été d’une grande aide d’un point de vue contractuel. Puis Ed Banger a commencé avec le rap de Mr Flash pour un maxi vinyle, je suis apparu sur la face B de sa deuxième sortie («We Are Ur Friends» de Justice). Je n’ai jamais eu l’impression de prendre mes distances avec le rap, même en intégrant Ed Banger puisque je continuais à travailler avec des rappeurs tout en produisant des morceaux plus electro pour mon propre compte. Je ne me suis jamais dit «je ne ferai plus jamais de hip hop». Je peux faire un remix rock, un album electro, ou refaire un album de pur rap français hardcore. Je ne suis pas un producteur electro, je suis producteur.

En treize ans de carrière, as tu changé ta manière de produire et de travailler? Durant toutes ces années, tu as du essayer beaucoup de matériel. Entre analogique et digital, de quel côté te places tu? Quel est ton équipement aujourd’hui?

Je dois dire que j’ai fait beaucoup de choses avec ma MPC1000 parce que je l’aime beaucoup et que je la connais par cœur. C’est un équipement particulier pour moi. A un moment, je me plaisais à penser que mon son était du à mon matériel, ou à telle ou telle marque. Mais avec le temps, je me suis totalement tourné vers le digital, via mon ordinateur et le logiciel Logic. Avant, je gardais encore la MPC pour les beats, puis les passais ensuite dans Logic, mais maintenant je fais tout grâce au programme. Je joue aussi de la guitare, de la basse, et quelques autres instruments. Sur «Lucky Boy» , j’ai samplé mes propres instruments mais je ne veux pas être considéré comme un musicien puisque je ne pourrais pas faire de bout en bout un album de guitares sans machine. Je ne suis pas guitariste mais je me débrouille de façon autodidacte. La base pour moi, c’est le beat. Tout ce qui l’entoure n’est seulement que couleurs. Le beat, c’est l’essentiel.

Ton dernier album est plutôt une compilation de remixes, rares ou inédits. J’ai remarqué que tu en proposais un autre, très bon, sur ta page Myspace (www.myspace.com/djmehdi). Est ce parce que tu n’as pas eu le droit de les publier? Il s’agit de bootlegs illégaux? Pourquoi tes remixes de Nas et Busta Rhymes n’apparaissent pas par exemple? Ce nouvel album aurait ainsi pu être plus orienté rap…

Les remixes non officiels sont à télécharger sur mon Myspace. Ceux de Nas , Jay-Z et Notorious Big en font partie. Personnellement, j’adore qu’on ne me sollicite pas pour des remixes de mes morceaux, donc j’ai moi aussi ma dose de bootlegs. Par exemple, j’ai remixé Biggie, Nas, Jay-Z et TuPac en 2004, en utilisant des acapellas. Malheureusement, je ne pouvais pas les inclure au tracklisting de ce nouveau disque pour des raisons juridiques. Pour Busta et Ghostface , c’est à cause de Motown Records. Ils ne m’ont pas accordé le droit de les utiliser. Virgin ne s’est pas occupé de ça non plus. D’autres, comme «Charlie Brown» et «AKH» de Akhenaton, sont officiels mais n’ont pas pu y être à cause du business de l’industrie du disque. C’était trop compliqué, ou trop long, quelque chose comme ça. C’est vraiment dommage, notamment pour «Make The World Go Round» de Busta Rhymes parce qu’il s’agit d’un de mes préférés. Je regrette effectivement que cette compilation ne soit pas plus hip hop au final. Il y avait aussi le remix de «Embrace The Martian» de Kid Cudi et Crookers , mais là, c’est parce que je n’étais pas totalement satisfait de mon travail.

Ah oui?

Non, je ne le trouve pas trop top, donc je n’ai pas voulu qu’il figure sur le disque, même si cela aurait été très «tendance» de le mettre. Mais je préfère laisser la place pour d’autres que j’apprécie plus. Par exemple, ceux de Joakim , Manu Key ou Etienne de Crecy…

Tu as remixé beaucoup d’artistes, et ca a l’air d’être un exercice que tu apprécies. Qui sont les autres producteurs dont tu reconnais le travail?

Je crois pouvoir dire que je suis toujours impressionné par Pete Rock et notamment par ses remixes. Par Maurice Fulton et Mr Oizo aussi. Selon moi, ils sont parmi les plus talentueux quand il s’agit de respecter la balance entre une bonne chanson et la musique faite par ordinateur. C’est quelque chose que je vise toujours. Puis il y a l’acoustique, le côté dancefloor, le tout.

Tu fais aussi pas mal de dj sets en clubs. Est ce que ca a influencé ta manière de travailler?

C’est une chose assez étrange de produire et d’écouter une musique que tu ne puisses pas imaginer jouer en club en tant que DJ. C’est une autre de mes prises de tête, et je tente toujours de trouver la solution à mon dilemme. Est ce que mon style en tant que producteur doit être proche de mes DJ sets? Je trouve toujours la réponse dans le beat.

Peux tu nous éclairer sur les liens que Ed Banger entretient avec Murs, Mos Def, et un label comme Stones Throw?

Tout est venu de Pedro Winter. Il est à fond dans J Dilla, Neptunes, Alchemist, Murs… Quand il a sorti son maxi, il voulait que Murs apparaissent dessus. Mos Def a aussi collaboré avec Ed Banger quand il a travaillé avec Mr Flash, un autre artiste du label. Tous les artistes Ed Banger, de SebastiAn à Justice, disent qu’ils aiment Timbaland et Daft Punk, Peanut Butter Wolf et Madlib, J Dilla. Busy P et moi sommes totalement fans de Stones Throw, donc les connections se sont faites naturellement. Nous avons ainsi fait des dates et des fêtes ensemble. Quand J Dilla est décédé, Busy P a fait un morceau tout spécialement avec son jeune frère Illa. Ca a créé un lien très fort, une relation complètement naturelle avec Stones Throw…

Ed Banger est considéré comme un label très hype, pourtant Pedro Winter et tous les artistes sont totallement connectés au hip hop. Comment expliques-tu cela?

Busy P adore cette musique. Il est tout le temps la tête dedans, dans le vrai rap, celui qu’il passe régulièrement dans ses DJ sets. En electro, c’est la même chose, il est autant dans Todd Edwards, Todd Terry ou Underground Resistance qu’il l’est dans The Alchemist ou J Dilla. Et, en général, les artistes signés sur EdBanger sont pareils. Par exemple, si tu prends le dernier album de Krazy Baldhead, tu y entends Tes (Lex Records) sur plusieurs titres. Feadz est fan de hip hop depuis qu’il est gosse. Nous nous sommes tous mis là dedans très jeune. Pour ma part, emmener mon style et ma technique hip hop vers la dance music a toujours été quelque chose de vivifiant pour moi. Passer de la production pour des emcees français aux sets en compagnie de Busy P à Ibiza ou Miami sonnait comme un challenge. Rien ne m’obsède plus que de fondre l’esthétique des Ultramagnetic Mcs dans un DJ set à la Boys Noize. J’aimerais faire un album de ce genre. La plupart des mes amis Djs me disaient toujours de continuer à faire ce que je réussissais le mieux. Mais, en suivant cette théorie, ils n’auraient pas fini à jouer un titre de rap français à 96 BPM au club « The End » de Londres, là où moi je voulais l’entendre. Les choses ont commencé à changer quand Timbaland, Rockwilder ou encore Swizz Beatz sont apparus sur la scène et ont commencé à altérer les aprioris. Quand The Neptunes ont brulé tout cela, tout le monde a été obligé de faire face à la réalité: il a toujours été question de la même musique, produite par les mêmes personnes, en utilisant les mêmes outils et instruments. 25 après, tu te rends compte que Afrika Bambaata avait raison.

Pourquoi n’as tu jamais voulu être un MC?

J’ai toujours eu une attirance pour le beatmakin’ et le deejayin’. J’étais dans le rap déjà tout jeune, je suis rentré dans ce business quand j’avais treize ans. J’aimais beaucoup la vie qui va avec. Au fur et à mesure du temps, ca s’inscrit en toi, et tu ne peux plus t’en défaire. C’est mon cas, c’est celui de mecs comme Rim K aussi, de notre génération. Je suis sur aujourd’hui que j’écouterai du rap et que j’en produirai toute ma vie. Et puis etre MC, c’est dur quand tu vieillis. Moi, la production, c’est ma vie.

Qui est le rappeur que tu apprécies le plus actuellement?

En ce moment, je suis pas mal dans les artistes Young Money comme Drake.

Qui aimerais tu produire ou remixer?

Nas, Jay-Z… Et aussi Drake.

Décidemment, tu aimes beaucoup Drake…

Oui, je pense que les dernières mixtapes de Drake et Cool Kids sont les albums de l’année. Il y a aussi quelques très bonnes choses chez Rick Ross, surtout en termes de production.

Finalement, « Lucky Boy », qui est entre dance music et hip hop, n’est il pas le parfait reflet de Dj Mehdi?

Si, parce que j’étais dans un état d’esprit ou ma musique allait vers le breakdancing. Comme tu le sais, les breakdancers sont les gens qui font le lien entre la danse et le hip hop. Le swing electro de «Lucky Boy» vient directement de ma passion pour la musique électronique qui est là depuis les débuts de l’histoire du hip hop, depuis Bambaata. En France, j’ai toujours pensé que je devais expliquer ma musique, aux gens, à la presse, même à mes proches parfois. Certains, qui sont uniquement dans le rap, se posent des questions sur le fait que je m’oriente vers l’electro. Alors, je leur rappelle mes racines, mon parcours et ma musique. D’autres qui sont uniquement dans la techno se posent la question inverse. A eux aussi je leur explique aussi ma musique, et je réponds à des interviews pour leur faire connaître les clés de mon travail. J’ai besoin d’expliquer tout cela par des mots, pas forcément pour qu’ils comprennent mes morceaux, mais plutôt mes ressentiments. Je ne pourrais pas écrire un bouquin, je préfère écrire au sujet de la musique… Peut être qu’un jour j’écrirai des livres sur EdBanger (rire)…

Thanks to
Jan Schüler @ Community promotion
& @ Phunk promotion


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1 Commentaire
  • Jeanice
    Posté à 18:53h, 04 décembre Répondre

    Merci superbe interview j aime bcp sa facon de produire et d expliquer sa musique. .. Pour une fois qu un artiste Ed Banger explique normalement sa prise de position sonore… Merci Mowno

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