04 Mar 22 La Colonie de Vacances, la mécanique des pôles
Initiée il y a une dizaine d’années lorsque Papier Tigre, Marvin, Pneu et Electric Electric – soit quatre des plus dignes ambassadeurs de l’indie math rock français, déjà grands bouffeurs de bitume à l’époque – ont décidé de faire route ensemble plutôt que de simplement se croiser, La Colonie de Vacances n’a cessé d’huiler ses rouages pour devenir une véritable machine de guerre au projet quadriphonique en constante évolution. En décuplant les sensations live, le collectif marque les esprits à chaque concert, et voit sa mécanique se renforcer toujours un peu plus. Véritable monstre qui se régénère chaque fois plus qu’il ne se retrouve amputé, La Colonie de Vacances avait jusque là seulement tâtonné en studio, à l’occasion d’un split puis d’une collaboration avec Greg Saunier (batteur de Deerhoof). Il aura donc fallu la longue pause accordée par le Covid pour que les douze trouvent le temps de se pencher sur un premier véritable album, ECHT, sorti en janvier dernier chez Vicious Circle. Nous avons pu discuter de tout cela avec Eric, Arthur, Greg et Fred à la Paloma de Nîmes, là ou la joyeuse troupe inaugurait une nouvelle tournée placée sous le signe de changements constructifs.
Alors, le nom de l’album, Echt, fait soit référence au mot ‘réalité’ en allemand, soit à une marque de vêtements de fitness féminins… Est-ce qu’il y a une portée philosophique derrière ce titre ?
Eric : Les deux sont biens ! Je ne savais pas pour le fitness mais ça marche bien ! Il y a un peu la portée que tu veux. Avec La Colo, on est assez à l’aise sur le fait que chacun trouve son propre sens au titre. Ce titre là, ECHT, était à la base un morceau qu’on avait essayé de faire sans y parvenir, donc c’était un peu drôle. Il y avait aussi la volonté que ce soit dans une autre langue que le français ou l’anglais, et on aimait le graphisme du mot. On a joué autour, il amusait un peu tout le monde, et le sens s’y prêtait pas mal.
Vu le nombre de musiciens, comment se prend une décision de ce type ? C’est un fonctionnement très démocratique ?
Arthur : C’est relativement démocratique mais on essaye de ne pas perdre trop de temps non plus… Je dirais que ça marche mieux que la démocratie. Chacun est investi naturellement dans différentes choses. Certains vont se plonger davantage dans l’aspect technique, d’autres dans la composition…
Eric : Déjà, il n’y a que la moitié du groupe qui écrit vraiment. Après, chacun a le droit d’intervenir, s’il est en désaccord avec un passage par exemple, ou au contraire s’il veut valoriser un élément.
Greg : En théorie, il y a comme un droit de véto mais qui n’a jamais été utilisé jusqu’à présent. On trouve plutôt des consensus assez rapides.
Eric : Parfois, il faut faire un peu de lobbying, aller parler à tel ou tel membre lors d’une pause pour le mettre de ton côté. Je ne citerais pas de nom, mais certains sont très forts au sein de La Colo en termes de lobbying.
Concrètement, comment travaillez et répétez-vous ? Vous avez un méga local ?
Greg : On a eu une location de gite en Vendée qui était pas mal, mais chère, éloignée et pas top en termes de sons. Donc les dernières résidences ont eu lieu dans des salles comme La Baraque à Sons à Rezé, le Confort Moderne à Poitiers qui est un peu le parrain du projet, Le Temps Machine à Tours… Bref, on a quelques salles qui nous suivent…
Eric : On a aussi pas mal profité du Covid. Le fait que les salles aient été vides nous a aidés, il suffisait d’arriver pour répéter, et banco. Elles nous ont accueillis, étaient contentes de nous voir, savaient qu’il allait y avoir du volume…
Du coup, l’album a été écrit pendant le confinement ?
Arthur : Un peu avant, mais on a vraiment beaucoup bossé pendant les deux dernières années. En gros, on est passé de deux résidences par an à cinq ou six pendant la période du Covid.
Et vous êtes toujours répartis entre quatre villes?
Eric : Plus que ça désormais. Il y a Berlin, Rennes, Nantes, Thoré-la-Rochette, Tours, Strasbourg, Montpellier. Un beau petit panel de l’Hexagone !
La Colonie de Vacances est-elle en train de prendre le dessus sur vos projets initiaux respectifs ?
Ces projets initiaux, il y en a beaucoup qui n’existent plus. Ils sont quasiment tous en stand by. Il y a beaucoup plus d’interrogations à leur sujet, que de réponses. De toute façon, pour réaliser une expérience collective comme celle-ci et le faire bien, il faut s’investir. On sait qu’on est un peu attendus, que ça fait dix ans qu’on est dessus, des gens importants comme Emilie de Marvin et Vincent d’Electric Electric sont partis du groupe… On développe le projet sérieusement et on se renouvelle en consacrant vraiment du temps à La Colonie de Vacances. C’est clairement notre priorité depuis au moins deux ans.
Fred: On marche aussi par phases. On savait que quand les concerts allaient reprendre, tout le monde allait donner la priorité à ce projet-là.
Du coup, c’est aussi le confinement qui vous a conduit au projet d’album ?
Arthur : Non, on avait le projet avant, mais disons que le fait que la pause ait été plus longue que prévue nous a permis non seulement de renouveler complètement le live, mais aussi de faire le disque.
Eric : En fait, je ne sais pas si on aurait pu faire l’album s’il n’y avait pas eu le confinement. On n’aurait pas eu le temps de tout faire, il aurait donc fallu faire un choix.
Et l’album a été enregistré dans des conditions proches du live, ou pas du tout ?
On l’a enregistré à la Baraque à Sons mais pas du tout dans des conditions live, dans le sens où on s’est vite rendu compte que pour avoir des sources suffisamment propres, il fallait qu’on ait quasiment tous les instruments en solo. Donc on a essayé d’enregistrer le maximum en live, puis on fait pas retravaillé le reste.
Greg : On s’est rendu à l’évidence qu’on ne pouvait pas faire une prise nickel avec quatre batteries. On n’avait pas du tout le temps, et il aurait fallu faire une quinzaine de prises. Donc on a vite enchainé les prises solo. Deux ou trois par instrument en général.
Arthur : Ce qui était amusant, c’est qu’il y a eu une méthode différente pour chaque morceau. Il y en a eu un avec basse-batterie-guitare en live, un autre où tout était séparé, etc.
Eric : Avec La Colo, c’est toujours expérimental, tu penses toujours avoir la maitrise, avoir réfléchi à tout et puis, devant le fait accompli, tu te rends compte que ce truc est un vrai mammouth. Ca n’avance pas, ou alors ça avance trop vite, ce n’est jamais normal. Tu as beau prévoir et réfléchir, tu découvres les choses au fur et à mesure.
Le temps de regard de chacun sur le mixage, sur l’écoute, le fait d’être à douze… Tout cela ne ralentit pas trop ?
Il y en a qui se sont désolidarisés, qui se sont mis en retrait. De toute façon, à douze, ce serait ingérable.
Fred: Chaque compositeur est allé avec l’ingé son pour l’aider à mixer et typer son morceau.
Cette pochette, ça l’air d’être des estampes japonaises découpées…
Eric : Je crois que c’est ça, mais c’est JB (batteur) qui a fait la pochette, comme tous les visuels de La Colo, donc je ne pourrais pas t’en dire énormément plus. Mais je l’aime bien, j’aime le côté à la fois vieillot et à la fois découpé, moderne, ça marche plutôt bien.
Arthur : Il y a un coté assez lumineux aussi, alors que certains morceaux de l’album sont un peu durs.
Tout ce monde et cette organisation, c’est une grosse machine. Le fait d’avoir un plus gros label joue et vous aide en tournée?
Eric : Le label est arrivé de par notre volonté de sortir un disque. Après, effectivement, un label comme Vicious Circle est bien en place, a une certaine renommée donc l’album est plus facilement diffusé. Ces dernières années, ils ont sorti des choses qui ont bien marché. Les gens voient bien qu’on est motivés : on sort un album, on a un nouveau set, de nouveaux musiciens qui nous ont rejoint, une nouvelle histoire qui est en train de s’écrire, de nouvelles choses à proposer. Du coup, on a envie que le public réponde présent.
Est-ce que vous lorgnez l’étranger, ou restez-vous focus sur la France ?
C’est un des objectifs mais là, c’est un peu dur de prévoir…. Il va sûrement y avoir des dates dans les pays limitrophes comme la Belgique, la Suisse, le Luxembourg. Mais en Allemagne c’est encore fermé, la plupart des étrangers annulent encore leurs tournées…
Greg : C’est sur cet aspect là que Vicious Circle, qui a une dimension plus européenne que nous, peut donner un coup de boost. Ca a toujours été très difficile de faire jouer La Colo a l’étranger pour des questions de coûts et d’ampleur technique. Et la renommée n’est pas du tout la même à l’étranger où les quatre groupes qui en sont à l’origine ne sont pas du tout connus. Ils ont beau ne plus être d’actualité, il y avait quand même ça dans l’inertie de La Colonie de Vacances.
Typiquement, d’un point de vue technique, comment ça se passe quand vous arrivez dans une salle ?
Eric : On n’a pas besoin de grand chose parce qu’on a acheté pas mal de matériel afin d’être le plus autonome possible. On a notre console, nos systèmes de retour…
Greg : On demande quatre scènes et la diffusion, c’est tout. On se sert parfois de la scène principale, mais que dans le but d’augmenter la jauge.
Arthur : Justement, notre but était d’être au maximum autonome pour pouvoir aussi tourner plus facilement à l’étranger, pour jouer n’importe où, pour réduire les besoins des salles en termes de personnel et de matériel. Le fait d’avoir notre console, ça permet de conserver nos réglages. Du coup, on a divisé par trois ou quatre notre temps nécessaire à l’installation.
Greg : En gros, on peut se pointer à midi comme un groupe normal, bouffer, faire nos balances et jouer.
En fait, je m’interrogeais en voyant la tournée… Je me demandais s’il ne fallait pas une mini-résidence pour chaque date…
Arthur : C’était le cas au tout début, mais on a beaucoup bossé niveau technique donc ce n’est plus le cas.
Eric : Je dirais même que là, dans quelques semaines, on pourra aller encore plus vite et faire quasiment un line check seulement.
Fred : On a des sortes de praticables avec des tiroirs où sont tous les micros. On monte tout nous-mêmes, donc quand le technicien arrive, le montage est parfois fini et il n’y a plus qu’à attaquer les lights.
A vous entendre, on a l’impression que vous êtes désormais beaucoup plus une seule formation qu’une réunion de quatre groupes…
Eric : C’est carrément le cas. Parce que les groupes n’existent plus, parce qu’il y a maintenant de nouvelles personnes qui jouent avec nous, et parce qu’on a éclaté les quatre scènes. Nous avons changé la disposition de chacun. Donc tu as beaucoup plus l’impression de faire partie d’un ensemble où tout le monde se connaît maintenant hyper bien.
Greg : On ne joue plus aucune composition des groupes en question. C’était kiffant à jouer à l’époque mais c’est bien aussi de se défaire un peu de ce truc-là.
L’étiquette math rock à laquelle vous êtes souvent associés, ça vous va toujours ?
Eric : Ça nous a jamais vraiment sied… Le math rock a toujours été un truc un peu flou pour moi. Il y a des trucs qui sont parfois étiquetés comme ça, et je ne comprends pas, c’est un peu fourre-tout. Moi je fais de la musique, après si ça aide les gens à se repérer…
Greg : Disons que le dispositif se prêtant à la polyrythmie, c’est inévitable qu’on cite ça. Puis on ne va pas se le cacher, on a tous un passif dans cette musique.
Arthur : Il y a quatre batteries, douze musiciens, donc forcément cet aspect polyrythmique, tu as envie de l’explorer.
Sur cet album, il y a des titres qui sont assez chanson, avec couplet refrain, et d’autres bien plus axés sur la rythmique… Pour avoir un avis, pour aborder des choses toutes bêtes comme l’ordre du tracklisting… Tout cela doit représenter des heures de discussion non ?
Eric : Ce sont des heures de discussion, mais aussi des choses qui peuvent se faire très naturellement. Une partie peut aller hyper vite et après, on se retrouve coincés sur des trucs.
Arthur : Le choix des morceaux à enregistrer s’est fait rapidement. Après on savait qu’untel serait plutôt au début, un autre au milieu…
Eric : Comme Arthur le disait toute à l’heure, il y a des gens qui attachent beaucoup d’importance au tracklisting, et d’autres qui s’en foutent. Du coup, tu ne te retrouves souvent plus qu’à six pour décider.
Arthur : C’est comme la setlist pour le concert. Certains vont avoir cette vision, et d’autres veulent juste avoir la feuille. Du coup, ça s’équilibre.
Eric : Il faut donc parfois accepter de mettre son avis de coté. Si trois heures après, tu déboules en disant que tu n’aimes pas ou que tu n’es pas d’accord… Tu ne peux pas tout avoir ! Il faut voir les choses du bon côté.
Greg : Pour le mix par exemple, j’avais des remarques mais je n’allais pas faire chier un mec qui a bossé six mois sur le morceau, qui a fait tout le mixage avec l’ingé-son, pour me plaindre qu’on n’entend pas mon charley.Tu le dis une fois mais tu n’insistes pas.
Fred : C’est pour ça que ça s’appelle La Colonie de Vacances. C’est que… de l’amour !
D’ailleurs, ça vient d’où ce nom ?
Ca vient de la toute première tournée. On faisait un plateau avec chaque groupe, et il y avait une organisation globale qui ressemblait beaucoup à une colonie de vacances. Tu arrives, tu vois tous tes copains, il y en a toujours quelques-uns qui vont parler tard le soir, d’autres qui vont aller se coucher tôt. Tu ne peux jamais t’ennuyer… Là aussi, il y a des pôles : le pôle pinard, le pôle sport maintenant…
Greg : Il y a des gens qui quittent la résidence parce qu’il faut absolument acheter un cubi de rouge.
Eric : Ca fait une belle promo du groupe ça !
Et comment choisissez-vous les titres de vos morceaux ? C’est après l’écoute ou, à l’inverse, est-ce qu’il vous arrive de composer en fonction du titre que vous avez en tête ?
La plupart du temps, c’est le compositeur qui arrive avec. Parfois c’est juste le premier truc que le mec a tapé sur son ordi pour sauvegarder. ZZZ, ça doit être à peu près ça je suppose…
Arthur : Non, ZZZ ça vient d’un mec qui est venu nous voir après un concert et qui nous avait dit ‘c’était bien votre truc là, zig, zag, zog’. Ca avait fait marrer JB donc c’est resté.
Et le fait que ce soit multilingue ?
Eric : Le fait que ce soit totalement libre au niveau de l’utilisation des langues, des timbres de chant… Tout ça, c’est un jeu, il n’y a pas de volonté de faire un disque de chanteur à textes, plutôt celle d’accompagner mélodiquement les morceaux, des passages, créer des phases… Ca ne signifie pas que ça ne veut rien dire, c’est juste que l’accent n’est pas forcément mis là-dessus. Même au niveau du mixage, la voix est mixée comme un instrument, au même titre qu’une partie de synthé par exemple.
Et concrètement, quelles sont les étapes quand l’un d’entre vous arrive avec une idée ? Il la soumet à trois ou quatre d’entre vous et vous l’étoffez avec tout le monde ensuite ?
Arthur : Nous sommes six compositeurs. Il y a Rachel, Nico, JB, les deux Eric et moi. Maintenant, la plupart des morceaux arrivent avec la piste attribuée à chacun et, au final, ils ne sont pas tant retouchés que ça. Mais toutes les configurations sont possibles : parfois on arrive avec des démos, d’autres fois ils sont plus travaillés.
Eric : Il arrive qu’il y en ait qui soient abandonnés, d’autres qui deviennent hyper différents, et certains qui soient joués exactement comme sur la démo.
Arthur : Il y a aussi des morceaux qui sont imaginés et finalisés par un petit pôle de trois ou quatre compositeurs qui s’échangent les fichiers.
La distance, ça ne vous effraie pas donc…
Eric : Non, ça permet de poser des jalons et de ne pas arriver avec rien à une résidence qui coûte cher, qui demande l’investissement de tout le monde. On essaye d’être le plus préparé possible, ou en tout cas d’avoir des éléments à jouer.
Un disque en particulier qui a marqué votre rapport à la musique. Si vous ne deviez en garder qu’un?
Fred : Rock Bottom de Robert Wyatt.
Greg : Le premier album de Golden.
Eric : Je suis vraiment partagé entre des pans extrêmes de la musique mais je vais quand même en citer un que j’ai écouté il n’y a pas longtemps et qui m’a fait vachement plaisir alors que c’est pas le genre de musique que j’aurais forcément envie d’écouter aujourd’hui : In On the Kill Taker de Fugazi. Pour la bonne et simple raison que c’est un disque qui me met toujours dans un état où je me dis ‘Wow, putain, il y a un truc de pur rock’. Je n’avais pas écouté ce disque depuis des années. Je dis ça aujourd’hui, mais je te dirai peut être autre chose un autre jour.
Arthur, tu pars sans disque sur l’île déserte ?
Arthur : Oui je pense que je pars sans disque. Je prends mes chaussures pour courir.
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