06 Mai 22 Kurt Vile préfère être slacker que coincé
Kurt Vile s’est assuré une place de Héros des Stoners depuis maintenant presque 15 ans, et son nom est quasiment synonyme de royauté au sein de la famille du rock indie. Sans aucune contestation possible. Mowno a pu discuter avec lui de son huitième album solo (watch my moves), preuve d’ailleurs que sa nonchalance n’est décelable que dans sa dégaine. Posé dans un hôtel près de Montmartre, casquette ‘I’d rather be listening to Steely Dan’ vissée sur le crâne, Kurt Vile est apparu fidèle à lui-même : un être humain profondément avenant et sympathique sous une couche d’anxiété sociale. S’excusant presque parfois de ses réponses lapidaires, il n’en reste pas moins que l’artiste laisse une impression durable. Pretty pimpin’.
(watch my moves) a été partiellement enregistré chez toi, dans ton propre studio. Etait-ce un choix délibéré, ou plutôt forcé par la crise pandémique ?
Kurt Vile : J’avais de toute manière l’intention d’avoir un studio chez moi. C’était le plan. Et puis la pandémie est arrivée, ce qui a ralentit la construction, beaucoup plus longtemps d’ailleurs que je ne l’aurais pensé. En revanche, ça m’a assuré que j’allais beaucoup enregistrer chez moi. Donc pour être honnête, j’étais dans les deux cas : c’était un choix délibéré mais aussi forcé !
Tu veux devenir le Frank Zappa de l’indie rock, maintenant que tu as ton studio chez toi et que tu as la casquette du producteur ?
Peut-être ! Franchement, je passais beaucoup trop de temps à voyager dans les studios des uns et des autres. C’était devenu évident que j’avais besoin d’un endroit à moi pour travailler. Puis, après tout, c’est ce que je fais dans la vie donc ça se justifie…
Tu as utilisé le terme ‘fried pop’ pour décrire ton nouvel album. C’est pour montrer ton amour de la pop mélodique mais aussi de la musique plus expérimentale ?
Oui, totalement. C’est exactement ça. Je fais un petit peu de cuisine pour rendre le tout psychédélique !
C’est pour cette raison que tu aimes les groupes comme Ween ?
Oui ! Ween sait composer des chansons tellement belles qu’elles te font pleurer. Et puis l’instant d’après, ça sonne comme du Black Sabbath sous speed. C’est très Philadelphie dans l’esprit. Même s’ils ne sont pas de Philly, mais de New Hope. C’est quand même assez proche.
Tu sembles d’ailleurs beaucoup aimer le cast de freaks que peut proposer Philadelphie. Ta musique est-elle liée à l’étrangeté de la ville ?
Oh oui, définitivement. Je me décrirais moi aussi comme une sorte de freak. J’ai l’impression que ma musique est faite pour les gens obsessionnels.
Tu chantes, tu es multi-instrumentiste, tu produis… Tu aimes donc être le capitaine de ton propre bateau. Est-ce parce que tu veux toujours découvrir de nouvelles choses, ou parce que les compromis sont trop durs à faire ?
J’étais excité à l’idée d’en apprendre plus sur les techniques d’enregistrement et de production, mais je voulais aussi que ça se passe chez moi, avec d’autres personnes capables de faire fonctionner mon équipement dès qu’une occasion se présentait. En fait, ça ne me dérange pas du tout d’être entouré car ça ne m’enlève aucune sensation de contrôle. Je produis toujours, mais j’ai l’avantage de ne plus me retrouver face à des problèmes de compréhension, comme lorsque chacun a une idée différente de ce qui se passe ou de ce qui se dit, ou lorsque des difficultés techniques surviennent. C’est toute une affaire de vouloir jouer et capturer quelque chose, mais aussi de ne pas savoir ce qui va véritablement se passer. Je suppose que c’est cette incertitude qui nous amène à continuer de faire de la musique…
Tu adores collaborer avec d’autres artistes, et (watch my moves) en est un parfait nouvel exemplaire. Est-ce que ce besoin vient de ton amour du jazz ?
En partie, c’est certain. Je rencontre beaucoup d’artistes et de groupes dont la musique m’attire. C’est le cas notamment de Courtney Barnett et de Cate Le Bon. J’admire leur travail, donc je veux en faire des guests sur mes albums même si je n’ai pas vraiment d’idées précises. J’ai juste envie qu’on soit ensemble et de voir où cela peut nous porter.
Concernant le jazz, James Stewart (saxophoniste du Sun Ra Arkestra) apparaît sur ton album. Tu as dû être aux anges…
C’était incroyablement cool, oui. James Stewart est arrivé en mode musicien de session, dans un esprit très jazz. C’est marrant parce qu’il a joué tout un tas de trucs complètement dingues, mais on a finalement gardé les passages les plus simples. J’espère vraiment refaire quelque chose avec lui à l’avenir, c’est une légende.
C’est le jazz cosmique et le free jazz que tu portes dans ton cœur alors ?
Je suis sûr que je vais finir par faire quelque chose qui y ressemble. Je vais y plonger tête la première. J’adore toutes les formes du jazz, mais le jazz cosmique me permet de lire en même temps par exemple. J’aime l’idée que mon écoute me permette de faire plusieurs choses à la fois.
D’ailleurs, tu es un lecteur avide. C’est la littérature américaine ou les grandes figures folk comme Woody Guthrie, John Prine ou Bob Dylan qui ont forgé ton amour des mots et la façon dont tu écris ?
Les deux, assurément ! J’aime tout consommer, j’absorbe comme une éponge. Parfois, tu ne réalises même pas que certaines de tes paroles sonnent comme une autre chanson. Par exemple, je n’avais absolument pas fait le rapprochement entre le titre Like Exploding Stones et les Rolling Stones. Je pense que toutes les personnes qui écrivent lisent beaucoup et font références à d’autres, même inconsciemment.
Penses-tu que la tradition américaine des chansons à textes soit maintenant entre les mains du hip-hop ?
Oui, depuis longtemps. D’ailleurs, j’ai créé une playlist récemment. Je ne voulais pas y dévoiler mes chansons secrètes favorites, mais j’ai quand même ajouté Beneath the Surface de GZA. Sur ce morceau, il surclasse tout le monde. Je suis inspiré par ce genre de hip-hop et par des artistes comme Kendrick Lamar. Je fais du mieux lorsque j’écris mes paroles, mais parfois tu les entends et tu te dis que tu n’es pas à la hauteur. En tout cas, ça me donne envie de creuser encore plus le hip-hop moderne.
Je suis toujours épaté par l’imagerie que tu es capable de faire naître dans mon cerveau quand j’écoute ta musique. Posé près d’un feu de camp avec des potes, une bière fraîche à la main et le désir de refaire le monde. C’est le genre de sentiment nostalgique que tu as aussi en tête quand tu écris une chanson ?
Je n’y pense pas vraiment sur le coup. Mais dès que je joue certains accords, j’ai parfois l’impression de rentrer dans une sorte de rêve. Je suis une personne très nostalgique, surtout ces derniers temps, et ça se ressent sur l’album. Je repense beaucoup à mon enfance et à mon adolescence quand je dévalais les collines en skate, avec mon walkman. La musique de certains groupes me replonge dans ces souvenirs. C’est le cas de Chastity Belt avec qui j’ai collaboré. Je crois que c’est énormément lié à mon amour des 90’s et à la musique de cette période. Même la dance/pop de Technotronic ou Neneh Cherry me met dans cet état.
En parlant des 90’s, trouves-tu insultant le terme slacker qu’on utilise souvent pour te désigner ?
Non, je m’en fous. On m’appelle moins souvent comme ça de toute manière. Je préfère être slacker et stoner que coincé.
Tu sembles très attiré par la musique ambient. Certains passages dans (watch my moves) m’ont d’ailleurs fait penser à des éléments de tes deux premiers albums. C’est le cas ?
Oui ! Je n’ai pas encore commencé à composer entièrement au synthé ou avec des samplers, mais je voulais vraiment capturer ces moments ambient. En plus, le faire dans ma maison me rappelait aussi un ancien chez moi où j’avais toujours l’habitude de jouer ce genre de sons. Là, j’ai enfin un endroit où c’est de nouveau possible.
Je suis devenu instantanément fan de ta musique grâce à la bande-son de la série Eastbound and Down…
Oh vraiment ? Ca a été une opportunité énorme pour moi. C’est probablement la plus grosse réussite de ma carrière ! J’aime beaucoup la chanson He’s Alright, et j’aime le fait qu’elle soit utilisée pour une scène aussi cool de la série.
Du coup, toi, de quelle manière la plus étrange et insolite as-tu découvert de nouveaux coups de cœur musicaux ?
Merde, c’est une bonne question ça ! Quand j’étais en vacances avec ma famille, j’ai entendu dans l’hôtel une reprise samba/lounge de Rhythm of the Night par Groove Da Praia & Anakelly. C’est vraiment bizarre à quel point c’est beau, ça me fait flipper ! Je l’ai directement shazamé ! Après, si on parle juste de coups de cœur récents, il faut que tout le monde écoute Overgrown Path de Chris Cohen. Je n’en reviens toujours pas que quelqu’un fasse de la musique comme ça aujourd’hui. C’est si profond, et sa voix est si belle… En plus, il joue tous les instruments ! Je l’ai rencontré avant que la pandémie nous paralyse, et il a beaucoup contribué à me garder inspiré pendant toute cette période. Il joue d’ailleurs de la guitare sur le titre Jesus On A Wire, et il chante sur Stuffed Leopard.
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