28 Déc 03 Interview : Bunzen (12-2003)
Quand et comment vous êtes vous rencontré?
Asco : On s’est rencontré en 1995 lors d’un concert au Blanc-Mesnil. Suite à cette rencontre, on a fait partie d’un collectif, mais les opinions divergeant, j’ai décidé de renoncer à faire partie de ce crew. J’ai dit ce que je pensais et demandé qui voulait me suivre et Kahlil m’a suivi.
Une fois tous les deux, qu’elles ont été vos premières expériences?
A : Surtout des mix-tapes dont celle de Cut-Killer sur laquelle j’ai été invité, et beaucoup d’autres. Pas mal de MJC, aussi bien sur la région parisienne qu’en province, par exemple Grenoble, Aubagne. C’était surtout des micros ouverts. Puis la compil « Maximum Boycott » sur De Brazza record avec le titre « Perfectionnistes ».
Comment s’est faite la connexion avec De Brazza?
Bunzen : Très simplement. On traînait sur Chatelet, un gars est venu vers nous et nous a demandé si on était des rappeurs. Il nous a donné sa carte et un numéro en nous disant qu’il préparait une mix-tape. Ca nous a branché donc on a appelé et voilà, il donnait sa chance à tout le monde. Ce n’était pas une sélection ou du copinage, c’est comme ça qu’on s’est retrouvé à enregistrer pour sa mix-tape. C’est donc en 2000 qu’on a rencontré Bursty. Entre temps, j’ai été invité sur l’album de Triptik, mais à cette époque notre rap n’était pas terrible. C’est pourquoi on s’entraînait sur du son ricain, on écoutait les émissions Spé de Skyrock jusqu’à 4h du mat car on n’avait pas assez de thunes pour acheter des disques. A l’époque on était des boulimiques.
Qu’est-ce qui vous a poussé à persévérer à ce moment là?
Kahlil : En fait Asco est allé aux Etats-Unis. Quand il est revenu, pour moi qui suis musulman, c’est comme si il avait été à la Mecque. Il se levait le matin pour écrire, pour répéter, il m’appelait pour qu’on travaille… A partir de ce moment, c’était devenu sérieux.
A : Aller aux Etats-Unis était un de mes rêves, je kiffais trop le son ricain, il fallait que j’aille là-bas pour me rendre compte. Quand je suis parti, j’était plutôt de ceux qui aiment les phases chocs, un peu à la Biz Markie, avoir un flow exubérant… Mais une fois là-bas, les gars vivaient la culture hiphop, les gars travaillaient comme des ouf, le rap était présent partout. Je suis revenu en France et je me suis rendu compte qu’on essayait d’apprendre à respirer le HipHop alors qu’eux le respiraient déjà. Aux Etats-Unis, je me suis rendu compte que l’underground était un vivier exceptionnel alliant technicité du flow, paroles et sens artistique ultra développé. Je me suis dit qu’il allait falloir taffer comme des morts et c’est ce qu’on a fait.
Qui sont vos producteurs et comment vous êtes vous rencontrés?
B : Pour « Perfectionnistes », c’est Jr Eakee qui nous a fait la version. On l’a rencontré à la Fac de Nanterre. Et pour le nouveau maxi, c’est Baptman qu’on a rencontré par le biais de Jr Eakee. Ils travaillaient dans le même studio. Et Dj Kazu, qu’on a rencontré sur un open mic. Ce sont d’ailleurs avec ces deux producteurs qu’on risque de continuer. On a également des contacts avec d’autres personnes mais il est trop tôt pour en parler.
Quelle est votre orientation musicale?
B : On aime tout ce qui est HipHop, Soul, Rock de temps en temps, le Reggae… En fait, toutes les musiques sont bonnes. C’est vrai qu’en ce moment on est plus attiré par le Jazz et la Soul, mais l’objectif c’est de faire du bon son, avec des schématiques novatrices et des nouvelles sonorités, sans que ça soit de l’expérimentation qui va dans tous les sens. En fait, avec n’importe quel son tu peux faire du HipHop. C’est à toi de donner l’orientation musicale qui fait que c’est du HipHop. Ce qu’on veut c’est faire de la bonne musique.
Est-ce votre volonté de redonner sa place au Mc qui vous pousse à prendre autant le micro lors de soirées open mic ou dédiées au freestlyle?
A : Personnellement, c’est dû à mon voyage aux Etats-Unis. J’ai vu plein de mecs dans la rue qui déchiraient, sans pour autant être dans le style « Bling-Bling » ou autre. Et là, tu te dis qu’il faut beaucoup travailler pour être à la hauteur. A la base, le Mc prouve sa valeur sur scène avant tout. Avant, il n’y avait pas de studio, le Mc opérait lors des Parties, et si les gens réagissaient à son propos c’était qu’il était fort. C’est pour ça que j’aime prendre le micro lors de soirées, c’est là que tu fais ton nom, que tu gagnes le respect, et c’est là aussi que tu tisses des liens ou que tu as des contacts. C’est aussi un moyen de communication efficace et un moyen de faire passer un message.
Wildchild du groupe Lootpack est à vos côtés sur votre maxi. Comment l’avez-vous rencontré?
A : En fait, je suis aller voir Lootpack en concert et à la fin ils ont fait monter des gens sur scène. Le lendemain, je me suis retrouvé dans les locaux de Chronowax lors de leur interview, on a pris quelques photos ensemble. Là, Wilchild a dit qu’il reviendrait en France et qu’il aimerait travailler avec des français. Je lui ai dis que j’étais là, mais j’ai pas pensé à prendre les coordonnées. Bref, il revient un an plus tard pour un concert au Batofar. Je le capte, il se souvient de moi, je lui propose de faire un morceau, il repart en Belgique, il ne pouvait pas le faire maintenant car il ne restait pas beaucoup de temps sur Paris et les Jazzliberators devaient bosser un track avec lui. Il devait, un mois plus tard, revenir en Europe pour un festival à Dour en Belgique avec Lootpack, Medaphoar et Ohno! Et là, il m’a dit qu’il remonterait expressément pour nous sur Paris et enregistrerait le morceau avec nous. On connaissait le jour mais pas l’heure exact, et arrivé au jour dit le téléphone sonne. Boom : « it’s Wilchild, je suis à la gare du nord ».
Quelles ont été vos impressions au contact de cet artiste? Quels enrichissements en avez-vous tiré?
K : À la base, on était fan. Donc, tu l’écoutes, tu n’arrives pas à croire que le gars est là pour toi. Donc à la fois t’es impressionné et surtout heureux.
A : Lors de l’enregistrement, notre vision du rap a encore une fois évolué. A son contact, on s’est dit qu’il fallait travailler encore plus. En studio, il t’apporte une maîtrise technique que nous n’avions pas, et une autre notion du HipHop. Avec que dalle, tu peux faire trop de choses. Pour moi, le HipHop c’est ça: avec un minimum de moyens, tu peux faire de bonnes choses. Je le savais déjà mais à son contact j’ai été convaincu. On sait maintenant que tout est possible, donc on a plus confiance pour l’avenir et une ambition dévorante.
Vous vous réclamez de la culture Vinyle, d’ailleurs votre premier maxi sort en vinyle uniquement. Expliquez nous votre choix…
A : A la base, le HipHop à Paris, c’était Chatelet, LTD, porter des baggies, aller dans les soirées HipHop et voilà. Donc moi j’avais envie d’appartenir à ce truc là, j’allais à LTD, je voyais des mecs fouiller les bacs, ressortir des breakbeats… Et donc ce qui m’intéressait sur les vinyles, c’était d’avoir des instrus, des extraits de scratch, des acapella que tu ne trouvais pas sur les cds. En fait, c’est un acte de générosité, le gars te file un son pour que tu puisses t’entraîner dessus, alors qu’un cd, c’est plus « écoute ma musique et ferme ta gueule ». Le vinyle m’a apporté énormément de choses donc je me devais de redonner le pareil.
Quel regard portez vous sur le rap français?
K : On ne pourrait pas vraiment te dire car on n’en écoute pas. C’est pas pour faire genre mauvaises langues, mais c’est vrai qu’on écoute rarement du rap français. Ca m’arrive quelquefois quand j’écoute la radio et c’est rare. Donc franchement, pour ce qui est d’avoir un avis…
A : En fait, de nous deux, c’est moi qui essaye de me tenir au courant de ce qui se passe en France, (Rires!). J’ai écouté des trucs qui sortent et je pourrais te citer une liste: Kohndo et sa Heartklik, Triptik, Kalash, Force pure, Mike, Arken, Doz, Supermicro, La Ménagerie, Casey, La Rumeur, et pleins de groupes qui ont leur propre identité mais dont personne ne parle car ils n’ont pas le pognon et les connections… L’évolution du rap français je la trouve vachement négative. C’est vrai que t’as du rap partout mais on a perdu l’authenticité. Y’a des gens qui mettent au point des stratégies pour faire et vendre un disque, qui vont répondre à un format, qui vont faire des concessions, ils vont travestir leur musique, ils vont tout faire pour la vendre et s’enrichir. Avant dans le rap français, chaque année il y avait un mec qui arrivait avec un nouveau truc, qui faisait avancer le HipHop, alors que maintenant on ne retrouve plus ça, personne ne semble vouloir passer un cran au-dessus. Avant, les Mcs faisaient attention de ne pas utiliser les mêmes mots, les mêmes phases, aujourd’hui personne n’y fait attention.
K : Maintenant les rimes sont schématisées, tu sais presque quelle rime va arriver sur un morceau que t’as jamais écouté. On a perdu une certaine richesse de l’écriture. Il y a sûrement des gars qui travaillent dur, mais ils ne sont pas exposés donc on ne les connaît pas.
A : Je suis attristé parce que la plupart des rappeurs se contentent de schématiser des formats: un son pour çi un son pour ça et telle catégorie de personne. Et ce que j’entends à la radio, que ce soit indé ou en major me déçoit énormément. Il y a 2 % de personnes qui devraient être médiatisés qui ne le sont pas. Aujourd’hui, un bon Mc ne peut pas vendre si il n’a pas de promo alors qu’avant le bouche à oreille suffisait. Le rap est devenu une étude de marché au lieu d’être naturel et sain. Heureusement, on revient à des choses plus vraies car l’argent disparaît peu à peu avec la chute des ventes et ceux qui étaient là pour l’appât du gain retirent leurs billes. On revient à des choses plus vraies, des gars font un peu de bruit autour d’eux et les passionnés reviennent. Donc, tout n’est pas mort!
Peu de groupes s’engagent politiquement aujourd’hui. Comment l’expliquez vous alors qu’à la base c’est une musique plutôt révolutionnaire?
B : Le problème, c’est l’argent. A la base dans le rap, il n’y avait pas d’argent, donc on gueulait contre le système. Maintenant que les gens en ont, il font du rap dénué de sens politique, se satisfaisant de ce qu’ils ont acquis pour eux. Au début, il y avait un noyau dur, engagé, qui influençait tout le monde. Certains, même malgré eux, ont endossé un costume d’artiste engagé. Mais le temps passe, la mode est moins à la revendication, et quand le costume est parti beaucoup de gens se sont retrouvés face à leurs vrais idéaux et ont commencé à faire ce qu’ils font maintenant. Le rap aujourd’hui compte très peu de gens vrais, que des acteurs pratiquement qui tiennent des rôles. La revendication maintenant c’est pour la thune. Il faut essayer de construire des choses intelligemment, de créer une force collective, qui fasse pression sur le gouvernement, sur la politique. C’est sûrement utopique mais c’est la meilleure voie. Les gens ne sont pas encore prêts pour ça et puis il faut une sacrée culture pour balancer des vraies idées novatrices. A notre niveau, on ne l’a pas encore mais d’autres y travaillent déjà et sont doués dans leur domaine. On n’est pas un groupe engagé, on est juste lucides sur ce qui se passe à notre petite échelle et si ailleurs d’autres font la même, c’est positif.
Y a-t-il des sujets que vous voulez abordez plus particulièrement dans vos textes?
A : Pour l’instant, ça reste égotrip avec des petits messages car ça reste spontané et on recherche l’efficacité, la phase qui fait tilt. Mais par exemple, pour moi qui suis antillais, je trouve anormal qu’il n’y ait pas d’acteur noir tête d’affiche au cinéma. On est toujours cantonné à des rôles de dealers ou autres, et je trouve ça super grave. La France est un pays cosmopolite, tout le monde doit y avoir une place or ceux qui sont différents de la masse n’en trouvent pas. Ils ont juste une étiquette qu’on leur a attribué. Le cinéma n’est qu’une partie mais il y a de vrais combats, comme les corps électoraux ou les professions comme médecins, avocats. On aimerait avoir la même chance que tout le monde, mais en pratique ce n’est pas souvent le cas. Moi mon combat, c’est d’essayer de faire tomber ces étiquettes. Quand je dis que je fais du rap, on me regarde en me prenant pour un dégénéré, alors que le rap à l’origine c’est fait par des gens qui ont une science du langage et qui par des métaphores arrivent à balancer des messages forts. C’est vraiment sur la remise en question, la recherche de nos origines, comment le monde tourne, comment les gens vivent ensemble… C’est là-dessus qu’on a envie de prendre du recul et de travailler. Le rap c’est la vie, un jour t’es amoureux, un jour t’es engagé, on va essayer de faire tout ça dans le futur.
K : On peut s’inspirer de tout, des erreurs qu’on a commis, des choses personnelles. Par exemple quand tu cherches du taf, comment tu perçois le regard des gens. En fait, on utilise parfois des thèmes classiques mais en essayant de les mettre sous un autre angle. Le rap c’est une B.O de la vie.
Quels sont les projets de Bunzen? On parle de concerts avec un combo de musiciens de jazz, Peut-on en savoir plus?
A : En fait, on a eu un plan pour jouer avec des vrais musiciens lors d’un concert, et on a tellement kiffé, et eux aussi, qu’on a décidé que lorsqu’on sortirait des projets conséquents, on aimerait les faire venir sur scène. Ca donne tellement une autre dimension, une élasticité musicale incroyable. Avoir des musiciens sur scène, ça te rend encore plus libre.
K : Ca s’accorde bien avec la spontanéité qu’on essaye de mettre dans nos textes. Mais ça n’empêche pas que certaines scènes s’accordent aussi de bonne manière avec un Dj.
A : Pour ce qui est des projets futurs, on ne préfère pas trop s’avancer. On aimerait sortir un deuxième maxi vinyle et ensuite un Ep. On a cette ambition du travail bien fait, donc si un label passe par là, des gens qui ont de l’argent à dépenser sans compter (rires), on est là! Sachez que, d’ores et déjà, on vous réserve du lourd pour l’année à suivre… Si Dieu veut!
Le mot de la fin?
B : Ce maxi, c’est une galette comme seuls les américains savent les faire. On avait envie de donner aux crates diggers la sensation d’écouter une prod d’un petit label obscur mais qui défonce et sonne fat, et sur lequel les djs et les rappeurs peuvent s’entraîner. On espère qu’il sera reçu comme tel, tel que l’on kiffe les maxis vinyles underground qu’on va choper chez son disquaire. Sauf que dessus, y’a du français et pas que du cainri cette fois-ci. On remercie les gens qui nous ont invité sur leurs projets. Par exemple, Feross, Mike, Arken, et tous les gens avec qui ont travaillera dans le futur. On est conscient que le rap est devenu un business, donc on regarde comment tourne ce business pour en tirer des enseignements. On est des rêveurs qui ont les pieds sur terre. On a rêvé de Wilchild, on a eu le culot de demander, ça s’est fait, alors pour les autres projets ce sera pareil : hiphop, culot et spontanéité. On remercie également Bursty, Triptik, Dj Gero et tous ceux qui font avancer le HipHop. Et enfin, on est toujours étonné quand des gens viennent nous voir pour nous dire qu’ils ont kiffé, ça nous fait tellement plaisir et ça nous motive grave. Donc si vous aimez ce qu’on fait, n’hésitez pas à venir nous le dire, ça nous fait avancer et nous fait, encore une fois, super plaisir.
Le maxi « Microphone Technologie » est déjà disponible chez les bons disquaires…
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