
01 Avr 22 Les Disques Normal, 15 ans d’une aventure peu banale
Les Disques Normal fête ses 15 ans. L’occasion pour nous d’aller à la rencontre de son co-fondateur, Martial Hardy, pour qui musique rime avant tout avec passion. Humble et discret, la tête bien vissée sous sa casquette, en éternelle quête d’humanité et de belles rencontres, il nous livre l’histoire du large panel de ce label rennais sur lequel We Only Said, Yes Basketball, Santa Cruz ou Les Marquises – pour ne citer qu’eux – jouent au grand écart au sein d’un inventaire de près de 70 références. Les Disques Normal, comme pour nous dire que la normalité n’a pas vraiment d’intérêt…
Quinze ans de label, c’est beau non ? Tu la tiens à quoi cette longévité ?
Martial : Je dirais à la passion, d’abord. C’est chouette, c’est surprenant, ça fait même un peu bizarre (rires). Puis comme le label n’a pas d’enjeux financiers liés à l’obligation de sortir le salaire de quelqu’un, ça change la façon de faire les choses. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’enjeu pour les groupes du label. Certains d’entre eux sont professionnels, donc la donne est différente. Gagner de l’argent avec un disque, c’est vraiment autre chose. Mais pour un groupe des Disques Normal, c’est déjà une étape d’au moins pouvoir le rembourser et d’avoir un peu d’argent pour pouvoir enregistrer le prochain. Et puis un disque reste un disque, façon de parler. Rien de péjoratif !
Comment a démarré l’histoire Les Disques Normal ?
De 2004 à 2008 avec Jean Charles Dron, un ami de longue date, on avait une web radio qui s’appelait Asso de Gens Normal. C’était une chouette époque. On y diffusait une vingtaine de morceaux par mois qui tournaient en boucle, et on organisait des cartes blanches. On donnait un enregistreur à des artistes, et ils faisaient ce qu’ils voulaient, que ce soit des interviews, des sessions musicales ou des performances… Puis un jour, on a eu entre les mains la musique de Jocari. Ca a vraiment été un coup de cœur, du coup on a voulu être encore plus acteur que sur notre web radio, aller au-delà du statut de passeurs. A ce moment-là, Jocari était déjà en lien avec Another Records qui, faute de temps et de moyens, n’a pas pu le sortir comme le label le voulait. Du coup, nous avons décidé de prendre le relai. Créer nous aussi un label nous est donc apparu comme un cran supplémentaire. On a décidé de se lancer sans aucune formation dans le domaine et sans rien y connaitre. Du coup, j’ai acheté des bouquins, notamment Je monte mon label de Jean Noel Bigotti. On a démarré comme ça.
Vous avez enchainé très vite après ?
Les premières sorties ont été épisodiques. La deuxième a été Eloignement de Blue Haired Girl en 2007. Jean Charles les avaient déjà vus en concert, et il était très enthousiaste à l’idée de collaborer avec eux. Là, les choses se sont accélérées. Puis il a arrêté en 2010, faute de temps pour s’investir plus. J’ai alors hésité à arrêter moi aussi, ou de changer le nom du label car l’histoire des Disques Normal était intimement liée à lui. Après discussion, j’ai finalement continué tout seul.
Y a-t-il eu une volonté d’apporter ta pierre à l’édifice, et de soutenir la scène rennaise ? Car, au sein de ton catalogue, on retrouve pas mal de groupes de ta ville…
La scène rennaise, ce n’était pas du tout le schéma de départ, c’est venu beaucoup plus tard. Quand on a monté Les Disques Normal, je vivais dans La Manche et Jean Charles était à Reims. Les collaborations avec la scène rennaise ont commencé avec Mermonte en 2007, via l’ancien groupe de Ghislain Fracapane, Fago Sepia. J’avais discuté avec eux pour diffuser un titre sur la web radio. A l’époque, j’avais aussi dans l’idée de sortir une série d’EPs baptisée Le Disque Est Mort. Du coup, j’avais contacté plusieurs groupes que j’aimais bien. C’est là que Ghislain m’a envoyé la première démo de Mermonte. Ensuite, mon boulot m’a rapproché de Rennes, et c’est comme ça que j’ai vraiment commencé à m’intéresser à la scène d’ici. Les échanges se sont multipliés. La proximité est un plus et, si j’ai le choix entre deux projets qui me plaisent, j’ai plutôt tendance à aller vers le groupe celui qui est plus près de chez moi. Je préfère ça au virtuel.
Il y a beaucoup d’éclectisme au sein du catalogue les Disques Normal. On passe du folk de Jocari à la pop de We Only Said, en passant par le hip hop rock de Yes basketball pour ne citer qu’eux. C’est un mélange de volonté esthétique, d’amour de la musique et du bel objet ?
Il y a un peu de tout ça. Dès le départ, il n’y avait pas de volonté de s’enfermer dans un style particulier. J’aime le rock au sens large. Dans les années 90, je baignais dans les sorties de labels comme Thrill Jockey ou Pias, j’écoutais des groupes comme Mogwai, Slint, Aphex Twin ou Sonic Youth… De manière générale, j’aime bien la diversité, j’aime bien que ça brasse. C’est pour ça que Beck me parlait beaucoup à l’époque. Ses premiers albums en sont la preuve.
On sent une fidélité et un accompagnement sur le long terme avec les groupes que tu signes. L’envie, c’est de créer une grande famille ? Les groupes se sentent-ils bien auprès des Disques Normal ?
J’espère qu’ils sont bien avec moi (rires) ! En tous cas, moi, je me sens bien avec eux et j’ai envie de construire sur la longueur, pas forcément de ‘faire un coup’. L’idée est vraiment de fonder quelque chose ensemble. Yes basketball est un bon exemple : j’ai connu Pierre Marolleau via Fat Supper et We Only Said dont j’ai sorti les albums. Son projet solo m’intéressait et nous avons – je pense – été plusieurs à le pousser à en faire quelque chose d’autre qu’une simple récréation. J’aime construire des histoires communes, mais les groupes sont libres de faire des aller retours ailleurs, rien est figé. En tous cas, j’essaie d’être assez clair avec eux, qu’ils sachent où ils mettent les pieds, ce que je suis en mesure de faire ou non. Tout dépend des attentes et de ce que je peux apporter. Tous n’ont pas besoin du même accompagnement. Certains sont plus autonomes sur la fabrication d’un disque, d’autres ont plus besoin de conseils. En tous les cas, je ne suis pas du genre à promettre qu’ils vont vendre des cartons et qu’ils vont être programmés dans les gros festivals. En revanche, je peux aller à la recherche de partenaires, voire m’approcher de tourneurs même si ce côté-là n’est pas une science exacte. Ce dont ils peuvent être sûrs par contre, c’est que l’on parle de leur disque et de la manière dont on peut l’acquérir. Et on a eu de belles surprises ces dernières années !
Par exemple ?
Depuis deux ou trois ans, France Inter regarde de plus près ce qu’il se passe auprès du label. Les Marquises et Arianna Monteverdi sont passés dans l’émission Côté Club. Il nous arrive d’être dans la playlist de FIP ou dans celles de radios du même type. Récemment, il y a aussi eu quelques touches à l’international avec la BBC.
Tu reçois beaucoup de demandes, tu es beaucoup sollicité ?
Pas mal. Je n’écoute malheureusement pas tout. Je ne tiens pas de comptabilité à jour (rires) mais je reçois environ deux projets par semaine suivant les différents canaux de sollicitation. On m’envoie des disques, il y a aussi Facebook ou Bandcamp…. C’est drôle car parfois je retombe sur des disques que je n’ai pas sorti mais que l’on connait bien maintenant.
Avec regret ?
Non, mais s’en rendre compte cinq ans après avoir reçu une démo, c’est un peu con finalement. Tout dépend des moments et de mes disponibilités. Après, tout marche beaucoup par réseau malheureusement. Quand certains autres musiciens que je connais bien me parlent de tel ou tel artiste, je vais plus facilement aller écouter que si c’est un groupe qui m’arrive via ma boite mail. Après ce n’est pas pour autant que cela aboutit à quelque chose.
Le futur du label, tu le vois comment ?
Pour l’instant, je continue tant que l’envie et l’esprit du label sont toujours là. Fiasco (pop synthétique) est la nouvelle signature du label, un EP sortira en avril normalement. Il y a eu pas mal d’autres sorties depuis septembre 2021, et d’autres – d’artistes de longue date notamment – sont prévues pour mettre l’accent sur notre quinzième anniversaire. Les Marquises reviennent sur Les Disques Normal, il y a aussi un album de remix de Yes Basketball qui est sorti tout récemment. Après, au quotidien, il est temps de trouver un équilibre car, en plus du label, je gère d’autres choses en dehors de mon boulot.
Tu nous en parles ?
J’avais déjà organisé des concerts associés aux groupes du label dans le cadre de sorties d’album, ou trouvé des dates à droite a gauche. Là, il y a eu un concours de circonstance. J’habite à St Aubin Du Cormier (35), et on s’est trouvé une famille commune autour de la musique, avec l’envie partagée de faire venir des groupes qui nous plaisent. J’ai donc été invité à rejoindre l’asso OFF/ON dont je suis devenu le président. Je crois que j’aime un peu tout ça et quand un projet me plait, j’ai du mal à dire non. (rires) Il y a aussi Papapla, le groupe dans lequel je joue. Le premier disque est sorti sur les Disques Normal mais, à aucun moment je n’ai monté le label pour sortir ma propre musique. Ca s’est fait comme ça. Le prochain album sortira sur un autre label et ça, c’est plutôt cool.
Crédit photos : Jérôme Sevrette
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