Interview – Villagers, régénérescence programmée

Interview – Villagers, régénérescence programmée

Villagers livre des disques de plus en plus intimistes, comme en atteste la relecture des morceaux proposée par Conor O’Brien en janvier dernier. L’irlandais en profitait pour apporter au décor de sa folk une atmosphère plus ambiant et mélancolique, toujours aussi chaleureuse. En coulisse de son passage à La Route du Rock Hiver, le songwriter nous parle de sa théorie de l’évolution.

Revenons sur ton album ‘Darling Arithmetic‘ sorti en avril 2015. Tu as tout écrit, enregistré, et produit toi-même. Comment le décris-tu ?

Conor O’Brien : Je peux dire que c’est mon album le plus personnel, même s’ils le sont tous d’une certaine manière. Quand tu écris, il y a toujours une sorte de filtre que tu t’imposes entre ce qu’il y a dans ta tête et ce que tu vas poser sur le papier. Pour ‘Darling Arithmetic’, j’ai utilisé des filtres différents.

Quels filtres as-tu utilisé ?

Je pense que, pour les albums que j’ai écrit avant, j’étais très focalisé sur ‘l’après’ de la chanson. J’envisageais déjà tous les arrangements, ce qui a dicté mon processus d’écriture. Avant même de la composer, j’avais en tête quels arrangements j’allais bien pouvoir proposer lorsque je serai sur scène face à des centaines de personnes. J’anticipais, pour la simple raison que je voulais partir en tournée immédiatement, être un groupe de rock. Mais je m’en suis finalement lassé avec le temps. Cette fois, tout a été fait pour l’album uniquement, sans que je me pose de questions sur les arrangements futurs. J’ai mis sur le papier exactement ce qui me venait en tête. C’est ce que je ressens.

C’est pour cela que tu as choisi de tout faire toi-même ?

C’est venu avec le temps. Ce qu’on entend sur l’album, ce sont mes démos. Evidemment, au départ, elles étaient amenées à partir en studio mais, au fur et à mesure, je n’en voyais plus l’utilité. J’ai finalement préféré les enregistrer directement après les avoir écrites. C’est un peu comme si j’avais fait une performance sans avoir agi sur quoi que ce soit.

Tu les as enregistrées dans ta maison… J’ai lu que c’est une petite maison au bord de la mer. Tu as ajouté des sons d’oiseaux aussi… Etait-ce voulu d’y mettre le son de l’environnement dans lequel tu vis ?

Ce n’est pas si petit, je vis avec cinq autres personnes ! C’est comme une maison de campagne, comme une ferme. Je n’ai rien ajouté. J’ai enregistré le disque un été, il y avait le son des oiseaux dehors et je n’arrivais pas à m’en débarrasser, même en fermant la fenêtre. J’ai finalement décidé de les garder sur l’album.

Tu es passé d’un enregistrement maison pour ‘Darling Arithmetic’ à un enregistrement live, sur une journée en studio, pour ‘Where Have You Been All My Life ?‘… C’est le grand écart.

Ça a fait une énorme différence. Pour ce nouveau disque, c’était encore une autre perspective car il y avait du monde dans la pièce, tous les musiciens avec leurs instruments, et on se limitait à une seule prise. Quand on a une seule journée pour tout enregistrer, tu dois faire confiance à tout le monde.

Comment vois-tu l’évolution de ton projet Villagers ? Les musiciens changent… Est-ce important pour toi d’avoir de nouvelles personnes qui se réapproprient tes chansons ?

Oui, parce que c’est facile de s’ennuyer. Je me lasse vite. Pour moi, dans mon petit monde, ce serait idéal de pouvoir faire un album, de partir un mois en tournée, de revenir faire un nouvel album, et ainsi de suite. J’ai toujours besoin de renouveau. J’ai sans cesse besoin de changer un peu mes morceaux. C’est ce que je trouve le plus intéressant. Je dois aussi les tester en permanence pour savoir si le propos que je tenais au départ est toujours valable, si – par exemple – la batterie ne devrait pas être différente, ou si je ne devrais pas changer les rythmes, ou que sais-je encore.

Pour ‘Where Have You Been All My Life ?’, tu as choisi de réenregistrer une sélection de chansons de tes précédents albums. Qu’est ce qui t’a motivé à enregistrer un ‘best of’ des cinq dernières années ? Comment as-tu imaginé le projet ?

J’y ai pensé en tournée, avec mon groupe. C’était la première fois qu’on tournait ensemble. On a ajouté un bugle, une harpe, et le son était vraiment différent de ce que j’avais l’habitude de faire. Je le trouvais assez unique. Je me suis donc dit qu’il fallait capturer ça parce qu’il allait encore évoluer et être différent dans les mois qui allaient suivre. On s’est lancé, en une journée, en dépensant le moins d’argent possible. Au départ, on ne pensait même pas sortir un disque mais on a aimé le résultat alors c’est devenu un album à part entière.

Le morceau ‘Becoming a Jackal’, qui est pourtant un gros single, n’est pas présent. Pourquoi ?

Je n’ai pas joué ce morceau depuis vraiment longtemps, au moins un an, peut être même deux. J’aime bien cette chanson mais je n’arrive plus à la jouer. J’ai l’impression d’être une autre personne quand je la joue. J’ai pourtant essayé de la réadapter, de l’imaginer à nouveau, mais elle dépend tellement de son rythme… Tout est écrit en mesures asymétriques. J’adorais ce genre de rythmes quand je l’ai écrite, mais aujourd’hui ça me stresse de la jouer. Et comme je n’arrive pas à trouver de nouvelle version qui me corresponde, je l’ai un peu mise de côté.

Les anciennes chansons deviennent finalement de nouvelles ?

C’est un peu ça. On peut dire que c’est comme un nouveau document. Je pense que c’est très sain de créer et de se renouveler. Ces enregistrements, c’est comme un album photo. C’est comme quelque chose que tu ne peux pas vraiment voir, c’est une autre version de toi qui les a écrites mais ça marche toujours. L’histoire a une grande importance. Même si ça ne te satisfait plus vraiment, peu importe.

Tu as invité Cormac Curran au piano, Dany Show à la contrebasse, Mali Llywely à la harpe et Gwion Hewelyn au bugle et à la batterie. Qu’apportent-ils aux nouvelles versions ?

Ils donnent de nouvelles et différentes couleurs aux chansons. Beaucoup de nouvelles harmonies vocales aussi. La harpe est un instrument incroyable qui apporte beaucoup de textures. Et le bugle… C’est un instrument très humble. L’opposé absolu du kazoo ou d’un solo incroyable de trompette par exemple. C’est un instrument rare, très modeste, qu’on n’a pas l’habitude d’entendre. Puis ça me rend toujours heureux d’en entendre le son, tout simplement.

Du coup, tu vas te remettre à composer dès la fin de la tournée ?

Oui je vais me lancer dans la musique électronique en rentrant. On verra ce qui va en sortir. Ce sera peut-être même un nouveau projet.

Ce ne sera donc pas Villagers ?

Je n’en ai aucune idée. Si ça sonne comme Villagers, ça le sera oui. On verra bien.


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