Interview – Shiko Shiko, chasse et porno

Interview – Shiko Shiko, chasse et porno

Auteurs d’un deuxième album confectionné dans l’esprit d’un véritable premier disque, les nordistes de Shiko Shiko étaient invités ce soir-là par le festival Tour de Chauffe qui leur avait déjà servi de tremplin il y a quelques années. Légèrement affaiblis par le départ prématuré de leur bassiste après l’enregistrement, le jeune quatuor préfère relativiser et offrir une reproduction fidèle de ‘Maké Maké‘ sur la scène de la gare Saint-Sauveur. Avant un concert nerveux et passionné, les garçons nous accueillent en loge pour une interview animée, prouvant notamment qu’ils ne sont pas les derniers pour déconner…

Les journalistes aiment bien trouver des styles chaque fois différents pour décrire votre musique. On peut lire math-rock, noise…. Quels sont vos propres mots ?

Alexis : On a jamais vraiment réfléchi à ça, on laisse les gens trouver eux-mêmes. Il y a des inspirations de tout ça, mais on ne peut pas dire qu’on fasse du noise, du math-rock ou de l’électro à 100%. Ce projet est un mélange de plein de choses, donc on trouverait ça dommage de se cantonner à un seul style. On fait juste le truc qu’on a envie de faire. On n’arrive même pas à le définir…
Gilles : Même le terme ‘rock’ ne nous convient pas trop.
Alexis : Il y a une base rock parce qu’il y a une guitare… Mais le terme lui-même a aussi évolué, il n’a plus rien à voir avec ce qu’on appelait le rock dans les années 60. On ne fait pas de la musique qui ressemble à celle de Little Richards ! Les gens ont besoin de se rattacher à des styles. Ça permet aussi de faire des liens, du genre ‘si t’as aimé ça, alors tu vas aimer ça‘, ça aide à avoir des points d’ancrage. Il y a tellement de groupes à écouter aujourd’hui que ça permet de faire le tri.
Manu : C’est un peu comme dans une librairie. Là, t’as les magazines pornos, et là t’as les magazines de chasse : tu sais directement où tu vas aller (rires).
Alex : Voilà, notre musique est entre le porno et la chasse ! Mais tout ça facilite le boulot de Spotify qui te propose des morceaux qui sont exactement dans le même style que ce que tu es en train d’écouter. Tu n’as même pas besoin de chercher ! C’est ça le piège.
Gilles : Avec l’explosion d’internet, je pensais naïvement que les gens allaient s’émanciper de tout ça, qu’ils allaient se dire que tout cela n’est finalement que de la musique, que les cloisons allaient exploser. En fait, pas du tout. Les gens s’y rattachent encore. En fait, ça ne s’arrêtera jamais !

Et donc, quel est votre style ? Je vois bien que vous essayez d’esquiver la question !

Alexis : (rires) Disons que c’est un mélange de math-rock, de noise, d’électro, de musique du monde, de Stockhausen et de Terry Riley !

Est-ce que ça vous arrive de réécouter votre premier album ? Avec le recul, qu’en pensez-vous ?

Il est très hétérogène. Peut mieux faire en termes de son, parce que c’était un peu la fête… (rires). On l’a vu plutôt comme une compilation de plein de choses qu’on a faites à l’époque. Tout le monde disait qu’il fallait sortir des EPs parce que les gens n’ont plus le temps d’écouter des albums. Nous, on a voulu faire un album, mais il ne nous restait plus rien vu qu’on avait mis tous nos morceaux dans les EPs ! Ça va un peu dans tous les sens !
Gilles : Il est court et intense. Comme quand on fait l’amour (rires).
Alexis : Il fait exactement le même temps qu’il faut pour faire Liévin-Lille en voiture. Mais, au moins, il est plus long que le troisième album de Weezer !
Alex : Il y a de bons morceaux, d’autres un peu moins biens quand même… Nous n’avons plus les mêmes influences aujourd’hui. On a d’autres idées, d’autres challenges
Gilles : Oui, il y a des trucs qu’on ferait forcément différemment maintenant.
Manu : Je me permets de faire une critique, même si je n’étais pas encore dans le groupe. J’aimais bien les morceaux, mais je trouvais ça vachement froid par rapport au live. Sur scène, c’était très brut. Sur l’album, c’était vachement lissé par la production.
Alexis : Sur le second, les structures sont plus abruptes. Il est un peu plus dorlotant et rassurant. Alors que le premier, c’était un peu…
Gilles : ‘Regardez ce qu’on sait faire !’ (rires)

Quelles leçons avez-vous tiré de ce premier album, et que vous avez mis en pratique sur le second ?

L’importance de revenir sur des chansons. Le premier a été fait dans la course alors que, après avoir enregistré le second, on l’a ré-écouté et modifié.
Alex : On a enregistré beaucoup de fois sur le premier album parce qu’on était mauvais. Techniquement, on n’était pas dedans…
Alexis : Même chose niveau instrumentation. Maintenant, on est toujours des merdes, mais on joue un peu mieux, ça se voit moins ! (rires)
Alex : Il y a plus d’effets spéciaux pour cacher.
Gilles : On a regardé beaucoup de tutos sur internet !
Alexis : Pour le second, on avait vraiment envie de faire quelque chose de plus homogène. On voulait poser un univers et avoir un matériel plus long. Le but dans la vie n’est pas non plus de sortir des disques de 75 minutes, mais on voulait un truc qui ressemble vraiment à un album.
Alex : On voulait un truc plus dense, que les gens se le prennent dans la tronche, mais qu’on ne les perde pas pour autant. Il y a des albums que je peux écouter pendant 50 minutes sans décrocher une seule seconde.
Alexis : Par contre, il y en a d’autres dont tu écoutes les deux premières chansons, puis tu te casses.

Qu’est-ce qui vous arrive avec le Japon ? Pourquoi ces références permanentes ?

Gilles : Parce qu’on a grandi avec le Club Dorothée, les mangas. On aime leur culture, leurs jeux vidéo.
Alexis : On a aussi écouté pas mal de rock japonais. On se rend compte qu’il y a une scène de fou là-bas, qui ne passe pas les frontières. Sur pas mal d’aspects, ils ont une culture assez rafraîchissante. Mais le fait de dire qu’on est japonais, ça reste une blague, même si on se retrouve dans cette culture.

Quel est le phénomène de société qui vous excite le plus dans ce pays ? Qu’aimeriez-vous importer ici si vous le pouviez ?

Gilles : Les Otaku !
Alexis : Je ne voudrais rien importer, il faut que ça reste là-bas ! Il faut juste y aller.
Alex : J’importerais bien de la bouffe moi !
Alexis : Si on pouvait avoir plus de groupes japonais qui viennent jouer en France, ce serait top. Avoir un concert des Melt Banana tous les trois mois, ce serait chouette !

Les groupes français fonctionnent généralement bien là-bas… Avez-vous des plans ?

On est en train de voir pour tourner au Japon en avril. On se la joue punk, on a contacté les salles directement. J’ai eu des échanges avec le bureau d’export là-bas, mais ils n’ont pas compris ce qu’on fait. Ils m’ont dit qu’ils allaient essayer de trouver quelqu’un là-bas, mais je pense qu’ils ne vont rien faire, du coup on se débrouille. Il y a des salles qui sont motivées pour nous faire jouer, alors on va y aller en vacances, et on jouera le soir !

Vous avez quelques titres de chansons bien perchés… Y-a-t-il une anecdote derrière ‘L’Attaque des Hommes-Oiseaux’ ?

Ah ! Ça vient d’un épisode d’une série qui s’appelle ‘Ugly Americans’. Dans un monde parallèle au nôtre, les immigrés sont des monstres.
Alex : Tu as des vampires, des loups garous, des blobs qui essaient de s’intégrer.
Alexis : Le personnage principal est un mec qui bosse au ministère de l’immigration et qui aide les gens à s’intégrer dans la société. Chaque épisode est centré sur un type de monstre, et il y en a un avec des hommes-oiseaux. Ce sont des espèces de types avec une tête d’oiseau et des ailes. Ils volent et font à peu près 1,90m. Ils ont les couilles à l’air, et un poing à la place du prépuce. Ils se battent avec, et ne font que dire ‘suck my balls !‘ avec une intonation chinoise.
Gilles : Oui, ils ont un vrai langage à base de ‘suck my balls‘. Ils font des concours où ils se tapent à coup de pénis dans la tête. Quand on a vu ça, on s’est dit que c’était magnifique, qu’il fallait qu’on en fasse une chanson ! L’humanité a quand même juste évolué pour en arriver là ! (rires)
Alexis : Dans la chanson, c’est un peu le chaos. On a juste imaginé des mecs avec des ailes et un gant de boxe à la place de la bite, qui arrivent pour tout péter.
Gilles : Et quand on les nourrit, ils se ramènent tous en bande, comme des pigeons, en criant ‘suck my balls‘ ou d’autres trucs vulgaires comme ‘eat my cheese‘.

Bel hommage ! Et qui sont ‘Akira et Virgile’ ?

Alexis : Normalement, c’était ‘Lucien et Virgile’.
Gilles : C’est une histoire que j’ai inventée. Pendant la révolution russe, ce sont deux hommes qui s’aiment et qui se battent pour promettre la liberté et l’amour pour tout le monde. A la fin, ils vont voir un oracle pour connaître l’issue de la guerre. On ne comprend pas vraiment ce que dit l’oracle, mais on comprend qu’ils n’atteindront pas l’amour, la révolution ayant amené encore plus de répression.

C’est quand même plus compliqué que pour les hommes-oiseaux… (rires). Et ‘Plateforme Multimodale Delta 3′ ?

Alexis : On voit toujours ça sur un panneau entre Arras et Lille, mais on ne sait pas ce que c’est ! (rires) On a fait un morceau un peu industriel et électronique, donc on s’est dit que ça collait vachement bien ! Il y a ce côté mystérieux, tu ne sais pas ce que c’est.

Vous êtes quatre dans le groupe. Qui est le patron ?

C’est moi.
Alex : C’est moi.
Gilles : Non, il n’y pas de place pour un leader. C’est le premier qui lève la main ! J’ai gagné.
Alexis : On écrit toutes les chansons ensemble, il n’y a pas de songwriting à proprement parler.

Et pour la composition, ça se passe comment ?

Alex : On ramène chacun des idées qu’on a eues chez nous, puis on improvise.
Manu : Ça se crée de manière totalement stupide, on rajoute des couches, c’est tout bête. C’est du feeling.
Gilles : Le bon rockeur, il joue avec sa guitare, et il crache. Le mauvais rockeur, il joue… et il crache. Mais c’est pas pareil !

Lequel de vous a les pires goûts de chiotte en musique ?

C’est sûrement moi. C’est même largement moi.
Les autres, en chœur : Ouais, c’est lui !
Gilles : J’écoute de la honky tonk, du bluegrass, de la chanson française comme Ferré, Brassens, Brel…
Alexis : Mais ça, ce ne sont pas des goûts de chiotte !
Gilles : Quand je veux en mettre, vous ne voulez pas ! (rires)
Alex : Il écoute aussi tous ces groupes de post-punk avec des tarlouzes qui chantent.
Gilles : Je peux aussi écouter un best-of de Yodel en disant ‘ouais, c’est pas mal !‘ (rires)
Alexis : Après, c’est relatif, ça reste super subjectif. Par exemple, je suis fan de Jean-Michel Jarre, tu vois…
Manu : Il y a à boire et à manger dans le dernier, tu peux entendre des trucs sympas comme des trucs ignobles…
Gilles : Je m’attendais à bien pire !
Alexis : Il y a toujours pire. Il y a Theo & Thea !
Gilles : Je pense qu’il a appelé tout le monde en disant ‘Salut coco, c’est Jean-Mich, sans moi tu serais rien, viens faire un morceau avec moi‘ (rires). Non, mais c’est très relatif les goûts de chiotte.

Je sais, c’était juste pour vous embêter un peu ! Et si vous pouviez chacun troquer votre instrument contre un autre ?

Alexis : Moi, je prendrais direct un orchestre philharmonique. Je les mets tous chez moi. Mais sans Metallica ! (rires) Non en fait, je prendrais plutôt un marimba. Ou un contrebasson, ça coûte cher.
Gilles : Moi, un laptop. Pour faire de l’électro. Et pour remplacer tout le monde ! Ou la harpe de lumière de Jean-Mich…
Alex : Je pense que j’échangerais avec un gamelan, ça prend la taille d’une pièce…

A quoi doivent s’attendre les gens qui ne vous ont jamais vus sur scène ? Y-a-t-il une part d’improvisation ?

Alexis : Un petit peu… Il y a juste un moment où il y a une gamme de do dièse majeur, mais c’est tout. (rires)
Gilles : Ce n’est pas trop une musique d’impro. Je ne suis pas trop fan de l’exercice, je suis trop fainéant pour ça.
Manu : Ouvrez vos chakras et vous serez emportés par cette musique épique et magnifique…
Alexis : Tout le monde doit venir en costume de chevalier.
Gilles : Il faut s’énerver, il faut pleurer, il faut faire n’importe quoi ! C’est toujours à fond. On est là pour se marrer, mais on reste sérieux parce qu’on veut proposer quelque chose de vraiment bien fait aux gens. Mais restez critiques surtout !

Ce soir, c’est gratuit, donc j’en aurai pour mon argent à priori !

Manu : Si c’est nul, tu peux quand même demander à être remboursé… (rires)

Vous jouez ce soir dans le cadre du Festival Tour de Chauffe. En quoi vous ont-ils aidé ?

Alexis : Ils ont été notre premier dispositif d’accompagnement. C’est bien pour les petits groupes de la région car ça permet d’avoir une résidence, un enregistrement, et des gens qui viennent t’aider sur la manière de faire ta musique. C’est assez ouvert, c’est facile d’y accéder. Ça te permet d’avoir une petite expérience. Ça nous a bien aidés pour apprendre à faire une fiche technique dans les normes ISO par exemple…
Gilles : On a aussi appris comment parler aux techniciens. Ça faisait des années que j’utilisais le mot DI, alors que je savais même pas ce que c’était… ‘Je te mets des DI ? Ouais il en faut plein‘. (rires)
Alexis : On a aussi appris que, quand on monte sur scène, il faut toujours serrer la main du premier violon. (rires)


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1 Commentaire
  • Roskö
    Posté à 18:25h, 14 février Répondre

    Ils sont très cools. Mais faut tenir Alexis loin de la vodka ! 😉

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