16 Juin 10 Interview – Three Trapped Tigers, les 3T mais en mieux
Les Three Trapped Tigers (dont le maxi EP2 figure dans le top ten 2009 de bleep.com) assurent la première partie des bruyants Fuck Buttons à Courtrai en Belgique. Un trio ultra-complémentaire qui dégage une énergie assez incroyable sur scène, en dépit d’une timidité évidente. Entre Battles et Pivot, chacun remplit parfaitement son rôle entre guitare, basse, claviers et surtout un batteur qui n’en rate pas une au milieu de ces télescopages de rythmes syncopés, mélodies intenses et violences criardes. Le temps d’essuyer cette claque et on s’en va les choper dehors pour une interview improvisée…
Tout d’abord, pourriez vous nous présenter le groupe? Pourquoi avoir choisi ce nom là?
Matt: C’est parti d’un bouquin que je lisais pendant que j’étais en tournée avec un pote. Je cherchais un nom de groupe depuis tellement longtemps que, quand je suis tombé sur celui là, je me suis dit qu’il était pas mal. Lui a confirmé, je l’ai testé auprès de quelques personnes en faisant croire qu’il s’agissait d’un autre groupe, et personne m’a dit que c’était un nom de merde. Donc c’est resté. Les deux autres ont pensé le contraire pendant à peu près un an, et on est toujours un peu gênés… Enfin, pas exactement gênés, mais on a mis un moment à s’y habituer. On n’osait pas le dire à voix haute (rires).
En tous cas, c’est très difficile à prononcer pour un français comme moi!
A l’origine, ça vient d’un exercice de diction espagnol: tres tristes tigres.
Et comment vous êtes vous rencontrés?
Je jouais à Londres avec un grand cercle de musiciens, dont Adam faisait partie. Plein de musiciens étaient connectés par ce biais, et on n’a pas tardé à rencontrer Tom grâce aux groupes avec qui on jouait à l’époque. Ca fait à peu près huit ans que je connais Adam, et on a vraiment fait énormément de musique ensemble. On a rencontré Tom plus récemment, ça doit faire quatre ans maintenant. Pareil, on avait beaucoup joué ensemble avant que ne se forme Three Trapped Tigers, mais là Tom avait envie de former un vrai groupe. C’est comme ça qu’on est né.
Je trouve vos sons très complexes: on y entend du rock, du jazz, de la musique expérimentale. En fait, de quel milieu musical êtes vous issus?
Adam et moi même avons clairement grandi en jouant du rock. Quand tu apprends à jouer, tu vas du rock au funk, puis tu passes à autre chose qui fait le lien avec le jazz, et enfin à l’électro et tout cet univers là. Ce que je veux dire c’est qu’on est vraiment passés par plein de styles différents. Tom a grandi en jouant beaucoup de musique classique par exemple. En tous cas, on aime tous des choses très variées. Mais pour Three Trapped Tigers, on voulait surtout jouer de la musique électronique en groupe, et en live. Evidemment, le son rock comme l’influence de tout ce qu’on a fait avant en fait partie aussi.
Vos productions viennent-elles de vos lives, ou est-ce plutôt le contraire?
Avec le « EP2 » comme avec le nouveau « EP3 », on a un peu fait tous les arrangements avant, pour n’enregistrer qu’après. Maintenant, on doit apprendre à jouer tout ça en live! Cependant, pour un album, je crois qu’on préfèrerait arriver avec un vrai travail fini, savoir tout jouer parfaitement, pour ensuite aller au studio et essayer de tout faire presque entièrement live, avec très peu d’overdub et de choses comme ça.
Tom: Le live a toujours été la priorité, puis est venue la pression du moment de passer à l’enregistrement. Tout le monde disait «ah ça y est, vous enregistrez maintenant… « . Bref, on a fini par faire les choses dans l’autre sens, c’est à dire utiliser le temps en studio pour améliorer celui sur scène. Cela dit, comme l’a signalé Matt, pour l’album on voudrait retourner au live pur. On est beaucoup plus expérimenté dans ce domaine, on y prend beaucoup plus de risques. Pour une raison ou une autre, il y a une partie de l’énergie des concerts qu’on ne trouve jamais sur disque. Et les disques, d’autre part, porte plus l’accent sur la production à proprement parler.
Adam: On est arrivé sur disque à des choses qu’on n’aurait sûrement jamais trouvées si on était juste assis là dans une pièce à taper le boeuf. Tu essaies quelque chose, tu vois que telle piste fonctionne bien sur telle autre… Et après tu te dis « merde, maintenant je dois apprendre à jouer ça en live » ! C’est génial, ça.
Vous disiez justement avoir un nouveau morceau très difficile à jouer.
Matt: Oui… Sur une bonne partie des deuxième et troisième EP, j’ai programmé des beats qui pourraient paraître carrément impossibles pour la plupart des batteurs. Heureusement, on a Adam Betts qui réussit à transformer les beats les plus compliqués en quelque chose d’assez faisable sur une batterie. Souvent, on a programmé des riffs et autres parties vraiment impossibles en MIDI, pour après devoir les jouer sur nos guitares et autres instruments. Cette manière de procéder fait que tu arrives à des choses que tu n’aurais jamais trouvé autrement. Etre assis devant un écran d’ordinateur, à bouger les choses dans tous les sens, à les jouer à des vitesses impossibles, je trouve que c’est une manière très créative de faire de la musique live.
Adam: Et je crois que c’est une approche tout à fait valable parce que t’es obligé de te demander ce qui sonne vraiment bien, sans te soucier des contraintes physiques. Et après tu apprends à le jouer. Tout part de ce qui fonctionne musicalement, pour aboutir à une tentative de le faire fonctionner physiquement.
Matt: Pour les nouveaux morceaux, on sait que c’est possible de faire quatre parties pour claviers, vu que Tom et moi avons deux mains chacun! Alors on se retrouve avec des trucs complètement dingues qu’on se retrouve ensuite à devoir jouer. Enfin, en général le plus difficile est pour lui donc ça va!
Selon moi, votre musique sonne un peu comme Battles ou Pivot. Que pensez vous de cette comparaison?
Tom: On est bien obligé de s’en accommoder, vu qu’on entend ça à chaque interview. Personnellement, je ne pense pas que nous trois soyons complètement d’accord avec cette vision qu’ont les journalistes. C’est peut être de la vanité de notre part, mais nous essayons de prendre nos distances avec ce genre de comparaison. Je crois que Battles a rendu service à tout le monde en ouvrant un grosse brèche pour la musique électronique live. Conceptuellement, c’est vrai qu’on joue sur le même terrain, mais je ne vois pas dans ce cas pourquoi on diffère du krautrock, de Kraftwerk ou de groupes comme ça. C’est la même chose: il y a 35 ans, des gens essayaient de faire de la musique électronique sur scène. Alors je vois vraiment pas pourquoi tout le monde veut ramener ça à Battles. Au niveau sonore en tous cas, c’est complètement différent, il y a beaucoup plus d’improvisation, de texture, et puis c’est plus live! Eux sont très axés sur les boucles alors que nous, on a plus tendance à sauter d’une chose à une autre. Beaucoup de ce qu’on fait aujourd’hui est vraiment rapide, on essaie d’avoir des tempos à la drill n’ bass alors que la musique de Battles est plutôt lente, plus proche du hip hop. Moi j’aime bien ces deux groupes, mais ce n’est certainement pas ce qu’on écoutait au moment où nous avons formé ce groupe. Pivot, on n’en avait jamais entendu parler, on ne connaissait même pas avant de commencer. On a fait la première partie de leur tournée au Royaume-Uni, mais ça, c’est une pure coïncidence.
Et leur label, Warp? A t-il tout de même eu une influence sur vous?
Alors là, oui complètement. Les mecs comme Aphex Twin ou Squarepusher ont toujours été énormes pour nous. Dès le début, ça a toujours été quelque chose qu’on ne trouvait nulle part ailleurs. Surtout du point de vue de la batterie: il y a toujours ce rêve lointain d’entendre un truc comme Aphex Twin ou Squarepusher sur une vraie batterie. Les gars qui veulent faire ça en ce moment sont très nombreux, The Dillinger Escape Plan et autres essaient de faire ce genre de chose. C’est vrai que c’est une incroyable source de matière, ne serait-ce que mélodiquement, en termes de création de morceaux, de son complètement perché mais incroyable à entendre… Bon, peut-être pas tout le temps (rires). Donc oui vraiment, ça, c’est une véritable ressource pour nous, bien plus que Battles ou Pivot d’ailleurs. Je pense que la production toute entière de Warp vaut le détour, bien qu’il prennent actuellement une nouvelle direction avec Flying Lotus ou encore Hudson Mohawke. J’adore ce genre de trucs. J’ignore à quel point ça influencera notre musique à nous, mais rien qu’au niveau de la production, c’est vraiment extrêmement réfléchi. Il faut croire que Warp a le don de trouver ceux qui essaient de pousser certains styles musicaux vers l’avant.
Avez vous été approché par ce label?
Pas encore (rires).
Et quel est votre label, d’ailleurs?
On a notre propre petit truc nommé Blood & Biscuits, que notre manager a mis sur pied. C’est là dessus que sont sortis nos trois EP. Par contre, je ne pense pas qu’ils soient disponibles dans les bacs en France, peut être en digital en revanche. Notre troisième EP vient de sortir cette semaine en Angleterre mais je crois qu’on va finir par proposer les trois réunis au téléchargement en Europe. Rien de sûr pour l’instant.
Il me semble que votre second disque figure dans le top 10 des meilleurs EP de 2010 sur bleep.com? C’est même comme ça que je vous ai découverts. Vous attendiez vous à ce genre de succès?
Non, bien sûr que non! (rires). C’est pas le top 10 des ventes, mais des avis… Tu me diras, c’est un succès plus authentique que le succès commercial! C’est vrai que c’était inattendu, et je dis ça alors que j’éprouve beaucoup de difficultés à entendre les compliments. Au bout du compte, c’est sûrement plus sain comme ça, on essaie tous d’avancer en s’améliorant, et puis on est assez philosophes sur ce sujet. Pour ma part, je trouve que notre groupe n’en est qu’aux prémices, même si nous voilà en tournée européenne avec Fuck Buttons… Je n’aurais jamais pu imaginer ça il y a deux ans. Et puis on a l’agent de Aphex Twin aussi: je suis obligé de me reprendre à chaque fois que j’y pense! C’est donc inattendu, mais au fond, on est silencieusement ambitieux. On se sait assez bons en tant que musiciens. Reste à diriger ça en obtenant un son qui ait une vraie valeur, qui soit vraiment valable, et qui s’intègre à l’époque dans laquelle nous vivons. La fusion et le progressif, des termes qui sont presque devenus des insultes, pullulent tellement que ça a perdu un peu de son sens. Ce qu’on veut, c’est faire que nos capacités aillent vers quelque chose qui compte. J’aime me dire que, même sans nos voyages en Europe ni les agents, nous serions là en tant que groupe. C’est ça que je trouve le plus important: réellement apprécier le fait de jouer ensemble. C’est ce que nous faisons, on écrit la musique qui nous fait plaisir et on n’est pas prêts pour retourner notre veste. Alors oui, notre succès est inattendu et c’est super, mais il faut se rappeler que de courir après mène tout droit au désastre.
Vous avez sorti trois EP. Un album est-il en préparation?
Oui! L’album sera complètement différent, et c’est la prochaine étape logique. Il faut qu’on l’enregistre, et je crois qu’on est tous prêts pour le format de 40 ou 45 minutes. Je voulais déjà tâter un peu le terrain avec ces trois premiers EP, histoire de savoir où exactement l’album allait se diriger. On n’aurait pas pu se lancer comme ça dans la production d’un opus dès la sortie du premier disque. On est donc vraiment parés. Maintenant, ce qu’il faut, c’est de la matière neuve.
Merci à Dan pour la traduction
No Comments