15 Nov 11 Interview – Apparat, le marchand de rêves…
Pour le passage d’Apparat dans la métropole lilloise, quel meilleur sound system que celui du Grand Mix pour le laisser défendre son fabuleux nouvel album « The Devil’s Walk? ». Parce que, désormais bien entouré sur scène, Sascha Ring quitte pour de bon son laptop pour jouer le chef d’orchestre et donner des leçons d’electronica popisante sous le nom d’Apparat Band. Une parfaite occasion pour Mowno de s’offrir un face à face avec ce personnage avenant, humble et talentueux, qui nous parle avec passion de ses évolutions artistiques…
C’est un immense plaisir de voir Apparat ici dans le Nord de la France. Est-ce que c’est ta première fois ici?
Apparat: Ici, au Grand Mix, oui. Par contre, j’ai déjà joué à Lille dans un festival il y a trois ou quatre ans.
J’étais supposé te voir en live cet été au Pukkelpop Festival…
Putain mec, cette tempête, ça devait être un cauchemar… On devait jouer sur l’une des scènes qui se sont effondrées! Quand c’est arrivé, on était en train d’emballer notre matos dans la salle de répétition, et quelqu’un lisait les news à ce moment-là. On s’est demandé si on devait y aller, on a donc appelé notre promoteur qui nous a dit que c’était foutu.
Parlons plutôt de ton dernier album, « The Devil’s Walk« . Tu l’as sorti sous le nom Apparat, mais ce soir tu joues sous le nom d’Apparat Band. Qui est donc cette bande?
A l’origine, je voulais simplement communiquer sur le nom Apparat. Mais le « band », c’est surtout pour préciser au public qu’il ne s’agit pas de mon set solo avec un laptop. Mais pour moi, ça reste Apparat. C’est un concept ouvert! Nous avons pensé que nous devions vraiment enregistrer cet album en groupe parce qu’il est beaucoup plus organique, avec des sons « humains ». Donc, bien sûr, on doit aussi le jouer ensemble en live, c’est impossible à reproduire avec un laptop.
Et qui sont les membres du groupe?
Il y a Nackt, qui est le co-producteur de mon disque. Il m’a beaucoup aidé. Il a invité Ben, un de ses amis qui joue du clavier, et j’ai invité Jörg, le batteur, qui avait déjà fait quelques drums sur « Walls« . Apparat Band, c’est donc nous quatre, mais aussi notre ingé son, et James aux lumières. Tous sont vraiment partie prenante du résultat car c’est important d’avoir une ambiance cinématique. Ça nous a pris du temps pour tout mettre en place, on a fait plein d’essais. Mais aujourd’hui, tous ces efforts prennent vraiment leur sens.
Y a t-il de la vidéo?
Cette fois-ci, on a vraiment choisi de ne pas en mettre. Ces deux dernières années ou j’ai tourné avec Moderat, on proposait vraiment un show audiovisuel. Pour cet album, je pense qu’il faut que les gens se focalisent principalement sur le son, sur l’atmosphère. Les images peuvent être distrayantes, mais on préfère avoir cette installation, cette ambiance avec des lampes tamisées.
L’album est-il signé Apparat ou Apparat Band?
En fait, il ne s’agit que de Nackt et moi en studio! On a composé toute la musique ensemble, et il a joué la plupart des instruments. Les autres membres sont arrivés quand nous avons terminé l’écriture, mais on ne leur a pas dit comment interpréter tel ou tel morceau. On s’est tous installé dans la salle de répétition, et on s’est demandé comment on allait jouer ces chansons en live. Ils avaient tous des idées et, la plupart du temps, elles étaient plutôt bonnes. On essaye vraiment de travailler avec les bonnes personnes.
Sur scène, les morceaux sont-ils très différents de l’album?
Pas vraiment. Toute ma vie, j’ai fait des live sets complètement différents de mes disques. Je ne voulais plus faire ça, je souhaitais vraiment jouer l’album en live. Ça sonne comme en studio mais, bien entendu, on ne peut pas jouer tous les sons. Donc on a du se concentrer sur les principaux, on a du minimaliser, modifier certains arrangements pour que ça fonctionne mieux sur la version live.
Tu joues encore de vieux morceaux?
Très peu en fait! Notamment parce qu’il est très difficile d’interpréter toutes ces vieilles chansons avec le groupe. On fait parfois quelques concerts avec un violoniste et un violoncelliste, ce qui nous permet de jouer plus de morceaux des anciens albums. D’une certaine manière, on est limité car on a aucun ordinateur, aucune bande qui tourne. Tout est live et bouclé en temps réel. Nackt joue une boucle de piano, il la lance, et joue autre chose par dessus. Moi, je joue une boucle de guitare, je mets des effets sur ma voix etc… Mine de rien, on est limité avec ce concept. Quand j’ai fait « Walls », mon travail consistait à superposer beaucoup de couches. Au final, il aurait presque fallu que j’achète un 80 pistes! Et ça, ce n’est pas évident à amener sur scène… Si tu essayes de capter l’essence du morceau pour le minimaliser, ça ne marche pas toujours. Il faut surtout faire attention à conserver l’atmosphère, plus que la chanson en elle-même. De là, on ne peut pas jouer tous les morceaux en live!
Il y a aussi Joshua Eustis (moitié de Telefon Tel Aviv, ndlr) qui a participé…
Oui en fait, quand je te parlais de Nackt et moi, je te parlais de la seconde moitié de la production. La première partie s’est faite à Mexico avec Josh, Fredo (le guitariste) et Jörg. On a fait de la musique là bas pendant deux mois et demi, on y a donc produit pas mal de matière sonore.
La ville de Mexico a t-elle eu une influence particulière dans la composition?
Pas trop. C’est bizarre… En fait, la plupart des chansons existaient déjà avant, nous sommes donc plus ou moins allés là-bas pour la production. On n’y a pas vraiment écrit de musique, ou très peu. Je ne sais pas, c’était vraiment très beau, ensoleillé, alors que la musique est très triste. Du coup, je ne peux pas vraiment dire que ça m’a beaucoup influencé. C’était juste une manière sympathique de travailler. On bossait pendant seulement quatre heures et on avait parfois ces petits moments de vide en studio, ces moments où tu n’es plus inspiré… Quand j’étais à Berlin, je m’asseyais dans le studio et j’attendais que l’inspiration revienne. Ça prenait trois heures, à écouter les boucles encore et encore, la chanson finissait même par me rendre malade! Ce genre de situation n’est jamais arrivée à Mexico! Quand l’inspiration n’était plus là, on se disait « Ok, allons sur la plage siroter une margarita! » (rires). C’était une manière très ludique de faire de la musique, pas comme si c’était un job.
Je remarque de grosses différences entre « Walls » et « The Devil’s Walk ». Comme tu me l’as dit, il y a plus d’instruments, et tu chantes sur tout l’album, sauf sur « Goodbye ». Es tu un chanteur à l’origine?
Non! Comme tu l’as certainement remarqué, tous mes albums sont différents. Je trouve constamment de nouvelles idées, elles germent sans cesse dans ma tête, et parfois je sens que je suis en train de faire quelque chose de nouveau sans même m’en rendre compte. Y compris quand que je te parle! Trois ans sont passés, et j’ai encore beaucoup de musique inédite sur mon disque dur. Ce sont toujours des choses différentes, des essais, de la musique que je n’aurais pas pu mettre sur l’album précédent car elle était trop éloignée de l’idée d’origine. C’est ce qui s’est passé sur « The Devil’s Walk ». Il y a environ cinq ans, je commençais déjà à écrire des chansons à la maison, au piano. On a produit à Mexico, puis à Berlin, soudain un nouvel album est né, et tout le monde a dit: « Oh mon Dieu, quel changement!« , alors que pour moi, c’est juste l’aboutissement d’un process très lent!
Mais qu’est ce qui t’a motivé à prendre le micro?
C’est très simple. Pour ce disque, je voulais faire de la musique plus facile, avec moins de couches, juste me limiter à une mélodie, sans trop d’effets, sans devenir fou sur mon ordinateur. La voix est un instrument très intuitif. Ça collait parfaitement au concept. Je voulais simplement jouer quelque chose et le garder tel quel. Et si tu utilises ta voix comme un instrument, tu peux être soudainement inspiré, tu chantes quelque chose, ça vient à la fois de nulle part et du plus profond de toi. Ça ne passe même pas par ton cerveau! C’est une connexion directe de l’idée jusqu’au son. C’est l’une des raisons pour laquelle je voulais chanter. C’est intuitif, ça n’est pas comme un programme, tu vois. Je ne dirai jamais que je suis un songwriter ou que j’ai changé. Je l’ai fait, mais peut être que le disque suivant sera complètement instrumental et psychédélique. C’est difficile à dire. Je n’aime pas trop quand les gens disent qu’Apparat a changé, que le prochain sera un vrai album de chansons… Qui sait? Moi-même, je n’en sais rien encore!
Tu as beaucoup joué en club et, avec le nouvel album, tu te retrouves plutôt dans des salles de concert. Quelle atmosphère préfères-tu?
Honnêtement, je préfère l’ambiance des concerts, même pour Moderat qui est peut être un peu plus clubby. J’aime l’idée que les gens viennent uniquement pour le show, sans savoir à quoi s’attendre. Il y a peut être moins d’affluence, mais en club, certaines personnes ne viennent pas seulement pour toi. Elles viennent aussi pour le lieu, ou parce que c’est cool. Dans une salle de concert, la connexion est automatiquement plus forte entre toi et le public. Et en tant qu’artiste, c’est beaucoup plus enrichissant. Je n’ai joué qu’un ou deux DJ sets cette année et, paradoxalement, j’ai vraiment apprécié! Avant j’étais un peu fatigué des clubs et du DJing… Mais si tu ne le fais que de temps en temps, tu apprécies le contraste, et ça t’évite de tomber dans la routine. Je pense donc que je continuerai quand même à me produire en tant que DJ, je veux me laisser cette option pour l’avenir!
Est-ce la raison pour laquelle tu as fait un DJ Kicks?
Quand j’ai fait le DJ Kicks, c’était pile au moment ou je voulais prendre mes distances avec les dj sets. J’admets que c’est contradictoire et un peu stupide d’avoir accepté, mais je me suis dit que ça pourrait être plus éclectique sur CD, que je pourrais y mettre de la musique acoustique, ou du vieux son. Finalement, ça ressemble en quelque sorte à un disque de dance contemporaine! Ensuite, on est parti en tournée, seulement vingt dates avec Pfadfinderei qui faisait déjà les visuels de Moderat. Chaque soirée était vraiment excellente, et j’ai alors pensé que c’était le meilleur moment pour faire un break, pour arrêter les clubs. Tu vois, c’est toujours mieux d’arrêter quand on est en haut plutôt que quand tu es dans le creux de la vague. J’ai donc stoppé car j’ai considéré que c’était le bon moment pour démarrer quelque chose de nouveau.
Ce DJ Kicks est sorti chez !K7, « Walls » sur Shitkatapult, « Moderat » sur Bpitch Control et « The Devil’s Walk » sur Mute… On dirait que tu aimes sauter d’un label à un autre!
En fait, la plupart du temps, je bosse avec les amis. Shitkatapult est un label d’amis, Bpitch Control aussi. Pour DJ Kicks, c’est un peu différent parce que c’est une série. Quant à ce nouvel album, je ne voulais pas sortir ça sur un label purement électronique. Je voulais un peu m’éloigner de ce cercle, parce que si c’était sorti sur Shitkatapult ou Bpitch Control, les gens auraient directement fait l’association techno/Apparat/Berlin… Il y a ce putain de truc avec Berlin et la musique électronique! Je pense que j’avais besoin d’une autre plate-forme, de faire comme un petit « reset ». J’étais déjà en contact avec Daniel Miller parce qu’il est ami avec mon manager qui s’appelle aussi Daniel, et parce qu’il a aussi travaillé chez Shitkatapult. Mon Daniel a donc donné ma démo à l’autre Daniel, et nous avons pensé que ça serait un bon compromis. Ça n’est pas comme si on le sortait chez Sony, ou une autre major. C’est un plus gros label, c’est plus éloigné, mais ça reste familial!
Je suis impressionné par le design de la pochette. Elle est aussi très différente de celles de « Walls » et « Duplex ». On y voit un mec tenir un marteau, avec le diable derrière, des crânes sur la table, des animaux morts… Qu’est ce que tout ça veut dire?
Même si on a passé que deux mois et demi à Mexico, cet album reste pour moi connecté à cette ville. La pochette est donc basée sur une peinture d’un artiste de là-bas, Posada. C’était un dessinateur critique du début du siècle dernier, il peignait des trucs comme ça, des crânes, et l’art mexicain typique que tu peux avoir à l’esprit. Cette pochette est également une critique de la société: tu peux voir ce mec sur un marché, un vendeur possédé par le diable jusqu’à en devient la marionnette. Le titre est lui inspiré d’un poème anglais romantique signé par Shelley, un auteur qui a vécu il y a environ deux cents ans. Le sujet est le même, il pointe du doigt ces gens qui ont du pouvoir, qui semblent connectés au diable et qui ont l’air de bien s’entendre avec lui!
Tu as trouvé le titre avant l’artwork?
Non, l’artwork est venu en premier, puis j’ai lu ce poème ensuite. Le rapprochement entre les deux étaient si frappant… En plus, pendant que j’écrivais le disque, on était en pleine crise économique, c’était matraqué à la télévision. C’est là que tu te rends compte que, finalement, rien a changé en deux siècles…
J’ai acheté l’édition Deluxe avec le joli livret, les paroles, le morceau bonus… Es-tu un fétichiste de l’objet quand tu achètes de la musique?
Tu sais, quand je serai le seul décisionnaire, il n’y aura que l’édition deluxe. Même pas d’édition classique. De nos jours, je pense que si les gens achètent des disques, c’est seulement pour avoir un bel objet, rien d’autre. Sinon ils peuvent le télécharger en mp3. L’unique raison pour laquelle il y a une version normale, c’est parce que le label le voulait. J’ai été graphiste pendant deux ans avant de faire de la musique, et j’aime ce genre de trucs. Je veux avoir un bel objet que je peux toucher, et que j’ai envie d’avoir sur mon étagère!
Parlons un peu de Modeselektor. On dirait que votre destin est intimement lié. Tu as sorti « Walls » quasiment en même temps que « Happy Birthday », et une fois encore vous réapparaissez exactement au même moment…
Pour être exact, ils ont sorti « Happy Birthday » un peu après moi parce qu’ils sont lents! (rires) Ils le sont toujours en 2011, mais la sortie s’est faite très rapidement car on voulait vraiment synchroniser nos albums. Avant, ça arrivait par accident, mais cette fois on s’est dit qu’il fallait qu’on sorte nos disques en même temps pour pouvoir recommencer à travailler sur Moderat. S’ils l’avaient sorti l’année prochaine, nos emplois du temps se seraient chevauchés. On va donc bosser sur Moderat en 2012. Je ne sais pas comment ça sortira, mais on a déjà quelques idées!
C’était ma prochaine question en fait… Moderat n’était donc pas qu’un projet éphémère?
Au début, ça devait l’être, mais ça a trop bien fonctionné. Contrairement à ce qu’on pensait, nous trois en studio c’était facile! L’avantage, c’est qu’à trois il y a toujours une majorité quand il faut prendre une décision. Quand je ne suis qu’avec Nackt, il arrive que nous ne soyons pas d’accord. A trois, c’est démocratique! (rires) Aujourd’hui, je considère Moderat comme mon second groupe, et je pense que c’est pareil pour Modeselektor. Ça me donne d’autant plus de liberté pour Apparat, ça me permet d’avoir un projet plus pop parce que je peux faire de la musique électronique de l’autre côté.
Dernière question car on t’attend en bas pour les balances: je n’ai rien compris à la vidéo de « Black Water », peux tu m’expliquer?
Je n’ai pas plus compris que toi! (rires). Honnêtement, je ne peux pas t’expliquer le sens de cette vidéo, tu dois demander au vidéaste! Je n’ai rien à voir avec le concept. Mais je la trouve cool. Laisser faire les gens puis apprécier leur vision, c’est le genre de chose que j’apprends quand je collabore avec des personnes. Avant, c’était impossible pour moi de collaborer, mais j’ai changé là-dessus: maintenant, je peux avoir un groupe, bosser avec d’autres personnes, dire « joue moi cette mélodie… hum, je ne l’aurais pas jouée comme ça, mais c’est cool, c’est ta vision« . Ça rend la musique plus intéressante et plus riche, et c’est la même chose avec la vidéo ou l’artwork. J’ai dit à Carsten et Hanna – qui ont fait le visuel de la pochette – de s’inspirer de l’art de Posada, et je ne suis plus intervenu ensuite. Je les ai laissés faire. Si tu as les bonnes personnes autour de toi, le résultat justifie souvent la confiance!
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