Interview – Africantape, le sommeil par intraveineuse

Interview – Africantape, le sommeil par intraveineuse

Alors que 2010 vient de s’achever, Africantape s’inscrit à l’encre indélébile sur le livre de l’année. En effet, fort d’un flair artistique maintes fois prouvé ces derniers mois, le label est véritablement devenu une maison gage de qualité. A sa tête, un doux dingue aux multiples casquettes, pour qui tout est toujours possible, pour qui chaque bonne idée est réalisable. Julien Fernandez est un passionné de musique. Un vrai. Il la joue avec Chevreuil et Passe Montagne, la signe sur Africantape, la défend au sein de son agence Five Roses Press, l’amène en live près de chez vous via ces activités de tour manager, et la dessine même parfois quand il se fait graphiste. Retour en interview et playlists sur celui qu’on peut sans trop de risques élire comme l’activiste de l’année 2010.

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2010 semble avoir été l’année de la consécration pour Africantape. Comment te sens tu là, à l’heure qu’il est, et quel est ton ressentiment aux vues du travail effectué ces derniers mois?

Julien Fernandez: Je me sens tendu. Je viens de passer plusieurs jours bloqué dans un aéroport à cause de la neige en Europe. Je suis juste crevé! Si je pense au label, là maintenant, ça me rend encore plus nerveux. C’est un moment crucial, avec plein de disques en préparation, beaucoup de travail en retard, peu de temps, les journées sont courtes. Surtout que ma priorité, reste mon travail en tant qu’agent de presse pour mon agence 5RP. Si je regarde l’année écoulée, elle n’a été que la progression logique, le prolongement de l’année 2009. 2010 a été l’année des prises de risque et des premiers gros investissements financiers. Je m’étais dit que si ça marchait, je continuerais. Jusqu’à maintenant, tout a fonctionné. Je suis donc particulièrement heureux. Je sens un engouement général, aussi bien de la part du public que des groupes. C’est bon signe je crois…

Quelles sont les raisons d’un tel succès selon toi, même si le terme « succès » reste relatif? Parlons plutôt de success story d’ailleurs…

Je me suis rendu compte que le label avait une vraie importance en novembre dernier, durant ma tournée avec Chevreuil . J’avais avec moi toutes les sorties du label sur les stands. J’étais étonné de voir les gens venir vers moi (ou Tony) pour leur demander qui était le boss d’Africantape (rires). Le succès du label est généré par le talent des groupes et la relation que j’entretiens avec eux. L’esthétique a aussi son poids probablement. Mais sinon, c’est un mystère. Je ne sais pas. Les gens ont l’air de parler du label, en bien mais aussi en mal. Tout ça, ça joue, ça génère de la curiosité.

at3La naissance du label Africantape remonte à 2008, à une période ou la conjoncture ne conseillait déjà plus trop de se lancer dans une telle aventure. Pourquoi avoir pris cette initiative alors?

Parce que je m’ennuyais profondément. J’avais besoin de prendre des risques, et envie d’essayer tout simplement. Je commençais aussi à être déçu par la plupart des labels qui avaient été des références pour moi. J’avais donc envie de faire ma proposition esthétique (visuelle et sonore, on s’entend), et je disposais des outils pour me lancer dans l’aventure. Pourquoi pas donc? Je savais que c’était très risqué, mais j’ai toujours eu le goût du risque et du challenge!

2011 risque d’enfoncer le clou avec l’ouverture sur les Etats Unis qui se concrétise via la signature des Big’n et Oxes s’ajoutant à celle récente de Shipping News. Le label ayant un pied en Europe et l’autre aux Etats Unis, pourquoi une implication si tardive du versant américain alors que la scène y est nettement plus riche?

cita11La quatrième reférence du label est un groupe américain, la sixième, la septième et la onzième aussi. J’ai donc depuis longtemps travaillé avec le pays du hamburger. La scène US est plus riche parce que les musiciens doivent réellement se battre là-bas pour sortir du lot. Leurs conditions sont très difficiles, beaucoup plus qu’en Europe. Je crois qu’ils se sacrifient plus. Quantitativement, il y a donc plus de propositions intéréssantes, mais ça ne veut pas dire que ce sont les meilleures. On a de très bons groupes en Europe et en France, depuis très longtemps.

Peux tu déjà nous en dire plus sur ce qu’il faudra attendre d’autre de la part d’Africantape dans le courant de l’année à venir? Je crois que février s’annonce comme un pic d’activité inédit pour toi…

Quatre sorties sont prévues pour le 7 Février 2011 (le nouveau Aucan , Papaye , Tormenta , Big’n ). J’ai remarqué que regrouper les sorties avait beaucoup plus d’impact. J’avais déjà fait la même chose cette année en avril  avec The Conformists , Extra Life , Marvin et Aucan. Et j’ai déjà quatre nouvelles sorties de prévues pour avril/mai (Honey For Petzi, Oxes, Ned, nouvel EP de Big’n). Enfin fin avril aura lieu le festival Africantape qui sera le grand évènement de 2011: il réunira 95% des groupes du label à Lyon pour offrir trois jours uniques au public.

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Concernant le festival, d’ou est venue cette envie? Qu’attends tu d’un tel évènement? Pourquoi l’organiser à Lyon?

L’idée du festival est partie d’une blague, d’un pari avec un ami. On se demandait si on pouvait être capables de reformer Big’n pour quelques dates en Europe, puis éventuellement leur proposer un nouveau disque… Après quelques échanges d’emails, à mon grand étonnement, ça a marché. Du coup, il a fallu créer un évènement autour de ça. Lyon est la première ville européenne qui m’est venue en tête. C’est central, j’ai de grands amis par là-bas, et puis Grrrnd Zero est selon moi le lieu idéal pour ce genre d’évènement. J’attends du festival qu’il réunisse des gens: les acteurs de la musique, le public, les musiciens, les médias. Parfois je me dis que c’est comme un acte politique que de mettre en place cet évènement, aussi bien parce que je me refuse à accepter les éventuelles aides de l’Etat, que parce qu’il y aura bel et bien « réunion » autour de la musique du label. Je travaille depuis déjà des semaines avec une équipe (la pointe de la pointe de l’organisation d’évènements DIY) sur l’organisation, la mise en place, le budget prévisionnel, la programmation. Tout est prêt: www.africantapefestival.com (et toutes les infos en bas de page, ndr).

Est ce rassurant de se rendre compte qu’on peut encore faire parler de la musique qu’on défend même si elle est très pointue? Je parle à Julien Fernandez là, pas au boss d’Africantape…

Je n’ai jamais eu aucun doute sur ça. Je sais très bien que les gens s’intéressent à la musique pointue. La grande question pour moi a plutôt été « est ce que les gens vont continuer à acheter du CD et du vinyl plutôt que d’acheter ces satanés MP3?« . Et la réponse est OUI. Un grand OUI. Je suppose que ça va durer, encore un certain temps.

at5Quelles sont les principales leçons que tu auras retenu de ces quelques années au front de la musique indépendante?

Voilà une question difficile. J’en apprends tous les jours… La principale leçon je crois est qu’il faut savoir anticiper correctement, s’entourer des bonnes personnes (de confiance), et savoir communiquer simplement. Etre à l’affût, et faire toujours très attention aux conséquences de ses choix.

Comment se décide l’intégration d’un nouveau groupe au catalogue Africantape? Quels sont les critères auxquels vous attachez le plus d’importance?

Il n’y a pas vraiment de critère. La musique doit me plaire évidemment, sans limite de style ou de genre… Il est vrai que, jusqu’à maintenant, le catalogue est plutot « rock », mais c’est en train d’évoluer, de se transformer. La deuxième partie de 2011 ira vers une direction inattendue justement. J’ai besoin aussi de travailler avec des gens que j’apprécie, des gens honnêtes et respectueux, qui ont les pieds sur terre, sans trop d’attentes, des gens raisonnables.

Vous soignez généralement tous les supports que vous travaillez, que ce soit le vynil, le CD, et le digital dans une moindre mesure. Faut il y voir le reflet de votre culture musicale, pas dans le sens de la connaissance cumulée, mais de l’héritage des ainés, de la considération de la musique et du disque en tant qu’objet? J’imagine que tout cela a un coût non négligeable pour une petite structure comme Africantape.

Comme beaucoup, j’ai écita2té fasciné quand j’étais jeune par l’objet disque. Il me semble donc absolument nécessaire de produire quelque chose de séduisant et d’attractif. On pourrait presque dire « sexy ». Ca joue donc forcément sur le coût des productions, mais c’est un risque que je prends avec plaisir.

Niveau ventes, parviens tu à chaque fois à rentrer dans tes frais? A ce jour, quelle est le disque ayant le mieux vendu, et lequel t’a le plus surpris à ce niveau là?

Oui, je rentre toujours dans mes frais. C’est juste une question de temps. Certains disques se vendent mieux que d’autres, mais tout se vend. Celui qui a le mieux vendu? Marvin . Aucune surprise à ce niveau là! Ensuite, Ventura , Shipping News , Hey!Tonal , Passe Montagne et Aucan se suivent de près. Le reste, ça vend, mais c’est moins fulgurant. Peu importe finalement. Mon but n’est pas de faire de la quantité, mais de la qualité.

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Originaire de Nantes, tu es aujourd’hui en Italie. Pourquoi être parti là bas?

Je suis réellement originaire de Mayenne, en Mayenne. J’ai étudié à Nantes, voilà tout. Je suis ensuite parti en Italie pour suivre des gens, à la suite de rencontres. A l’époque, j’avais le choix entre le Danemark ou l’Italie. J’ai choisi l’Italie principalement pour le climat. Cinq ans après, si je fais un bilan, j’ai l’impression d’avoir fait une connerie monumentale en venant par ici. Mais bon, on ne revient pas en arrière, c’est la vie. Par contre, l’unique réel avantage que je vois à être basé à Pescara, c’est que je ne subis l’influence de personne autour de moi. Ici, personne (ou presque) ne sait que je sors des disques et que je travaille dans la musique.

Maintenant que tu y as assez de vécu, quelles sont les différences fondamentales entre les scènes musicales italienne et française? Les initiatives sont elles plus faciles là bas?

cita3Tout est plus difficile ici en ce qui concerne la culture. En revanche, en ce qui concerne le « business », tout est plus simple. J’ai très vite monté mon entreprise individuelle, sans obstacles. Par contre, en tous dans la région dans laquelle j’habite, la culture en général n’est absolument pas valorisée. C’est secondaire pour les gens. Au niveau de la musique, la scène italienne est très active, et de grande qualité. Il y a beaucoup de groupes intéressants, actifs dans tous les genres. Au même titre qu’en France d’ailleurs. A ce niveau, je ne vois pas vraiment de différence en fait.

at7D’un point de vue personnel, tu fais partie de ces activistes qu’on peut aisément qualifier d’hyperactif. Label manager, tour manager, attaché de presse, musicien, graphiste, père de famille… Comment parviens tu à gérer un quotidien si dense?

Mon fils reste ma priorité absolue évidemment! Mais sinon, ma vie ne tourne qu’autour de mon travail. Je ne fais que ça, tout simplement. Autant dire tout de suite que je suis invivable. J’ai un rapport passionnel avec mon travail et avec la musique en général (l’écoute, la pratique, les concerts..). Je dors peu, je travaille tout le temps, sans horaires. On pourrait peut être qualifier ça de sacrifice, mais ça ne l’est pas vraiment. C’est un choix conscient.

De tout cela, qu’est ce qui te donne le plus envie de te lever le matin? Et, à l’opposé, quelles sont les tâches que tu rechignes le plus généralement?

Les tâches que je rechigne sont ce satané html et le booking. Pour tout le reste, je suis toujours emballé. Tout me plait, tout le processus de création et de promotion d’un disque/d’un groupe est intéréssant. J’adore être présent partout, regarder, choisir, décider, faire, ne pas faire, rencontrer, discuter, échanger…

Y a t-il encore des activités que tu souhaiterais développer?

J’aimerais juste pouvoir engager des gens, mieux faire tourner l’économie générale de mes activités pour payer des personnes plus douées que moi! J’ai envie de publier des livres aussi. Un premier projet est d’ailleurs en cours.

Quelle est ton ambition ultime dans tout cela? A quel moment considèreras tu avoir accompli ton « devoir »?

Je n’ai pas d’ambition, pas de devoir à accomplir. Je suis juste malade je crois. Je suis un obsessionel cyclique instatisfait. Plus je fais de disques, et plus j’ai envie d’en faire d’autres. Comme me disait Steve Albini l’autre fois, j’arrêterai quand je serai sourd.

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three_second_kiss-long_distanceThree Second Kiss
« Long Distance »

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C’est la première référence du label. J’ai tout de suite flashé à l’écoute de ce disque. Il était parfaitement en accord avec ce que j’avais en tête à l’époque. Il représentait l’équilibre parfait entre violence et esthétique pour donner une première image au label.

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« s/t »

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Le premier disque d’Aucan. Il a plutot été mal reçu par la presse, ce que je n’ai jamais vraiment compris. Je l’ai déjà repressé deux fois depuis sa sortie! J’aimerais prochainement en sortir une version vinyl…

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« Oh my Satan »

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Je joue dans ce groupe, c’est donc un peu ridicule que j’en parle. Ceci dit, ce disque a une importance capitale dans le développement du label. C’est cette référence qui a ouvert les portes des distributions en UK, Espagne ainsi que mes premières ventes en Australie et aux USA.

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« s/t »

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C’est le projet de mon ex collègue Mitch! le premier groupe transatlantique, avec cinq pointures de la musique (Kevin Shea, Alan Mills, Dave Davison et Theo Katsaounis). Un disque composé à distance, un vrai ovni.

8033706218679The Conformists
« Three Hundred »

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Ah ah ah… Ce disque, je l’adore. Du vrai foutage de gueule. De la provocation pure. C’est une clé de voute du catalogue.

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« Made Flesh »

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Etrange cet Extra Life. Un inclassable. Un Morrissey sataniste qui rencontre une impossible musique industrielle du moyen âge? Il y a un peu de ça je trouve. C’est aussi ma pochette préférée du catalogue.

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« We Recruit »

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Superbe, rien à dire. je l’écoute encore très souvent cet album. Et dire que je n’accrochais pas trop sur le groupe sur son premier disque. « We Recruit » m’a touché droit au coeur.

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« s/t »

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Je pourrais parler de « Hangover the Top », mais tout le monde a déjà tout dit à son sujet. Cette réédition du premier album a été un vrai bonheur. Je suis très très fier de cette référence. La hargne originelle du groupe est dans cette galette.

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« One Less Heartless to Fear »

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Des gars de chez Touch & Go. Incroyable non!? Pfiouu, je me rappellerai toujours de ma rencontre avec Jeff Mueller à New Haven pendant la tournée US de Passe Montagne avec The Conformists. Tout s’est joué là, juste après notre concert, avec une bière à la main. Un disque incroyable. Je pourrais en parler longtemps de ce projet. Il a été très long à mettre en place, a vécu plein de rebondissements. Et c’est certainement, avec le disque d’Extra Life, la pochette la plus réussie (aussi la plus complexe d’ailleurs!).

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« Video Musics 2 : Sun Wu Kong »

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Mon américain préféré. Inclassable, un vaurien du rap, une vraie provocation intelligente, aussi bien sur le questionnement autour du hip hop  branchouille que de la narration d’histoires pour enfants. Alexis Gideon est mon artiste préféré. C’est lui qui prend le plus de risques et qui est le plus fou. C’est paradoxalement en lui que je me retrouve le plus.

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Rachel Grimes
« Book of Leaves »

Ruminance

Piano solo, la classe. Très beau, simple. Un coup de pied au cul à la branchitude des calculateurs éléctroniques et des synthétiseurs dans la musique de l’an 2000.

1844035079Nadine Khouri
« A song to the City »

One Flash

Elle est libanaise, Nadine. Elle vit à Londres. Elle a sorti cet EP remarquable. Une sorte de nouvelle PJ Harvey je dirais.

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« s/t »

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Du garage du mal, voilà comment je définirais leur musique. Groupe Lyonnais à suivre.

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« EP »

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Groupe américain découvert grace au webzine www.nextclues.com. C’est crade, c’est curieux, c’est notable. Pour être honnête, j’aimerais sortir un disque de ce groupe.

kanye-west-my-beautiful-dark-twisted-fantasyKanye West
« My Beautiful Dark Twisted Fantasy »

Soyons honnêtes, le disque est mauvais, mais le titre « Monster » est génial. Il vaut à lui seul l’achat de ce disque.

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« Endings »

Double Plus Good Records

Je n’aime pas tout le disque, mais il y a quelques gros tubes sur cet album. Le groupe sera en Europe en mai avec Bear Claw. Hâte de voir ça.

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« s/t »

Autoproduit

Un groupe sicilien, et un autre excellent disque. Très bon combo live par ailleurs. Mais pourquoi ce groupe n’a toujours pas de label?! Mystère.

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« EP »

Trost

Superbe EP de TV Buddhas. Ce disque est sorti avant un album (moins bon). L’EP a été enregistré avec un seul micro par mon ami Nico Poisson de Ned. L’enregistrement contient l’essence de ce groupe qui prend à contre pied tout le monde. Du MC5 de l’an 2000.

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