15 Juil 19 It It Anita, la rage au choeur
Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Quelques heures avant un set en guise de pétage de plomb généralisé, transcendés par un public sautant, slammant et se jetant dans tous les sens, décrit par le groupe comme le meilleur de sa tournée, les quatre membres de It It Anita – Michael Goffard, Damien Aresta, Elliot Stassen et Bryan Hayart – répondaient à nos questions au sujet de Laurent, leur dernier album sorti chez Vicious Circle. Entretien décontracté à Nîmes, dans le cadre du festival This Is Not a Love Song.
Le nom du groupe, It It Anita, a-t-il une origine précise ?
Damien Aresta : Il y a plusieurs histoires. On a commencé le groupe à deux avec Mike (Goffard) en 2012, et on cherchait un nom. A l’époque, on répétait le jeudi matin et le groupe s’appelait… jeudi matin, faute de mieux. Puis un jour, alors que j’étais à une performance avec une vingtaine de batteries, on était tous un peu en transe au milieu des percussions et, au loin, j’ai vu quelque chose d’écrit sur une valise, pas du tout ‘It It Anita’, mais en tous les cas c’est ce que j’ai lu de loin. Je trouvais que ça sonnait bien. Et en fait, c’était la valise de Mike, donc je lui ai envoyé un texto pour savoir ce qu’il pensait de ce nom. Et c’est parti de là.
Donc cela n’a rien à voir avec l’intelligence artificielle dont l’abréviation est I.I.A.A. ?
Ha, non. Ce sera notre prochaine version, sur l’intelligence-intelligence artificielle-artificielle.
Mike Goffard : Ha, c’est pas mal ça.
Elliott Stassen : Prochaine histoire, super !
Mike est crédité comme le compositeur principal de votre dernier album, Laurent. Votre son est pourtant celui d’un groupe qui construit ses morceaux ensemble, lors de sessions de répétitions. Est-ce que tu composes réellement toutes les parties ?
Mike : Il y a un peu des deux. Il y a des titres pour lesquels j’ai eu une idée précise, de A à Z, puis il y en a eu d’autres plus free, avec juste une trame de couplets-refrains et une structure plus ou moins établie, sur lesquels on a un peu joué ensemble et ou chacun a un peu mis son grain de sel. Les paroles sont de moi aussi, et je répartis les parties de chant entre nous quatre.
Vous venez de Liège, tout comme Cocaine Piss, The K, Le Prince Harry… Vu de France, c’est assez dense… Pouvez vous nous parler de ce foisonnement ?
Le Prince Harry habite au dessus du studio de chez Laurent, notre ingé-son. On se croise beaucoup, mais jamais à Liège finalement ! Tout ces groupes n’y jouent pas très souvent…
Damien : J’ai l’impression que c’est cyclique. Il y a eu une vague il y a 20 ans ou l’on parlait beaucoup de Liège, avec les débuts du label Jaune Orange, avec Malibu Stacy dans lequel Mike a joué. Puis il y a eu un creux, des groupes bruxellois comme BRNS ont repris le flambeau, puis c’est revenu à Liège. Je ne sais pas comment on peut l’expliquer.
Bryan Hayart : La rage mon gars, la rage !!! Voilà ce qui se passe, la rage des Liégeois !
Damien : A Gand, en Flandres, il y a toujours eu des choses, mais ça passe moins en France. C’est peut être le langage. Raketkanon qui est de là-bas, c’est énorme. Il y a Brutus aussi. Il y a vraiment plein de choses de Gand, on pourra vous passez des trucs si vous voulez !
Le nom de l’album c’est Laurent, qui est votre ingénieur du son et qui est en photo sur la pochette. Vous avez aussi fait le fameux EP Recorded By John Agnello. C’est comme s’il y avait une volonté de mettre les techniciens au même plan que le groupe…
On voulait mettre en avant le fait qu’il nous suit depuis le début, qu’il fait le son en live, qu’il a façonné le son de l’album. Il y avait une véritable envie de le montrer. Par contre, avec Agnello, on était plus sur le fait de jouer avec son nom. C’était aussi en lien avec un groupe de Lille qui s’appelait Enregistré par Steve Albini. Nous, en blague, on a fait le lien avec Agnello.
Damien, tu es graphiste, et donc tu attaches une importance particulière aux pochettes. La dernière diffère un peu des précédentes…
Damien : En fait, je n’ai pas vraiment une vision graphique des choses, je suis plus sur des concepts globaux. Vu que c’était Laurent, je suis allé chercher dans mes archives argentiques dans lesquelles je puise toujours et que j’accumule depuis des années. On avait pris cette photo l’an dernier alors qu’on était au Canada avec Lysistrata. On savait que l’album allait s’appeler Laurent et qu’on aurait besoin de photos de lui, donc on en a fait plusieurs et on a choisi la meilleure. Elle est peut-être moins graphique que les précédentes, mais c’est pour aller avec le concept global.
Vous aviez fondé votre label Luik Records précédemment, mais finalement vous avez signé chez Vicious Circle. Continuez-vous quand même vos activités de label ?
Je m’en occupe toujours, oui. On fait plein d’autres choses, on fait aussi du booking, du management, mais on avait besoin d’un label plus gros, plus costaud pour ce disque. On a eu la possibilité de rencontrer Philippe de Vicious Circle qui avait déjà sorti Lysistrata. Il nous a vu en live, on avait un album de prêt, alors il nous a dit ok.
Hormis Lysistrata, êtes-vous en lien avec d’autres groupes du label ?
Oui, avec The Psychotic Monks. J’ai été leur tourneur en Belgique, et je suis aussi celui de Troy Von Balthazar, donc il y a quelques liens en effet. Lysistrata, on les voit tout le temps et on joue très souvent avec eux.
Il y a dans votre son, même dans vos clips, une fascination pour les nineties. Est-ce que vous l’êtes aussi techniquement ? Vous enregistrez sur bandes ?
Mike : On est full ordi. On aimerait enregistrer sur bandes, mais ça a un coût. C’est plus complexe. On est sur un ProTools classique, on enregistre en live. Laurent a un très bon studio, avec plein de hardware, de très bons micros. C’est un endroit très cool.
Au niveau des comparaisons récurrentes pour évoquer votre musique, il y a celle avec Sonic Youth qui est une influence assumée et revendiquée. Est-ce que cette étiquette finit par vous fatiguer alors que le groupe prend de l’ampleur et possède son propre son notamment…
Le dernier disque est plus varié. L’influence y est moins évidente que sur les autres. Bryan écoutera peut être plus du nu metal, Elliott du stoner, quand Damien sera plus hip hop. Et moi… peut être du Sonic Youth justement.
Damien : On a tous plein d’influences. Là par exemple, dans le van, on a un vieux Aphex Twin, on a un Deftones, on avait Staff Benda Bilili… On écoute de tout.
Mike : C’est clair que les gros groupes nineties m’ont beaucoup marqué. Toute la série des albums qui ont 25 ans aujourd’hui. Si tu regardes ce qui est sorti en 1994 par exemple, il y a le Ill Communication des Beastie Boys. Il n’y a pas d’équivalent aujourd’hui !
Eliott : Même si tu remontes encore plus loin… Je crois qu’en 1991, tu as eu le Black Album de Metallica, le Use Your Illusion de Guns n’Roses, et le Nevermind de Nirvana. Ça fait beaucoup d’albums classiques, et je ne suis pas sûr qu’on en trouverait autant de 2005 par exemple.
Damien : Est-ce que, dans 25 ans, on considérera un album de Muse aussi culte qu’un album des Beastie Boys aujourd’hui ? Je pense que non.
Elliott : Maintenant, il y a beaucoup de groupes très éphémères.
Mike : On consomme différemment la musique. A l’époque, des disque rock comme Nevermind, il en sortait peut être un par semaine. Maintenant, on doit être à une centaine. Il y a une overdose de musique. En tout les cas, je le vis comme ça.
Est-ce que c’est justement ce qui explique votre productivité ?
Damien : Il y avait peut être un peu de ça avant. On essayait de sortir un truc par an, de faire des EPs plus courts pour avoir constamment une actualité. Ca fait partie du jeu. Mais si, à un moment donné, on parle un peu plus de toi, c’est quitte ou double quand tu reviens. Soit on t’a oublié et t’a loupé le coche, soit on ne t’a pas oublié, et c’est tant mieux. Mais l’idée, c’est qu’il y ait une actualité tout le temps, qu’il se passe toujours des trucs…
Mike : Je crois vraiment qu’il y a trop de groupes. Je ne dis pas qu’ils sont mauvais, mais l’offre est devenue trop grande parce que tout le monde peut faire des chouettes trucs assez facilement d’un point de vue technique, et parce que c’est vachement moins cher qu’il y a 20 ans. Tu peux être diffusé en quelques clics. Quand tu vois tout ce qu’il y a à écouter en une semaine… C’est trop dur, il y a beaucoup de bons albums, on ne digère plus rien. Je ne dis pas que c’était mieux avant, c’est juste plus éphémère.
Si vous deviez décrire la musique de It It Anita à un sourd, que lui diriez-vous ?
Mike : Je ferais des gestes de batterie ! (il mime un batteur surexcité)
Elliott : Non mais tu peux décrire, tu n’es pas obligé de faire des mimes !
Mike : Nous sommes un groupe de rock basique et sincère. On ne fait rien d’extraordinaire mais on le fait de façon vraie. Il y a de plus en plus de concerts dont les productions sont tellement énormes et léchées que tu entends le disque lors des concerts, ce qui est un énorme challenge technique. Moi, ça ne m’intéresse pas. Je trouve ça dommage de ne plus laisser de place à l’imprévu. Tout est lissé, millimétré. L’époque veut ça, prise de risque zéro, tu sais ce que tu veux avoir et tu auras ce que tu veux.
Tu dirais que l’une des caractéristiques principales de It It Anita, c’est d’être constamment dans la prise de risque ?
Oui un peu quand même.
Elliott : Moi, si je devais décrire notre musique à un sourd, je lui dirais que c’est l’équivalent musical de Rocky 4 au cinéma.
Bryan : Moi je ne sais pas, je lui dirais de venir voir et il comprendrait par notre gestuelle. Je crois qu’il arriverait à chopper ce qu’on veut dégager, cette essence scénique quand on est à quatre en train de fracasser une gratte et des fûts…
Elliott : Ou des mecs !
Damien : Je crois qu’en live, même sans entendre, tu sens dans le corps l’énergie qui se dégage… Pas uniquement dans les oreilles. J’allais comparer ça à un match de rugby…
L’essence serait le live, donc. Cela se sent dans vos clips qui sont essentiellement tirés de concerts ou de répétitions…
Bryan : Pas le prochain pour lequel on a contacté un mec de berlin qui a fait grossir sa teub. Il a obtenu un pénis de 35 cm de long, de 14cm de diamètre, et de 4 kilos.
Damien : L’histoire du mec est vraie, mais ce ne sera pas l’objet de notre vidéo ! Non, le prochain clip, c’est sur un inédit – Rushing – qui est seulement au tracklisting du vinyle. Comme ça, les gens l’achètent !
Elliott : On avait une face à compléter, que veux tu !
Vous êtes au festival This Is Not A Love Song. Vous avez prévu d’aller voir des concerts ?
Damien : Oui, on va essayer de voir Stephen Malkmus. Hier, il y avait The Messthetics que j’aurais bien aimé voir, on a raté Poutre aussi…
Elliott : il y a Courtney Barnett que j’aimerais bien voir aussi.
Vous tournez avec Laurent ?
Mike : D’habitude oui, mais là il ne pouvait pas. On est quasiment toujours avec lui. C’est le cinquième homme.
Photos : Yoann Galiotto & Elise Boularan
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