JB Hanak, la peur du vide

JB Hanak, la peur du vide

Il suffit d’avoir lu quelques interviews de dDamage pour savoir que les hyperactifs frères Hanak ont toujours été de bons clients dès lors qu’ils prenaient la parole. Des anecdotes à n’en plus finir, des coups de sangs aussi drôles qu’imprévisibles, des histoires à dormir debout, la fratrie en a accumulé tout au long d’une carrière qui s’est soudainement stoppée au décès de Fred il y a maintenant un peu plus de trois ans. Pour autant, et après quelques mois difficiles, son frère JB n’a pas délaissé ses nombreux projets. Plus actif que jamais, le parisien avance comme pour mieux digérer : à ses peintures qu’il expose, aux collaborations musicales qu’il multiplie, aux albums qu’il réédite succède son premier roman, Sales Chiens, paru ce 5 janvier chez tous les bons libraires. L’occasion pour lui de concrétiser un projet de longue date, de graver dans le marbre des souvenirs susceptibles de devenir flous; et pour nous d’échanger une nouvelle fois avec un artiste à part entière qui, pour la première fois peut être, se montre aussi drôle que touchant.

Tu as vécu des derniers mois aussi excitants que difficiles. D’abord, comment vas-tu ?

JB Hanak : Ça va à 300km/h. J’ai un album qui sort l’an prochain, je fais l’artwork et il y a un travail colossal car la sortie se fera en parallèle de ma prochaine expo. Et je suis super en retard là-dessus. La promotion de Sales Chiens commence en même temps que celle pour la réédition de Radio Ape de dDamage chez Ici d’Ailleurs. Nous devons monter plusieurs événements pour la sortie du roman, une release party, le gouvernement a décidé de tout reporter. Je suis super heureux et super énervé en même temps, j’ai arrêté de fumer il y a peu, ça va bien, j’ai envie de tout casser.



Tu es musicien, peintre, tu as récemment collaboré avec Pierre Richard, composé la musique d’un film érotique avec Brigitte Lahaie… Maintenant, tu signes ton premier roman. Si la musique t’a fait connaitre, est-ce désormais une ambition pour toi d’être considéré comme un artiste complet ?


Au tout début de dDamage, je faisais déjà pas mal de trucs à côté. Dès la signature en Angleterre chez Planet-Mu début 2000, pour notre album Radio Ape, nous avons senti que notre carrière était sur le point de décoller. Pour le coup, j’ai laissé de côté toute ambition artistique solo afin de me consacrer à 100% à dDamage. Il me fallait saisir cette chance extraordinaire sans m’éparpiller. Je faisais déjà beaucoup de peinture et j’écrivais aussi à l’époque. Cependant, je pratiquais dans mon coin sans désir de carrière. Tout ça s’est débloqué progressivement, une quinzaine d’années plus tard et cela continue encore à porter ses fruits. Les choses se font naturellement.

Le décès de ton frère Fred a t-il été le déclencheur de cette hyperactivité artistique, et donc de ce projet de roman ? Comme s’il te fallait avancer à tout prix, écrire tout ça pour ne jamais oublier, peut être aussi pour contribuer à faire ton deuil…


J’ai toujours été hyperactif. Tant en musique que dans d’autres domaines. J’ai commencé à écrire ce livre des années avant la mort de mon frère. C’était une écriture anarchique, au quotidien. Ce n’est pas le décès de mon frère qui a déclenché tout ça. Par contre, après sa mort, il m’est devenu impératif de faire quelque chose avec ce texte. Il nous est arrivé énormément de choses, toutes plus dingues les unes que les autres; j’ai toujours écrit car avec les années, l’accumulation, les excès, tout devient flou. Je ne sais pas si ça va m’aider à faire mon deuil. Mais si je peux au moins laisser une trace de l’aventure ahurissante des frères Hanak – ouais – c’est toujours ça.

Dans quelle mesure la musique a rendu votre relation fraternelle si particulière ? Comment en êtes-vous arrivés à faire de la musique tous les deux ? Dans quelles circonstances avez-vous débuté ?

Fred et moi, on a commencé à faire de la musique ado, dans notre chambre chez nos parents. Les voisins tapaient aux murs et nos parents s’engueulaient. Nous étions dans la chambre du fond et on foutait un bordel incessant, les prises de chant hurlées, l’ampli guitare à fond, la boite à rythme passée dans la disto : on se marrait. Je possède des heures d’enregistrements cassette de cette époque (entre mes 13 et mes 17 ans). C’est totalement insortable et je me garde ça pour moi lorsque je termine bourré à 5H du matin : j’écoute ça tout seul en me marrant comme une baleine. Je pourrais te répondre ‘Quelque chose de magique était en train de se créer, on tenait un truc‘, mais pas du tout : on faisait absolument n’importe quoi, on s’en battait royalement les couilles et on cherchait même pas à sortir nos conneries dans le commerce. Le truc, c’est qu’on kiffait et on se marrait à en chialer. Et puis après, on a jamais voulu s’arrêter. On a fait ça pendant des années avant de faire notre premier ‘vrai’ disque. A force de travail, on a fini par tenir un truc solide. Donc on a poussé et c’est devenu dDamage. C’est devenu très sérieux, mais on a continué de rigoler. Fred est la personne avec qui j’ai le plus ri de toute ma vie – et c’est un des trucs importants que je voulais faire apparaître dans mon bouquin. Je veux que le lecteur se marre avec nous. C’est infiniment plus important pour moi qu’une relation unidirectionnelle pour fans admiratifs.

Ton livre mélange réalité et fiction. Je n’ai d’ailleurs trouvé aucune preuve de l’existence des protagonistes. Est-ce que tu les as renommés, ou les as-tu imaginés ? Si c’est le cas, pourquoi les avoir rendus anonymes ?


Gino est librement inspiré de Giovanni Marks (Subtitle), Kurt de Courtney Gibson (Existereo), Dèbe de Debmaster (Julien Deblois). Ce ne sont pas à 100% eux. J’ai voulu respecter une certaine unité : ces trois personnages sont inspirés de plusieurs personnes croisées durant notre carrière. Je ne pouvais pas faire un truc indigeste en mettant tout le monde dans le bouquin. Si j’ai ensuite choisi de les incarner au travers de ces trois personnes, c’est pour rendre hommage à des compagnons de route avec qui nous avons tissé des liens forts.



Est-ce en partie pour cette raison qu’on parle de Sales Chiens tel un roman plus qu’une biographie ? Est-ce aussi parce que la carrière de dDamage n’y est pas abordée en intégralité ? C’est d’ailleurs la frustration qui peut nous emparer à la fermeture de ton livre…


Il y a aussi une question d’unité de lieu et de temps. Pour exemple, j’ai ramené la tournée en Italie sur 5 dates alors qu’il y en a eu 12 en réalité. Tout raconter aurait été rébarbatif, l’idée étant de faire ressentir au lecteur le pénible d’une tournée de groupe indé. Une fois l’ambiance posée, il m’est paru inutile de raconter 12 fois la même journée. C’est exactement comme je l’expliquais précédemment pour les personnages : en suivant scrupuleusement la réalité, j’aurais fait trop long, avec trop d’endroits et trop de monde. J’insiste sur le fait que j’ai écrit un roman, c’est ce que j’ai toujours voulu faire et il ne s’agit pas d’une biographie. C’est ce qui peut éventuellement frustrer les fans les plus assidus de dDamage. Cependant, mon idée avec ce livre est vraiment d’ouvrir ‘les aventures de Fred et Jb’ à un public plus large que celui qui écoute notre musique. Et par ailleurs, si un jour une biographie de dDamage doit sortir, ce n’est pas moi qui l’écrirai mais Sébastien Charlot, biographe officiel de la famille Hanak.

Tu avais déjà abordé quelques anecdotes relatées dans ce livre via divers médias comme le nôtre. Je me suis longtemps demandé si l’histoire du squat londonien était réelle tant elle est dingue ! Donc pas de mytho chez dDamage ?


La partie ‘romancée’ est liée à la volonté d’écrire une histoire qui se lit comme une aventure. A part ça, tous les éléments racontés dans mon livre sont véridiques. On pourrait dire ‘roman inspiré de faits réels’. Pour la Kraked Squatt Party, elle a bien eu lieu à Acton, Londres, en 2003. Je rêve qu’un jour un documentaire soit réalisé sur cette soirée illégale : j’en ai donné ma vision dans Sales Chiens, mais chaque personne ayant été présente ce soir là possède son propre témoignage (et nous étions des centaines). Tu pourras lire sur le compte Flickr de Max Nathan : ‘Kraked party in an old supermarket, nw london 2003. everyone get arrested at the end‘. Sincèrement, tout ce que je raconte sur cette soirée est vrai. C’est tout simplement la soirée la plus dingue, la plus sauvage, la plus illégale, la plus décadente et la plus irréelle de ma vie. C’est ce qui se rapproche le plus d’une vision d’Apocalypse de tout ce que j’ai vécu : une rave-cambriolage de supermarché, qui a duré sept heures et s’est terminée en incendie. J’ai d’ailleurs coupé des passages descriptifs, il y a trop de choses à raconter sur cette soirée. Récemment je parlais avec Michael Salmon, l’organisateur qui a terminé en taule, et je lui disais qu’il fallait absolument collecter le maximum de témoignages en intw sur cette soirée. En cette période de crise sanitaire, je crois que ça devient même nécessaire, tellement ce genre de chose est impossible aujourd’hui : cette rave est un témoignage extrêmement puissant d’un esprit libertaire qui a été progressivement tué (et super violemment achevé ces dernières années). J’ai fait un grand nombre de soirées dingues dans ma carrière, mais celle là se trouve à des années lumières au dessus de toutes.

Il y a quand même des histoires incroyables dans ce roman. Je pense à la Cammora en Italie, le concert déguisé. Vous sachant capables de tout, et sans spoiler, ces deux anecdotes sont-elles réelles ?


Avec Fred nous avons fui la Cammora. Il n’y a rien d’héroïque, nous ne l’avons jamais rencontrée ! On s’est barrés en courant lorsqu’on a appris qu’ils venaient pour nous dépouiller. C’est ce qu’aurait fait n’importe quelle personne sensée dans cette situation. Sinon, le concert masqué est une histoire qui nous est vraiment arrivée au Bachelor, un club situé à Fano en Italie. C’est une histoire de fou, mais il fut une époque durant laquelle ça arrivait parfois. J’ai même un pote qui a joué avec son groupe (un duo d’electrofunk) dans une soirée où l’organisateur a fait croire au public qu’il s’agissait de Daft Punk : c’était au début des années 90, avant que les Daft ne deviennent des superstars. Le plus drôle c’est que mes potes n’ont appris la supercherie qu’après leur concert.

Tu sais que tu ne donnes pas trop envie de tourner en Italie avec tout ça. C’est comment là-bas, en vrai, pour les musiciens français ?


J’adore l’Italie. Nous avons joué au Brancaleone de Rome avec l’équipe du Batofar et cette date fait partie des plus beaux souvenirs de notre début de carrière. Nous avons passé trois jours de rêve à Rome et le soir du concert, nous avons littéralement atomisé une salle de 2000 personnes. La nourriture, la musique, le cinéma, la littérature, les rencontres… Je suis fou amoureux de l’Italie. Quelques années plus tard, nous sommes repartis la fleur au fusil et notre seconde tournée là-bas fut un véritable enfer. Notre carrière a toujours été en dents de scie : nous avons fait des concerts incroyables et des concerts de chien galeux Fred et moi. Certains de nos disques étaient des succès, d’autres des échecs… Nous avons à peu près tout connu de cette scène, que nous avons parcouru pendant vingt années non stop. Têtes d’affiches dans les plus grands festivals français, statut mythique au Japon, la gloire, le succès ; on repartait le mois suivant pour jouer dans des squats de punk à chiens ou dans des bars avec baston générale à la clé. Il aurait été pour ma part triste de tirer un portrait condescendant de notre groupe en donnant au lecteur uniquement les côtés glorieux. Mon frère aurait détesté ça. Tu sais que mon frère et moi nous sommes mi-slaves, mi-algériens. Nous avons le sang chaud, j’ai naturellement opté pour le rocambolesque : parce qu’il y a plus de vie, il y a plus d’action, plus d’éclats de rire et de liens qui se resserrent. Tout ça est – je crois – bien plus intéressant qu’une biographie d’un artiste qui se branle sur ses heures de gloire.

Il y a quelque chose auquel je crois dur comme fer, c’est à votre côté freestyle, j’aurais envie de dire ‘presque ingérable’. C’était plus fort que vous ? C’était ajouter de l’adrénaline à l’adrénaline ?

Merci. Ca me fait très plaisir. Je ne peux pas ajouter grand-chose de plus. Nous étions comme ça naturellement.

Et ce chien, Ourko ? Pourquoi l’avoir choisi comme fil rouge ?

Ce truc de personnage imaginaire est présent depuis notre enfance. C’est Fred qui a instauré ça. Un jour, par un ami, il a entendu parler d’un policier qui s’adressait à un chien invisible pour déstabiliser un suspect durant son interrogatoire. Le chien s’appelait Ourko et Fred a pété un plomb. Du coup, il a décidé de l’adopter et il lui parlait tout le temps. C’est un détail qui revenait souvent durant nos tournées.

Tu dis dans ce livre que la musique de dDamage reposait sur la peur du vide. J’ai presque envie de dire que, à en croire les nombreuses péripéties relatées/romancées ici, c’était aussi le cas pour vous deux en tant que personnes non ?


Il n’y a pas de zones de respiration dans ma peinture et mes dessins, tout est saturé de détails. Dans la musique de dDamage, tout cohabite de manière concassée, distordue. Concernant le récit de Sales Chiens, je n’ai voulu aucune pause pour permettre une lecture à toute vitesse. C’est ça la peur du vide. Je ne veux pas une seule seconde durant laquelle il ne se passe rien. Si mon cerveau n’est pas occupé : j’angoisse. Je veux aller le plus vite possible, parce que j’ai pas envie de bloquer – et c’était exactement pareil pour mon grand frère. On a fait ça pour l’ivresse, l’urgence, la puissance. Et puis aussi la saturation d’information, lorsqu’on te parle trop vite en abordant trop de sujets en même temps, un truc qui te donne le tournis et qui fait vriller ton cerveau : pile au moment où tu ne comprends plus rien, tu regardes ton frère dans les yeux et tu exploses de rire. C’est exactement comme de la drogue, la surcharge d’informations qui fait tourner le cerveau trop vite. J’ai peur du vide mais je cours après les vertiges, je veux le vertige, je vis pour le vertige. J’ai peur d’une vie trop vide, c’est surtout ce vide là qui me fait peur. Aujourd’hui mon frère n’est plus là et il a laissé un immense vide, j’ai peur de ce vide là aussi. Tu comprends mieux de quel vide je parle ? Certaines personnes le remplissent de nourriture, de sexe, d’alcool, de drogue, clope, fric ou je ne sais quoi encore. Tout le monde possède son vide insatiable et effrayant au fond.

Vous rééditez Radio Ape de dDamage sur le label Ici d’Ailleurs. Est-ce que la disponibilité de votre discographie sera désormais ton cheval de bataille ?


Je suis très heureux de travailler avec Stéphane Grégoire de Ici d’Ailleurs car c’est quelqu’un dont j’ai toujours admiré le travail. Cette réédition est absolument magnifique et c’est un vrai bonheur de voir l’album ressortir dans d’aussi bonnes conditions. Je ne sais pas quoi répondre d’autre à ta question car pour la suite il va me falloir du temps et beaucoup d’énergie.

Au delà de dDamage, quels sont tes projets dorénavant ? Un autre livre ? De la musique?

Je pense au prochain roman, c’est trop tôt pour en parler en détail. Sinon, je sors un album en duo avec Cyril Laurent, un musicien d’Aix en Provence qui est un ami de longue date dont j’admire le travail depuis une vingtaine d’années. Je ne désespère pas de faire des concerts avec Pierre Richard, car nous en avons fait un l’été dernier et c’était génial. Sinon, pour la musique, je travaille de plus en plus avec mon petit frère Cedric Hanak. On avance, il m’a notamment donné un énorme coup de main sur ma dernière B.O. de long métrage. Ça me fait du bien. Je taffe sur un album, Cedric a coécrit un morceau. Il était prévu il y a quelques années que je travaille avec David Perrault (le réalisateur qui a fait Nos héros sont morts ce soir et L’Etat Sauvage). Finalement ça ne s’est pas fait car il a préféré travailler avec son frère, Sébastien Perrault. J’étais vexé. A peine un an plus tard, mon grand frère Fred nous a quitté. Nous avons ensuite déjeuné avec David et je lui ai dit : ‘J’étais vexé sur le coup, mais maintenant je comprends à quel point c’est important que tu travailles avec ton frère‘. J’étais sincère et je le pense toujours du fond du cœur. Dans le cadre d’une relation artistique c’est unique et complètement irremplaçable.

SALES CHIENS
de JB Hanak
A paraitre le 5 janvier 2022 aux éditions Leo Scheer
280 pages – 17 €

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