Jonathan Personne est devenu quelqu’un

Jonathan Personne est devenu quelqu’un

Le sympathique Jonathan Robert mène depuis une décennie une carrière d’artiste multi-casquettes à base de musique et d’illustration, à la fois sous son alias Jonathan Personne mais aussi en tant que guitariste/chanteur du groupe montréalais Corridor. Alors que ce dernier entrait en hibernation après le succès de Junior (2019), le musicien insatiable a enchaîné, dans la foulée, les enregistrements et les sorties de trois albums solo. Le dernier en date, simplement intitulé Jonathan Personne, fêtait tout juste son premier anniversaire au moment où a été enregistrée cette interview. En tournée express sur le sol français cet été avec un passage à la Route du Rock où on a pu croiser sa route, l’occasion était donc toute trouvée pour revenir sur cette sortie, mais aussi aborder la question de la créativité musicale et visuelle qui alimente l’univers particulier du Québécois.

Comment se passe la micro tournée de cet été ?

Jonathan Personne : Très bien, le public répond bien. On avait un peu peur pour ces dates-là, car nous ne sommes que trois sur scène, avec Samuel Gougoux derrière la batterie et Mathieu Cloutier à la basse. J’ai une confiance totale en eux, ils sont dans le projet depuis le début. Pour le dernier album, on avait monté le set à cinq voire six musiciens, donc il a fallu faire en mode réduit et arriver à des compromis. On répète beaucoup ensemble et on connaît bien les morceaux, donc ça ne nous a pas pris trop de temps pour réarranger le set, mais il a quand même fallu bosser sur certains arrangements, comme le saxophone.

Avec les difficultés de tourner à l’international pour les artistes, ça n’a pas été trop dur de monter ces quelques dates ?

Ça a commencé avec celle de la Route du Rock, puis Paris s’est greffé dessus. On a essayé d’ajouter d’autres dates, mais en termes de parcours, ça devenait compliqué, d’autant plus que ce n’est pas un moment facile pour tourner. Pour venir en Europe, on doit prendre l’avion et ça nous revient très cher avec le prix des billets. Aux Etats-Unis, c’est à cause des visas. C’est sûr que ça devient de plus en plus difficile. C’est aussi pour ça qu’on tourne en trio. Mais on a eu de belles opportunités cet été, donc on en profite.

Quelles différences et similitudes vois-tu entre les publics nord-américains et européens ?

Avec Jonathan Personne, on a principalement tourné au Canada et on avait aussi fait une date à Paris, mais c’était à l’occasion d’une fin de tournée de Corridor. Sinon, c’est avec Corridor qu’on est venu le plus souvent en Europe, donc ce n’est pas nouveau pour nous. Pour ce qui est des différences, je trouve que le public français, et européen en général, est plus à l’écoute. Les publics sont plus attentifs. Tout à l’heure, j’ai vu beaucoup de personnes avec des sweats Corridor, et d’autres chanter les paroles dans la foule. Ça fait vraiment plaisir de voir ça.

Ton troisième album est sorti il y a un an maintenant. Avec le recul, quel regard portes-tu sur lui aujourd’hui ?

C’est probablement un de ceux dont je suis le plus fier. Je l’écoute encore aujourd’hui et c’est rare que je dise ça. D’habitude, une fois qu’un album est terminé, je le laisse un peu de côté et je considère qu’il appartient au live. Je trouve celui-ci plus abouti, il n’y a rien que je ferais différemment. J’ai l’impression d’avoir pris les meilleures choses de l’album précédent, Disparitions, pour les peaufiner. J’ai essayé d’affiner au mieux mon style. C’est aussi l’album que je choisirais pour faire découvrir Jonathan Personne à quelqu’un qui ne connaît pas. D’ailleurs, c’est en partie pour cette raison qu’il est éponyme. Les deux autres albums sont peut-être légèrement plus spécifiques, un peu niche.

Dans quelles circonstances est né cet album ? J’ai lu que tu avais commencé à travailler dessus assez rapidement après le deuxième…

L’ennui – j’allais dire le problème – avec le projet, c’est que même s’il a commencé en 2015, ça a pris au moins cinq ans pour que le premier album, Histoire Naturelle, puisse sortir. Résultat, j’avais déjà terminé le deuxième à la sortie du premier, et la même chose s’est passée pour le troisième par rapport au deuxième. C’est pour ça que les sorties ont été autant rapprochées. Musicalement, pour ce projet-là, je ne fais pas de compromis. Il y a bien sûr une part de collaboratif, puisque je travaille avec d’autres musiciens qui apportent leur propre touche, mais ils sont à l’écoute de mes idées. C’est vraiment mon propre projet, et je pense que ça va être simple de continuer à produire sous ce format-là.

Justement, généralement en solo, tout est possible. T’imposes-tu des limites, comme une sorte de charte musicale à respecter pour le projet Jonathan Personne ?

Non, il n’y a pas de limite. Ce qui est cool avec le projet, c’est que je peux vraiment m’aventurer dans des arrangements qui me plaisent beaucoup, comme le mellotron, des fausses orchestrations, les techniques de sampling… J’ai entièrement la main dessus, alors que ce sont d’habitude des choses que je délègue un peu plus dans Corridor.

Tu as travaillé sur ce troisième album dans un chalet dans les Laurentides pendant la pandémie. Comment dirais-tu que cet environnement a influé sur tes choix d’écriture, de production pour l’album ?

C’était en effet pendant la pandémie et il n’y avait pas trop le choix, donc je n’ai pu que m’isoler. J’étais dans mon chalet à cette période, en pleine forêt : un achat judicieux avant la pandémie et les restrictions (rires). Là-bas, j’ai du matériel pour enregistrer, des instruments… D’ailleurs, le prochain Jonathan Personne a été enregistré dans ce chalet, ça va être sa particularité. Oui, lui aussi est déjà prêt (rires). L’endroit m’inspire beaucoup. Ce qui me plaît le plus dans cet environnement, c’est l’espace, marcher, être entouré d’arbres… J’aime la ville, j’y vis aussi, mais je lui préfère le côté méditatif de la nature, qui calme l’esprit.

Quand tu composes, est-ce que tu te laisses le champ libre selon ton inspiration et tu décides ensuite pour quel projet ira le morceau ?

Ce n’était pas le cas quand j’ai commencé à composer puis, au fur et à mesure, j’ai récupéré à mon profit ce qui ne fonctionnait pas pour le groupe. Quand je commence à travailler sur une idée, c’est toujours un peu vague, mais ça prend aujourd’hui peu de temps pour décider dans quelle direction et vers quel projet le morceau va aller. Ce n’était pas évident à l’origine, maintenant ça va plus vite.

La guitare électrique est ton instrument de prédilection, mais tu ne joues pas que de ça. Quel est ton parcours de musicien touche-à-tout ?

Ça doit faire quinze ans que je joue avec la même guitare. C’est l’instrument qui m’a fait aimer la musique, et qui m’a permis de commencer à en jouer avec d’autres personnes. J’avais appris le piano avant, qui m’a forgé l’oreille et me permet aujourd’hui de bosser sur les arrangements, mais c’est avec la guitare que tout s’est enclenché, vers 13-14 ans. Ça aide à rencontrer du monde, te faire des potes, t’exprimer… C’est cliché, mais la musique c’est avant tout un exutoire. Avec le temps, j’ai appris à jouer d’autres instruments, mais honnêtement je suis super mauvais dans ce qui est rythmique, donc je laisse cet aspect à mon batteur, que je connais de longue date. Pour mes démos, je fais quelque chose de simple, parfois sans rythmique, et mes musiciens comprennent vite où vont les morceaux.

Tu traites souvent la voix comme un instrument. Du coup, quand tu chantes en studio ou en live, dans quel état d’esprit es-tu ? J’imagine que ce n’est pas la même chose de chanter et d’être mis en avant comme chanteur, que chanter pour sonner comme un instrument…

J’aime la façon de chanter un peu évasive, ça se fond mieux dans la musique. Depuis longtemps, j’aime jouer avec les effets. Je trouve qu’en appliquer plein avec la langue française est intéressant. Avec les années, j’essaie de travailler ces aspects-là. Ça reste finalement un traitement comme un autre, comme l’autotune ou le vocoder. J’aime aussi beaucoup bosser en superposant plein de couches de voix – mais aussi d’instruments – pour donner de l’ampleur.

Tu es aussi un artiste visuel, c’est d’ailleurs toi qui t’occupes de l’image liée à ta musique. Est-ce que la musique influence le visuel, ou est-ce que c’est l’inverse ? Comment les deux s’articulent ?

Je faisais beaucoup d’illustrations avant, de l’animation 2D en particulier puis, de fil en aiguille, j’ai fait des affiches, des pochettes d’albums, et quelques clips en animation pour des amis qui m’ont présenté à la scène musicale à Montréal. Dans un premier temps, ça m’a permis d’être reconnu dans le milieu en tant qu’illustrateur. J’associe beaucoup la musique aux images, donc je trouvais ça cool d’apporter des illustrations à des groupes. Puis quand j’ai commencé mes propres projets musicaux, je me suis fait plaisir. Le champ est vraiment très large dans ces conditions, en particulier pour le projet Jonathan Personne. Pour le dernier album, il n’y a pas de thématique particulière. Je trouve que l’album dégage un côté assez naïf, mais aussi assez fataliste. J’ai vraiment aimé faire le croisement des deux.

Pour ce qui est des textes, qu’est-ce qui inspire tes paroles souvent marquées par la mort, la solitude, la nostalgie ?

J’aime les trucs contradictoires, anachroniques. Je pense que c’est ce qu’il faut faire pour obtenir quelque chose d’unique : croiser les opposés et les genres.

D’ailleurs, les trois morceaux de ton dernier album que tu as clippé sont vraiment cools. Je pense notamment au clip d’À Présent, qui mélange une esthétique entre jeu vidéo et roman graphique. Comment fais-tu les choix esthétiques pour les vidéos ?

Oui, celui d’À Présent est magnifique. Parmi tous ces clips, je n’en ai réalisé qu’un, celui d’Un Homme Sans Visage, ce qui est une première car j’ai laissé tomber ça il y a plusieurs années. À l’époque de Disparitions et Junior, je m’occupais de tout et ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. J’ai donc commencé à déléguer pour les clips. Il a fallu que je mette de côté mon travail dans le visuel, notamment quand la musique a commencé à prendre de la place. Je ne pouvais clairement pas faire des semaines de 80 heures (rires). Ça m’a permis de me concentrer plus sur la musique mais quand je reviens à l’illustration, c’est plus pour mes propres projets. Je me sens plus libre donc, aujourd’hui, je prends le temps de chercher avec qui collaborer. Je suis super content des personnes avec qui j’ai travaillé sur les clips du dernier album, Mathieu Larone et Henry McClellan. Ils viennent du milieu de l’animation aussi, donc on se comprend bien.

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