Interview – Broken Bells, récré à 2…

Interview – Broken Bells, récré à 2…

Ce n’est pas tous les jours qu’on peut taper la conversation avec le leader d’un des groupes indie les plus marquants de ces dernières années, et le producteur incontournable des années 2000-2010. James Mercer (The Shins) et Brian Burton (Dangermouse) – l’homme plus connu pour avoir servi MF Doom, Gorillaz et Gnarls Barkley – étaient à Paris début mars pour y parler de Broken Bells, le projet récréatif mais on ne peut plus sérieux qui les rassemble. C’est à l’hôtel Crown Plaza, place de la République à Paris, à l’heure de la digestion, qu’on les inonde de questions.


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L’INTERVIEW EN INTEGRALITE

Broken Bells est arrivé au moment où vous aviez tous les deux envie de faire autre chose: James, tu voulais partager la composition d’un album, et toi Brian, faire partie d’un vrai groupe. Avez-vous trouvé dans ce projet tout ce que vous cherchiez? Ce premier disque est-il l’album pop que vous avez toujours eu envie de faire?

James: Pour moi, c’était le projet idéal qui tombait au meilleur moment. Je voulais quelque chose de très différent de ce que j’avais toujours fait jusque là, quelque chose de neuf… J’avais fait trois disques de la même manière, donc j’avais simplement besoin de changement, pour me rafraîchir en quelques sortes.
Brian: Oui, c’est clairement un disque que je n’aurais jamais pensé pouvoir faire il y a quelques années, quand j’ai commencé à faire de la musique. Alors ouais, certains projets passés l’ont peut être reporté involontairement… Là, j’essaye simplement de digérer tout ça. Mais je suis vraiment content de la manière dont tout cela a tourné, et j’espère que c’est quelque chose qui va durer. C’est mon sentiment en tous cas. Une grande partie de la musique qu’on a utilisé, qui nous a influencé, est en nous depuis longtemps. Et le fait de l’interpréter à notre façon, cela donne quelque chose qui contient beaucoup de nous deux, et qui j’espère est vraiment unique. Au final, ça rend quelque chose de vraiment bien.

Avant même votre premier jour de travail, avez-vous décidé d’un axe à suivre, d’une méthode de travail ou d’une couleur musicale particulière? Racontez nous vos premières heures ensemble…

James: On n’avait pas vraiment de plan… Je me suis pointé au studio, et je crois que Brian s’est emparé d’un vieil instrument tout bizarre. Il s’est mis à jouer des accords et moi, j’ai commencé à chantonner, à envoyer une mélodie. Ca, c’était au tout début! Donc non, on n’était pas là à se demander quoi faire, à chercher un style. Rien de tout ça, on a juste fait un disque.
Brian: Je crois que ce dont on a parlé clairement par contre pendant qu’on travaillait, c’était de chaque partie: l’écriture, chaque ligne, chaque chœur, chaque mélodie. On cherchait surtout à faire du mieux possible… On savait qu’à tous les deux, seulement lui et moi dans la même pièce, on pouvait faire encore mieux, aller chercher chez l’autre ce qu’il fallait pour améliorer le tout et que tout le monde soit satisfait. On avait le temps pour cela, et on s’en sentait plutôt capable.

C’est d’ailleurs ma prochaine question: concrètement, quels sont vos points communs, et qu’avez-vous apporté l’un à l’autre?

Brian: Uhhm… Je crois que, contrairement aux apparences, on a beaucoup plus en commun que ce qui pourrait paraître. On a pas mal de goûts musicaux similaires… On a un faible pour beaucoup de musiques des années soixante, comme la soul, le vieil R&B, des trucs de ce genre, mais aussi pas mal de choses des eighties. C’était une époque pendant laquelle on était assez influençables, et ou on écoutait énormément de trucs. Aussi, on était tous les deux très attentifs à ce qui se passait sur la scène musicale d’Athens (Georgie) à la fin des années 90. Moi, je vivais là bas, mais lui écoutait beaucoup ce qui en sortait. Donc on a beaucoup en commun, même si nous ne le savions pas vraiment au début de notre collaboration.

Broken Bells est né dans le plus grand secret. Etait-ce un moyen de préserver votre liberté artistique, de donner forme à vos idées telles qu’elles arrivaient, et peut-être de vous décomplexer sans aucune forme de pression extérieure?

James: Oui, l’idée, c’était ça. On ne voulait pas que les gens se mettent à essayer de prédire la façon dont sonnerait le disque, ou à faire des comparaisons avec d’autres collaborations…
Brian: Ils l’ont fait quand même mais, le temps qu’ils s’y mettent, on avait déjà fini.  Du coup, on n’a pas ressenti la tentation de changer quoique ce soit. James et moi, on n’est pas des popstars, alors les gens ne pensent pas constamment à nous, n’écrivent pas sur nous dans la presse people. Je ne pense pas qu’ils soient si concernés par notre vie de tous les jours. Ils se focalisent sur la musique et, du coup, ils ne font pas trop attention à ce qui se dit avant qu’ils aient écouté l’album. Les dires ou les pensées de l’opinion publique n’ont donc jamais été un grand enjeu pour nous. On a terminé cet album il y a un bout de temps, et donc on appréhendait sa sortie, ou voulait que les gens puissent vivre avec pendant un moment. Comme pour nous, puisque c’est un peu comme notre gosse qu’on regarde là, en train de courir partout…
James: Ahaha ouais, on l’enverrait à l’école…
Brian: …on éspère qu’ils vont l’aimer, et on verra ce qui va se passer.

Brian, ton background est résolument hip hop mais tu as collaboré avec pas mal d’artistes pop ces dernières années, comme Mark Linkous, Black Keys, Beck… Ces expériences se sont-elles avérées décisives pour le son de Broken Bells?

Brian: Certainement inconsciemment… J’ai été influencé par les gens avec qui j’ai travaillé, et j’y ai clairement puisé des idées. Mais bon, j’ai toujours été un énorme fan de musique, et je l’écoute toujours comme si elle n’était pas rattachée à quelqu’un de particulier. Tu vois, s’il y a une chanson, une mélodie, une idée vraiment énorme, alors je l’adore pour ce qu’elle est, je l’aborde dans un tout. Quand je trouve une mélodie, je n’ai pas l’impression qu’elle m’appartienne. C’est comme si elle était là, disponible, et que je l’ai trouvée, comme si elle n’était pas à moi. Je vois toujours ça comme ça, et pas comme si elle naissait grâce à moi. C’est pour ça qu’il y a des gens qui composent des morceaux incroyables, mais qui n’en font qu’un comme ça sur cinquante. Et dans ce cas précis, tu te poses toujours la question de savoir comment ils l’ont trouvé. C’est comme ça, il y a des gens qui trouvent beaucoup plus de choses que d’autres. J’essaye de savoir comment ils trouvent tous ces trucs, comment ils font… Je pense aussi qu’il faut garder la bonne attitude quand tu fais du son. Il faut rester un fan, c’est ce qui fait avancer dans le bon sens.

Vous avez beaucoup parlé d’expérimentations au sujet cet album. Du coup, on s’attendait à quelque chose de plutôt complexe, alors qu’au final Broken Bells est très accessible. Devons nous donc comprendre le mot « expérimental » tel que vous l’utilisez, comme le fait que vous ayiez tenté tous les deux de faire quelque chose de très différent de ce que vous avez l’habitude de faire?

James: Oui, c’est plutôt ça. Ce n’est pas comme si on allait sortir un disque complètement noise. On expérimente, mais je crois qu’on est tous les deux menés par un sens de l’esthétique. On voulait créer quelque chose de beau. Pour moi, c’était comme une carte blanche. Tout le processus de création d’un disque est du domaine de l’expérimentation, et du rejet de choses qui n’ont pas marché.
Brian: Pour nous, il ne s’agissait pas de trouver quelque chose qui soit…
James: …nouveau, ou déjanté, ou…
Brian: …ouais, rien de tout ça. On voulait juste trouver des trucs qui nous fassent ressentir quelque chose. Un son bizarre, un peu dingue, quelque chose qui n’a pas été fait avant, ça ne va pas nécessairement t’émouvoir pour très longtemps. Peut-être même une seule seconde… Aujourd’hui, les gens ne sont pas attentifs et concentrès très longtemps. Ils cherchent donc quelque chose qui  les heurte ou les fasse réagir immédiatement, même si ca ne veut pas dire qu’ils n’apprécieront pas sur la durée. Ensuite, ils veulent constamment du neuf, toujours un truc nouveau qui les fasse réagir… Nous, nous ne faisons partie ni d’une scène à proprement parler, ni d’un mouvement à la mode. On a simplement eu la chance de réussir à concrétiser nos idées à un moment précis. L’album qu’on voulait, c’était celui qu’on pourrait écouter dans quelques années sans se dire «ah, on n’utilise plus ces sons là», ou «ça ne se fait plus, ce genre de truc»… Là, si on a donné envie à quelqu’un de prendre une guitare, de chanter, et si en plus les gens pensent qu’ils n’ont jamais entendu quelque chose qui sonne comme ça, tant mieux.

Cette expérimentation s’étend elle jusqu’aux paroles? Y a-t-il un sujet principal qui parcourt tout le disque?

James: Je pense qu’il y a probablement des thèmes récurrents, mais on a trouvé toutes les paroles pendant cette période où on passait beaucoup de temps ensemble, à discuter après avoir bossé dans le studio, à bavarder, à boire, à traîner, à faire connaissance. Ces conversations dans lesquelles on échangeait nos points de vue sur le monde ont fini par se retrouver dans nos textes.

La naissance de Broken Bells a provoqué une certaine confusion chez les fans de The Shins, encore plus sachant qu’ils avaient déjà été secoués par les récents changements de line up. L’existence du groupe est elle remise en question par Broken Bells?

James: Non. En fait, je pense que Broken Bells va plutôt sauver The Shins, et les garder en vie. C’est l’idée de retourner en studio avec l’angoisse de la page blanche qui me faisait peur après la sortie du troisième album et l’année et demie passée ensuite à tourner… On a bien tourné avec cet album. Cette expérience m’a revigoré au niveau créatif, m’a vraiment donné envie de retourner en studio, que ce soit pour Broken Bells ou pour The Shins. Tout cela devrait donc être positif pour The Shins.

Et toi Brian, quels sont tes projets pour les mois à venir? Je viens de lire que « Dark Night Of The Soul » allait enfin sortir chez EMI cette année…

Brian: Ouais… Je ne garantis plus rien, mais c’est ce qui devrait se passer! Au niveau de mes projets, Broken Bells est devenu mon projet principal, donc ça m’a clairement ralenti un peu. Je ne me vois pas trop m’engager en production dans un avenir proche, simplement parce que là j’ai plutôt envie d’écrire et de jouer comme je l’ai fait dernièrement avec Broken Bells. Je pense continuer à tourner avec le groupe. De toutes façons, pour être honnête, je n’ai pas l’habitude d’informer les gens sur mes prochains projets, alors je ne sais pas si je te le dirais si je les connaissais.

Quelles sont les leçons que vous retiendrez de ce disque, et que vous utiliserez pour le prochain? Quelles seront les choses que vous essayerez d’améliorer au prochain disque?

James: J’ai énormément appris en travaillant avec Brian. Il a une puissante éthique de travail, et il a beaucoup de techniques de studio intéressantes. Alors, il y a pas mal de choses. Je crois qu’un des trucs que j’ai appris, c’est de ne pas être si pointilleux à chaque prise, de simplement jeter librement des idées sur le papier, et de faire le tri ensuite. On a beaucoup fait cela tu ne crois pas?
Brian: Oui…
James: On sortait plein d’idées, ensuite Brian arrivait avec son don de retirer tout ce qui n’était pas nécessaire, pour simplement garder le meilleur mélange possible.
Brian: Il s’agissait juste du plaisir de créer… Si tu ne l’as pas, pourquoi appuyer sur le bouton «record»? Si tel était le cas, on continuerait juste à faire des trucs, à se contenter de peu, puis partir sur autre chose… (rires)… Si tu veux tout mettre sur pied, alors il faut passer par cette partie difficile qu’est l’enregistrement. Il faut arriver et se demander si tout est cohérent. Là, je n’essaierais même pas de faire quelque chose de mieux que ce qu’on a fait, parce qu’il n’y a rien que je changerais à l’album qui va sortir… Pour le meilleur comme pour le pire, il n’y a rien que je changerais. Alors, plutôt que pour améliorer celui qu’on vient de faire, je crois que c’est vraiment l’idée de répéter tout ce processus avec James qui me donne envie de refaire un album. Ca m’a plu de faire celui-ci, du coup j’imagine que ça me plairait d’en faire un autre. Il sera peut-être complètement semblable, mais si nous y prenons tous les deux du plaisir alors pas de raison de faire autrement. Ca, c’est plus important que de juste faire ce que les gens attendent de toi… Si on ne le faisait pas pour ca, on aurait plus qu’à s’acheter un costard, une cravate, et aller… gagner de l’argent!

Quel disque a changé votre vie?

James: Il y en a tellement des disques qui changent radicalement ton parcours.
Brian: Pour moi, ce serait peut être « Wish You Were Here » de Pink Floyd. Simplement parce que je l’ai entendu pour la première fois à 18 ans alors qu’il était sorti l’année de ma naissance. Je me suis donc obligatoirement demandé pourquoi j’avais mis si longtemps à entendre cet album. Là, j’ai réalisé à quel point les tendances peuvent te faire passer à côté de belles choses. Quand j’ai entendu ça, j’ai trouvé ça tellement magnifique… C’est même pas mon album préféré de Pink Floyd, mais ça m’a quand même fait évoluer…
James: Ouais, c’est marrant parce que le premier disque que j’ai vraiment beaucoup écouté, c’était « Dark Side Of The Moon »…
Brian: Sérieux?
James: Ouais, et il n’était même pas à moi. C’est mon voisin du dessus qui l’avait. On écoutait ça en jouant à Donjons & Dragons… J’étais assez jeune, j’avais sûrement 10 ou 11 ans alors que lui devait en avoir 12 ou 13. Il m’apprenait à jouer à ce jeu, et il passait toujours ce disque. Je me souviens que, au début, je trouvais ça flippant avec les battements de cœur, les chants déglingués, les crashs, tous ces sons étranges… Mais c’est un vrai disque avant gardiste qui m’a fait réaliser à quel point un album pouvait voir large. Et puis il y a beaucoup d’influences pop sur ce disque.

Merci à Dan pour la traduction


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