Interview : Skunk (01-1999)

Interview : Skunk (01-1999)

Fidel : le groupe existe depuis 1990. Au début, on était cinq, on a fonctionné comme cela, on a ajouté des percus et on a fini à onze. Il y à trois ans, ceux qui restaient et qui avaient vraiment envie de faire quelque chose ont décidé d’introduire des cuivres puisque la musique que l’on faisait était rock, punk, ska, reggae. A partir de ce moment-là, on a commencé à tourner plus sérieusement, les cuivres ont mis la pêche au groupe. On s’est fait connaître surtout au Pays Basque Nord, on est devenu un peu le groupe révélation de la région. Ca a ensuite un peu débordé au sud puisqu’il y a un gros marché musical. Actuellement, on est donc neuf : Julio à la batterie originaire des Asturies et qui habite Bayonne, Juanjo aux percus qui est de Tolede et qui habite Hendaye, Christophe le parisien qui habite Hendaye aussi, Rafa et Iban sont à la guitare et viennent de Pampelune et Irun, Filipe à la trompette qui vient d’Urugne, Pollux est corse et fait du trombone, Lisa au sax qui vient de San Sebastian et moi, je chante et je joue du clavier. La première maquette « Le Vent Du Nord » est sortie lorsque nous étions cinq. Elle comportait six titres, dont deux remixés sur le dernier album. Ensuite est sortie une deuxième cassette huit titres « Sorgin Pirata » qui ressemblait plus à ce que l`on fait maintenant mais toujours sans cuivres. On a fait aussi un split avec un groupe de chez nous qui est sorti sur le label ZTK avec qui on fonctionne toujours, une compil live avec les cuivres et quatre groupes du Pays Basque Nord. On a ensuite eu des propositions, on a joué avec Negu Gorriak ce qui nous a donné pas mal de notoriété et qui nous a permis de demander des cachets un peu plus costauds. On s’est alors payé le premier disque entièrement autoproduit sous le label ZTK, vendu à trois milles exemplaires. Un an et demi plus tard, on est rentré en contact avec Esan Ozenki, avec qui on avait déjà discuté du premier album qui ne leur plaisait pas trop dans la manière ou il a été fait. On s’était donné rendez-vous pour le deuxième, pour savoir si cela les intéressait ou pas. On s’est mis d’accord et le deuxième album doit en être à quatre ou cinq milles exemplaires vendus.

Comment voyez-vous votre évolution entre les deux albums ?

Pour le premier, on s’est payé un studio qui n’était pas vraiment fait pour ce qu’on voulait faire. Les gens connaissaient le matériel mais pas notre musique alors on a enregistré six morceaux, trois morceaux en direct dans le local, et deux morceaux live. Le son était un peu rock n’roll, mais bon, du moment que cela plait à certains…

Peux-tu nous parler du poids d’Esan Ozenki sur la scène basque ?

Le Pays Basque a une culture musicale énorme. On est allé jouer en France, Espagne, Italie et chez nous, i1 y a un vrai marché musical. Un groupe basque inconnu de la France et de l’ Espagne, va vendre là-bas dix milles disques. Un groupe comme nous, sur cinq milles, là-bas on en vend trois milles. Il y a plein d’assos, de comités des fêtes qui organisent des concerts, et pour les groupes, il y a quelque chose qui marche. Dans Skunk, on est tous intermittents parce qu’on arrive à jouer et faire suffisamment de cachets chez nous. Quand il y a une fête, le comité se débrouille pour payer un groupe qui n’est pas connu ailleurs, entre cinq et vingt milles balles. Des groupes comme La Polla Record, Su Ta Gar marchent tout le temps là-bas. Pour en venir à Esan Ozenki, c’est le label de rock basque le plus important. II s’est fait connaître à l’extérieur grâce à des groupes comme Kortatu et Negu Gorriak. Maintenant, chez eux, il y a une vingtaine de groupes aux styles différents. Ils ont aussi une politique spéciale pour ce marché-là, les groupes sort avantagés par rapport à d’autres labels. Il y a un sous-label d’Esan Ozenki qui s’appelle Gora Herriak, qui englobe des groupes de l’extérieur comme Zebda, Todos Tus Muertos… C’est toujours un peu dans la culture révolutionnaire, avec les gens qui disent tout haut ce que les autres pensent tout bas, indépendantistes…

Comment expliques-tu cette volonté d’indépendance présente dans les texte de tous les groupes basques ?

C’est comme si on venait de Tours, qu’on prenait une ligne pour séparer la ville en deux, que dans la ville les gens parlent le patois par exemple et qu’au nord il y ait des anglais et au sud des allemands. Le peuple basque est un peuple séparé qui lutte pour sa culture et sa liberté. Il faut y aller et voir comment c’est.

Qui s’oppose réellement à cela ?

Pour les français, c’est le coin pour le tourisme, c’est Biarritz et pour les espagnols, c’est le coin riche. Après, c`est une question de fascisme et de fierté. Ils ne laissent pas le droit de faire un référendum comme au Québec, ou dans l’ancienne Russie ou pleins de pays se sont séparés. On est dans le sud ouest de la France, et je ne vois pas comment un alsacien peut savoir comment on fonctionne chez nous, tout comme un marseillais, un corse ou un breton. Chacun a sa façon de vivre et au Pays Basque, ce n’est pas comme en France ou tous les gens sont pareils, on veut une richesse provenant du métissage des cultures. Avec le capitalisme, tout le monde sait qu’il se fait tout le temps enculer de la tête aux pieds. Tu n’as pas besoin de batailler pour ne pas te faire baiser la gueule, tu es sûr de te faire couillonner. II n’y a pas d’égalité dans cette histoire, il y a ceux qui sont pleins de thunes, ceux qui n’ont rien et au milieu, il y a les vagues. Chez nous, par rapport au pognon, c’est pareil.

Avez-vous déjà eu des problèmes dus à l’engagement de vos textes ?

Rien, jamais. On doit être catalogué comme groupe politique mais on n’ira pas jouer pour un parti. On va jouer là ou il nous plait. On va jouer à la fête de l’Huma parce que ça se rapproche plus de ce que l’on pense. Dans le groupe, il y en a qui ne pensent pas du tout coco, qui ont une autre vision. Je me sens plus rouge que FN, c’est clair. Je m’intéresse plus aux cocos, qu’aux mecs du gouvernement. C’est très compliqué, il ne faudrait pas de partis, il faudrait que tout soit partagé comme il faut. II faut que les gens se respectent, il n’y a pas besoin de chefs, on est tous les chefs de soi-même.

En référence au morceau Hendaia du premier album, si je te dis que je suis allé longtemps en vacances là-bas…

C’est arrivé à plein de gens. C’est marrant, parce que tous les ans c’est la même histoire. On sait comment l’année va être programmée. L’été arrive avec ses touristes, les gaufres, les frites. L’hiver, il n’y a pas tout cela, il y six milles habitants. L’été, il y en a soixante milles, tu hallucines, tu peux pas te garer. Pour nous, les touristes c’est de la merde parce que quand ils se cassent, il ne reste que les flics, on paye des appartements hyper cher, tous les logements aux vues hallucinantes sur la mer sont vides. On vit dans des HLM à l’intérieur. Les touristes, il faut se les farcir.

Le morceau « La Rosa » est une histoire vraie…

La Rosa est un club de putes qui se trouve à une dizaine de kilomètres d’Hendaye et Irun. Au nord, tous les gens passent au sud pour faire 1a fête parce que c’est plus chaud, plus costaud, plus moderne. Tu peux faire la teuf du vendredi au dimanche sans t’arrêter. Et donc, il y avait deux pêcheurs qui allaient tirer un coup aux putes et quand ils sont sortis de la boite un peu bourrés, ils ont forcé un contrôle de flics basques (parce que là-bas on a les flics français, espagnols et basques, tous aussi cons les uns que les autres). Ils se sont fait poursuivre, et d’autres flics les attendaient plus loin. Ils ont forcé le deuxième aussi. Ils sont alors arrivés à notre frontière chérie et ils ont cru, comme dans les films américains, qu’à la frontière, les flics ne passeraient pas. Les flics ont continué, leur ont barré la route et les pêcheurs se sont plantés dans une vieille station service en face de chez notre percussionniste. Juanjo est sorti et a vu les flics tabasser les mecs. Les flics français sont arrivés et ils ne savaient pas quoi faire ni ou les emmener parce que c’était des flics basques qui étaient sur le territoire français.

Peux-tu nous parler des activités annexes au groupe ?

On organise de temps en temps quelques concerts. Si des groupes sont intéressés pour bouger au Pays Basque, que l’on trouve cela intéressant et que c’est possible, on bataille pour qu’ils viennent et que ça se fasse. Tout cela est venu de Skunk Diskak qui est un label de distribution dont s’occupe le groupe. On a fait des échanges avec d’autres groupes lors de la sortie du premier album pour permettre une distribution plus large. On s’est alors retrouvé avec un stock de disques assez important et on a créé cela. On distribue des groupes français, espagnols, catalans, anglais. Et en bataillant, on a réussi à monter un catalogue avec plein de références du monde entier.

Quels sont vos projets avec Skunk ?

On est en train de finir une tournée qui a commencé au début du mois (mai, ndlr). On a fait une quinzaine de dates en partant d’Espagne, jusqu’en Italie, via la France et Paris, Lyon, Fleac, Ugines. On est revenu au Pays Basque et on est reparti en Normandie et Bretagne. Ensuite, ça va se calmer un peu plus, on bouge un peu au mois de juillet et en août c’est les vacances.

Quelle est l’importance de Skunk au Pays Basque ?

On est le groupe qui tourne le plus à l’extérieur. On joue beaucoup également chez nous, notamment au nord. On a un bon niveau, une certaine notoriété, on a fait pas mal d’articles. On est situé dans les groupes basques les plus violents, dans ceux qui mettent la gueule un peu devant. On en a le droit, donc on le dit.

Comment a réagi la scène basque lors de l’arrêt des Negu ?

Negu a du jouer dix ou vingt fois au Pays Basque. Pour nous, c’est le groupe qui cartonnait le plus, qui s’est bien vendu, qui a une image de groupe révolutionnaire avec de bonnes paroles, des concerts phénoménaux avec dix milles personnes. Ils avaient des connexions avec pleins de gens. Ils sont allés en Amérique Latine. Les gens écoutent toujours les Negu chez nous. Fermin, le chanteur, chante avec DUT, le batteur joue dans un autre groupe avec le guitariste, le bassiste joue avec Anestesia. Ils sont toujours là. Negu Gorriak est arrivé au bon moment et ils ont su en profiter. Ils ont monté Esan Ozenki et ils font du super boulot. II y a des groupes qui ont pris le melon juste parce qu’ils ont signé chez Esan Ozenki et pensaient être LE groupe.

Le mot de la fin…

Si les gens trouvent que dire que l’on est basque, c’est du nationalisme, ce n’est pas du tout cela. Il faut aller voir là-bas. II y a beaucoup de gens qui pensent que cette lutte, ou des gens se flinguent entre eux, c’est n’importe quoi. II faut aller voir sur place et voir un petit peu la réalité des choses et se rendre compte de la situation. Les gens éloignés ont une information modifiée par la télévision. « Ouais, ils ont flingué un flic qui avait quatre gosses », mais de l’autre côté, ils ne montrent pas qu’il y a huit cents prisonniers politiques qui subissent des tortures, des extraditions, des déportations. Ils sont en train de les tuer petit à petit, et ces gens-là, ils ont des enfants aussi. Il faut être conscient des deux faces, un flic qui se fait flinguer, c’est douloureux mais il faut voir pourquoi il y a cette lutte, pourquoi les gens en sont arrivés là et pourquoi ils donnent tout pour cette terre-là. Réfléchissez un peu et regardez l’information comme il faut.


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