La Colonie de Vacances, des ambitions sans guerre d’egos

La Colonie de Vacances, des ambitions sans guerre d’egos

‘Supergroupe’, ‘projet parallèle’, ‘formation exceptionnelle’ : La Colonie de Vacances entraîne les périphrases plus ou moins heureuses pour la définir. Après tout, rares sont les musiciens aujourd’hui capables de faire souffler un tel vent d’inédit sur leurs concerts. Des performances en quadriphonie où les groupes – Electric Electric, Marvin, Papier Tigre et Pneu – sont répartis aux quatre coins de la salle et s’amusent dans un ping-pong sonore aussi déroutant que jouissif.
Mais après neuf ans à peaufiner ce sound-system d’un genre ovniesque, plus question de considérer la Colo comme la réunion des formations suscitées. C’est un groupe, un vrai, pour Arthur (guitare, basse), Greg (batterie) et JB (batterie), rencontrés en marge des concerts du collectif au 104 à Paris. Ils nous expliquent ce qui va changer.

On m’a dit que l’ambition de ce nouveau live était ‘d’affiner l’appréhension de la quadriphonie‘. Est-ce que vous pouvez m’expliquer ce que ça signifie concrètement ?

Arthur : Ce live n’est pas vraiment nouveau, on est plutôt sur la fin de la tournée. On a construit un nouveau set mais avec des morceaux qu’on avait déjà, en modifiant leur ordre et en agençant de nouvelles transitions. Ça crée quand même une atmosphère assez différente.
JB : Nos compositions sont assez ouvertes. Certaines vont être austères alors que, chez d’autres, c’est la grosse danse. Là par exemple, on a choisi de commencer le concert par un titre assez dur, avec une ambiance compliquée.

Et comment a réagi le public ?

Arthur : Il était terrifié… (Rires)
JB : Un pote nous a vus plein de fois. Il m’a dit que quel que soit le morceau qu’on plaçait au début, les gens devaient de toute façon s’habituer ou se réhabituer au dispositif. Donc, c’est souvent au tiers du concert qu’ils commencent à bien capter et à se rapprocher du centre pour être à égale distance de tous les sons. Et c’est souvent à ce moment-là que l’ambiance commence à chauffer.

La Colonie de Vacances existe maintenant depuis neuf ans. Est-ce qu’il a été difficile à un moment de renouveler ce concept de quadriphonie assez verrouillé ?

Arthur : C’est tout l’inverse. Il nous reste encore tout à inventer. Si on regarde nos débuts, on fonctionnait comme un jukebox à quatre groupes. Mais, à chaque fois qu’on a réalisé un nouveau morceau tous ensemble, on a découvert de nouvelles possibilités. Par exemple, réussir à mettre en place tel passage nous a amenés à aller encore plus loin techniquement. De toute façon, comme le concept est encore peu exploré, on ne peut qu’aller de l’avant.
Greg : Les spécificités de chaque groupe s’effacent de plus en plus au profit du collectif. C’est notre but. On ne veut plus parler de Marvin, Pneu, Electric Electric ou Papier Tigre. L’objectif de notre prochaine création, c’est de réfléchir en termes de percussions, de couleurs sonores… comme un ensemble musical. Que ce ne soit plus un groupe qui réponde à un autre sur scène.

Mais c’est déjà le cas, non ?

Arthur : Ça commence à l’être. Mais on continue de pousser dans ce sens. L’étape d’après, c’est de faire disparaître les groupes à la base du projet.

Vos projets respectifs vont quand même continuer d’exister en dehors de La Colo ?

Chacun fait sa vie comme il l’entend. Deux groupes n’existent plus aujourd’hui : Electric Electric et Marvin. Pour Pneu et Papier Tigre, on va continuer. Dans tous les cas, la Colo doit être considérée aujourd’hui comme un groupe à part entière.
Greg : Comme Emilie part à la fin de l’année, on va devoir la remplacer. Donc c’est encore plus vrai avec l’arrivée de nouveaux membres.

Mais pour clore ce chapitre sur les groupes, quel est l’avenir de Pneu et Papier Tigre ?

Arthur : Pour Papier Tigre, on va composer de nouveaux morceaux avant de repartir en concerts. Mais pour l’instant, il n’y a pas de tournées de prévues.
JB : On a une tournée de quatre ou cinq dates prévue en novembre avec Pneu, histoire de montrer qu’on est toujours là. On veut aussi faire de nouveaux morceaux mais ça va prendre du temps parce qu’on a aussi d’autres projets à côté.

Comment fait-on pour créer des morceaux quand on est onze à les jouer ?

Il y a plein de méthodes ! Mais ce qui arrive le plus souvent, c’est que l’un d’entre nous écrive un morceau avec l’aide d’un ou plusieurs membres du groupe, en réfléchissant bien à la géographie du projet. Parce que c’est ça l’idée : jouer avec l’espace. Ensuite, cette personne va présenter son morceau aux autres et, qu’on l’aime ou non, on va le bosser et l’affiner tous ensemble.

Ça doit quand même être difficile de trouver un consensus quand on est aussi nombreux, non ?

Arthur : Je crois qu’au début, tout le monde avait conscience que le projet était très fragile et que, pour avancer, il fallait faire des concessions. Avec le temps, on est devenu plus exigeants et plus libres aussi dans la parole. Si quelqu’un n’aime pas un morceau, il peut dire qu’il ne le sent pas.
JB : Il y a aussi des morceaux qu’on bosse, qu’on va jouer deux fois sur scène pour finalement les trouver moyens et les mettre de côté. Ce n’est pas un problème. On se connaît, tout simplement !
Arthur : Et comme on sait qu’il peut y avoir des points de vue très différents, on échange en bonne diplomatie.
Greg : A onze, les égos doivent disparaître.
Arthur : Oui, tu sais que tu ne pourras pas avoir les mêmes exigences que tu as en duo ou en trio. Mais bizarrement, ça fonctionne mieux. Nos discussions ne sont pas aussi compliquées.

C’est Rubin Steiner qui est à l’origine de votre premier concert en quadriphonie. C’était à Tours en juillet 2010 pour le festival Rayons Frais. Avant ça, aviez-vous déjà imaginé un pareil dispositif ?

Greg : On n’est pas d’accord là-dessus. Moi je suis sûr qu’on avait déjà imaginé ce truc en rigolant.
Arthur : On s’était déjà dit qu’on interviendrait dans les morceaux des uns et des autres, mais pas sous ce format.
JB : La date que nous avait proposé Fred venait s’insérer dans la tournée qu’on faisait tous ensemble. On avait évoqué l’idée de se rejoindre sur scène pour faire un truc. Mais avec quatre scènes comme ça, je ne crois pas. On a déboulé la veille et on a fait n’importe quoi ! On n’était pas préparé du tout, aussi bien musicalement que techniquement. Aujourd’hui, l’aspect technique du projet est devenu hyper important. On se sent vraiment à l’aise dans ce dispositif.

Est-ce qu’il reste tout de même une part d’improvisation dans ce que vous faites ?

Arthur : Non, ça n’existe pas. Ou seulement dans quelques passages, sur les longueurs.
Greg : Aucun de nous n’est branché jam ou prog-rock…
Arthur : Tout est beaucoup écrit. Après, comme on est tous plus ou moins impliqués dans l’écriture de certains morceaux, il y a un référent qui va faire signe aux autres quand arrive un enchaînement par exemple. C’est lui qui va décider de la longueur d’une partie, mais ça ne va pas plus loin.

Entre 2015 et 2017, vous avez joué sur scène une pièce musicale écrite par Greg Saunier, le batteur de Deerhoof. Avec le recul, qu’est-ce que cette expérience vous a apporté ?

JB : Ça nous a pas mal débloqués.
Greg : On avait tendance à vouloir éclater le plus possible le live entre les quatre groupes. Lui nous a montré que jouer à l’unisson pouvait être aussi intéressant, un peu comme dans un orchestre où les violons sont remplacés par des guitares.
Arthur : C’était une expérience assez cool. Greg nous a vraiment fait considérer la structure des morceaux sous la forme de quatre sections : batterie, basse, accords et mélodie. Depuis, c’est quelque chose qu’on intègre quand on réfléchit à l’organisation de nos morceaux entre la rythmique, les graves, un thème, etc.
JB : La pièce qu’il avait écrite était vraiment belle à travailler, hyper riche, mais difficile à assumer sans lui. Elle ne nous représentait pas. Voilà pourquoi on l’a jouée peu de fois sans sa direction.
Greg : On ne le sait pas forcément, mais Greg Saunier a écrit beaucoup pour des orchestres classiques en parallèle de Deerhoof.

A l’avenir, vous vous voyez collaborer de nouveau avec un compositeur ?

Arthur : Il y en a pas mal d’entre nous que ça brancherait.
JB : Mais ce n’est clairement pas la priorité.
Greg : C’est à double tranchant. La personne choisie ne va pas forcément se rendre compte des possibilités de jeu qu’on a défrichées.
Arthur : Même avec Saunier, on s’est rendu compte qu’aussi doué et expérimenté qu’il pouvait être, il n’avait pas forcément conscience des avantages et du potentiel de la quadriphonie. Après, il y a peut-être des gens spécialisés dans l’écriture spatialisée avec lesquels on pourrait travailler.
JB : La collaboration avec Greg Saunier s’est faite un peu rapidement, sur une commande. Il n’avait pas vu La Colo en live à part dans des vidéos. Mais ça ne représente rien. Là, on arrive à la fin d’un cycle et on sait déjà que le prochain live sera écrit par nous.
Arthur : On veut explorer de nouvelles choses par nous-mêmes. Au début, rien que se passer la balle nous paraissait fou alors qu’aujourd’hui, on arrive à enchaîner des doubles croches. Ce sont des petits trucs bêtes comme ça qui nous motivent pour avancer.

Depuis les débuts de La Colo, trois disques vinyles sont sortis mais de façon confidentielle. Vous pensez que le jeu en quadriphonie n’est pas ‘transférable’ sur disque ?

A mon sens, il n’y a pas encore eu de disque de La Colonie de Vacances. Jusqu’ici, ça n’a été que des collaborations. Le premier 45-t – Hasta La Fiesta sorti en 2010 – comportait juste un morceau de chaque groupe, comme un split. Les 26 sauces de Maître Saucier, c’était un enregistrement live de la pièce écrite par Greg Saunier. Et enfin, le livre/disque était aussi une collaboration puisque ce sont des amis qui nous avaient sollicités pour le faire. Au départ, on pensait que notre musique n’avait d’intérêt que parce qu’elle était éclatée. Mais on pense aujourd’hui que nos morceaux sont suffisamment cools pour être écoutés, bien produits sur un disque.
Greg : Par contre, le livre/disque est un prémice de ce qui va se passer maintenant sur scène pour la Colo [NdR, pour l’enregistrement de ce disque, les quatre groupes se sont mélangés]. On va se redispatcher sur les quatre scènes, sans plus tenir compte des formations d’origine. L’idée, c’est de pouvoir s’organiser plus librement, au service uniquement de la musique.

Au départ, comment les salles ont accueilli le projet ? Aujourd’hui, les choses ont-elles changé ?

Pour résumer, les programmateurs sont très enthousiastes, et les directeurs techniques très réticents.
Arthur : C’est vrai qu’au début, c’était compliqué à mettre en place techniquement. Mais, au fil des années, des gens autour de nous sont vraiment parvenus à simplifier le dispositif. Donc aujourd’hui, même des assos bien motivées peuvent nous faire jouer. Ce n’est plus du tout insoutenable.

Pour finir, est-ce qu’il y a des groupes/artistes qui font l’unanimité au sein de la Colo ?

JB : AC/DC peut-être ? (Rires)
Greg : A mon avis, Slayer fait l’unanimité.
Arthur : Ah non, Éric [NdR, Pasquereau, de Papier Tigre et Patriotic Sunday] ne va pas être d’accord. En fait, Je ne pense pas qu’il y ait de groupe qui fasse l’unanimité au sein de La Colo.
JB : Et c’est ça qui est chouette au final. Même si on est assez différents, on arrive quand même à faire de la musique ensemble.

Photo homepage : Eric Pollet
Photo header : Romain Etienne
Photos live article : Céline Non


Pas de commentaire

Poster un commentaire