Interview – Saun & Starr, de l’ombre à la lumière

Interview – Saun & Starr, de l’ombre à la lumière

Après avoir été pendant des années les choristes de Sharon Jones (entre autres), Saun & Starr se sont vu poussées par leur destin pour faire quelques pas en avant et se retrouver enfin sur le devant de la scène. Elles s’illustrent cette année avec un premier album rempli de bonnes ondes, qu’elles diffusent largement en concert en affichant un sourire indélébile et en réchauffant littéralement l’atmosphère. Saun fêtait ce soir-là son anniversaire devant le public conquis du Grand Mix de Tourcoing, et nous offrait avec son amie Starr un entretien, entre rires et larmes.

Vous vous connaissez depuis environ trente ans. Comment vous sentez-vous par rapport au fait de sortir enfin un album ensemble ?

Saun : Pour nous, c’est la suite logique de notre amitié. J’ai l’impression qu’on a peu à peu grimpé les échelons : on s’est rencontré, on a commencé à faire de la musique ensemble, puis on a commencé à chanter pour Sharon Jones & the Dap Kings… Et aujourd’hui, nous avons encore atteint un autre niveau ! Le fait de sortir un album avec Starr est incroyable. C’est beau !

Mais pourquoi avoir attendu si longtemps ?

Starr : Je ne pense pas qu’on ait attendu. Tout a été conditionné par les expériences liées à notre vie, nos différentes responsabilités : élever nos enfants, s’occuper de nos familles… Je pense que si l’album était sorti avant, nous n’aurions pas autant apprécié ce moment !
Saun : Nous avons une carrière discontinue. Mais si on en croit notre vie, tout a coulé de source, et ce genre d’événement est arrivé naturellement, on ne l’avait pas planifié. Honnêtement, on peut remercier Dieu de nous avoir ouvert ce genre de perspective, parce qu’on a l’impression en ce moment que nous sommes exactement là où nous sommes supposées être dans cette vie !

Avez-vous vu le documentaire ’20 Feet From Stardom’ ?

Attends une seconde ! (elle prend sa tablette, l’allume, et me montre le film, ndlr) C’est marrant que tu en parles, on le connaît, et on l’a regardé ensemble récemment. On voulait absolument le voir à deux. On a pleuré au moins trois fois ! (rires) En fait, on l’avait déjà vu, mais le fait de le regarder une fois de plus après la tournée a eu un nouvel impact émotionnel sur nous. On se sent tellement proche de ce documentaire, on se reconnaît dedans. Ce que dit Stevie Wonder – ‘Soyez vous-mêmes‘ – ou ce que raconte Darlene Love – ‘je ne fais plus le ménage !‘ – nous a beaucoup encouragé.
Starr : Ça nous a beaucoup touché même si, pour nous, ça ne s’est pas déroulé de la même façon. C’est juste que ce n’était simplement pas notre moment.

Était-ce frustrant pour vous d’être dans l’ombre ?

Pas vraiment, cela faisait partie de nos choix. C’était aussi une manière de trouver notre équilibre avec nos familles respectives. Je ne ressens aucun regret par rapport à cela.
Saun : Ce n’était pas frustrant, c’était même plutôt fun. En particulier pour des personnes comme Starr et moi, qui n’avions pas forcément l’habitude d’être sous les projecteurs. Quand tu es une jeune fille, tu penses automatiquement que se retrouver au premier plan est la progression naturelle d’une chanteuse : ‘je veux chanter, je veux être une star !‘. Mais quand tu vieillis un peu et que tu vois comment fonctionne ce business, tu te dis : ‘c’est bizarre et effrayant, finalement je sais exactement ce que je dois faire là derrière, je suis bien, laissez-moi ici tranquille, éloignez vos lumières !‘ (rires) Aujourd’hui c’est différent, mais je te confirme que ce n’était pas frustrant du tout !

Votre album est difficile à dater, il sonne à la fois moderne et authentique. J’ai posé la même question à Lee Fields : quels sont les codes à respecter pour sortir un album de soul aussi sincère ?

Tu dois déjà être un passionné de la vie au fond de ton cœur. Tu dois vraiment savoir ce qu’est l’amour, mais aussi ce qui te fait mal. Tu dois aussi savoir repousser tes limites spirituelles. En plus de tout ça, tu dois avoir de bonnes chansons et des bons musiciens !
Starr : Aussi, quand on chante, on s’identifie avec passion aux paroles. Tu chantes la chanson, la musique te fait bouger et te pousse à évacuer tes expériences et tes sentiments en rapport avec les paroles. La soul est une expérience à part entière.
Saun : Ce n’est que du réel et de la sincérité !

Contrairement aux disques de Charles Bradley ou de Lee Fields, on n’entend que très peu de tristesse et de mélancolie dans ‘Look Closer’, sauf sur le morceau ‘If Only’. A quel point est-ce important pour vous de répandre toute cette joie ?

Tu sais, nous n’avons pas souvent l’occasion de voir nos familles, mais on les aime énormément. Quand on est ici, qu’on voyage avec des gens, qu’on rencontre notre public, c’est une autre sorte de famille. On cherche seulement à prendre notre pied. D’une certaine manière, ce disque est l’extension de notre amitié. On a passé des moments géniaux avec Sharon Jones et les Dap-Kings, et entre nous on rigole tout le temps, on chante… Le disque reflète tout cela.
Starr : Tout est honnête dans nos chansons, et c’est naturellement un état d’esprit que nous avons envie de partager.

C’est donc un rêve qui devient réalité aujourd’hui…

Saun & Starr, en chœur : Oh oui, complètement !

Quel est le prochain sur la liste ?

Saun : J’aimerais avoir une belle carrière de songwriter, être sûre que ma famille ne soit pas dans le besoin, et j’aimerais aussi construire un endroit pour les enfants dont les parents travaillent beaucoup. Un endroit où ils pourraient continuer à travailler ensemble, apprendre la musique, jouer, et se sentir en sécurité le temps que leur famille atteigne leur rêve personnel.
Starr : Je veux pouvoir vivre de façon confortable et avoir ce qu’il faut pour prendre soin de ma famille.

Tu veux pouvoir vivre de la musique ?

Oh non, jamais ! Je veux simplement continuer de me construire et en apprendre toujours plus sur la musique. Je rêve d’être en mesure de produire un disque un jour. D’ailleurs, je suis en train d’étudier la construction d’un home studio.

Avez-vous déjà des idées pour l’album suivant ?

Saun : C’est intéressant parce qu’on a déjà écrit quelques chansons et on en joue une ce soir. Nous sommes déjà excitées à l’idée de sortir le prochain album, mais nous n’avons pas vraiment de fil conducteur pour l’instant. Je pense que le label et les Dap Kings y pensent aussi déjà, même s’ils n’en parlent pas.

Tournez-vous avec les Dap Kings ?

Non, ils sont trop occupés avec Sharon Jones, entre autres ! On ne peut pas les kidnapper, elle nous tuerait ! (rires) Nous avons notre propre groupe et ces musiciens sont fantastiques. Ils sont cinq et s’appellent les Soul Novas. On peut les appeler les bébés Dap Kings, puisque ce sont des références pour eux. Ces musiciens ont commencé à jouer ensemble sur notre première date. Leur première répétition, c’était dans une chambre d’hôtel à Barcelone sur cette tournée !

Aujourd’hui, le public ne vient pas pour Sharon Jones, mais pour vous. Comment le gérez-vous ?

Quand on jouait avec Sharon et les Dap Kings, la scène lui appartenait !
Starr : Les fois où on s’avançait devant la scène, c’est uniquement parce qu’elle nous appelait ! (rires)
Saun : Mais c’était toujours SA scène ! Aujourd’hui, on se sent bien par rapport à ça. Notre moment est arrivé, c’est une vraie opportunité. On sait qu’on a la bénédiction de Sharon ! Ce qui est intéressant, c’est que l’on croise aujourd’hui les mêmes personnes que celles que l’on a rencontrées lors des tournées avec elle. Désormais, on peut mettre le style Saun & Starr en avant !
Starr : C’est ce même public qui a rendu tout ça possible, avec les Dap Kings qui ont parlé directement avec Neil (co-fondateur de Daptone, ndlr). ‘Hot Shot’ a été notre premier 45 tours. Le but était de voir comment allait être l’accueil du public. Et il se trouve que ce disque a été la meilleure vente en la matière de l’histoire du label. C’est un honneur ! Ils se sont donc dits qu’il fallait sortir un album complet, et c’est comme cela que ‘Look Closer’ a vu le jour !

Et comment est l’accueil du public sur cette tournée ?

Saun & Starr : (elles lèvent les yeux et parlent en même temps, ndlr) Le public est tellement gentil ! Les gens sont formidables ! Les équipes qui nous reçoivent dans les salles, les ingés-son, tout le monde nous accueille avec beaucoup d’amour ! On les remercie tous !

Question pour Starr uniquement… Vous vous connaissez très bien j’imagine. Quelle est la plus belle qualité de Saun ?

Starr : son cœur. Elle donne sans réfléchir, elle fait attention aux gens sans penser, elle partage son temps et ses talents avec quiconque lui montre de l’intérêt. En tant qu’humaine, elle m’inspire littéralement… Non, tu me feras pas pleurer avec ta question ! (elle verse une larme, ndlr)

Et toi Saun ?

Saun : C’est quelqu’un d’extrêmement gentil. Elle est très intelligente. Elle me fait rire ! C’est la plus cool de nous deux. J’apprécie aussi son honnêteté, et je suis heureuse d’avoir pu évoluer avec elle depuis que l’on a 20 ans… Elle a beaucoup de talent, elle est comme ma sœur ! Tout est naturel quand on est ensemble.

Tu as sorti un album solo dans les années 90. Pourquoi n’en avoir fait qu’un seul ?

J’avais une sœur qui avait 17 mois de moins que moi. Elle est décédée en 1996. J’ai écrit des chansons pour extérioriser ce que j’avais dans la tête à ce moment-là, et mon producteur m’a demandé si je voulais en faire un disque. C’est ainsi qu’est né ‘Bless The Day’. L’album n’est pas spécialement sombre, mais j’étais attristée par beaucoup de choses à cette période. J’ai commencé à fumer de l’herbe, à boire un peu plus… J’ai toujours voulu faire un autre album plus joyeux, mais je n’ai pas encore écrit les chansons. Puis l’aventure Saun & Starr m’est tombée dessus ! C’est pourquoi ‘Bless The Day’ est si spécial et unique pour moi.

Vous avez organisé un petit concours sur Spotify, intitulé ‘What is your favourite woman of Soul ?’. Quelle est la vôtre ?

Starr : Sans hésiter, c’est Gladys Knight. Il y a aussi Aretha Franklin, Chaka Khan… Il y en a tellement que si j’en oublie, je vais m’en vouloir !
Saun : J’adore aussi Gladys Knight. Mais je suis également fan de Nina Simone, et quand j’ai entendu la voix de Chaka Khan pour la première fois je me suis dit : ‘c’est quoi ce truc de fou !‘ (rires) Elle a vraiment son style ! Aussi, j’ai halluciné quand j’ai appris qu’Aretha Franklin avait sorti un album de gospel. Car dans l’église où j’ai grandi, ce n’était pas accepté, il était impossible de combiner soul et gospel ! Je me suis donc dit : ‘Attends, c’est possible ça ? On peut faire les deux sans brûler en Enfer ?‘ (rires)


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