Jonathan Personne, à bas la frustration

Jonathan Personne, à bas la frustration

Comme porté par la renommée grandissante de son groupe Corridor signé l’an passé sur le mythique label Sub Pop, Jonathan Personne n’en finit plus de révéler au grand jour ses talents de songwriter. Sans l’ombre de ses acolytes, c’est seul – et même sans le vouloir vraiment – qu’il capte les lumières des projecteurs à l’occasion de la sortie de Disparitions, un nouvel album sur lequel il laisse libre cours à ses propres inspirations. Confiné chez lui à Montréal, c’est en visio qu’on a pu échanger pendant près de 30 minutes avec cet artiste complet, des plus humbles bien qu’il soit pleinement conscient de ses multiples talents. Retour avec lui sur la genèse de ce parcours solo, la difficulté de mener confortablement sa vie de musicien, comme sur son rapport à l’image, clé de voute de son oeuvre.

Qu’est-ce qui t’a motivé à te lancer dans une carrière solo alors que Corridor commençait tout juste à se faire un nom, jusqu’ici en France ?

Ça n’a pas été du tout une décision carriériste. Je fais de la musique de façon irréfléchie, spontanée, donc j’arrive avec des morceaux souvent nés d’une envie de composer différemment. A plusieurs, on est confronté à certaines frustrations, tes idées peuvent se retrouver diluées par rapport à ce que tu avais en tête, puis il faut aussi respecter le rythme du groupe. En parallèle, j’avais envie de concrétiser moi même toutes les idées que j’avais accumulé au fil des années. Le premier album m’a demandé trois ou quatre ans à sortir, du coup le deuxième était déjà entamé. Mais l’idée n’a jamais été de me lancer en solo et de m’accaparer les projecteurs (rires), je voulais juste concrétiser ce que j’avais en tête pour ne pas être frustré. Je ne me voyais pas me contenter des tournées et attendre plusieurs années un prochain album de Corridor.

Je trouve que Corridor a passé un cap l’an dernier avec Junior, et on peut constater une évolution similaire entre tes deux albums solo. De ton point de vue, existe t-il une vraie corrélation entre ces deux projets ?

J’ai l’impression que les deux sont un peu calqués, que mon prochain album solo va suivre le même cheminement que Corridor avec Junior, notamment parce que je traverse un peu les mêmes erreurs de parcours.

Du coup, arrives-tu à faire facilement la part des choses entre les deux ?

Ça se fait assez naturellement. Parfois, dans ma tête, c’est même évident que telle ou telle idée se destine à Corridor ou à Jonathan Personne. En solo, je livre des choses plus intimes, je m’attarde moins sur la structure des morceaux. D’ailleurs, ils pourraient être interprétés à trois, cinq ou sept musiciens si je le voulais, alors que Corridor pourrait difficilement être joué en formule réduite. Aussi, les influences sont définitivement différentes, la preuve puisque j’ai eu envie d’aller ailleurs avec Jonathan Personne.

Comme sur Histoires Naturelles, le chant en français est mis en arrière plan, comme si tu ressentais une certaine pudeur à dévoiler tes textes. C’est un parti pris, contredit d’ailleurs par Grand Soleil qui est un peu une exception avec un chant mis en avant par une composition plus épurée…

C’est quand même l’album ou j’ai mis le moins d’effet sur ma voix, ou elle est le moins dissimulée dans le mix. Ce n’est pas quelque chose qui me dérange. Si tu as besoin de prêter attention aux textes, tu peux réécouter plusieurs fois jusqu’à finir par le comprendre. C’est un peu la même chose que pour un chanteur de death metal, d’opéra ou de rap. La compréhension n’est pas immédiate et ce n’est pas quelque chose qu’on leur reprocherait. En studio, au moment du mixage, on s’attache à ce que le chant dégage, pas à ce qu’il dit.

Néanmoins, est-ce que, à l’image de Grand Soleil, tu auras envie de le mettre plus en avant sur ton prochain album ?

Je ne suis pas un chanteur à la base. Je suis guitariste, je touche un peu à tout, il faut donc mettre en avant ce qui t’avantage le plus. Avec les années, je prends de l’assurance et tant mieux, mais je ne miserais pas tout sur le chant au risque de n’être qu’à moitié intéressant. C’est l’ensemble qui est intéressant, qui en tire une certaine singularité. Il y a tellement de groupes anglais ou américains qui mixent de la même façon… J’admets que mon approche est un peu spéciale, un peu moins explorée dans le décor francophone. Depuis sept ou huit ans et les débuts de Corridor, on doit tout le temps justifier ça mais, au fil du temps, j’ai compris tout le poids que la chanson française a accumulé au fur et à mesure des années, et aussi tout le formatage qui va de pair.

Tu parles beaucoup d’un mal être que tu as ressenti en 2019, année la plus faste de ta carrière avec la signature de Corridor chez Sub Pop notamment. En tant qu’artiste, est-ce qu’il n’est pas finalement difficile de vivre et d’assumer un statut après lequel on a longtemps couru ?

C’est sur que c’est difficile, ça met une grande claque. De mon côté, c’était une sorte de surmenage, ce qu’on peut appeler un burn out. Pendant plusieurs années, j’ai beaucoup travaillé dans l’illustration, l’animation, la réalisation de clips pour pouvoir vivre, et la musique a toujours été un hobby. Elle a soudainement pris de l’ampleur dans ma vie, on est devenu considéré avec notre arrivée chez Sub Pop, et j’ai eu l’impression que mon futur changeait, que dorénavant je serais musicien, que je partirais tant de temps en tournée par an… Ça m’a fait un choc parce qu’on avait déjà pas mal tourné avant, on a enchainé l’enregistrement de Junior, puis il y a eu la sortie de mon premier album… En parallèle de ça, je n’ai pas pu ralentir ce qui me faisait gagner ma vie jusque là. Tout est arrivé en même temps, donc il a fallu que je prenne des distances, que je m’écoute. On a donc fait une pause à l’été 2019.

Du coup, le confinement est plutôt ‘bien tombé’ pour toi…

Oui et non parce que je me suis remis à travailler ma musique. Les choses se sont juste un peu moins accumulées, ce qui devenait problématique. J’ai donc appris à dire non, j’ai refusé quelques propositions de contrat d’illustration, j’ai eu une discussion avec les autres membres du groupe pour leur expliquer qu’il fallait espacer les tournées, qu’il fallait les limiter à un certain nombre de semaines par an. J’ai la chance de faire ça avec des amis de longue date qui ont été très compréhensifs. On a donc repris à l’automne hiver 2019, et ca se passait plutôt bien au moment ou on nous a confinés.

Autour de quels thèmes l’inspiration te vient le plus facilement quand tu écris ?

Pour le premier album, j’ai beaucoup tourné autour de la fin du monde pour y dépeindre un certain univers. J’y ajoute une sorte de romantisme parce que je sais que mes chansons peuvent avoir un côté mélancolique, nostalgique, voire un peu dark. C’est un moyen d’y mettre un peu de lumière. Je joue sur les émotions qu’une mélodie peut dégager, qui vont me rappeler telle ou telle situation vécue. Mon écriture est assez automatique et je fais attention à ce que mes textes puissent être interprétés différemment selon les personnes. Les chansons appartiennent à ceux qui les écoutent et qui se les approprient. Cet aspect là du travail me plait beaucoup.

Personne et Evidemment, les deux parenthèses de ce dernier album, ont un côté très cinématographique. Est-ce que composer pour le cinéma serait un aboutissement pour toi ?

Oui, c’est sûr que c’est quelque chose que j’aimerais faire. Il faudrait juste que je trouve comment y accéder (rires). Cet aspect cinématographique, je voulais vraiment qu’il se ressente à l’écoute de l’album, plus encore que dans tout ce que j’ai fait jusque là ou on pouvait déceler aussi ce genre d’ambiances, y compris chez Corridor. On le note aussi dans la ligne narrative qui relie les chansons, plus solide que dans mes précédents travaux. Personne et Evidemment sont, à ce titre, des morceaux qui se répondent. Je travaille beaucoup avec l’image. D’ailleurs, j’écoute de la musique quand je travaille l’image. Je les associe souvent, je fais pas mal de pochettes ou de booklets par exemple. Aussi, quand je compose, je visualise beaucoup la musique, ça appelle chez moi des couleurs, des dessins, des tableaux. On appelle ça la synesthésie. Prince était comme ça aussi (rires).

Corridor, Jonathan Personne, Pottery, Chocolat, Population II… Il y a une forte émergence de la scène québécoise. Ici en France, on ne parle plus seulement de Montréal pour Arcade Fire ou le label Constellation. Comment ressens tu cela à ton niveau ?

Je ne m’en rends pas trop compte parce que je n’ai pas ce point de vue français. Nous sommes tous des groupes amis, avec qui on partage la scène depuis longtemps. Personnellement, je ne suis pas le plus investi dans une scène en particulier, contrairement à Dominic de Corridor qui va voir beaucoup de concerts différents, au sein de différents cercles… Ça se développe au fil des shows et malheureusement, ces derniers temps, je n’ai pas pu en faire beaucoup. Mais il y a beaucoup de sorties, pas mal de choses qui se passent, de plus en plus de groupes francophones qui s’exportent.

Sais tu déjà à quoi vont ressembler tes prochains mois, malgré le contexte actuel ?

L’album est sorti, la promo se passe bien donc c’est bon signe. Je suis satisfait d’avoir accompli tout ça sans l’aide d’un gros label. On va retourner en studio d’ici peu. Puisqu’on ne peut pas faire de concerts, que les tournées ne sont pas pour tout de suite, on va enregistrer des albums. Ça ne me déplait pas.

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